les plaisirs oridinaires

L’écume vient se frotter contre les dunes. La marrée est déjà redescendue alors que la nuit s’achève sous les derniers éclats de lumières légués par la lune. La symphonie des flots chante contre ses oreilles, elle apprécie la mélodies de larges eaux contre le sable devenant plus chaud. Les vagues lèchent l’horizon que Carmine se contente de fixer, mais il n’y a rien d’autre que ce ciel trop bien éclairé, que cet horizon imaginaire qu’elles ne pourront sûrement jamais traverser. Le monde est à la fois si large et si petit qu’elle s’y étoufferait.

La nuit dernière, les doigts se sont capturés dans les étreintes que l’amitié suffit à rassurer. Leurs lippes se sont rencontrées, tendre pétales époussetées. Les corps se sont livrés à quelques échanges allongés. Dans ce ruisseau de chaleur, elles se sont permises de flotter. Elles se sont noyées dans de longs baisers alors que la journée n’offre plus de place à leur désinvolture, à ces frivolités.

Carmine porte contre son dos un sac à dos de la marque Aradidas imperméabilisé, dans une main elle tient un sachet, dans l’autre c’est le croissant qu’elle apporte à ses lippes pour le mastiquer. Le beurre fond contre sa langue entre les couches de la patte feuilletée. Elle a aussi dans son sac un shaker hyper protéiné, puisque même si elle s’est offerte une gourmandise son corps quémande des protéines pour assurer. L’alimentation, elle ne doit pas la négliger, elle se dépense plus que la majorité des habitants du factice continent.

- Il faut que je sois sûre d’avoir le temps de m’entraîner. J'aurai l'impression de rater ma journée si je faisais la grasse matinée...

Sourire badin au bord des lippes, Carmine a les fossettes creusées. Son œil se referme, mais elle ne daigne rien préciser. Elle s’alimente d’ambiguïté puisque la conscience sait qu’il n’y aura jamais rien de plus que des jeux de mains sans lendemain. Il n’y a jamais plus que de la tendresse sans politesse. Une amitié avec quelques plaisirs ordinaires, sans complication, sans avoir à mentir pour éviter les factices amourettes sans passion.

- J’ai mes petits secrets…

Elle avale ses dernières bouchées et froisse entre ses doigts en acier l’emballage en papier qu’elle range dans la poche de son pantalon de sport aradidas pour plus tard s’en délester. Carmine ne va pas lui dire que la nuit prochaine, elle se couchera probablement plus tôt pour rattraper les heures à jouer aux jeux de mains. La nageuse se contente de faire tomber son sac de son épaule pour récupérer un shaker à la saveur banane. Une fois ce dernier capturé entre les doigts de métal fabriqués, elle referme sa musette pour l’accompagner sur ses deux épaules pour mieux tout supporter.

- C’est à la banane ? Tu veux goûter ?

les plaisirs ordinaires

Carmine vient s’installer en tailleur sur la serviette en face de la mer qui ne cesse de reculer. La marrée s’envole, recule, elle est évitante : comme cette relation qui finalement n’est qu’une amitié formée par des femmes aux affections lâches et virevoltantes. Elles ne restent pas longtemps dans les bras de l’une, de l’autre, des autres. Aucun besoin de se trouver des témoins, aucun besoin d’écouter les conseils des apôtres. Les baisers sont éphémères, quelques fois volés sans réelle affection. Il n’y a que les rires, l’amusement, c’est une amitié sans punition, sans condition. Il n’y a pas de promesses, que des messes-basses, pas de déceptions.

Le silence sillonne entre ses lippes mais le sourire y est souverain. Elle attend quelques secondes, regarde le visage d’Helen se tuméfier avant d’afficher contre son minois son langage taquin. Des fois, elle est un peu narquoise la rascasse : mélange l’humour et les petites crasses. Les sourcils légèrement redressés, elle arbore le rire 

- Je n'ai jamais prétendu que ce serait ragoutant... Il faut bien, c’est les meilleures protéines pour mes performances sportives. Et encore, je pense que c’est la saveur la moins rebutante. T’as pas goutté le shaker à la vanille...

Carmine, elle est fière d’avoir piégé Helen : elle se moque doucement de son amie avant de récupérer le contenant pour finir de boire le mélange amer pour le boire comme du petit lait, alors qu’elle trouve le goût infecte, mais Carmine fait toujours comme si de rien était, enjolive pour de faux la réalité. Les yeux posés la mer qu’elle aimerait connaître par cœur, elle vagabonde visuellement sur les vagues, sans réel intérêt. Elle caresse les courbes de ces dernières en adressant encore quelques railleries à sa tendre amie.

- Tu as de la chance de ne pas rester petit-déjeuner, j’ai tendance à en mettre partout dans mes en-cas pour la journée.

La rascasse empoisonne, envenime. Fausse-bienveillance, elle est traitre Carmine.
Sourire carnassier, le poisson-lion se penche à son oreille. Elle fait part de son intérêt pour d'autres méfaits.

- Tant que je peux t’écouter chanter comme hier soir… Mais il ne faudrait pas en abuser et abimer ta jolie voix.

Carmine recule.
Carmine ne parle pas de chanson, ni d’opéra,
Elle aime les spectacles, elle préfère l’onctuosité de sa voix à ces histoires de plats.
Sur la face, elle garde un léger rictus narquois.
Elle a l’air de s’en foutre de tout,
Préfère que tout reste flou,
Préfère crever que d’admettre à genou.

les plaisirs ordinaires

Carmine, elle aime bien cuisiner, préparer des bons petits en-cas pour la journée. Son appétit d’ogre n’est jamais vraiment rassasié. Il faut croire qu’elle pourrait passer ses journées à manger : le sport ça dépense, ça creuse, mais ce n’est pas autorisé. Du moins, elle se l’interdit pour conserver ce corps que paye Aradidas pour l’enjoliver avec quelques vêtements colorés.

- Pour une autre nuit…

Le baiser sur la joue amuse un peu la rascasse, pendant quelques secondes elle se demande si elle pourrait rejouer au jeu de la veille, mais elle ne se le permet pas. Elle se contente de lâcher quelques railleries en direction de son amie. En réalité, c’est bien mieux comme ça : elles ne se doivent rien, si ce n’est que de l’amitié, sans avoir à prévoir, sans avoir à énoncer une once de sentimentalité. La rascasse ne cherche pas à s’amouracher : peut-être qu’elle a peur de tomber dans le fond d’un filet, sa mère lui répète qu’elle n’a pas encore trouvé l’âme avec laquelle elle pourrait réellement s’attacher. Cependant, elle désire toujours rester libre, dans l’éventualité et peut-être que sa génitrice a raison : elle est encore jeune pour connaître les effluves flamboyantes de la passion.

- C’est toi qui a commencé… Moi je n’ai fait que répondre à la demande.

Une main volée qu’elle cajole avec un baiser.
Elle sourit et lève les bras : ce n’est pas elle qui a commencé à jouer à chat. Alors elle rigole, se considère comme non coupable, mais Helen pourrait s’arranger à l’amiable. La rascasse écoute alors les confidences. Carmine, elle écoute,la contemple, mais elle ne se considère pas la meilleure pour consoler. Si elle sait nager et se battre, la vulnérabilité est quelque chose chez elle qu’elle préfère éviter. Alors son bras vient piquer Helen pour l’enlacer contre ses côtes. Carmine, elle continue de sourire, pas pour se moquer, pour tenter d’éveiller la joie où il n’y en a pas.

– Ah… Ça a du être dur. De quoi est-il décédé ?
<< qu’est ce que j’en sais … >>

les plaisirs ordinaires

- Non, mais on m’a déjà invitée à regarder quelques luttes à la fosse, je ne savais pas réellement à quoi m’attendre.
< La famille, mais je ne le dirai pas. On garde les secrets pour une autre fois. Ou peut-être à jamais. >

Le théâtre de combat, Carmine n’y mettra plus les pieds. Elle ne voudrait pas gâcher sa belle image, alors qu’elle garde la rancune, son égo en cage. Carmine, elle ne veut plus voir le sang couler. Carmine, elle ne veut pas assister à cette violence : elle préfère quand dans le sport il peut enfin circuler dans les veines. Elle n’est pas sûre que la fosse soit un sport, mais plus un trou à purin que l’on remplit de violence et de peine.

- C’est un sport un peu sanglant. Je préfère les olympiades.

Le sang, Carmine ne peut pas se le voir en peinture. Quand il dégouline, ça la replonge brutalement dans sa soupe rougeâtre, elle entend de nouveau la gamine qui se met à hurler, elle revoit le grand filet dans les eaux bleutées. Alors Carmine, elle a un peu la tête qui tourne avec une seule pensée. Elle préfère s’échouer dans le présent, sur le vrai sujet, une main caressant du bout des doigts fermes et froids Helen, l’un de ses bras.

- Malheureusement, s’il n’y avait pas la fosse, il y aurait certainement pire.

La fosse, c’est pour amuser la bourgeoisie. C’est pour ceux qui ont assez d’argent à mettre dans les paris. C’est pour les âmes manipulées qui pensent aimer le jeu, mais finissent plumées. C’est un vrai traquenard dans lequel seuls les plus riches peuvent s’offrir l’opportunité de gagner. Carmine, ce n’est pas comme ça qu’elle veut gagner. Carmine, elle veut arriver la première, abattre les autres âmes, même la nageoire arrachée. Carmine, elle veut avoir la fierté de dire qu’elle a réussit, de dire qu’elle a gagné, de s’avouer que ça ne sera jamais finit, parce que l'égo n'est jamais assouvi.

- Au moins, il est parti en paix.
< Des fois j'aimerais autant avoir la foi que toi, mais je doute. Ne m'en veux pas. >

les plaisirs ordinaires

Les Olympiades sont bien plus amusantes, gratifiantes. Carmine les admire les yeux dorés, à chercher l’or alors que dans son regard il est gravé. La rascasse, elle n’aime pas regarder le sang qui dégouline. Elle n’aime pas observer la marée carmine s’accumuler alors qu’elle n’est que spectatrice d’une violence qu’elle ne peut même pas partager. Carmine, elle veut se battre à sa manière, utiliser son corps comme preuve : même si elle n’arrive pas première. Elle aimerait porter dans ses bras la fierté de n’être pas que ça : les mensonges, la gamine qui hurle, cette nageoire qui flotte dans l’au-delà.

- Je t’assure que ça l’est…
< J’espère que tu viendras m’encourager. >

Elle chuchote tout bas. Sourire accroché aux lippes alors que les doigts capturent les siens, alors que les lippes déposent un baise-main. Les visages à proximité, Helen cherche l’ébullition, mais elle coupe court à leur fusion pour fixer l’horizon. Sourcil arqué, Carmine cherche loin dans l’océan quelque chose à regarder, une surprise, un spectacle assez fantastique pour la déranger, mais la rascasse ne voit que l’étendue bleutée. L’océan, étendu d’eau salée dans lequel elle plonge, s’oublie, fulmine, une grande partie de sa vie, n’est pourtant pas bavard. Le poisson finit par revenir par apprivoiser la mâchoire qu’elle capture entre la pulpe de ses doigts, alors que ses lippes veulent apprivoiser ses lèvres comme elle veut dompter les mers.

- De quoi tu parles ?.. T’as du rêvé. Reviens-en où on en était.

Un baiser s’accroche à leur lèvres, Carmine se moque de savoir ce que c’était. L’horizon est comme elle, il a ses secrets. Elle n’est pas encore prête à connaître la vérité, à tout révéler, alors elle laisse les bécots courir sur la peau chaude comme les nuages d’écume contre le sable.

- Je n'en ai pas terminé avec toi…