ce fût un défilé. un somptueux défilé. elle a vu passé cents visages, cents sourires devant ses yeux. elle a entendu mille compliments, mille applaudissements dans le creux de ses oreilles. “quelle soirée !” valeryane doit bien l’avouer, et ne peut s’empêcher d’hocher la tête à quiconque veut bien lui murmurer. mais elle est fatiguée, la jeune femme.

il y a à peine dix heures, peut-être moins, valeryane faisait les cents pas dans le couloir de l’observatoire. la salle de conférence réservée pour sa soutenance, les rangées de sièges pleine à craquer, avec au premier rang les terribles membres du jury, et ses amis et sa famille derrière.
mais valeryane, comme une reine, était rentrée sans sourciller. installée sur l’estrade dans l’amphithéâtre, elle avait prit place, levé la tête, et s’était mise à parler, à raconter. la soutenance de thèse comme une comptine qu’on ne connaît que trop bien, trois ans de dur labeur d’un manuscrit d’astrophysique écrit à la sueur de son front.

c’était dur, mais c’était beau. une heure plus tard, la délibération. et encore après, les résultats.
valeryane kham est désormais docteure en astrophysique.

alors il fallait fêter ça. et papa et maman ont les moyens. alors voilà un bout l’hôtel chanteloup privatisé pour une soirée que l’on oubliera jamais. c’est valeryane qui, sans le savoir, avait décidé de l’endroit. innocemment, il y a quelques mois, maman avait demandé quel endroit elle aimerait visiter. valeryane, habituée aux paysages d’ithloreas et au ciel du bord de plage, avait machinalement répondu “le mont hurleur”. de quoi surprendre ses parents, mais en y réfléchissant bien, c’est là l’endroit le plus haut d’haklyone. le sommet de l’île au plus proche des astres.

alors la voilà à la recherche d’une terrasse ou d’un balcon. n’importe quoi fera l’affaire. l’ambiance au sein de la réception est devenue tout à coup étouffante, et valeryane à besoin d’air. valeryane à besoin du ciel. la majorité des collègues sont déjà rentrés ou sont partis de couché, trop ivres alors que minuit approche à grand pas. il ne reste que ses amis les plus proches et sa famille qui dansent et trinquent encore. mais valeryane le sait, eux non plus ne vont pas tarder à s’effondrer.

valeryane, elle n’en peut plus d’être sollicitée, alors elle a préféré s’éclipser. là voilà qui, dans sa jolie robe blanche, le blazer par-dessus les épaules pour se protéger du froid, pousse doucement la porte du balcon.

“bonsoir.”

la salutation est murmurée, étouffée, comme face à un animal que l’on souhaite apprivoiser. parce que tout en haut de la tour, au sommet de l’île et au sommet du monde, alors qu’il suffit de tendre le bras pour cueillir quelques étoiles, valeryane n’est pas seule.
il y a un homme.
il y a cet homme.

“j’espère que je ne vous dérange pas. j’ai besoin de m’échapper de cette interminable soirée.”

elle a le sourire sur le bord des lèvres et les yeux qui se plissent. valeryane n’a pas peur de se présenter en fausse martyr. c’est sa soirée, après tout, et il serait malvenu de sa part de la qualifier aussi péjorativement. mais la politesse et la bienséance, valeryane n’en a que faire, valeryane les plie à sa volonté.
la voilà installée au rebord du balcon, les bras croisés sur la pierre froide et la poitrine qui s’y cale. elle ne regarde pas l’homme, elle l’a suffisamment observer avant. valeryane fixe le ciel, comme s’il n’y avait que ça qui comptait. comme s’il n’y avait que ça qui n’avait jamais compté.

“alors ? qu’est-ce que ça fait d’être le frère de l’héritier chanteloup ?”

elle la le ton joyeux et la plaisanterie bienveillante, mais les mots sont précis. parce que malgré tout, malgré la désinvolture et la tête dans la lune, elle sait qui il est.
mortimer chanteloup. le frère de désiré chanteloup, héritier des chanteloup et propriétaire de l’hôtel le plus célèbre d’arc-en-terre.
le prince avait accueilli les invités dans un discours sobre et s’était mélangé à la fête. personne n'avait pu le manquer puisqu’il avait attiré tous les regards. mais valeryane, ce n’est pas vers ce fameux désiré que son regard s’était porté. valeryane, elle avait remarqué le chevalier, celui qui restait silencieux à ses côtés.
et c’était lui et lui seul qui l’avait attiré.

valeryane elle ne sait pas trop y faire avec les sentiments humains, les émotions des autres. le leure se maintenait depuis quelques années, mais le chemin avait été long. adolescente dans son monde et désintéressée de tout, elle se fichait bien de la portée de ses mots et du regard des autres. les codes sociaux, les choses à dire, elle ne les avait acquis que bien plus tard, lors de son cursus à l’université. valeryane avait toujours été bonne élève alors corriger les mauvais traits et son impitoyable caractère n’avait pas été très difficile. l’illusion qui n’en était plus une était parfaite, et valeryane apparaissait aux yeux de tous comme douce, extravertie, à l’écoute et bienveillante.  si c’est ce qu’elle était effectivement aujourd’hui, rien de tout cela n’avait été inné et le chemin avait été long. et lorsqu’on creusait un peu plus dans les entrailles de son esprit, lorsqu’on finissait par remarquer que valeryane écoutait mais ne parlait jamais, alors là peut-être pouvait-on toucher du doigts la dualité de son être.

“tant mieux.”

elle sourit, étouffant ses envies de murmurer que ce n’était pas tout à fait la question. mais valeryane fait des efforts pour que sa franchise s’étiole pour ne jamais brusquer. elle comprend également l’implicite de la réponse de l’homme, qui souffle doucement que non, sa présence à elle ne le dérange pas.

“hm… beaucoup d’animas rêveraient d’être à sa place, ou du moins être l’objet de son attention.” les yeux roulent machinalement alors qu’elle repense à ses copines de fac au début de la soirée, bien trop émue de voir désiré chanteloup apparaître. valeryane se serait cru au collège.  “je ne comprend que trop bien la volonté d’échapper au feu des projecteurs !”

elle lui sourit, se tourne enfin vers lui. valeryane encore un peu connectée au commun du mortel, les pieds sur terre et la tête encore à l'abri des étoiles. mais le départ en orbite est proche et l’appel du cosmos est toujours trop fort pour pouvoir lui résister. mais pour le moment, elle tient bon. son regard se pose d’abord sur son visage, sur ses yeux.

“la thèse, pas le mémoire. c’est un peu plus long et stressant. ça y ressemble sauf que ça dure trois ans.” elle rit, pas fâchée le moins du monde qu’il ait confondu. les longues études universitaires sont toujours compliquées à expliquer. valeryane est surtout contente qu’il s’y soit intéressé. c’est une douce surprise. “ce que ça fait…”

il échappe à son regard alors qu’elle revient naturellement se perdre vers le ciel. si beaucoup ont tendance à baisser la tête pour réfléchir, valeryane, elle, a toujours regardé vers les hauteurs.

“c’est satisfaisant. comme la sensation d’avoir achevé quelque chose de grandiose… mais à son échelle, puisqu’il est probable que ça n’affecte que peu de personne en réalité.” mais ça ne lui fait pas perdre son sourire. valeryane ne l’a pas fait pour les autres, pour la science ou pour sa maison. elle l’a fait pour elle. “je me sens tout à coup grande, adulte, forte ! je suis docteure, et ça sonne aussi étrange que grandiose quand j’y pense… je ne réalise pas encore tout à fait !”

c’est nébuleux et valeryane n’est pas sûre que l’homme la suive dans ses élucubrations philosophique sur le titre de docteure en astrophysique fraîchement décroché. mais valeryane est fière, fière de ce qu’elle a accompli et fière d’elle. ça se ressent dans son sourire et dans la lumière de ses yeux.

“et vous ?”

parce qu’elle n’aime pas trop être sous les feux des projecteurs trop longtemps. alors il faut vite repasser la balle et détourner l’attention, renvoyer la conversation sur son interlocuteur pour reprendre un rôle d’observateur.

“qui est vraiment mortimer chanteloup ?”

elle quitte une fois de plus ses étoiles (a)dorées pour le regarder. la curiosité et l’attrait qui font converger son regard vers un homme et non pas le ciel.

elle le dévisage, le regard curieux. valeryane à l’habitude de lancer ses remarques, de parler franchement, se pointer du doigts les détails qu’on ne remarque pas. mais elle n’a pas l’habitude qu’on lui rende la pareil. alors à la remarque de l’homme dans la nuit noire, elle ne peut s’empêcher de rire.

“en effet ! j’ai toujours préféré être celle qui observe que celle qui est observée.”

le ton est tout à coup jovial. si valeryane donnait déjà l’impression de jouer dans les premiers échanges, cette fois c’est beaucoup plus marqué. c’est un peu moins dans l’ombre.. pour la première fois de la journée peut-être, la dame à enfin trouvé quelque chose lui piquant sa curiosité. pour la première fois de la soirée peut-être, valeryane s’amuse enfin.

“merci.”

c’est tout ce qu’elle répond. valeryane, heureuse ? elle ne s’est jamais vraiment posé la question. il semblerait que ça coule de source. épanouie, elle sait qu’elle l’est. mais le bonheur, c’est trop abstrait. elle n’a jamais rencontré la moindre difficulté lors de sa vie, que ce soit l’enfance, l’adolescence, ou l’âge adulte. alors sans malheur, est-ce qu’on peut vraiment comprendre le bonheur ? ou est-ce que valeryane s’en rendra compte lorsqu’il lui échappera enfin des mains ?

“ça vous donne une bonne excuse pour ne pas mettre de cravate, mais de porter des noeuds de papillons alors.” elle sourit. “vous vous dépréciez, monsieur chanteloup.”

valeryane ne comprend pas pourquoi il dit que ce n’est pas passionnant. valeryane ne comprend pas pourquoi il faudrait toujours que tout soit exceptionnel, luxueux et grandiose pour mériter l’intérêt des autres.

“et du coup ? quel est votre lépidoptère préféré ?” elle, c’est le morpho bleu. “il y a une nébuleuse qui y ressemble. la nébuleuse ngc 6302, aussi appelée nébuleuse du papillon… un nom bien plus sympathique que le premier, si vous voulez mon avis.”

valeryane regarde une dernière fois les étoiles, accoudée sur la rambarde du balcon, comme pour leur dire au revoir. comme pour s’excuser tout en promettant qu’elle reviendra les voir bientôt. et quand elle a fini, sans savoir si sa contemplation à duré une seconde ou une minute, elle se tourne enfin. son corps vient s’adosser et les bras se croisent sur son ventre. elle contemple mortimer chanteloup, les sens en alerte et l’âme qui vibre. valeryane sait reconnaître ceux qui vivent tapis sous la surface de l’eau.

“et vous, entre la chasse, les papillons et les cravates mal nouées… vous êtes heureux ?”

elle a aussi toujours préféré être celle qui pose les questions que celle qui les reçoit. elle a encore mille interrogations à son sujet. ce que ça fait de chasser, sa couleur préféré, son style de musique et ce qu’il aime manger au petit déjeuner. valeryane, elle songe qu’il n’y a que comme ça qu’on apprend à vraiment connaître quelqu’un. pas en demandant son âge, son métier ou son salaire. seuls ceux qui ont perdu de vu l’essentiel pensent pouvoir connaître les autres comme ça.
mais pas valeryane.
valeryane elle aime ce qui est atypique, ce qui va à contre-sens.
ce qui est différent.

la question est pertinente et arrache même un sourire à valeryane. l’homme à du répondant et du mystère. tout ce qu’elle aime. elle plonge ses yeux dans les siens, se perd dans les iris ébènes qui ressemblent aux siens. elle laisse planer le silence, ne répondant à la question que par sa bouche qui s’étire et ses yeux qui brillent. c’est mieux ainsi.

“c’est une solution également.”

elle rit. après tout, pourquoi pas ? être obligé de toujours s'affubler des plus beaux habits pour les grandes et petites occasions a quelque chose de drainant. valeryane préfère la liberté alors valeryane comprend.

“elles vous vont bien, alors.”

elle ne le connaît pas encore vraiment, ce mortimer chanteloup. elle a pourtant l’impression que si c’est que savoir quel est son papillon préféré et savoir qu’il préfère ne pas porter de cravate, ça en dit déjà beaucoup sur un homme.

“hahaha. merci beaucoup.” elle prend ça pour un compliment. “tant mieux alors, je me destine à enseigner. c’est une bonne chose que de savoir transmettre une passion.”

le clin d'œil fuse. des tutorats, des cours et des travaux dirigés, elle a eu le temps d’en donner pendant son doctorat. elle sait qu’elle arrive plutôt bien à expliquer, transmettre, et partager.  elle écoute sa tirade sur le bonheur et sur la mort; s’il semble être un peu plus réfractaire à la discussion, le tout est contrebalancé par le fait qu’il ne détourne plus les yeux.

“sans doute, oui. je pense qu’on ne se rend compte du bonheur qu’on avait qu’une fois perdu.” ça ne lui est jamais arrivé, à valeryane. mais elle peut très bien imaginer la sensation que tout s’effondre et d’être au bord du gouffre. “je suis contente d’avoir ma thèse, mais est-ce que je suis vraiment heureuse pour autant ? contente, satisfaite et fière… sans doute, oui. mais je n’ai jamais vraiment eu de problème ou de difficulté dans ma vie, donc je tends à penser que c’est là l’ordre naturel des choses… je ne sais pas si je suis heureuse, mais je suis pleinement satisfaite de ma vie.” valeryane a la force d’ouvrir chaque porte qui se trouve devant elle. elle finit par soupirer.  “peut-être bien… ou peut-être pas ! qui sait ce que l’avenir peut nous réserver”

elle sourit encore. une rencontre inopinée un soir d’été, des rires par delà les étoiles… il y a encore mille choses à découvrir, et c’est peut-être ça qui est beau.

elle l’observe encore un peu, le sourire toujours dessiné sur son visage pâle. valeryane sent enfin son intérêt augmenté après une soirée certes grandiose, mais barbante sur la fin. alors qu’est-ce qu’il y a de mal à vouloir jouer un peu ?

“et danser, vous aimez ?”

elle n’hésite pas. valeryane n’a jamais hésité avec les autres. franche et directe, mais douce et bienveillante. elle part du principe qu’il n’y a pas de questions indiscrètes, juste des réponses non voulues. et les “non”, valeryane n’a pas peur de les encaisser, elle n’a pas peur d’oser.
elle n’a pas peur de danser.

alors elle se décroche du muret pour faire deux pas en avant et se planter devant mortimer chanteloup, le sourire aux lèvres et la robe qui flottent au vent.
et alors, elle lui tends la main.
c’est une invitation.
pour cette terrasse ou sur la piste de danse, pour la dame c’est sans importance.

valeryane n’est pas née noble. bien sûr, elle n’est pas née dans ces familles où l’argent manque, où il faut se serrer la panse, où la misère guette à chaque coin de rue, où les parents courbent le dos pour survivre aux impôts. d’une famille de classe moyenne, voir même aisée, valeryane n’a jamais connu la moindre difficulté financière, l’accès à la culture ou le droit de rêver.
pour autant, elle est née bien loin d’un héritage, petit comme le contenue du compte en banque d’un parent, ou plus gros comme l'entièreté d’un hôtel au beau milieu d’arc-en-terre. elle est née bien loin des arabesques et des armoiries qui brillent sur les couverts ou sur les meubles. elle est née bien loin des robes de velours et des costumes trois pièces qui accompagnent les coupes de champagne lors des soirs d’été.

“ah bon ?” elle rit. la noblesse dans l'enseignement ? peut-être. mais valeryane n’est pas sûre que ce soit vraiment noble à partir du moment où elle le fait pour elle. ce qui l’intéresse, c’est surtout la recherche. l’enseignement est une bagatelle qui va avec. c’est plaisant, mais ce n’est pas le coeur de la passion. “tant mieux alors. il faut maintenir l’illusion.”

elle fait un clin d’oeil, puis parle en mystère parce que la conversation commence à ne plus l’intéresser autant qu’au début. et c’est tant mieux, parce que la main de valeryane est toujours tendue face à un homme à la moue tordue. mortimer chanteloup à l’air d'hésiter, de ne pas savoir quoi répondre ou quoi faire. valeryane ne peut pas comprendre car ce n’est une situation qu’elle connaît: ne pas savoir comment être, comment agir, comment occuper l’espace. cependant, ce qu’elle aime l’observer.

“ce n’est pas un soucis.”

elle est rassurante comme elle peut, et le sourire s’illumine d’un rire naissant alors qu’il finit par accepter, résolu. c’est une sage décision qu’il prend. en cas de débat, elle aurait sûrement gagné. elle le sait.

“je peux guider, si vous voulez.”

tant pis pour les connivences. l’homme le cavalier et la femme qui suit, valeryane vaut mieux que ça. mais l’homme lui prend la main, pose l’autre sur sa taille et valeryane s’installe quant à elle sur son épaule. sous le costume, elle peut sentir la musculature qu’elle finit de deviner. dans sa main tenant la sienne, elle sent les mains calleuses et les doigts effilés.

et les voilà qui danse.
seuls sur le balcon.
la valse des étoiles.

ça dure un instant ou une heure, valeryane ne sait pas. elle se contente de sourire, le regard qui fixe son compagnon du soir sans jamais baisser la tête, avec une intensité telle qu’elle pourrait presque lire dans son âme.
et finalement la mélodie s’arrête et les pas commencent à se désynchroniser, cessant de suivre les quatre temps. les corps qui se balançaient semblent commence doucement à regagner leur équilibre stable, et petit à petit, la main glisse pour quitter celle de l’autre.

“vous vous débrouillez plutôt bien, finalement.”

elle rit encore avant de le libérer définitivement.
c’est qu’elle aurait presque cru le prendre en otage.
valeryane s’étire sous la nuit comme la lionne qu’elle n’est pas.
avant de détourner le dos et de se diriger vers la porte pour s’éclipser.

“je vais me prendre un dernier verre, et probablement retourner parmi le commun des mortels. mais merci pour cet interlude nocturne.”

elle lui sourit.

“la prochaine fois, si vous passez par ithloréas, on ira nager.”

parce qu’elle en est sûre, il vient de l’eau lui aussi.
c’est une proposition sans choix, mais il espère qu’il passera.
dans tous les cas, il a son nom et son prénom, s’il le souhaite, il la trouvera facilement sur les réseaux sociaux.
de même pour elle.