Elle abandonne Fleur, les cartes jetées sur le tapis dans un grognement frustré, habitué. Elle attrape ses derniers jetons, vestige d'une nuit mal commencée, quelques billets échangés. Elle a tout perdu en un rien de temps Fleur, le blackjack, les jeux de hasard, les parties qu'elle pensait comprendre ; elle a tout perdu un peu Fleur et continue d'emprunter les cul de sac sans oser en franchir les murs. Peut-être encore une partie, et elle aurait remporté la manche, peut-être encore un peu de persévérance, elle commençait à comprendre la stratégie. Mais elle a perdu, abandonné quelques jetons aux adversaires et s'est levée pour disparaître ; c'est plus simple comme ça, juste rebrousser chemin que d'aller plus loin.

Un cocktail entre les doigts, c'est son 3ème, ça commence à tourner mais pas assez. C'est une mauvaise soirée, un peu comme toutes celles qui l'ont précédées. Fleur n'aurait jamais dû miser, Fleur n'aurait jamais dû parier, Fleur devrait peut-être tout arrêter et retourner se coucher.
Un vigile lui lance une oeillade pleine de pitié. Elle fronce les sourcils, elle le connaît lui, toujours à traîner dans ses pattes, comme étonné de la voir perdre systématiquement ; défier les lois de la probabilité. Elle renifle et lui tourne le dos, efface encore un peu son rouge à lèvre pétant contre le verre qu'elle porte à ses lèvres, réajuste son tailleur froissé par une sale journée de travail, la chemise qui remonte sur les avants-bras. Un miroir lui fait fasse, la fait froncer les sourcils. Elle ressemble aux vieilles filles absorbées par leur travail qui ne prennent pas la peine de se changer. Mais Fleur, elle n'aime pas spécialement son travail ni même les talons hauts qui ne font que rajouter de la hauteur à sa grande taille.
Elle préfère le cocktail, le fini d'une traite. Elle préfère jouer, le sourire retrouvé (le gin a souvent cet effet) et lancer ses derniers jetons sur un jeu de roulette dont elle ne comprend pas encore très bien le principe. C'est excitant, est-ce qu'elle va gagner ?
Non.
Le minoi dépité s'accroche une seconde au vigile amusé qui n'a cessé de l'observer. Alors elle pense à Eliott. Est-ce que ça rapporte de travailler ici ? Probablement.

Toute bonne humeur retrouvée, la voilà qui emprunte rapidement l'entrée de service non sans un clin d'oeil pour le vigile qui la laisse passer sans rechigner.
Il a l'habitude peut-être.
Ils ont tous l'habitude.
Le bureau d'Eliott, elle connaît, entre sans frapper, s'en va plaquer brutalement les paumes sur le bois de la table. Le regard déterminé.

"Eliott. Prête moi 1 000 lenss."  Elle oublie de dire s'il te plait. "C'est une question de vie ou de mort."   Elle va mourir c'est vrai, un jour dans 70 ans, un peu moins si elle a de la chance.

Non,
il a dit non.
L'ours s'insurge, une main près du cœur, feint un instant le malaise puis se reprend. Il n'y a personne pour la rattraper ici et le sol ne lui a pas l'air bien confortable.
Alors elle ouvre la bouche et la referme, laisse le silence traîner une seconde ou deux, observer le bureau et le vilain matou à lunettes qui y trône d'un air de mafieux satisfait de lui-même. Fleur grogne, les félins sont tous les mêmes, ça lui donne envie de taper du pied, s'insurger, renverser sa tasse de café.
Mais elle n'en fait rien, la mine encore un peu outrée, le poing sur la hanche.  

"J'ai encore perdu, j'ai besoin d'argent, juste un peu pour me refaire et après je te le promet, je ne t'embêterai plus jamais."
Les promesses de veulent rien dire chez Fleur, pas plus que les baisers et les compliments, tout au plus un regard dans le vide et un haussement d'épaule. Fleur, elle espère ne pas paraître trop misérable, campée sur ses talons à regarder Eliott de tout là haut. Etrangement, même assis il lui semble qu'il la surplombe.
Mais c'est vrai, il l'avait prévenu, il ne voulait plus la voir ici.
Les doigts finissent par se tordre contre sa chemise déjà froissée par la vie et les péripéties. "J'avais oublié." Oublié d'arrêter, c'est comme la cigarette, ça vient machinalement.
Peut-être qu'elle devrait s'excuser Fleur, de débarquer ainsi. Peut-être qu'elle devrait faire demi-tour et aller se resservir un verre. Mais elle préfère contourner le bureau d'un air presque navré, comme pour se faire pardonner.
"Je veux bien un café oui !"
Même assis, il est grand, mais pas autant qu'elle sur ses hauts talons. Le cocktail déposé sur un coin du bureau, les mains viennent encadrer la frimousse blonde avant qu'elle ne vienne lui planter un baiser rapide sur le front.
C'est pour dire bonsoir, désolée, merci. Un peu tout à la fois.

Eliott a les mots durs, les phrases poisseuses et la dureté lascive de ceux qui savent parfaitement ce qu'ils disent. Fleur c'est le chat noir, la malchance aiguisée en lame rouillée, la poisse résoluement déposée sur le berceau d'un bébé. Fleur n'aura jamais le gros lot de la tombola, l'occasion à ne pas louper, le trèfle à quatre feuille glissé dans le porte-monnaie. Non Fleur rate tout,  sa vie et celle des autres, les passions et les pulsions, ne sait jamais quand demander pardon. Fleur elle n'espère plus depuis longtemps se glisser entre les mailles du filet de la mauvaise fortune. C'est peut-être elle, la mauvaise fortune toute entière.
A moins qu'elle ne sache juste pas faire.

Ca la vexe un peu, comme si rien ne devait changer. Aucune confiance en ses capacités, les joues gonflées de dénis, un doigt pointé en direction du félin mal léché. "Mais c'est ce que je fais Eliott !! Je joue au hasard !" ce qu'elle voulait comme une remontrance sonne comme le désespoir en fin de phrase. C'est ce qu'elle fait n'est-ce pas ? Comprendre les règles à moitié, se contenter de tout miser, patienter, perdre, recommencer.
Abandonner.
Puis regretter.
C'est idiot, Fleur elle n'arrive à arrêter ni la clope, ni l'alcool, ni les jeux.
Mais Fleur, elle lâche ses jobs, ses amis, ses amants. C'est idiot et ça ne la fait même plus rire. Eliott a probablement raison, même un enfant jouerait mieux.  "C'est juste que..." Elle balaye une main dans le vide, laisse le regard triste errer dans la pièce. "Je devrais peut-être juste jouer aux machines à sous..." Il lui semble qu'elle a un peu plus de chance avec ça, rien qu'un peu. Mais ce n'est pas amusant, appuyer sur un bouton et laisser tourner les lumières.

Les bras se croisent sous la poitrine, Fleur vexée de ne gagner ce soir aucune rentrée d'argent.  "Sans sucre." Il n'y a bien qu'avec Marek qu'elle accepte de se gaver de sucrerie. Fleur préfère l'odeur de la chair fraiche mais ça lui retourne l'estomac la fait gronder d'effroi depuis qu'elle se dit végétarienne pour aucune autre raison que sa facilité à faire les mauvais choix.

"Ça va." Non ça ne va pas, elle a plaqué tout son salaire du mois en jeux et chaussures à talons qu'elle ne portera jamais. Elle ne les trouve plus très jolies. L'ours s'assoit sans aucune grâce dans le siège de bureau que vient de quitter l'autre.
Qui va à la chasse perd sa place.
S'amuse à pianoter du bout des ongles au verni écaillé contre le bois du bureau en observant son verre à cocktail posé non loin de là.  "Il y a une fête chez Amy demain soir, tu viens ?" Il ne sait probablement plus qui est Amy bien qu'elle ait dû les présenter il y a quelques mois alors qu'il venait la chercher, elle trop éméchée pour pouvoir marcher sans tomber. "Elle a dit qu'elle te trouvait à croquer et qu'il fallait définitivement que tu viennes." L'ours esquisse un sourire amusé, s'enfonce dans le siège en étendant ses longues jambes qui lui auraient valu une place dans une agence de mannequinat si elle n'était pas si...Fleur. "Tu me fais de la peine à rester enfermé seul dans ton bureau, t'es trop coincé Eliott." C'est un peu un défi, un brin de vérité aussi. Mais au fond, ça l'amuse de le pousser à bout.

Fleur elle s'y connaît pourtant un peu en business, à rabacher les dissertation ratées à l'université, s'adresser en fausse autorité quand il faut marchander. Fleur la triche, elle connaît plus qu'elle ne le devrait. Ca ne l'étonne pas vraiment d'un casino mais elle soupire lascivement, se laisse aller contre le dossier du fauteuil. Elle pensait simplement pouvoir passer entre les mailles du filet. "Je sais... faut croire que j'espérais arriver à être encore plus malhonnête qu'eux..."
Elle s'est trompée, comme à l'accoutumé.

Une main pour rapprocher la tasse de café bien chaude, un remerciement sincère en sourire crispé. L'observe à peine venir s'installer en face, l'inversion des rôles lui passe au-dessus de la tête.
Fleur étant Fleur, une main vient rapidement attraper ce qu'il reste de cocktail alcoolisé dans sa jolie coupe pour verser le tout dans le breuvage sombre et corsé. Un regard sur le bureau à la recherche d'une cuillère pour mélanger, un peu de déception jusqu'à ce que les prunelles sombres s'arrêtent sur un crayon. Hésitation, mais non, Fleur a peut-être déjà un peu trop tiré sur la corde, elle s'en rend presque compte et s'entête alors à boire son café aromatisé d'un air parfaitement innocent.

Les longues jambes se croisent, s'étend sous le bureau. Fleur soupire et s'apaise un peu, oubliant le casino et les cartes pour s'éprendre de sa boisson chaude et du calme d'Eliott. "Oui, celle qui est mignonne." Elle préfère préciser dans un sourire mutin.
légèrement piquée au vif, elle relève la tête. "J'ai pas mal de responsabilités moi aussi tu sais..." Comme trier les dossiers qu'elle ne prend plus la peine de lire en entier. Suivre Carmine et ronronner d'ennui.

"Je ne blackout pas à chaque soirée !" l'ours s'insurge un peu, renverse quelques gouttes de café en se redressant trop brusquement. "Et n'essaye pas de m'embobiner, la seule personne que tu finis par ramener dans un lit à ce genre de soirée c'est moi, et pas pour les bonnes raisons." Un sourcil se lève, autoritaire. Elle sait qu'elle a raison Fleur, le chat ne participe jamais à ce genre de festivité. "Mais tu peux vivre par procuration ça ne me dérange pas, ça fait longtemps que j'ai décidé de m'amuser pour deux." Au moins. Petit reniflement de faux dédain, le nez dans sa tasse.