Assis au bord de nous, leurs serments nous contemplent
Le déballage de la débâcle sirupeuse des émois est un rituel ; le plus précieux, au crayon de bois ou à la plume d’oie, la valeur réside ailleurs.
Entre les milliers d’enveloppes anonymes, kraft ou recyclées, qui traversent sa besace, Clarence reconnaît l’onctuosité, tantôt aggravée d’autocollants langoureux, tantôt vaporisée d’une fragrance d'ambre, des cœurs battants singuliers, pluriels et irrépressibles qui déchirent la morosité postale comme des appels à l’aide. Il y a un amour indéfinissable dans la manière dont les écritures peuvent trembler, des papiers qui sentent parfois le mouillé salé des larmes tièdes, s’enfoncer, à se demander si la copie à crier en sentant sa substance se trouer, tituber, les mots qui transpirent la lenteur d’une incertitude douloureuse, mais aussi l’excitation troublée d’achever une phrase puis l’autre. C’est une écriture par la lumière. Du jour. Du chevet. De la chandelle. Du clair de lune. De l’illumination, la révélation.
Clarence, si assidu, éprouve un plaisir coupable à mettre en déroute correspondances passionnées ou repêchages désespérés. C’est une honte exquise qui contribue à la profondeur de l’acte, serre sa gorge et rend ses gestes précis. Sur la table en formica indigo, un pot de fleurs flétris et un cendrier difforme de pâte-à-sel peinte en jaune et orné de crocs pointus, il a déposé la boîte de chaussures Aradidas qui renferment les prises de la semaine.
Les yeux, clair terrifiant parce qu'ils rappellent trop la cécité, croisent le teint cireux d’excès de Fleur, aux joues creusées, hautaines et le sourire d’une enfant. Ses doigts se sont arrêtés sur les bords cartonnés, il humecte les lèvres, les cils rapprochés pour distinguer l’entourloupe, et fait tomber, plat. Redis que tu ne le répéteras jamais à personne.Croix de bois, croix de fer. Si je mens, je me réincarne en vers de terre. Un pli soucieux sur le front, le loup expire, un ah exagéré encombre son soupir, avant de faire sauter le couvercle d’un geste sec.
Les odeurs emmêlées, musc, jasmin et néroli, cocottent à faire monter un tournis brutal dans ses sinus sensibles. Il aime cette sensation désagréable qui lui rappelle l’alcool et la nostalgie de boire. Fleur, ses pommettes sont parfois colorées de la veille, assouvit une partie du désir d’ouvrir le rhum arrangé qui ne va plus en s’arrangeant. Aussi, Clarence préfère la détailler, les pores espacés et les moues qui la traversent, quand il fouille, du bout des doigts, le carton, avec la même superstition qu’on pioche un ticket de loterie. Délicatement, c’est une enveloppe bleue en papier bouffant qu’il extirpe, elle fait la taille d’une carte postale, le timbre représente un ours polaire confortablement avachi sur un transat rouge à la plage. Clarence ricane. Un son d’hyène qui trouble tout le cérémonial des précédents gestes, il pointe le pli sous le nez de la brune, un sourire espiègle. Ben alors. T’as pris du bide ? Et c’est reparti de plus belle, à force d’essayer de le contenir, il a l’impression que son rire lui est tombé dans le bide et le chatouille jusqu’aux intestins.
Le courrier finit dans l’écart des jambes, en tailleur, Clarence, les doigts enlacés à l’arrière du crâne et les paupières fripées d’être plissés, tâtonne. C’est… un p’tit mec. il entrouvre un œil. Il était à Ithlo pour les vacances, genre camping, bungalow à cinq, et bien sûr le lit superposé avec la petite sœur. lancé, Clarence, mains à plats sur les genoux, assure, les yeux fixés sur l’écran noir de la télé, le reflet de leur duo comique sur le canapé. Et il écrit à son amour de vacances, la veille du départ, parce que pas les couilles de lui dire à quel point elle a rendu son été inoubliable en face. Le torse embarque les clavicules, le Poincarré déplace son bassin pour être bien de face, examine avec le sérieux pompeux d’un juré, pourtant cinq minutes plus tôt il était à la barre. Allez. À toi prends en une et devine. Après, on échangera pour les lire, comme ça pas de triche, on va voir ce que tu vaux en tant que mentaliste. Un sourire joueur se balade sur sa face de môme vieillit trop vite.
Les lèvres sèches s'humectent de fausses civilités, la joue contre la paume, inclinée de façon à faire hurler la nuque. L'allure désastreuse et le bâillement poussiéreux, Fleur dans son jogging fushia et le t-shirt trop grand emprunté au louveteau ne fait pas l'effort de paraître acceptable, les relents nicotines encore ancrés sous la langue que les pastilles menthes n'arrivent plus depuis longtemps à décoller. Elle observe d'un oeil cerné, pourtant parfaitement réveillé le remu-ménage des pensées ; l'aradidas jauni de la boîte, le teint pâle de Clarence, la joue irritée d'une barbe trop souvent rasée. Fleur se perd de détails et n'offre qu'un haussement d'épaule en guise de promesse malgré l'excitation de l'inconnu, la revus des amoureux. "Jamais jamais, même si on me torture." Les secrets qui fourmillent sous l'épiderme, Fleur ne révèle pas à haute voix ce qu'ils savent tous les deux déjà, que les promesses et elle ce n'est pas trop ça. Qu'elle bafoue à la moindre morsure, s'égare en conjecture. Qu'elle pensera bien faire, ou oubliera de le faire. Les prunelles ébènes rivées sur le courrier du marché, elle s'en fiche et ne se répétera pas, elle veut jouer, découvrir, critiquer. Se moquer à gorge déployée et exister encore un peu par procuration quand elle sera lasse des exécutions éditoriales.
Toute concentrée, le coude bien calé contre la table passe, le corps se penche et attend qu'il choisisse, devine, se trompe. Le chignon brouillon de ses mèches brunes s'emmêlent à ses propres idées, elle ricane un peu, le crâne toujours penché pour ne rien louper des réflexions de l'autre. Touche son propre ventre du bout des doigts dans un sourire taquin. "C'est Phoquoshop ça." Mais elle écoute sans interrompre, hoche la tête en imaginant la chose, les amours d'adolescent et les questions de grands. C'est plausible, peut-être qu'il a vu juste Clarence, il connaît bien mieux les cœurs qu'elle, il s'y enlise à longueur de journée et finit toujours par fouiller le courrier. "Hm, je pari qu'elle, elle se souviendra même plus de son nom dans une semaine." L'amour, ça ne marche jamais vraiment, elle en est persuadée, c'est poisseux et insolent, ça comble le vide un temps jusqu'à ce qu'on brise les espoirs comme de la porcelaine amochée.
Joueuse, elle se penche, offre un grand sourire au canidé avant de se replacer, lettre à la main. Gigote sur son giron en croisant les jambes à l'instar de l'autre, comme si elle réfléchissait, hésitait. Soudain le regard s'éclaire, l'échine se redresse et madame a de grands gestes pour imager les choses. "C'est une vieille dame des beaux quartiers d'Ithlo, du genre bien friquée, les belles robes de soirée même en prenant des rides. Ces 3 mariages ont foirés, mais de toute façon elle les a peut-être jamais aimé, et elle se retrouve seule avec des mioches qui lui rendent même plus visite." Une pause, théatrale elle prépare son effet, l'œil qui ne lâche pas la moue lupine. "Mais elle se souvient de son amour de jeunesse, un type banal et les poches vides. Ils lui ont tous dit que ça marcherait pas et elle l'a cru, parce que l'amour ça remplit pas le ventre. Mais voilà 50 ans après elle n'a pas oublié le nom du seul homme qu'elle ait jamais aimé, et elle couche tout ça sur le papier."
Un peu fière, elle vient se pencher en arrière, sourire de misère, tend son enveloppe. "Allez ouvre la Cla'."
Assis au bord de nous, leurs serments nous contemplent
Clarence ne connaît qu’un bourreau à Fleur : sa vie. Ce n’est pas une pensée hautaine, brandit au-dessus des épaules, c’est un écho. Sa vie. C’est frais. La peau de Fleur émergée d’un bain glacé. Les oublis qu’elle plaque contre ses lèvres, faussement stupéfaite. Les misters freeze qu’elle pourrait s’enfiler en perfusion. Le louveteau n’est pas rassuré, il est soulagé, assez pour gommer la barre crayeuse en travers de son front. Les doigts du garçon s’entortillent, la papeterie froissée, et dégagent un savoir-faire sans innocence en la matière. Entre deux rires, où il mate confusément le ventre plat et tendre sous le textile, Clarence secoue la tête, l’épi sur son crâne droit. Phoquoshop a bon dos.
Les devinettes, plus marrantes, extorquent un conte des tripes de l’animal. De dire tout haut, ce qu’il pense très bas habituellement, prolonge l’embarras, le rose ressemble aux bourgeons printaniers sur son teint livide. Il aimerait se soustraire définitivement du regard de Montgomery, machine arrière, on n’a pas besoin de les lire, on s’en servira pour le barbecue, avec les cendres, on maudira les amours vertueux qui nous narguent. On s’en fout. Sa langue écrase le relief de lèvres ébréchées, le vent et le sel, et son regard puise quelques traits d’assurance dans l’amertume mal dissimulée. Pourvu qu’elle se trompe de prénom avec le prochain alors. Un sourire carnassier, les babines retroussées, dessine le contour de l’acrimonie de Clarence, et il passe une mèche égarée de l’ours derrière son oreille, son corps fourbu et nerveux. Le loup voudrait les punir, les mauvais amants de l’autre côté de la boîte aux lettres. Qu’on ne remercie pas quelqu’un de ses sentiments. Que y a pas à écraser la dévotion d’autrui au fond d’un mégotier. Quelle ironie.
Madame a tout réussi, seulement sous son palais reste collé le goût déplaisant de la solitude, celle qui n’aime que du bout des lèvres. Clarence hausse les épaules, taquins. Maintenant, j’imagine une vieille toute fripée sur son secrétaire. Qui trempe les lèvres dans un martini dry entre chaque ligne. Il mime la tige invisible d’un verre en forme d’éventail renversé, pincé entre l’index et le pouce, et porte une bouche avec la forme grotesque que celle de la poiscaille. Comme ça ? Le verre magique se brise par terre, des dalles de carrelage claires et insipides, parce qu’il a l’honneur d’inauguré le bal. L’ongle se mue, plus épais et dense, jusqu’à devenir une griffe effilée qui cisaille sèchement l’enveloppe piochée par Fleur, qui, pas si étrange quand on connaît la confusion des élans, ne comporte pas d’adresse.
Paupières closes, c’est pour ne rien gâter, il extrait. Il déplie. Il inspire. Il ouvre. C’est puéril. Il ne veut surtout pas savoir avant Fleur. Il lit avant de comprendre, il lit comme on monte les escaliers dans les rêves, sans savoir où ça mène.
Ézéchiel.
Ils t’ont donné un nom. Je m’en fiche. Ils ont certainement menti. Ils ne font que ça. C’est comme si nous étions invisibles.
Moi, je ne connais que ta voix. Ta voix dans le transistor turquoise. Ta voix pour apaiser mes silences quand Blaise parle de ma place au foyer. Ta voix qui transgresse les langues de bois de nos gouvernements. Ta voix imprévisible, j’avais si peur de manquer une seule de tes élocutions, je gardais le poste de radio au-dessus de la plonge. Ta voix grondante qui ressemble aux orages d’été qui achèvent les canicules mortelles, que je pouvais tenir près de moi, à laquelle je me suis accrochée après l’arrestation de Sidonie. Ta voix qu’on s’échangeait comme un secret délicieux dans les groupes de paroles, ceux qui pensent les traumas infligés par les prédateurs et la « justice ».
La gorge un peu serrée, Clarence ravale de la salive, la pomme d’Adam fait un balancier. Encore. Encore quelques lignes, encore quelques aveux. Encore. Avant de tomber dans la sécheresse brutale, vouloir faire brûler l’embout nicotiné, vouloir se dénoncer, la dénoncer, puis renoncer par lâcheté.
Ta voix m’a soignée, de ma certitude d’être défaillante, des excuses que je pleurais devant la première figure d’autorité à l’horizon et des regards réprobateurs que je lançais à ceux plus audacieux que moi. Ta voix m’a guidée, moi qui suis vieille déjà – mais nous n’avons pas besoin de mettre des visages sur nos identités, n’est-ce pas ? Ta voix m’a révolté, m’a ouvert les yeux, m’a donné la marche à suivre pour sortir de notre condition. Nous ne sommes pas une vermine dont on peut disposer. Parce que nous partageons les mêmes devoirs, nous avons les mêmes droits.
J’ai rêvé le jour où je te dirai toutes ces choses, à travers un talkie-walkie ou n’importe quoi, mais c’était mon erreur. De croire que nous avons le choix de nous contenter de rêver. Aujourd’hui, les Souffle et Cendres t’ont peut-être incarcéré dans les labos où ils menaient leurs expérimentations, mais je t’ai entendu.
Ta voix m’a donné plus précieux que l’espoir. Elle m’a donné le pouvoir de le concrétiser.
Clarence marque une pause. Il a peur de prononcer la signature. Il a peur qu’une fois lu, il doive le rapporter. Comme la balle. Comme sa médiocrité. Ce puissant instinct d’exécutant qui lui fout la gerbe. Il murmure.
Théodora
Peut-être c’est un pseudonyme. Peut-être qu’il ne trahira rien, peut-être… balance il pousse la lettre vers Fleur, les orbes éteintes, l’envie de boire lancine. Il est quinze heure.
Fleur langoureusement affable contre les coussins brodés de chimères, s'émerveille un peu des joues qui rougissent, de colère ou d'amour transit ; des os qui craquent et des colonnes qui s'écroulent en sculpture avachie. Clarence prend ça trop à coeur et Fleur, Fleur n'a plus que les remarques un peu mesquines dissimulées sous la langue, en attendant la passion dévorante ou les marques intransigeantes. Des deux, Fleur ne croit pas plus en l'amour que qu'un mollusque bousillé par la vie, se rie un peu des confessions nocturnes car les promesses elle le sait, ça s'épuise et ça s'étiole ; ne reste bien que le bon vin pour s'exalter avec le temps.
"Tu parles en connaissance de cause ?" Les lippes tordues en sourire taquin, elle se penche car elle sait Fleur, qu'il ne doit pas plus se rappeler le nom de ses amants qu'elle même qui ne prend plus la peine de les demander. Une caresse, un baiser, un soupire, ça n'a pas de nom ce n'est qu'émotion, Fleur ne retient plus que les surnoms de démon. Le corps s'effondre à nouveau en arrière, agite les orteilles dans les chaussettes au bout légèrement usé, presque troué.
L'éclat gronde entre les corps et éclate en rire amusé, les yeux plissés de jovialistes devant le verre improvisé, les mimiques faussement ridées. "Te moques pas, c'est comme ça que je finirai moi dans 50 ans !" Un martini, une écharpe en fausses plumes et un paquet d'amants sous le tapis. Ca lui fait presque envie, la médiocrité tachée d'ennui.
L'oeil cerné finit par ne plus lâcher les mains pâles qui s'entête à étriper le joli papier. La lecture, concentré. Elle n'en perd pas une miette, elle aime voir les autres réfléchir à défaut de le faire elle-même. Elle s'installe, le menton dans la paume pour écouter les psaumes. Ça commence étrangement, Fleur sourit et s'y perd un peu. A mesure que les paroles s'étendent, les lippes se perdent en commissure surprise, en tristesse qu'elle ne ressent pas vraiment. Encore et encore. Ça s'empire, elle le sent. Ce n'est pas vraiment une déclaration d'amour, c'est un voeux de liberté et Fleur sent sa gorge se nouer pour ceux qui n'y goûteront jamais. C'est terminé. Fleur ne dit rien, le regard accroché au papier froissé. Elle ne sait pas quoi dire, elle ne savait pas que ce serait comme ça. Elle aurait dû dire qu'elle ne voulait pas jouer, qu'elle préférait batifoler sur le canapé. Le vide dans son ventre la rappelle à l'ordre, c'est trop tentant pour qu'elle puisse y résister, pas comme ça. Alors la colonne craque et Fleur se lève lentement en fronçant les sourcils, enjambe le coussin qu'elle a fait tombé et file vers la cuisine, vers le placard, vers le tintement des verres alors qu'elle sait ou chercher et de la bouteille amer qu'on plaque contre le coeur, un peu comme un trésor. La vodka claque contre la table basse quand elle revient, elle ne perd pas une seconde et s'enfile une rasade. Ça brûle et ça la réveille, elle aurait dû commencer par ça dès le début. Une main s'égare sur les lèvres pour essuyer l'alcool vitreux, les sourcils froncés. "Il est nul ton jeu." Mais c'est chacun son tour, et Fleur n'est bien apte qu'à se souvenir des promesses futiles. Elle lui tend la bouteille, à Clarence, en échange de sa propre lettre, qu'elle doit lire maintenant.
"Bon, elle sera peut-être mieux celle-là." Ba de message de liberté, pas de radio enfermée. Elle souffle, prête à voir tout ça lui exploser à la gueule maintenant qu'elle a compris les règles. Elle déchire le papier, un peu la lettre aussi, elle n'a pas fait exprès mais n'ose s'en formaliser. Un raclement de gorge, elle commence sa lecture. "Natasha, il va falloir arrêter ça. C'est trop dur, je n'y arriverai pas. Il n'y a plus que toi qui foule mes pensées, mon coeur, ma réalité. Il n'y a plus que toi dans mes songes qui s'entremêlent en cauchemars quand vient l'aube. Ça fait si longtemps que je me force à prononcer les derniers mots, ceux qui mettront fin aux idylles cachées, à nos baisers dissimulés. Je ne peux plus faire semblant et nous croire imperméables au reste du monde, te laisser penser qu'il y a bien quelque chose au bout du chemin. Mais la réalité ne cessera pas de nous retrouver, je dois te laisser t'envoler. Pardonne moi Natasha, je t'aime mais c'est mieux comme ça.
Loris."
Fleur se tait, un sanglot coincé dans la gorge. Natasha, elle ne la connaît pas, elle se désole pour elle déjà, ne s'en veut pas pour lui avoir volé ces quelques mots, se désole pour s'y retrouver entre les maux. Les mains tremblent quand elle dépose délicatement l'enveloppe sur la table pour s'accaparer la vodka, engloutir encore une gorgée avant de river un regard implorant vers le canidé, la trachée brûlée par l'alcool bon marché. "Est-ce qu'on perd le jeu si on pleure ? Parce que je me retiens très fort là." Un reniflement, elle est trop sensible Fleur, c'est pour ça qu'elle n'aime pas l'amour et les déclarations, ça lui bouffe ses illusions, lui rappelle que personne ne le lui en fera à elle. Que tout finit toujours par s'écrouler, un baiser de fausse réalité.
Assis au bord de nous, leurs serments nous contemplent
Ici, son repère, les cannes bientôt balancées par-dessus l’accoudoir du sofa, Clarence serre, desserre, resserre, les mâchoires épaisses. Les gros caillots qui remuent dans son bide, les émois mal digérés, lui donnent envie de déchirer en confettis les petits mots, jusqu’à ce qu’on distingue à peine les lettres. Pour Fleur, pour lui, le loup inspire lentement, l’odeur stagnante de la vodka mêlée à la transpiration de Fleur abrase ses sinus. Non. Je dis comme ça. Complétement au hasard. Il ronchonne, la gueule pleine d’ironie, un peu méchant, pour faire tomber le sourire acide de Madame nom de jeune fille – à nouveau.
Distraitement, les yeux clairs reluquent les orteils qui s’agitent dans les socquettes, est-ce qu’elle a déjà voyagé vers une autre idée ? Fleur, que rien ne retient, et certainement les conversations difficiles et pénibles. À d’autres, les heures de marasme, il l’imagine déjà trinquer à tous les tristous ennuyeux de l’île, pleine de verve salée. Les rires n’encombrent pas les bronches longtemps, ça sort en fanfare et Clarence se demande si dans dix ans, il se remémorera encore le rire de Fleur comme un bonbon sucré, si enfantin et soucieux de rien qu’il remplit l’espace de l’appartement – son absence. Je ne t’imagine pas vieille. C’est vrai que, Clarence, à part l’infime espoir de rester dans le sillage de Laurens, il a du mal avec l’avenir. Comme un adversaire familier, il est toujours un peu méfiant quand se profile un vent de et l’année prochaine, que maman, papa, lui tombe sur la couenne à la fête de la lumière, et les petits, toi, petits petits toi, et tout ça, là..
Je sais que tu seras morte d’effroi avant la deuxième ride. Déclaration ponctué d’un ricanement de méchant de dessin animé, Clarence ne peut s’empêcher de couvrir son visage avec les bras instinctivement, tout en espérant qu’elle bondisse sur lui, la sentir rugir sur sa peau. Oui. Mais il faut lire. Éplucher le trésor
Et dès les premières lignes, le charivari des loyautés compressent ses côtes, un dérèglement général qui fait monter une peur criarde. Il a honte. Le papier tendu vers Fleur est une prière muette pour de la distraction. Sortir de lui, qui se sent affreux sans pouvoir se raisonner. Oui. Fleur, elle n’a qu’à décréter que c’est de la merde, faire le son des coupes de cristal entrechoqués, expirer une odeur d’alcool à brûler et tout va passer.
Il boit. Le liquide brûle sa glotte puis l’œsophage d’une manière rassurante qui assourdit le crépitement de son crâne. Il aime boire Clarence. Le monde enfin veut bien se déformer pour son plaisir. La tête balancée, Clarence démêle le bruit des goulées de la voix de la brune.
Les yeux fermés, il laisse le liquoreux percé ses tympans. Clarence met dans ses mains celles de l’ours polaire, il serre pour arrêter tout le tremblement. Bou-hou Trop plat. Ça sonnait mieux dans sa tête. Mais lui, ces larmes versées à l’intérieur de lui par d’autres lui font du bien. Elles ressemblent à l’alcool trop fort. Plus il en est rempli, plus l’ivresse légère et nasillarde crie en lui. Fleur est si belle émue. On dirait une actrice de cinéma, comme celles dont elle est l’agent, un je-ne-sais-quoi d’authentique en plus.
Soudain, il n’en peut plus de l’avoir à un fil de rompre en deux. C’est la buée dans son crâne, peut-être le remord d’avoir initié cette session d’apitoiement, même pas pour eux-mêmes. Le loup glisse par terre où, à genoux, il vient chercher la paume gracile pour la plaquer à son crâne, comme les chiots qui viennent s’enfouir dans leur maître. Ohe. Madame Montgomery. On n'est pas en sucre si ? Si on pleure on va pas fondre. Il racle sa gorge parce que la vodka pique – ou bien c’est ses yeux. Tu sais quoi. Lui non plus, il ne sait pas, il achète du temps, pour les sortir de ce drôle de mélodrame par procuration. C’est trop petit ici. On peut pas bouger et moi, je veux danser. Il se redresse, ça fait craquer les genoux, en gestes secs, il coince la boîte de lettres sous son aisselle, attrape la bouteille et emprisonne de l’autre main celle de Fleur. On n'a qu’à se donner la réplique dans les bois. On prendra que des phrases au hasard jusqu’à ce que ce ne veuille plus rien dire. L’idée l’exalte. Il se jette en courant, traîne Fleur dans son sillage. Par la baie vitrée, le duo s’échappe dans le jour clair où l’été murmure je vais vous écraser si vous ne trouvez pas d’ombre. À en perdre haleine, fait sauter le loquet du portillon avec le genou, il l’a fait mille fois, se retourne parfois les yeux rieurs vers l’amie-amante-perdante qui fait des ponts-levis entre chaque naufrage de leur vie respective.
Clarence ne s’arrête qu’une fois qu’ils ont gagné le bois de pins, où tout est clairsemé et des oiseaux curieux restent pendus depuis les branches. La boîte en ferraille et envoyée valdinguer sur le sol, s’ouvre en d’eux, crache une multitude de rectangles parfumés à l’écœurement. Sans lâcher sa paume – pourquoi ? elle ne va pas s’enfuir ? si ? – il se penche pour en ouvrir avec les dents. Choisi au hasard dans le deuxième paragraphe. Ton père est un voleur parce qu’il a pris toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans les yeux ! Il a crié et maintenant, il ne peut s’empêcher de rire, les yeux brillant d’excitation dans ceux de sa complice.
Les lettres sont peut-être de trop entre leurs émois presque adolescents, à vouloir dénicher l'amour ils s'y perdent peut-être un peu car au fond, qu'est-ce qu'ils en savent ? Des sourires amoureux et des vies passionnées, des lagons roses aux rêves mielleux ; Fleur ne connaît bien que l'ardeur des numéros de téléphone griffonnés sans s'embêter et lui, l'obsession constante qui selon certains ne mènerait à rien de bien bon. Comme des enfants qui apprennent encore les règles, ça ricane des baisers des autres pour en lire quelques mots noircis sur le papier fleuri. Fleur ne veut plus ni en rire ni en pleurer, peut-être simplement laisser s'échouer au fond de la boîte à chaussure et en nier l'existence, les amours des uns et les folies des autres.
Un soupire et les doigts viennent pincer l'avant bras du louveteau dans un sourire qui n'atteint pas les prunelles, s'emmêle dans son propre jeu. "C'est pas vrai j'ai déjà des rides." Mais ce n'est bien que des cernes et des poches sous les yeux qui ne ramèneront pas l'éclat d'avant, celui dont elle ne se souvient déjà plus. Mains dans les mains, Fleur serrent pour stopper des tremblements de l'autre, ou peut-être les siens car parfois, elle se dit qu'ils ne font qu'un. Clarence ne pleurera pas, mais elle oui, probablement. Clarence ne capitulera pas quand ça devient évident que Fleur, elle n'hésitera pas. Comme un roc un peu fébrile, Clarence, elle s'accroche à ses yeux, aux pensées qu'elle croit déceler, aux promesses qu'ils ne font pas, mais qui dureront peut-être l'éternité. "Non mais ça fait pitié. Mais c'est pas grave. J'ai déjà oublié de toute façon" . C'est un mensonge, proclamé dans un murmure alors qu'elle glisse ses doigts entre les mèches sombres de son ami d'enfance, à genoux pour quémander l'affection qu'elle lui donnerait pourtant sans rechigner s'il savait simplement se tenir. Entre les doigts la douceur et l'odeur des bois, Fleur s'entête à y glisser ce qu'elle ne dit pas dans un petit sourire retrouvé, d'une douceur qu'elle rechigne à montrer.
Elle a autre chose à dire Fleur, ou d'autre chose à boire ; la vodka ou les poèmes, comme toujours ça s'emmêle. Mais il la prend de court, déjà sur ses longues jambes quand elle grogne, rechigne à lever sa carcasse déjà abîmée par le tabac bon marché, la vodka pure et les amours oubliés. "Pourquoi faut toujours que tu cours partout... Cla' on pourrait pas juste brûler les lettres et retourner dormir ? Tu vas en faire quoi après de toute façon... à la poubelle ? Les répandre dans le vent comme si leur destinataire allaient pouvoir les récupérer juste par la pensée ?" Un peu mesquine, mais il ne l'écoute déjà plus elle le sait, trop occupé par ses propres pensées qu'il imagine en festivité, l'objectif clair comme une pleine lune quand Fleur elle, s'entête encore à parler dans le vide, tendre une main impuissante vers sa paire de chaussure sans avoir le temps de l'enfiler. Par la main la voilà tirée, les chaussettes bientôt sales contre le pavé et les herbes que personne ne pense à couper. Elle rechigne quelques secondes supplémentaires avant de prendre le train en marche, retrouver la course et se promettre silencieusement que ce garnement ne perd rien pour attendre. Un sourire pourtant amusé au bout des lèvres en se laissant porter par la tornade Poingcarrré, les paumes bien calées, entremêlées de secrets.
L'odeur des pins et au loin l'air marin, Fleur n'aime ni la nature ni les courses effrénées, peine à reprendre son souffle, un poing de côté lancinant qui lui fait tirer la langue. Mais elle ne dit rien Fleur, le laisse éventrer la lettre, en tailleurs contre la terre et la mousse. "On aurait du prendre la bouteille..." Qu'elle marmonne entre ses lèvres en le laissant lire, un peu pour elle seule.
Le compliment dissimulé dans le papier. L'ours fait mine d'être sous le charme, une main venant prendre place juste sur son cœur quand l'autre n'a pas lâché la main de son ami. "Oh." C'est une phrase de drague bien nulle mais Fleur a le sourire complice, les yeux plissés pour ne pas rire, le moral retrouvé. Vite, elle s'empare d'une lettre, bataille avec le papier, prend connaissance du contenu, un phrase au hasard ni au début, ni au milieu, ni à la fin. Juste là comme si ça lui sautait aux yeux. "Toute la nuit j'ai pensé à toi dans un sourire béat, j'espère qu'on se reverra, que ce n'était pas la fin." Sans aucun sens si ce n'est le leur, Fleur commence déjà à piocher dans les lettres éparpillées pour tenter d'enjoliver la déclaration, quelques mots ici, d'autres un peu par là ; des brins d'amour qui s'emmêlent. Ca n'a plus rien de triste s'ils sautent les conclusions, ne lisent pas les demandes de pardon, s'entête à piocher un mot ou deux dans les amours qui flanchent et ceux qui persistent. Dans un jeu d'actrice presque passable, elle pioche une nouvelle phrase pour enchaîner, accompagnée d'un brusque baiser sur les phalanges qu'elle n'a pas lâché. "Hier je t'ai vu de loin sur la jetée, j'ai couru mais je ne t'ai pas rattrapé." Pas de suite, pas de début.
Assis au bord de nous, leurs serments nous contemplent
Le bras pincé, ça veut dire tais-toi, se recroqueville contre son torse.
Clarence a honte. Les rides. Si elles ont vraiment froissé la peau en papier buvard de Fleur. Il n’a pas vu. Il aurait dû être celui qui les voit en premier. Un devoir d’amant, peut-être. Un devoir d’ami, peut-être. Juste l’envie pressante d’être celui qui les embrasse pour la première fois. Le délire éveillé d’être celui, aussi, qui dissimulera les premiers cheveux blancs avant même qu’elle sache.
L’envie de la protéger. Du déclin du corps parmi mille autres choses.
La salive se coince pour former une boule qui glisse difficilement dans contre sa glotte. Il inspire. Le tracas s’efface. Presque. Ne reste que cette pointe de sel qu’il a sur le bout de la langue quand il pense au passé.
Les doigts sur son crâne masse et capte son attention. Les yeux mi-clos pour murmurer dans un souffle qui a la forme de son sourire. C’est resté au fond de la bouteille. Une vieille boutade, les accents d’un pathétique calculé, pour les sortir de la torpeur d’émois anonymes.
La rupture de ce moment lui semble nécessaire. Parce qu’ils rient toujours plus forts que la misère. C’est un peu leur truc d’être les nazes qui jouent les cool kids, lunettes de soleil et rhum premier prix comme seul costume.
Il aime l’entendre sourire dans les reproches. Le bruit que fond les mots quand elle les articule comme si sa bouche était une arbalète, ou un poison addictif. C’est beau ce que tu dis. railleur, les babines essuyées sous sa langue. On devrait écrire plus de lettres sur les saucisses. Et « par la pensée » casser la dalle, de temps en temps.
Entre les pins, qui les ont vu grandir, leur silhouette forment un drôle de spectacle. A Clarence, elles semblent animées comme vue de l’extérieur, que lui-même assisté à l’incongru de les voir jouer du théâtre d’auteur sans public, sans script. La bouteille aurait rendu le tout méchamment plus drôle et naturel. La bouteille, et toute la chaleur apaisante qu’elle contient, lui aurait d’autres idées pour transformer l’ordinaire en un danger enivrant.
La bouteille, c’est triste, mais il ne peut plus l’emporter partout où ils vont.
Le coin des lèvres frotte ses pommettes. Son actrice préférée. Il veut lui dire mais il renonce. Il a peur de casser cette lumière grésillante en elle. La plante de ses pieds épouse le sable humide, les épines sèches s’enfoncent quand il bascule pour de faux vers l’arrière. Que ce n’était pas la fin ! Il a répété la main libre en porte-voix. Le bruit d’oiseaux qui s’envolent, des croassements de corbac, forment un écho de plumes, de branches qu’on agite : de nature outrée.
Pendant qu’elle cherche, le loup enfonce des lettres à la va-vite dans les poches arrières de son jean, pour avoir de l’avance et se mouvoir comme il veut. A une main. Le jeu c’est de ne pas se lâcher. De maintenir l’échanges des paumes baisées et enchâssées.
Clarence la saisit à la taille, fermement, laisse la main descendre sous ses fesses pour la soulever contre lui. Tourner parce qu’il ne désespère pas de l’entendre jurait après lui, peut-être mordre. Bien sûr. Il tombe, sur le cul, les os et les muscles qui agonisent et résonnent. Mais le brun ne fait pas attention. Il fixe Fleur, restée sur lui, les bustes plus proches et extirpe avec audace un nouveau courrier de l’amour, arrache l’ouverture avec les crocs.
Au hasard, mais le poitrail rapproché du sien et le menton arrimé contre ses clavicules, les lèvres chuchotent contre la peau tendre du cou. Je n’ai qu’un regret c’est de ne pas avoir embrassé chaque centimètres de ta peau. Ne pas avoir cartographier jusqu’au dernier de tes grains de beauté. Celui… La lecture interrompu, il froisse le reste de la lettre dans son poing et la jette. Il n’y a plus que les yeux de Fleur dans son champ de vision lorsqu’il soulève un peu le bas du pull over. Celui qu’il y a juste au-dessus de ton aine. Et il se penche pour y déposer les lèvres fraîches d’avoir crié, d’avoir bu, un peu, c’est vrai.
Acteurs du dimanche les bouches grouillantes de mots en trop, les lèvres pendues aux esquisses cachées qu'ils n'auraient pas dû délivrer. Les pieds au fond du sable, le cœur se répare en embrun marin, Fleur souffle et ça fait du bien ; main dans la main à radoter les éclats lointains. Un sourire s'égare sur les lippes, les baisers complices et les doigts qui s'entremêlent sous les mêmes galères, les mêmes rengaines. Le sentier, elle le connaît par cœur, l'empreinte d'un loup gravé dans le sable et la poussière qu'elle suit sans se questionner ; l'impression d'avoir fait ça toute sa vie, de revenir en boucle au commencement d'une histoire sans jamais en entrevoir la fin. Car au fond, peut-être qu'ils n'en n'ont pas.
Les prunelles sombres parcourent le papier sans s'inquiéter, comme s'il n'y aurait jamais personne pour les déranger. Un mot ici, un autre là, elle se perd et se laisse convaincre dans un faux grognement complice ; se laisser aller dans un tournis bienvenue, une danse étrange qui ne vient que d'eux. Elle crie, s'accroche à la nuque, agrippe la taille de ses cuisses crispées pour ne pas tomber. Dans un souffle comme le vent, presque un hurlement qui sonne faux. "CLARENCE !" Et elle rit car Fleur, elle ne sait pas quoi dire d'autre, les remontrances possibles bloquées dans la gorge sous les éclats amusés qui secouent le buste, vient rythmer les tourbillons jusqu'à ce qu'ils s'écrasent, l'un sur l'autre. Dans une moue dramatique elle feint l'outrage en redressant la tête, fixer les prunelles en plaquant un doigt malicieux entre les côtes.
"Terribles sont les indécents." Elle vient de le lire entre deux lignes raturées, avant que l'autre de décide de la faire s'envoler. Ça sonne cruellement beau, elle en goutte l'intonation juste sur la langue et sourit d'un air entendu alors qu'il se veut poète. Ils n'ont pas fini de réciter les vies qu'ils viennent de dérober. Murmurer contre la peau elle se laisse faire sans qu'il la voit sourire, peut-être perdu dans l'océan plus loin. Elle écoute car parfois et malgré la poisse légendaire, Fleur apprécie les belles paroles quand bien même elles ne lui seraient pas adressées.
Un petit cri d'amusement, Fleur chatouilleuse vient repousser les lèvres trop fraîches contre sa peau trop chaude en se tortillant, repousser le vent. "D'ou je viens il est déplacé de laisser traîner ses lèvres. Pas sans l'accord de mon père, de ma mère et peut-être même de l'île entière !" Elle invente maintenant, la bouche en rond faussement indécise pour jouer le jeu. Elle ne l'a pas lu dans les lettres ça, mais elle se dit que ça pourrait y être et à force de bouger, rouler, s'envoler, elle, elle n'a rien penser à garder, du papier éparpillé. Alors sournoise, elle ne retient que les mots qu'elle a bien voulu retenir, déformer, dévoiler. Les doigts viennent tirer doucement le col du louveteau, s'égarer sur la gorge dans un sourire mutique. "Ou alors il faudra demander ma main, m'offrir la plus belle des bagues et me promettre chaque jour les choses les plus impossibles." Oui elle en est certaine, c'est forcément dans une lettre.
Les cils papillonnent comme elle imagine le faire les princesses avant de venir tracer du bout des lèvres un bout de mâchoire imberbe. Laisser les doigts filer rapidement sur les côtes avant de les agiter pour chatouiller par surprise. Un murmure contre l'oreille. "Et si tu mens, je te ferai couper la tête." Ca, elle n'est pas sûre que ce soit dans une lettre.
Assis au bord de nous, leurs serments nous contemplent
Dans une autre vie, Clarence et Fleur sont née dans les montagnes glacées, celles qui portent leur nom des déclamations qu’on y ose. Ils y font du théâtre de boulevard, genres comédies grivoises ou salaces mais surtout grivoises, à ciel ouvert comme à huit clos. Ils n’ont que des mauvaises idées, leur cocasse tabasse un public de marmottes et de belettes.
Dans une autre vie et pourvue que ça soit la prochaine à vivre.
Il aime entendre son nom crié, rugi, tonné, comme s’il avait la foudre aux trousses. Son cœur s’emballe, il inspire si fort qu’il lui semble que l’oxygène va droguer sa tête. Partout dans ses narines, l’odeur de Fleur circule, de son shampooing, s’infiltre plus profondément en lui. Il la plaque plus fort pour éprouver son rire dans sa peau, sentir les petites dents parfaites effleurer la chair laiteuse de son cou, et la laisse reprendre les rênes du jeu.
Clarence, ses yeux pâles sont engloutis autour du doigt qui creuse ses côtes, une douleur qui se cache. En écho, ses lèvres saveur rosée articulent dans un sourire. et les indécentes. sa langue restée à la risée des incisives pour prolonger le sifflement. Sous son crâne, les désirs se confondent et se brouillent, les sensations d’elle qui l’écœure jusqu’à l’écueil de sa raison.
Les doigts graciles l’obligent à reculer, la déception ravalée, et ramener un regard plus vivant, plus réel, sur le minois, au contour par cœur, de la brune. Le loup pouffe, la gravité qui oscille avec l’absurde, menace de transformer le grand en ridicule ou le ridicule en grand. Grandiose ! Vous serez la première à organiser un référendum pour décider d’un baiser. Il a les babines qui se retroussent dans des rires difficilement contenus pour suivre toute la mimique exagérée de Fleur, piochée, il l’imagine, dans les coulissés des plus beaux opéras, théâtres, cinémas d’Haklyone. Mais je dois vous dire la vérité. Je vais tricher et déposer mille fois mon nom dans toutes les urnes. Et si ça ne suffit pas, je réclamerai un deuxième tour à Monsieur Thornes en personne. Il rougit un peu parce qu’il a l’impression d’être romantique et vulnérable avec des idées pareilles, qu’il ne saurait pas quoi répondre si elle l’incriminait du défaut d’être sensible. Secret de polichinelle entre eux.
Ses deux pouces dessinent le contour du jean de Montgomery, s’écorchent dans les passants, parfois, tremblent sur un carré de peau effleuré, exprès. Le loup, que la complicité fait rayonner, écarquille ses yeux, l’auriculaire et le pouce transformer en téléphone de fortune qu’il colle à son oreille, le visage baissé plus près du sol et les yeux fuyants. Oui ? Madame la Banque ? J’vous entend mal…. La princesse et moi-même sommes en train de choisir son diadème Dupuy pour la pyjama party de ses copines princesses… Tshh…. Tshhh. Il souffle en raccrochant son coup de fil illusoire, relève un air rusé vers la princesses. On l’a échappé belle, elle voulait savoir qui était ce sugarbaby que je lui cachais…
Et puis comme Fleur va lui couper la tête, il n’aura pas besoin de rembourser même pas une descendance à qui donner ses dettes. Quel soulagement. Clarence peut bien laisser ses lèvres chatouiller son lobe, des frissons qui mettent le reste de son corps à l’agonie. C’est si difficile de se concentrer sur autre chose qu’il chuchote. Tu la mettras au-dessus de ta future cheminée dit ? A peine un sourire, un battement de paupière, Clarence saisit son visage pour l’embrasser. Sur les lèvres. Les pommettes. Les yeux. Le bas de la mâchoire. Les lèvres. Encore.
Les fleurs au parfum suave se veulent indécentes quelques heures seulement après les tracas, elle fait rouler le mot sous la langue, bonbon acidulé qui jamais ne perd sa saveur. Fleur frissonne aux mots lâchés contre la peau, les insomnies constantes en brèches inassouvies ; les doigts pianotent l'épiderme comme une comptine qu'elle ne connaît que trop bien, l'instrument de corps qu'elle connaît par cœur. Sourire faussement naïf, le souffle se grippe comme les vieilles machines, se perd un peu pour mieux retrouver contenance, murmurer silencieusement encore et encore la fameuse indécence. "Oui, mais ce n'est pas n'importe quel baiser !"C'est juste parce que c'est toi, et juste parce que c'est moi. Roulent contre les joues la moue de fausse ingénue, Fleur les doigts toujours farceurs venant creuser doucement la chair comme une caresse ou un poignard de fer.
Les rires lupins résonnent contre elle, l'ours peinent à garder ses sourires pour elle, cacher l'éclat qui gronde mais la parade n'est pas finie ; Fleur, elle n'a pas encore rangé sa panoplie. Émerveillée comme pour la millième fois de ces sons qu'elle connaît pourtant déjà, de ces mèches brunes qui glisse sur le front, elle en retient une avec passion, y entortille un doigt pour y tirer délicatement tout en sachant que les loups n'ont ni maître ni maîtresse. La bouche mime la surprise, les yeux arrondis d'éclats juvéniles. "M. Thornes en personne ??! Voyons vous n'oserez pas... " Elle se penche tout contre la peau jusqu'à frôler le nez du sien, murmurer tout bas les secrets que l'on garde là-bas. "Mais vous savez quoi... c'est moi qui dépouillerait les urnes. Et si le nom qui en sort ne me satisfait pas, alors je piocherai encore, et encore, et encore jusqu'à tomber sur le bon." Entre chaque encore, une œillade appuyée, amusée de tourmenter.
Le téléphone mimé à l'oreille, l'éclat joueur et trop trompeur ; Fleur ouvre les yeux en grand, s'amuse de paraître bien grande dans ces histoires inventées uniquement pour les complaire, les évader des plaintes éphémères. Tend une main pour s'emparer des doigts qui lui servent de cellulaire, elle aussi veut parler à madame la banque, lui demander si c'est bon pour l'emprunt qu'elle a demandé, mais c'est trop tard, le téléphone sonne probablement dans le vide. Les cils papillonnent, Fleur un peu ravie de convenir à un diadème Dupuy. "Est-ce que le diadème est accompagné d'un joli serviteur pour me le poser sur la tête ? Je le voudrais blond de préférence, un bel oiseau coloré peut-être bien, un qui chanterait divinement bien."
Elle jacasse, frisonne aux lippes contres les lobes, au souffle contre le cou. A ses propres battements qui s'y perdent un peu, au souffle qui manque le coche alors même qu'elle ne sait plus ce qu'elle dit, bégaye une seconde pour montrer son accord. La cheminée, ça lui parait bien mais elle l'oublie déjà contre les lèvres de l'autre, le frisson familier et les battements tourmentés. Alors elle se presse encore contre le corps, vient fourrager entre les mèches sombres qu'elle contemple parfois avec passion. Elle répond à l'ardeur et y met bien plus encore. Elle ne sait trop comment, ils se retrouvent contre le sol mais Fleur ne réfléchit pas aux épines qui doivent gratter le dos de ce pauvre Clarence, au sable qui chatouille les grains de peau ; laisse simplement les doigts vagabonder sous le t-shirt avant de murmurer contre la joue dans un rire paniquée, comme si elle oubliait la vrai réalité. "Oups, tant pis pour les bulletins de votes alors."