Entre les échos lointains des vagues, maintenant Laurens se sent un peu plus familier avec la terre ferme, à longer les rochers érodés par des milliers de pluies et de mers sulfureuses.
Sam est juste à côté, avec son futal trop large et le bassin étroit, il lui fait de la peine avec ses fringues qui datent d'une ère qu'il n'a probablement jamais connu. Le rictus mal dissimulé, Laurens nargue et dans sa poigne, dissimule le bijou. Ouai c'est cool, c'est ma passion à moi.

Le plus grand des deux marche à reculons pour avoir une vue plongeante, observe mieux à la lumière artificielle les artifices sur une chair qu'il n'a encore jamais goûté. Des animaux que je chasse. Ça c'est un cerf, il était énorme. Laurens dans une opulence dont il ne se lasse jamais, écarte les bras pour imiter la largeur de la bête, ramasse les quelques vêtements qui se font la malle et continu l'ascension jusqu'aux îlots plus haut. J'en ai aussi de loup que j'ai buté en prenant ça pour un gros faon. J'étais peut-être un peu en rogne, j'ai pas fait gaffe. Ça arrive non ? Un haussement d'épaule et Laurens avec sa clope dans le bec, aspire la fumée qu'il recrache sans honte.
Son compère n'avait pas apprécié le geste chirurgical exercé sur la carcasse de l'animal, Laurens n'en avait rien eu à faire. Il a récupéré les molaires et les incisives, dissimulées dans le fond d'sa poche, il compte bien en faire des breloques inestimables.
Un reniflement puis deux, Sam demande et Laurens le regarde du coin de l'œil. Partout et nulle part. J'traîne pas à la Fosse mais j'ai des contacts, là-bas. Il n'a pas de quoi être fier mais parfois, ça lui apporte de la stabilité, de se frotter aux plus grands jusqu'à se faire abattre sans jamais tomber.
Une avidité qu'il cultive depuis trop longtemps, dans laquelle il se complaît et qu'il ne voudrait jamais voir s'éteindre. Et toi, Sam, t'as des alliés sur qui compter en cas d'échec ? Parce que de c'que j'vois, c'est pas terrible. Laurens se marre sans prétention, il aime piquer là où ça heurte en se satisfaisant des grimaces douloureuses, les clés tintent toujours sans harmonie et ça le rassure. Si jamais t'as besoin, ma porte est ouverte tu sais. Tu peux venir quand tu veux et quand t'as besoin. Les cercles se forment par dessus son crâne, la brume se meure entre les étoiles et Laurens laisse d'abord pénétrer Sam dans le bâtiment, lui prend la main en y lassant ses doigts. Pourquoi tu te bats dans la fosse ? Problème d'égo ? Besoin de montrer aux autres que ses petits bras savent y faire ? Laurens lève le bras avec celui de Sam pour en observer les formes voluptueuses qui s'y dessinent. Il est moins épais que lui, Sam. Il est plus fin et Laurens peut se vanter d'être plus costaud, mais peut-être pas plus fort, ça, il est presque sûr de perdre.

Les marches semblent infinies et son palier au troisième se dévoile enfin, il ouvre la porte et jette les fringues sur le sol, s'étire et balance son mégot dans un sac où les cartons traînent. Ça te dérange si on s'lave en même temps ? Laurens lui tourne le dos et rejoint la chambre à la droite de l'entrée après avoir longé son couloir dans le noir. Il aime la pénombre et la source silencieuse des luminaires à l'extérieur le rassure, d'un tiroir il attrape deux caleçons et rejoint Sam. Sauf si t'es tout pudique, je peux attendre dans l'lit. La vision se broie entre les jeux de lumières, la face encore scindée il se demande si tout ça veut dire quelque chose, d'avoir rencontré Sam.

Sam assure et se rassure, il a de quoi être victorieux d'être toujours en vie. Laurens trouve que ce n'est pas une vie, de s'asservir aux autres, à jouer le cheval de foire et à s'faire casser le bout du nez pour rafler les mises.
Il trouve ça pitoyable, risible et pathétique, tous les adjectifs possibles pour décrire le minable mais il préfère taire les saloperies dans l'fond du bide, il veut que pour cette nuit elles crèvent sans gronder entre ses tripes. T'as pas peur de mourir à force ? J'irai pas crever pour des connards qui misent sur ma gueule. Laurens rigole, un rire âcre et perfide, parce qu'il n'y comprend rien, rien de rien, il a la méprise facile et s'il devait s'en défaire, il ne le supporterait pas.

Le type se déshabille et Laurens regarde de bas en haut avant de se prostré devant son miroir. Il chancèle un peu, à peine, c'est imprévisible quand ça le prend et les émotions le submergent si vite qu'il meurt de tout laisser exploser, quit à briser et à en faire couler le sang. Mh. Laurens jette un bref coup d'œil à Sam, les mains qui embrassent les contours en céramique du lavabo, il observe les traits anguleux sur son visage, fermés et l'air cinglant. Il n'aime pas quand tout devient rouge, les couleurs s'annihilent et il a beau essayé de les séparer, il n'en reste qu'un ama perfide et dégueulasse. J'arrive.

La lumière lui fait mal aux yeux, Laurens plisse les paupières et fronce le nez, se débarrasse de son caleçon avant de se faufiler devant Sam, la tête baissée et le dos rond pour qu'il parvienne à frotter là où les os roulent. Tu veux qu'on s'mate un film après ? Laurens tourne la tête afin de voir Sam par dessus son épaule, un coup léger de coude dans le ventre et il se retourne, plus grand, plus haut, il prend de l'espace et entre ses phalanges, enserrent son visage. Sauf si t'as des dents à arracher, on peut faire de jolies choses... Il glisse un doigt sur sa lèvre et essaie d'observer les molaires, malheureusement avec aussi peu de lumière, il n'y voit pas grand chose. J'ai travaillé dans un cabinet dentaire. Bon pas longtemps mais je sais comment on arrache une dent. Le chahut déborde de sa poitrine, il se marre et vient poser sa tempe contre le sommet de sa tête, les bras qui s'enroulent par dessus ses épaules.

Il veut un peu de répit, un peu de calme, sentir l'eau lui brûler la peau. Il n'a jamais su y faire avec toutes les sensations qui traversent sa personne, alors il fait du rapiéçage, s'essaie à arranger les fils dans le bon sens mais parfois, ils s'emmêlent et Laurens est incapable de tout réconcilier correctement.
Alors pour que tout s'adoucisse à nouveau, il entame les mêmes mièvreries qu'avec Clarence, même s'il n'a rien de similaire, même si l'enclave de ses doigts sur les mèches lui manquent, Laurens laisse ses doigts frotter la chair pour en découvrir toutes les irrégularités et rugosités qu'il a souvent connu. Elles sont toujours différentes mais sous ses ongles, elles reflètent toujours la même chose, la violence.
Fébrile, il a les jointures des phalanges qui tremblent, ça recommence toujours et essoufflé d'avoir trop touché, le menton roule sur son crâne. Tu te fais souvent offrir la charité chez les autres ? Laurens dans son abyssal besoin de se sentir important, veut l'entendre dire que non, pas souvent, pas vraiment.

Le sourire étreint les commissures dans des longueurs frivoles, Laurens retient le rire lorsque le trou apparaît entre la rangée de dents. Il trouve ça joli, les carrés blanc cassé qui ont des formes géométriques différents de celles qu'on connaît. Pointus, ovales, fines ou trop grandes, il n'en a jamais délaissé une seule dans la roue de sa passion.
Les épaules balancent doucement, les doigts s'imprègnent à travers la chair molle des épaules et Laurens lui embrasse la joue lorsqu'il s'abaisse. Ce serait cool. Ramène-les moi quand t'as le temps, je t'en ferais un. Gratuit, prix d'ami.

Il retient le sourire dans une grimace amoindrie par la pénombre de la lumière qui n'a de cesse de sauter. Il a oublié d'allumer les quelques guirlandes lumineuses qui font des rondes au dessus du miroir, normalement ce n'est pas lui qui s'en charge, alors c'est toujours difficile de s'en rappeler.
Laurens se retrouve soudainement pousser par la force de Sam, le mur glacé lui provoque un large frisson, quelque chose qui l'électrise de la nuque jusqu'aux orteils et la mâchoire serrée, il s'en décolle tout en grimaçant. La mer, il s'attendait à ce qu'elle soit glaciale, la cabine de douche, il ne prévoyait pas de se faire rejeter comme ça.

Puis comme les enfants dont on s'occupe, Sam a les phalanges qui glissent sur sa chair jusque dans ses mèches emmêlées, il abaisse la nuque afin de l'aider, les paupières serrées il écoute malgré les perles bleues qui roulent dans ses oreilles. Donc je suis fou, mais qu'à moitié, c'est ça ? Laurens bascule la tête pour apercevoir Sam, le rire en travers de la gorge, il aspire de l'eau par le nez et ça le pousse à tousser. Je te pensais pas poète. Je croyais que les gars qui se battaient à la fosse étaient tous illettrés et probablement analphabètes. Laurens, il n'a pas eu besoin de goûter à la Fosse pour savoir que la violence lui traverse les veines comme la picole celles de son père. Il y a des choses choses qui se transmettent et quelque part, il se demande de qui il tient ça.
Sam a le sourire large, ça déteint sur Laurens qui le bouscule et attrape le gel douche pour le lui couler sur le poitrail. En attendant, c'est pas eux qui crèvent comme des clébards dans un endroit qui pue la pisse et l'hémoglobine. Les sourcils haussés, Laurens passe le gel douche contre lui et frotte pour se débarrasser du sable enfoncé dans les plaies.

Sam a probablement raison. On finira tous dans la crypte, à se réincarner dans des formes voluptueuses que personne n'a décidé. Il n'y a que la façon de mourir qui diffère. Seulement, Laurens, il n'a pas prévu de crever pour des paris. Il ne mourra pas pour les autres.
Les doigts de Sam traverse les linéaments dessinés sur le corps, Laurens s'est entraîné, majoritairement avec Clarence, parfois avec la solitude sur le dos. Il hoche les épaules, se rince tout en glissant les paumes contre son visage. On va dire que j'ai eu des dettes que j'ai jamais remboursé. Et que j'ai une trop grande gueule aussi. Il écarte ses doigts pour apercevoir Sam, se met encore à rire et s'extirpe de la douche. La serviette qu'il vient enrouler autour de son bassin et une autre sur le crâne, il sèche rapidement ses cheveux qui s'ébouriffent. Il a abandonné l'idée d'un jour les dompter. T'as déjà chassé ? Laurens s'accoude à la vitre de la baignoire tout en regardant Sam, une serviette sèche pour lui dans les mains. Les pans ondulent sur ses chevilles, il a envie de savoir si un jour ça l'intéresserait de venir, de découvrir son hobby à lui, que le sang qu'il aime brasser c'est celui des animaux sans défense. De ceux qui ne voient pas la mort arriver, quand il se comporte comme son messager.

Laurens n'aime ni écrire ni lire des poèmes à l'eau de rose. Il a toujours éludé les questions concernant la scolarité parce que ça ne l'a jamais intéressé, qu'il a toujours préféré sillonner les plaines désertiques pendant les récréations, le sac à demi ouvert sur l'dos et les cahiers déchiquetés à force de se les jeter comme des balles.

Muré dans un silence sans gêne, Laurens plonge les phalanges au niveau des clavicules, dérobe les perles d'eau stagnantes et retire de son visage les mèches froissées. Il a un sourire bref lorsque Sam évoque la pêche et la chasse au miel. Il a souvent pêché avec Clarence sur les rebords des lacs et des rivières, les pieds dans l'eau et les griffes prêtes à embrocher la poiscaille. Comme les oursons ? Trop mignon. Il ne cache pas son rire et laisse son visage venir tomber contre le haut de sa cuisse recouverte par le pan humide de sa serviette. Machinalement, il passe la paume contre son crâne, les phalanges caressent l'arrière de sa nuque. Un type comme toi, j'suis certain qu'on le laisserait pas tenir un fusil.
Le faux pistolet dessiné par ses doigts, l'explosion mimé par la gorge, ça l'a souvent effrayé à l'aube de sa jeunesse, de son départ dans ce métier qui lui filait la gerbe.

Laurens se détache doucement pour ne pas le brusquer, lui jette un caleçon qu'il a ramené et enfile le sien tout en accrochant la serviette à l'arrière de la porte afin qu'elle sèche. Il est mort ? Laurens se tourne pour l'apercevoir, déceler dans ses mirettes la tristesse ou la colère, la nostalgie ou l'apaisement.
Lui, il n'aime ni son père ni sa mère, il peut le crier à haute voix, devant eux et par derrière, il n'en a jamais eu honte. Coincé dans un idéal familial qu'il n'aura jamais, Laurens fronce légèrement les sourcils, porte les doigts à ses lèvres comme pour les limer avant de se mordre la chair autour des ongles. Si t'es pas crevé avant.. Cynique, il n'esquisse pas le moindre sourire, se retourne pour allumer la lampe sur sa table de chevet, le lit king-size, assez grand pour y caler trois mômes et les parents. Laurens s'y glisse, dégage la couette et allume la clim', il n'a pas envie de déjà suer, les nuits salées seront pour une autre fois. Tu sais ce qui est surtout pratique, Sam ? Le regard en biais, Laurens se penche sur le rebord du lit et dérobe du tiroir une pince. Savoir arracher les dents. Clac-clac. Il tend l'objet en métal, le rire fort et relâche l'objet sur le sol. J'aurais adoré être dentiste.

Comme une confession sans saveur, Laurens roule sur le ventre, la joue qui s'écrase contre l'oreiller, l'air frais le fait frissonner. Et toi Sam, c'était quoi ton métier de rêve ?

Dix ans ce n'est pas si long lorsqu'on y pense. Il n'imagine pas le chagrin contre sa peau salée, pas plus les sermons vivificateurs qu'adopte les adeptes, roulés dans des toges blanchâtres sans la moindre aspérité.
Parfois il s'imagine glissé entre elles, les mains liées et les paupières serrées, l'embrun des vagues dans ses souvenirs au fond de la gorge, le sel qui fourmille dans son esprit et la voix grave des tombeaux qui se ferment.

Sam s'est faufilé sous la couette, tout est propre de la veille, il y a encore l'odeur de la lessive florale et il parle des rêves oubliés de l'enfance. Laurens, ça le fait sourire un peu, beaucoup jusqu'à rire. Super-héros, ça ne l'a jamais fait rêvé. Les héros sont courageux, loyaux et justiciers, Laurens il a tous de ceux qui n'ont jamais cru en rien, qui rêveraient de voir le monde s'effondrer entre ses doigts, en sentir toutes les irrégularités s'ouvrir sous ses pieds, les flammes comme un trône dégueulasse parmi ses fidèles.
Cependant il ne dit rien, se contente d'un bref hochement de tête. Lui, dentiste, il en rêve encore parfois. Seulement, les Animas savent se passer le mot et depuis, il a délaissé ses idées pour d'autres. J'y serais allé doucement, promis. Laurens soulève l'auriculaire, le ferme comme pour serrer un doigt imaginaire.

Le type à ses côtés articule un monologue rondement mené, il y branle des éloges sans saveurs qui font sourire malgré tout Laurens, il serre une paupière lorsqu'il sent l'électricité lui mordre la chair autour du nez et il lui dégage les doigts. Si t'as passé une journée de rêve alors, je suis ravie d'en être. C'est vrai que c'était pas mal, comme nuit... Laurens hausse les épaules et roule des yeux avant de rire. Pour lui aussi, ça lui a changé des soirées à se mordre avec Clarence, à affronter la solitude et à devoir se battre contre ses propres démons. Un dentiste refoulé, ça sonne bien, j'aime bien.
Laurens s'allonge, attrape par la nuque Sam qu'il vient coller contre son torse tout en réfléchissant à sa dernière question. Des regrets, il n'en a pas. Des remords, il les a oubliés comme tout le reste. Cependant il faut bien faire des confessions pour en avoir de sa part, alors il songe un instant, peut-être que quelque chose lui a longtemps échappé, qu'il n'y a pas vraiment fait attention. J'sais pas, pas avoir dit suffisamment je t'aime à ceux que j'aime ? J'en sais rien. C'est naze ta question. Laurens grogne un peu, roule pour se mettre sur le flanc et bouscule Sam. Demain je dois faire des trucs, si tu veux passer la journée ici fais-toi plaisir mais claque la porte en partant.