There is a knife in my back
and your hands are stained red
we're all a little guilty tonight
@Jean Klein
Du bitume, il n’en reste que quelques grains enfoncés dans les rides de son front alors que le sol s’éloigne. Oh il n’est pas sans ignorer pourquoi, toute sensation décuplée par ce poignard logé aux creux de ses entrailles -quoi que cette douleur ne pouvait comparer avec celle d’une lume, plus viscérale, plus alarmante-, il sent ses sales pattes l’agripper.
L’extirper de la fange serait bien plus simple si Jean n’était pas lui-même enfoncé jusqu’au cou.
Mais le fossa se débat malgré tout, plus contre la gravité que le rat qui, sauf tenter de se recroqueviller, les tirant tout deux vers le fond, n’a même plus la force de protester. La gorge du traître est pourtant si proche, et les prédateurs de son genre si prompts à sous-estimer ses incisives aiguisées, mais ce n’est plus qu’à travers le masque de la douleur qu’il montre les dents. L’hypocrisie du Milicien n’est qu’un agacement passager entre deux lancées, une amertume vite submergée par le raz-de-marée. Et pourtant, quelle blague que de le relever pour autre chose que l’achever, comme un gosse qui pense pouvoir être pardonné s’il parvient à recoller ce qu’il a cassé.
Enfin, ce n’est pas juste lui qui l’a cassé; c’est plus comme si le carnivore l’avait rejoint dans sa bêtise, vandalisé son corps main dans la main bien avant de le poignarder en levant son verre à sa santé.
Ouais c’est vrai, il a abusé.
Mais c’était quand même plus sympa de le faire avec quelqu’un,
sans les entraves d’une vraie amitié qui chercherait à le préserver, non,
les alcooliques se reconnaissent sans jamais se nommer, camarade auto-destructeur, complice de leurs vices, riant sans jugement en trinquant.
Pourquoi fallait que cet abruti ait tout salopé ?
Incapable d’être verbalisée, ses pensées éparses se perdent derrière ses mâchoires serrées, roulent le long de ses tempes et se perdent dans sa barbe. Elles sont futiles, des jérémiades qui ne pourront jamais colmater ce qui a été brisé; c’est comme ça, ils ne sont pas vraiment doués pour réparer, un piètre duo de bon à rien voué à se détester.
Sa cheville râpe le sol lorsqu’il tente de le freiner; il ne peut enlever au blond qu’il traîne réellement sa croix, mais il doit l’arrêter -réussi enfin à poser sa paume ouverte sur son torse, contre son coeur, incertain du propriétaire des palpitations qu’il sent sous sa peau brûlante.
“Khl…” La glaire et la bile se mettent sur son chemin, le force à s’éclaircir la gorge entre deux halètement, un crachat sanguinolent sur la chaussée.
“Clini…que.” Il ne veut que délivrance de cette douleur, un remède rapide sans chercher à guérir les maux, un cacheton refilé pour qu’il se la ferme plutôt que d’agoniser sur le sol de son studio. Et Jean pourra prétendre au samaritain modèle si ça lui fait honte d’être pris pour celui qui amène son pote bourré; à cet instant, il s’en contrefout, tant qu’on l’aide à taire le mal tourmentant ses.
C’est pourtant ce à quoi ils ressemblent; affalé contre lui dans la navette, son vitriole tût par la douleur, elle-même cachée derrière ses cheveux hirsutes et sa tête pendante, l’alcool renversés empoisonnant l’air ambiant, il n’est qu’un type au bord du coma éthylique accroché à l’épaule de son chaperon, tout juste capable d’humecter ses lèvres sèches. Quel chouette type de ne pas l’avoir simplement laissé au petit bonheur la chance avec une tape dans le dos, aller ciao rentre bien poto. Non non, le blond là, il laisse pas ses amis dans le caniveaux !
Quel putain de chouette type.
Quel saint.
Qui s’emmerde encore à traîner le cul de Micheletto Qaderi jusqu’à la clinique Bartholomé ?
Laisse-le plutôt crever.
Arrête de te la jouer.
C’est pas une façon de finir sa soirée et ça c’est bien fait. Encombrer sa conscience, juste un instant, c’est la seule victoire que le rat peut espérer s’octroyer, une pathétique consolation à ces sentiments putréfiés.
Sans résolution ni réconciliation.
©A devious route
