Le corps sautille d'un pied à l'autre, Maxine intenable, ingérable. L'œil faucon rivé aux rides qui bousillent la jeunesse, les doigts toute pâles qui tremblent un peu en ouvrant le sac à main et la pie se retient de lever les yeux au ciel, prier pour que l'impatience soit domptée. Ca la démange, les mains nouées dans son sweat élimé, ça la démange de ne rien avoir de brillant à faire rouler entre les phalanges un peu maigres.
Allez la vieille. Yen a ici, qui n'ont pas que ça à faire.
Et lorsqu'elle paye enfin son achat, quelques légumes verts qui font frémir la pie, celle qui ne jure que par les surgelés entassés dans le frigo. Lorsqu'enfin la canne se met en branle et l'arthrose s'affole, Maxine est toujours là quand on ne l'attend pas.
Entre deux étales du marché, la mine soucieuse d'une cliente un peu fauchée, les doigts habiles du bijoutier exalté. Elle en bouscule un, et puis deux, et les yeux s'agrandissent faussement dans une excuse feinte jusqu'à lui rentrer dedans, pauvre petite vieille
Mais il n'y a pas à dire ici, il ne fallait pas faire miroiter les billets.

Elle sautille Maxine, s'excuse du bout des lèvres, esquive maintenant adroitement tous les passants en prenant le large. Loin loin loin avant qu'on ne se rende compte que le petit sac mal fermé est un peu plus vide qu'à l'accoutumé. Et dans les poches des vêtements un peu trop grand, les doigts de l'oiseau tripote le tissu épais du porte-monnaie trop remplie. Elle compte les billets dans sa tête Maxine, se demande combien il y en aura (plus que son salaire de misère c'est certain). Si elle doit planquer le tout sous son matelas ou se faire plaisir avec du nougat. Mais demain, le ventre gargouillera surement et Maxine, elle ne peut plus compter que sur elle-même.
Comme d'hab.  

Pie un peu fière le nez relevé devant le défi gagné, s'enchaînent les soupirs appréciateurs juste pour elle, le gagne-pain durement dérobé ; quelques sous en poche Maxine, elle n'a pas l'habitude de compter les billets ni même de trop en dépenser. Tout ce qu'elle n'aura jamais. Elle a les pieds agiles, les rêves de métamorphose en évitant tous les passants ; c'est comme un jeu et celui-là, elle le gagne tout le temps.

Sursaut, un petit cri coincé dans la gorge alors qu'on lui frappe les épaules de ces grosses mains qu'elle reconnaît bien. Ça pue le prédateur, celui qui baille et glande au soleil alors qu'elle, elle trime trop d'heures par semaine pour un salaire de misère. Pas trop penaude, Maxine a le nez qui se fronce pour montrer le désaccord, les épaules qui roulent pour dégager le vilain ; pourtant elle l'aime bien Jean, comme une mauvaise odeur dont on ne se débarrasse jamais vraiment.

"Ba ça alors tu suis les ptites filles maintenant ?"  Maxine elle n'est pas petite et pourtant elle n'est pas bien grande non plus, ça l'embêterait qu'on la traite de mioche mais si c'est elle, ça lui va. Si c'est lui, ça n'ira pas.

Elle fait non de la tête Maxine, vivement et simplement. "Ya pas besoin de cabat, ils donnent des sacs en carton sur les marchés tu sais pas ça ?"  Looser. Sourire narquois. "T'as le droit de fouiller comme ça des gens en les agressant alors qu'ils ont rien fait ? Parce que j'ai rien fait moi. Et tu m'agresses un peu là nan ?"  C'est sûr et certain Maxine Dupuy ne videra pas ses poches, aussi sûrement qu'elle crèvera probablement dans la fosse ou un caniveau. Un morceau dans chaque peut-être bien.

"Tu feras gaffe ton uniforme est taché."  Et elle se détourne déjà Maxine, de la misère passagère, du félin qui peut-être la croquerait bien (ça fait frémir ses instincts, recroqueviller les doigts de la main). Elle se détourne pour reprendre sa route. S'échouer dans la navette et puis rentrer chez elle le plus vite possible. Non sans être fatalement consciente du regard fatal juste dans son dos.

Ca l'énerve ça l'énerve, les manies sauvages des prédateurs malpolis, ça dégonfle un peu l'orgueil, force à marcher comme sur des charbons. Maxine tique, les poings serrés dans les poches élimées qui renferment les secrets.
Offre un regard courroucé, les envies (les folies) meurtrières qui paradent presque sur la peau comme des flammes pleine d'amertume. Elle l'aime bien Jean, probablement autant que ce soit possible d'apprécier quelqu'un comme lui, entre la paresse et les ennuis. Elle l'aime bien, mais n'apprécie pas spécialement qu'on se foute de sa gueule, qu'on moque sa répartie et se trouve meilleur que les pies.

Finalement comme pour lui donner raison, elle hausse les épaules comme si elle ne comprenait pas, pointe d'un doigt son oreille d'un air innocent. Si elle est donc si sourde que ça, elle ne devrait pas avoir de mal à ignorer les imbécilités autant que les imbéciles.

Le dos tournée, elle l'entend qui l'a suit. Sourire mielleux ; très bien, s'il veut jouer.

"C'est toi qu'on aurait du enlever et torturer dans ces foutus labos, ça nous aurait fait des vacances. Mais bon j'imagine que même eux auraient eu du mal à te supporter." Ca ravive les tensions entre les Maisons et Maxine, elle se demande quand même si Jean ne va pas user de son autorité toute sacrée pour la coffrer, pour seul prétexte le nom Souffle et Cendres dont elle a juré fidélité sans trop se douter. Elle se retourne finalement vers lui, sans pourtant s'arrêter, marche doucement à reculons sans se soucier des passants qui la cogne un peu pour l'éviter, le regard mauvais. Elle lève les mains entre eux, toute fière de ce sourire narquois, agite les doigts tout fins. "J'ai les mains baladeuses tu trouves ? J'suis une honorable citoyenne pourtant."

Elle-même ça la fait marrer un peu jusqu'à ce que l'autre lui attrape le bras, la tire à lui. Maxine n'aime pas trop ça, qu'on lui assène des brusqueries et qu'on lui force la main alors le sourire se perd ; maintenant un froncement de sourcil mauvais. Maxine, elle n'a toujours pas envie de vider ses poches alors parfois, il faut bien faire la comédie et susciter un peu de pitié. Soudain, larmes de crocodiles au coin des yeux, la blonde pousse un petit cri, tente de repousser son assaillant en criant un peu plus fort, attirant quelques regards curieux, suspicieux. "PAR LES ÂMES UN PERVERS ! LACHEZ-MOI AAAAAH !"

Si avec ça elle ne remporte pas un oscar.

Les éclats de vérités dilapidés en méchanceté, ça lui brûle la langue comme des tessons, amorce un sourire narquois même dans la douleur même dans ma peur ; comme une armure et les griffes toutes tendues qu'elle n'aura jamais. Ni les crocs, ni le pelage prédateur car Maxine, elle n'a bien que sa langue bien pendue et ses remarques en barbelé pour se savoir exister. Ça s'assombrit dans le regard de l'autre, ça promet mille tourments, les muscles crispés peut-être bien, ça la fait déglutir, dévier le regard comme si de rien n'était. Qu'elle ne venait pas d'enclencher les hostilités.
Blesser avant d'être blessée, ça lui paraît comme la meilleure arme, les délices amères dont elle se pare comme une armure alors même si les excuses se pressent pudiquement à la porte, Maxine garde la bouche résolument close, espère s'en sortir sous les larmes de crocodile et le drama factice qu'elle hurle à plein poumons avant de voir briller l'éclat des menottes. Elle s'arrête aussitôt, ouvre trop grand les yeux et se demande s'il est vraiment sérieux.

Une main entravée, la pie tente de se dégager, sans grand succès, elle à tout contre elle, des muscles à la taille pas bien grande. Elle s'insurge encore une fois, parce qu'elle non plus elle n'aime pas les insultes, surtout quand elles sont fausses.

"Je viens d'Ithloreas j'te rappelle, une grande maison de luxe avec vue sur la plage, tes puces tu peux te les garder !"

C'est faux, ça c'était avant, quand des années plus tôt il y avait encore papa et maman pour lui payer ses rubans dorés. Avant qu'elle n'ait plus qu'une tombe à creuser et un uniforme d'ouvrier sur lequel pleurer. Avant, Maxine elle avait des jolies robes et des ballerines aux pieds, tournoyant comme dans les comptes de fée. Avant Maxine, elle avait sa vie toute tracée comme elle l'imaginait, la bijouterie et les rires au fond du jardin.
Maintenant maintenant, la grande maison on ne la voit plus qu'en rêve ou de loin lorsque les pas la ramènent trop près. Qu'elle aperçoit une autre gamine jouer sur sa balançoire et que les poings se crispent à en faire pleurer la chair.

Elle finit par se calmer une seconde, la bouche tordue en grimace déconvenue. Observer le fossa et toute sa bonne humeur envolée dans les méchancetés recrachées. Elle tire sur la menotte, tente de ne pas se faire attacher l'autre bras en le mettant hors de portée elle l'espère. "OK OK j'ai compris !" Elle a peur soudainement, qu'il la balance réellement en prison. La fosse, elle a appris à gérer, mais être enfermée entre 4 murs et ne plus pouvoir s'envoler ? Ca lui paraît invivable. Elle panique un peu, peut-être, la suite sort dans un débit précipité alors qu'elle tente de lui faire entendre raison.

"J'suis désolée j'voulais pas dire ça pitié me met pas en prison yaura personne pour me sortir de là, payer ma caution et toutes ces conneries en plus j'suis trop jeune pour crever, on va me planter là-bas c'est sûr parce que j'sais jamais quand faut la fermer !"

Elle s'arrête brusquement, reprend son souffle dans une moue piteuse.

Maxine a les ailes qui la démangent, les parures irisées qui ne rêvent que d'envolée, fendre les nuages en deux. Ca grouille entre ses omoplates mais chaîne de fer à son poignet, elle ne risque pas d'y arriver. Tire encore jusqu'à s'en faire mal à la chair, elle a vu pire Maxine, pire qu'un petit milicien de pacotille, pire que des menaces, pire que des griffes acérées car après tout, elle a appris aux côtés de Désiré et que Jean ne lui arrive pas à la moitié du pied.
Pourtant, ça frissonne de peur entre les côtes, à côté du cœur, à côté de l'âme. Ca frissonne parce qu'au fond, l'inconnu ça lui fait peur, l'enfermement aussi. Jean, elle ne le connait pas assez bien pour savoir jusqu'où il peut aller, jusqu'où il veut aller.

Pourtant encore revêche, ça frissonne de colère probablement tout autant alors les sourcils froncés pour espérer ne pas faire pitié, la pie enfonce sa main libre dans la poche de son sweat, de mauvaise grâce. Dans un mouvement rapide, le portefeuille fait son apparition avant d'être rageusement envoyé à l'autre bout du marché avant de pouvoir en dire plus.
Tu l'as vu Jean, le porte-monnaie tout doré ? Tu l'as vu, filer dans les cieux plus vite que tes yeux ? Elle observe où il atterrit, même si on ne voit pas grand-chose dans la foule, là à l'entrée d'une autre ruelle, à côté des poubelles. Toi non plus tu ne l'as probablement pas loupé, Jean.

"Voilà mes poches sont vides !"Car après tout, c'est ce qu'on voulait,
vider les poches et puis c'est tout, ignorant délibérément la main tendue pour récupérer son dû. Parfois, il faut faire attention avec les mots.

Le regard un peu fier, elle n'en mène pourtant pas bien large, effrontée jusqu'au bout du nez. "J'ai pas peur de mourir, j'ai peur de mourir enfermée." Et ça change tout. "Vous les prédateurs vous pensez que l'île vous appartient, que vous pouvez tout vous permettre sous prétexte que vous avez des griffes plus grandes que les nôtres. Et quand on essaye de faire un peu de bruit vous montrez les crocs. Tu penses que c'est juste ? Moi aussi j'aurai voulu être un aigle ou un faucon ! Mais on choisit pas, alors j'ai pas à m'aplatir pour quelque chose que j'ai pas décidé, juste parce que j'ai de jolies plumes plutôt que des serres pour tuer !"

Maxine, elle se dit qu'elle a juste à tenir un couteau, et ça revient un peu même n'est-ce pas ? L'imaginer comme la continuité du bras, l'imaginer comme sa chair, son sang, ses menaces.
Mais c'est vrai, elle aussi elle aurait voulu qu'on la regarde en frissonnant un peu.