we are all
museums of fear
Voilà où son effronterie se fait moins charmante, alors qu’elle n’est qu’un miroir de sa propre audace: celle d’arracher à pleine main le drap et de révéler la vérité au grand jour. C’est à lui de bouder alors qu’il n’a ni l’âge, ni le droit de faire la moue après avoir parlé avec si peu de délicatesse de ce qui se tramait au creux du tendre cœur de la jeune fille; c’est que l’on ne parle pas du sien, non. On ne cherche pas à écarter les côtes pour faire l’état des lieux de ses sentiments.
“C’est ça, ouais.” Comme il est facile de se parer de sarcasme pour balayer l’hypothèse loin, là où elle n’a pas à être considérée.
Au risque de donner raison à une gamine.
Le déni est contagieux, mais le peintre commence à comprendre qu’à s’aventurer sur ce terrain, il risque d’y perdre ses moustaches, alors la moquerie lui sera épargnée pour le bien de son amour-propre. Le sujet est de toute manière surreprésenté, même entre les murs de cette galerie, et c’est lorsqu’il pense ce fil de conversation rompu pour de bon qu’Amaryllis se retourne,
y retourne.
Micheletto avale sa remarque amère de travers, la sent ouvrir la parois de son oesophage et se loger dangereusement près du ventricule palpitant.
Qu’il s’étouffe avec son amertume, ça le gardera de piétiner ce qu’il a de beau dans ce monde, de vrai. Lorsqu’il relâche enfin le souffle piégé par la
culpabilité -le mot refuse de tout à fait s’imprimer dans ses pensées, danse juste dans la périphérie de sa conscience-, c’est en un long soupir qu’il s’échappe alors qu’il tire sur sa nuque, essaie de dénouer ce noeud bien trop conséquent pour une personne de sa trempe. Même si le malaise est à son tour balayé par la noiraude, il ne peut pas le laisser là, au milieu de la galerie.
“Ça dépend.” Conseiller, conforter… Micheletto n’est pas doué pour ça, ne sait que cracher son opinion au moment le plus opportun pour blesser.
“Ces choses, c’est pas si différent de l’inspiration. Tu peux l’attendre comme un blaireau ou tu peux aller la chercher.” Mieux valait ne pas trop s’épancher sur la façon dont il s’y prenait personnellement: ce n’était pas tout au fond d’une bouteille qu’elle la trouverait, sa belle histoire d’amour, et il ne pouvait pas dire que la méthode s’était avérée des plus efficaces dans un cas comme dans l’autre…
Il trouve un support à ses paroles sur un tableau quelconque, une toile sur laquelle étaler cette pauvre tentative de sympathie. Les pigments sont bien plus facile à soutenir que les grand yeux de la jeune fille, les émotions capturées scellées sous le vernis brillant.
“Personne ne peut garantir le résultat. Si ça s’trouve, ce sera sans substance, laid, complètement irrécupérable, frustrant…” Des moments vides, des prises de tête, des quid pro quo, une affection hypocrite, il en avait vécu autant qu’il avait perdu son temps dans des idées qui refusaient de prendre forme dans la réalité. Et s’il lui arrivait, heureusement, d’effleurer du doigt le génie, œil, main et cerveau ayant réussi à s’harmoniser, le peintre ne pouvait pas en dire autant de ses amourettes. Elles étaient toutes un peu tordues et absurdes, sans bénéficier du label naïf transformant des créations à première vue grossières en chef-d’œuvre.
Non, cela faisait depuis longtemps que l’on ne pouvait plus blâmer son cœur inexpérimenté pour le résultat de ses émois.
“Mais hey. Maline comme tu es, t’arriveras peut-être à un truc pas trop mal du premier coup.” Ses yeux cessent enfin d’être lâches: comment peut-il être convainquant s’il n’ose même pas la regarder en face, après tout ? Même s’il se sent idiot à jouer les défendeurs d’un concept dont il n’a lui-même toujours pas exactement saisi le sens.
“Crois-moi, t’as le temps de remplir une galerie. Alors vas-y.”Dévore et sois dévorée, sans hésitation, ni répit, libérée des conséquences par cette sentence injuste.
©A devious route