Laurens a les paupières lourdes d'avoir partagé entre les paumes et les lèvres le souffle du joint coupé.
Les vitres sont embuées des chaleurs qui s'émanent des chairs à vifs, des voix qui font échos à travers les ombres, Laurens se sent comme chez lui, sans Clarence pour lui mettre la rage au fond de la gorge, à devoir sentir entre ses os sa présence étouffante.

Les filles se trémoussent, cherchent à s'emparer des doigts qui pèguent de Laurens, à sentir la présence d'un poitrail et d'un bassin contre une cambrure qu'il abhorre, il préfère reculer les lèvres défaites de sa franchise d'ordinaire trop écœurante.
Entre les valses trop chaudes, Laurens s'approche de la cuisine, là où les stroboscopes violés éclairent si peu, qu'il n'arrive ni à définir ceux qu'il connaît des bancs d'école ou ceux dont l'odeur ne lui a jamais ouvert l'appétit. C'est gentil d'avoir préparé un verre juste pour moi. Comme un enfant a qui les punitions n'ont jamais effleuré l'épiderme, Laurens déleste le type en face de lui de son verre, le menton haut et les lippes tirées sans une grimace. Le gars plus petit en face de lui a les traits des merdeux qui s'affolent facilement à côté des dédales de la Fosse, à trop ouvrir sa gueule et à baver sur les épaules trop carrés des types trop costauds. T'es un pote à Vlad' ? Ou t'es un squatteur ? Laurens laisse le rire tabasser la pièce et il engouffre d'une traite la boisson immonde dans le verre. Il n'a jamais trop aimé la picole, il se plie aux conventions des fêtes pour se faire bien voir, sans abuser pour ne jamais se faire avoir.

Les reflets miroitent à travers le verre glacé jusque dans ses prunelles, Laurens confond les diaprures de sa montre avec les luminaires étrangers qui valsent par dessus sa tête.
Il scrute alors l'objet qui enserre le poignet sans animosité, plus là pour la montre que par utilité réelle, lui qui a toujours eu du mal à lire les chiffres en barre lorsque la brume embaumait son esprit.

Laurens étire l'échine, le même sourire stoïque en plein milieu du visage, il a le rire fier et les épaules trop tendues pour réussir à paraître moins grand. C'est culotté non ? Tu fais partie des petits legos dans la pièce. Son ami Vlad a déjà pris ses tires et s'est fait la malle, il a claqué l'épaule de Laurens au passage sans piper mot.
Il n'a jamais vraiment voulu participer à ses enchères et sa routine, il préfère être maître de sa vie, Laurens. Il patiente jusqu'à pouvoir étirer les os de la chair, pénétrer dans les cages rouges pour dévorer le cœur. Aimer c'est consumer, maman lui répétait souvent à Laurens. Lui, il ne l'a jamais vraiment saisi.  

Les paumes subitement claquent contre sa joue ronde, les sourcils se haussent et le monde continu sa danse. Il aurait pensé qu'à cet instant les branles des carcasses auraient cessé. Mais il n'y a rien de tout ça, seulement le tintement des petites frappes et subitement le rire qui manque d'égorger le renard. Tu prends combien du coup ? J'ai... Quinze lenss sur moi. C'est assez pour quoi ?
Laurens a les lèvres tirées dans les sourires malicieux qu'on abhorre, il tape l'épaule du gars avant de sortir une clope de sa poche, entre ses dents elle s'enlise et dans le creux des mains la flamme brase. Sinon je te veux rien. Mais j'ai pas souvent approché des putes, on dit pas un gigolo dans ce cas ? L'essence fume à travers ses narines, Laurens en hume l'odeur infâme et étire le dos.

Les néons ont fusionné, ils brandissent du bleu et du rose, ça part sur les visages et ça scinde les émois en deux. Laurens, il n'a jamais pris le temps d'observer correctement les autres pour le plaisir. Il l'a toujours fait pour la frime et sa mise, alors devoir s'attarder sur les balafres et les piercings d'un gars qu'il n'a jamais connu, ça lui arrache les tripes. Comme ça, on dirait que t'as genre, deux visages. L'index sépare la face en travers sans toucher la peau du type.
Entre ses lippes, Laurens laisse la fumée s'échappe jusqu'à celui dont le nom n'a toujours pas effleuré ses lèvres. J'm'appelle Laurens. Et toi, le nabot ?

Le son sature à travers ses tympans, il doit retenir les affres dans le creux du ventre, pour ne pas finir par se tirer en courant parce que tout commence à grésiller trop fort, à tonner presque aussi fort que le tonnerre. Alors pour oublier, Laurens focalise son attention indélicate sur les linéaments anguleux face à lui. Ah ouai ? Du coup une femme qui fait la gigolo c'est quoi ? Une gigolette ? Laurens à le sourire pincé, la clope qui manque de casser entre ses dents et il martèle le rire étouffé entre ses bronches.

Sam, ça sonne comme comme les prénoms des enfants taciturnes dans la cours de récrée. Ceux qui ne se laissent jamais marcher sur les pieds et qui n'envient ni rien ni personne.
Laurens, son prénom sonne comme les lâches qui n'ont connu ni la tendresse ni l'ardeur.
La fumée s'évapore, la sensation du tabac grisant entre ses lèvres s'évade et pour compenser l'envie, il passe la langue contre les dents parfaitement entretenues et glisse à la place un chewing-gum à la fraise qu'il mâche sans discrétion. J'ai une gueule à me piquer avec les vieux camés d'ici ? Un sourcil se hausse, Laurens pivote sur lui-même pour regarder la débauche, le venin qui gangrène les pores de tous ces jeunes qui ne sont pas assez adultes pour prétendre tout savoir, mais qui en ont suffisamment vu pour prétendre tout connaître. Non j'ai juste un problème. On va dire que j'ai du mal à faire les choses correctement. Sam lui soulève le poignet, il enserre sans sauvagerie et Laurens, laisse la chair polir la sienne. Là j'ai juste fumé. Et toi pourquoi t'es là ? Tu fais la gueule comme si on venait d'enterrer toute ta famille.

Laurens dégage doucement la jointure qui craque, il vient appuyer le bas du bassin contre le comptoir, à côté de Sam et colle son chewing-gum sous la table en grimaçant. Cadeau pour celui qui se tapera le ménage. Le rire est cette fois brusque, la paume vient rafler le nez et sa joue pour gratter sa peau. Tu fais quoi dans la vie, Sam ? De ce que j'ai compris tu n'es définitivement pas un gigolo. Le visage vers Sam, Laurens n'a jamais désamorcé le sourire, les lippes tirées jusqu'aux oreilles.  

Empâtir, ça n'a jamais été son truc, à Laurens. Il a déjà mimé les babines tombantes et les sourcils chavirant pour élaborer les visages tristes des moments douloureux.
Pâtir, ça lui est déjà arrivé. Souvent, il a eu le cœur mordu des aspirations moroses de n'avoir connu son père que par les interstices des fenêtres, de n'avoir connu sa mère que par les travers d'une vie consumée par la solitude et l'attente. Alors il n'a jamais eu honte de le dire, qu'il n'aime ni Marlène ni Antoine.

Par réflexe mutin, il enserre ses doigts les uns dans les autres, imbriqués comme les briques d'une maison dont les fondations chancèlent. Tu sais mettre une bonne ambiance, j'aime bien. Laurens tourne le minois mal rasé, manque les tempos d'une musique qui fait saccader ses propres fondements, le pied qui martèle le sol sans même se rendre compte, dans le rythme des hymnes que même les bambins de ces dernières années connaissent sur le bout des lèvres. Non, tu ferais même un très mauvais gigolo. Sauf si celui qui t'embauches kiffe se faire péter le nez..
Il rit Laurens, plaque le dos de sa main contre ses lèvres pour éteindre un peu de sa vacherie.
Il ne sait pas ce que ça fait de bosser l'échine courbé dans les magasins dont les luminaires sont trop agressifs. Il n'a pas non plus la moindre idée des doigts qui finissent par se tordre à forcer de récurer des chiottes sur lesquelles il n'y poserait pas un pied, même avec des chaussures. Alors il hoche la tête rapidement, Laurens. Puis de sa poche, Sam attrape ce qui lui semble être un vulgaire bout de papier, il enlève le chewing-gum qu'il a collé et ça le fait doucement rire. Oh merde. La nuque recule, la grimace sur le visage, Laurens lui arrache le ticket des mains et le colle sur le comptoir derrière lui, un air moqueur sur le visage. J'imagine bien que nettoyer la merde des autres c'est chiant. Perso' je préfère tirer sur les biches et les faons. Laurens, soulève les bras et mime l'arme, le bruit entre ses lèvres sans écho pour faire comme le canon du fusil lorsqu'il crache le bruit menant à la mort. Ah les gosses de riches, ces emmerdeurs.

Sam propose une clope neuve, là où les morsures n'ont ni abîmé le filtre ni le papier. Laurens souffle du nez, récupère le cadeau et s'empresse de l'allumer tout en récupérant le briquet que Sam a subtilisé. Qui te dis que j'en suis pas un ? Laurens se tourne entièrement, le flanc appuyé contre le tiroir où sont rangés les ustensiles, il ne retient plus les rires et les sourires. Mais le râle du type en face de lui lui arrache une grimace. T'es un clampin ou quoi, comment tu fais pour te brûler sur la lèvre ?
Laurens se décroche du bois mal lustré et collant, attrape un torchon propre qu'il passe sous l'eau avant de le lui tendre tout en expulsant la fumée en hauteur, la gorge déployée. Mon petit Sam, t'es bon pour foutre d'la vaseline sur tes lèvres pendant un moment. Dommage, t'auras pas droit aux embrassades des gigolos.
Laurens tait le rire, les lippes pincées dans une moquerie espiègle, il finit pourtant par rire, glisse une main libre au fond de sa poche pour jouer avec les bagues qu'il a enlevé par peur de les perdre, encore.
 

L'exhalaison tourne comme des ronds lorsqu'elle s'évade d'entre ses lèvres, le bruit de la gorge lorsqu'il avale, Laurens n'a jamais vraiment su faire dans la discrétion.
Sam l'amuse, sans prise de tête comme ceux qui veulent directement cogner dans l'bide, il n'arrache jamais de ses lèvres son sourire, les muscles commencent déjà à lui tirailler et les fossettes s'ancrent solidement dans la chair, juste sous la babine inférieure et sur les joues. Tu crois ? Les sourcils se haussent dans une surprise feinte, le torse s'aligne sur les éclats qui s'ébrouent du fond du gosier.

Laurens meut les épaules, doucement. Lui, ça ne l'aurait pas arrêté non plus. La douleur, il se plaît à dire que ça ne rend que plus vivant, qu'il faut savoir souffrir pour se sentir honorer d'être en vie. Un plaisir qu'il partage sauf lors des chasses, un plaisir qu'il éteint, le fusil sur l'épaule à noyer les spasmes pour viser dans la jugulaire ou dans la tête. Vrai homme courageux c'lui-là..Il parle de Vlad, une connaissance assez neuve, un type pas vraiment charmant qui lui a proposé des verres, des biftons à foutre dans la fosse. Laurens a dit oui et non, il a usé de ses charmes et de quelques valses. Pauvre chaton. Tu vas crécher dans un carton du coup ?  
L'habitude sûrement, Laurens peut dormir partout. Entre trois types grassouillets qui prennent trop de place, dans un placard à l'abri des regards lorsque la musique sonne trop fort, sous le coup des tumultes de la pluie, quand les petits sont trop effrayés du tonnerre. Il est sûr que Sam aussi, il n'a ni l'air douillet, ni prétentieux. Maladroitement, Laurens essaie d'amortir le sachet coloré entre ses doigts mais il glisse à ses pieds, la fumette n'a jamais aidé son problème, c'est certain. En ce qui concerne Sam et son raisonnement succinct, il y croit. Il n'a pas envie de s'étendre dessus mais c'est certain que des abrutis dans la fosse doivent prendre leur pied. La clope consumé, il écrase le bout cendré dans le fond de l'évier et laisse périr le mégot. Mh mh. J'essaierais, mais je tire sur tout ce qui bouge tu sais. Manie de chasseur. Les babines tirées, la glace s'accroche et il essaie de doucement défaire de sa lèvre le bout collé. C'est vrai que la mer est pas loin. Allons-y alors. C'est si gentiment proposé ma biche.

Laurens froisse le sachet sur le comptoir, range le briquet coloré au fond de sa poche et jette un œil à son téléphone. Il a ignoré les innombrables messages qui se succèdent, tous de la même personne.
Il a suivi à la place Sam dans la soirée, elle n'a jamais cessé de battre et de faire valser, de brusquer et de faire entrer plus de gens encore. Laurens, il a dansé parfois avec quelques filles qui venaient réclamer des rondes et des rires pendant que Sam dans une délicatesse qui lui manque, à fait les poches des patrons.
Finalement, ils ont fini par s'échapper un peu moins d'une heure plus tard, l'air brouillé par la fraîcheur de l'extérieur, les bourrasques de vent qui giflent les joues des deux fêtards, les derniers coucher.

La nuit est encore longue, les étoiles depuis leur piédestal les regardent marcher sous les luminaires dévorés par la clarté qui se dégage de la lune.
Les discussions se succèdent, elles ne font pas vraiment sens entre elles, pourtant ça lui convient à Laurens de s'éparpiller entre les sujets. Il marche à reculons, bouge les bras lorsqu'il parle, s'amuse à faire des grands signes avec ses mains pour avoir l'air plus sérieux lorsqu'il déblatère. Il a encore le cerveau enfumé des effluves partagées dans la maison au bord des rochers.
Les parfums d'été lui ont longtemps manqué à Laurens, pendant les temps trop frais pour sa carcasse frêle et ses tâches sur le nez qu'il crevait de revoir apparaître à l'aube des jours trop courts.

Sur le bord de la plage ils ont fini par accoster. Il fait noir et la mer semble plus impressionnante que de jour, les vagues viennent le narguer, à s'échouer pour finalement repartir.
Il se sent parfois comme elles, à venir mourir pour finalement vivre à nouveau. Il y a des jours comme ça qui ne veulent rien dire et d'autres qui sont synonyme d'un rêve à réaliser.
Sur ses poignets, Laurens détache les bijoux qu'il jette sur le gilet déjà déposé au sol. Au fait, pourquoi Vlad t'as pas payé ? T'as fait quoi ? Le rire mâche les mots, il peine à distinguer correctement le visage de Sam, il n'arrive qu'à en dépeindre les contours d'un corps plus costaud que le sien. Là, t'as carrément qu'une facette. C'est marrant quand même les jeux de lumière.

Les grains frais entre les orteils à nu, ça le fait souffler et sourire à la fois, lui qui adore tant cette sensation. Allez ma biche, on va voir si elle est assez tiède pour tremper les pieds. Sa paume vient basculer doucement l'épaule de son compagnon d'un soir, le jean à terre et le caleçon qu'il recousu pour cintrer parfaitement à sa taille.
Il s'arrête au bord, là où le sable humide reçoit les vagues, il s'y enfonce et profite de la vue, là où les reflets galactiques de la lune s'étend. Les bourrasques ne se sont pas arrêtées mais elles font du bien lorsqu'elles fouettent la chair.