De tous les défauts dont on l’accable, être une balance n’en est pas un, bien que la langue ait parfois glissé pour révéler les secrets honteux dans un élan de vengeance, l’envie de blesser plus forte que la loyauté. Mais il ne voit aucune raison de vouloir planter ses griffes dans la sirène, déchirer sa petite réputation en mille morceaux comme un enfant qui s’amuse à arracher les ailes des libellules, alors il scelle ses lèvres d’un geste et lance la clef dans l’océan. De toute manière, ça ne restera pas un secret bien longtemps.
La nouvelle continue de faire vaquer ses pensées, n’arrivant résolument pas à se faire à l’idée, ne pouvant s'empêcher de se projeté dans cette situation. Ce serait une catastrophe, vraiment, de le rendre responsable d’un enfant pour plus de quelques heures, assurément un coup à modeler un horrible être humain. “Mh… Probablement.” Il hausse les épaules, n’aime pas trop se projeter dans les débuts tumultueux de son adolescence. Personne ne l’a forcé, n’est-ce pas ? Sa mère a juste voulu entretenir son intérêt, un passe-temps d’enfant qui est devenu une vocation en passant à travers la moulinette de la rébellion, nourrit par ce qu’un psychologue qualifierait d’expériences traumatiques. Lui, il n’y voit qu’une série de hasard, peut-être une pointe de destin, comme un fil rouge qu’il a attrapé étant enfant et qui allait toujours le mener vers cette voie. “J’me suis jamais posé la question, en réalité. J’ai juste fait ce que j’ai toujours fait.” Une simplicité totale ou un manque d’intérêt pour ce qui sort de cette passion, le seul goût d’une autre facette du monde du travail a été les quelques petites combines dans lesquelles il a participé pour arrondir les fins de mois. Et pourtant, peut-être aurait-il pu prendre goût à l’arnaque, comme certains de ses vieux amis.
Il ne pense pas que c’est ce que sa mère aurait espéré en l’élevant.
(est-ce qu’elle aussi, elle lui avait imaginé une vie avant de le rencontrer ?)
Le défaitisme de la jeune femme le fait sourire. “Ce n'est aussi pas absolu.” Pas de quantité à mesurer ni de temps à respecter, de feu à surveiller ou d’ingrédient à ne pas mélanger. Même s’il existe absolument des gens cliniquement incapables d’ouvrir leur esprit à l’art, on ne peut réellement fauter ceux qui ne savent pas traduire ou comprendre leur ressenti. Mais il est certain que cela rend presque impossible de transmettre sa sensibilité à autrui.
A moins de savoir soi-même créer.
A l’instant, pourtant, c’est lui qui ne sait ni comprendre, ni exprimer ce qu’il ressent. Les murmures de la sirène remue la mémoire, fait ressurgir plus des épaves de cette soirée tumultueuse; les yeux noisettes embués scintillant sous la lumière du lampadaire, les mots trop flou pour être distingués mais marqués par l’émotion, le ciel si noir qu’il ne fait plus qu’un avec la mer derrière elle.
Oui. C’est tellement joli, les filles émues.
C’est aussi beau que l’éclat vermeille contre ses joues caché sous l’ombre de son chapeau.
Quel magnifique tableau que celui de Tatiana.
Un rire, encore, qui vient et repart comme le ressac pour ballotter sa silhouette, à la fois aussi doux que violent. “Ça vous arrangerait bien, une babysitter.” Il aime déguiser l’attendrissement en accusation, parer les douces attentions de couleurs cyniques. Lui qui abhorrerait de jouer les nounous ne rejette pas l’idée, bien au contraire. “Je ne crois pas être le meilleur modèle pour une jeune fille.” Le vocabulaire trop grivois et les manières trop rustres pour une si délicate chose; si on ne lui a jamais laissé approcher sa cadette, ce doit être pour le mieux. Quelle horrible influence il ferait.
Et pourtant les mots sont jetés dans la plus grande insouciance. “J’imagine que j’ai quelques mois pour me préparer.” Aussi léger que le cœur, vierge de toutes médisances. Quelle terrible idée qui vient ainsi réchauffer l’égo meurtri du petit enfant mis de côté. Mais il s’y cache une malice qui transparaît dans son sourire lorsqu’il se retourne vers elle, ses pas guillerets l’ayant menés plus proche encore de l’eau azure. “Mais je ne le ferai que si vous posez pour moi.”
Ses doigts forment un cadre, enferme la sirène parée de lila dans une composition parmi tant d'autres, ce qu’il veut immortaliser d’une manière que même les embruns de l’alcool ne pourront pas lui prendre.
Standing on the beach I dream about the ways that I could reach the sun upon your facevivenda
the art of eye contact
C’est curieux, la désinvolture. L'harmonie des épaules balance pour balayer le souci d’approfondir. La tête penchée, Tatiana (en cloque) observe assidûment le masque d’ivoire. Il manque un ou deux traits de liqueur sucrée pour que les rouages y tournent sans esquinter les humeurs. Au bout du cheminement de la réflexion, il dit. Faire ce qu’on a toujours fait. Une vie circulaire où les pieds creusent le contour régulier et protecteur des habitudes. La familiarité du concept hoche le minois doucement. Quel délice d’avoir toujours eu une routine à laquelle se greffer même dans les pires moments. Il paraît que Micheletto (plus elle en sait moins elle juge) a aussi des constantes. Pas cardiaque. Pas imposée. Juste le vrac d’un set de pinceaux aux relents de camphre comme une ancre dans le réel ou au contraire la seule manière de s’en évader. Tatiana (en cloque), la pointe des souliers soigneusement écartée d’un galet, ne prétend pas savoir. Les lèvres meuvent des C’est étrange comme formulation. Je crois que je comprends. Oui. Tatiana (toutes les versions) comprend qu’entre les ongles dédoublés par la javel de l’entretien rigoureux et les crevasses sur les phalanges infligées par la spatule effilée, il y a une histoire de toujours, la démarcation d’une obsession et le relief de la persistance. Les bâtonnets de la menuiserie des voiliers tanguent imperceptiblement au rythme de la désillusion pour une fibre quelconque si ça dépasse la notion d’utilité. Ce n’est pas aussi absolu. Il a raison. Il doit y avoir dans le refus catégorique de Tatiana à vouloir entrapercevoir un espoir, ses origines ouvrières cachées tout le long de sa scolarité à l’Académie, la peur d’échouer et les conséquences d’une humiliation parmi des initiés. Pour se distraire, Tatiana cherche le boîtier des lunettes de soleil et se pare des verres teintés classiques. La monture remontée sur l’arête du nez, elle acquiesce un rire tendre, travaillé pour sonner clair sans interrompre les conversations. Il fait écho à celui de Qaderi (comme les œuvres trop chères pour elle) et la brune imagine que de loin, ils doivent former l’image de vieux amis réunis par le hasard des divagations sur le bord de mer. Les appréhensions semblent superflues maintenant qu'ils donnent l'empression de se connaître. Aussi la manière qu’il a de ne jamais dire oui de front, ce qui est absolument ravissant chez un homme, d’après ses critères. Comment vous y aller… Un nouvel éclat sectionne la phrase, les mirettes franchement amusées. Oui. Vous avez quelques années avant qu’elle sache lire la presse. Les ridules élargissent encore le sourire espiègle. Les phalanges viennent s’imbriquer derrière la chute des reins. Avec un pincement des lèvres mutin, Tatiana ajoute. Même si je suppose qu’elle admirera votre audace malgré tout. Le souffle se coupe, à la mention de. Poser pour lui. Les sourcils esquissent un bond prodigieux à froisser tout le front comme du papier brouillon. Dans le cadre resserré inventé par Micheletto, avec un pas de recul, il y a toute la perplexité d’être prise au dépourvue, un instant de flottement et sans doute la traversée du ballon de plage qu’elle a senti rasé son échine. La bouche s’ouvre et ferme dans le schéma aquatique de chercher l’air et les mots de façon désordonnée. La dernière fois qu’elle a posé, Tatiana (la nouvelle tête) faisait plaisir aux lubies de Medhi (le cancre) et l’appareil photo dernier cri offert par ses parents. Défais les boutons. Baisse les yeux. Penche la tête. Tire les pans de la chemise. Soupire doucement. Retient le souffle. Allonge toi. Serre les poings. La litanie des impératifs et le clic répétitif de l’objectif, où la nouvelle tête (Tatiana), docile comme une poupée, laissait les clichés l’immortaliser pour une éternité plus courte que ce dont elle avait rêvé. Ensuite, il avait dit avoir tout développé, que c’était du grand art, mais qu’il ne lui montrerait jamais et elle avait acquiescé, tout simplement, sans chercher une seconde l'opposition. La brume du souvenir écrase contre les parois et la saisit d’effroi. Combien de temps a duré l'égarement. ...Excusez-moi. Pour être certaine. Vous souhaitez que, moi, je pose pour vos peintures ? A haute voix, ça devient réel, et la pointe des oreilles brûlent. Les écrevisses n’ont rien à lui envier. Dans le détourage des phalanges, il y a sans doute quelque chose que Tatiana n’a pas vu finalement, quelque chose qu’il a peut-être inventé et quelque chose qu’elle aimerait connaître. Hésitante sur le bien-fondé de donner une réponse, Tatiane se prononce à tâtons. J’ai des amis plus jolies, d’autres plus osées et certaines bien plus singulières. Vous êtes certains que ce ne serait pas plus intéressant pour ce genre…. d’exercice ?
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Micheletto C. Qaderi
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Jeu 8 Sep - 20:49
The mood of the sea changes quickly just like me
Il est bien vrai qu’un enfant nouveau-né ne risque pas de pouvoir saisir toute la nuance de l’art; et pourtant, Micheletto, aussi peu entouré de marmots qu’il l’est dans la vie de tous les jours, n’est pas étrangé au fait qu’ils grandissent en un clin d’oeil. Mieux vaudrait pour lui être prêt trop tôt que de se laisser avoir par la course effrénée du temps.
Le commentaire fait jaillir le rire à nouveau, plus puissant encore que les vagues s’éclatant contre les rochers. “Du moment qu’elle ne l'imite pas.” Elle appelle ça de l’audace, beaucoup ont préféré culot, impertinence, indécence même ! Mais ce n’est qu’une question de point de vue, n’est-ce pas ? Le genre d’opinion qu’elle peut encore tenir de lui car elle n’a pas encore été noircie par ses caprices.
Mais il est dur de se perdre dans des et si lorsque l’on est si profondément buté, effronté même face à la vie. Non, tout ce à quoi il pense présentement, c’est la façon dont il pourra exploiter ses traits, quelle figure céleste lui imputer. Il aime les tons doux sous ses yeux, songe même à délaisser ses indigos et outremer habituels pour le contraste charmant du cramoisi contre le drapé parme. “Pour quoi d’autre ?” Le sourire dévoile les dents et pendant un instant, le petit rat a tout d’un véritable carnassier. La question est volontairement provocatrice, cherche à vivifier les nuances sur le minois de la noiraude. Mais sa réticence le force à calmer les railleries, être un peu plus sérieux; on pourrait même dire qu’une pointe de vexation se faufile sous sa bonne humeur. “Vous pensez vraiment que c’est ce que je recherche dans un modèle ?” L’inspiration n’a pas à se justifier, elle frappe où elle le désire, quand elle le désire ! Et si la sirène ne peut pas voir ce qu’il voit en elle, c’est une raison de plus pour la soumettre à l’exercice.
Les pieds avalent vivement la distance entre eux, resserrent le cadre alors que le regard se fait on ne peut plus intense, cherche les yeux marron derrière les verres teintés. “C’est vous que je veux peindre, Tatiana.” La façon dont son prénom roule sur sa langue lui plaît, lui donne envie de le dire encore et encore et de ne plus jamais s’encombrer de son nom de famille. “Et j’ai déjà essayé de tête, c’était médiocre, pas du tout à la hauteur de l’original.” Surtout maintenant qu’il l’a sous les yeux pour comparer: il commence même à trouver son premier jet de la sirène encore plus loupé que le fiasco qui lui a coûté son poignet. Vraiment atroce.
Son assurance finira par le perdre, mais pour le moment, il est bien trop obnubilé par son projet pour le réaliser. “Si c’est le transport jusqu’à Glendower qui vous préoccupe, tout sera pris en charge.” C’est dit avec trop de désinvolture pour un homme encore incapable de peindre pour payer son loyer, et avec bien trop peu d’attention pour les préoccupations de son futur modèle. “Passez donc au début septembre.” C’est décidé: il lui laissera l’adresse de son studio avec le tableau, trouvera bien un stylo à piquer à Drauss pour la noter quelque part, libre à elle d’accepter l’invitation.
Il se retourne tout de même vers la noiraude, lui offre son bras avec toute la nonchalance du monde. “Je vous raccompagne à la galerie ?” Quel gentleman, vraiment. Il ne manque que quelques coups de ciseau sur la frange trop longue et des vêtements convenables pour presque être convaincant dans ce rôle -pour peu qu’il se taise, bien sûr.
Standing on the beach I dream about the ways that I could reach the sun upon your facevivenda
the art of eye contact
Au port d’Ithloreas, où les filles s’animent dans des paréos multicolores, la grossesse de Tatiana (un secret de Polichinelle) est un ponton vers de nouvelles retrouvailles qui se passe de l’enlacement du bois flotté. Un instant décousu se tisse entre la bouche ouverte trop grande et le déballage des cils fardés de stupeur. Les lubies s’arrondissent en insolence sous la langue de l’artiste. Les mots se détachent sur les canines où le zénith tapant réverbère des éclats brillants. La surprise embaume l’air salin d’un avant-goût de stupeur qui roule le long de la gorge jusqu’à moirer corail même les pommettes de la brune. Tatiana (en cloque) abandonne la voltige des doigts. Les phalanges se chevauchent avec timidité quand les mirettes lurent sur les dalles dans une pudeur familière. Un bref sourire éclaire le menton en cœur pour arracher une poignée de secondes à la réflexion. Le bon ton ça ne s’invente pas. Le hasard est la variable maîtresse des vies enrouées par la monotonie. A moins d’un mètre, il y a le mine résolu de Micheletto, ses yeux chargés d’une intensité presque impolie et un timbre de voix sûr. Le genre de confiance qu’elle a déjà admiré sur le petit écran. La belle assurance des hommes de la fiction est un panache que l’artiste semble s’être approprié. Tatiana (en cloque) s’émeut. Les notes et même le trait d’humour font sauter quelques battements de la cage, au point de porter une main modeste sur le plexus. Elle murmure. Et bien… Je suis… flattée Sous le court emballement cardiaque, il y a un grand désordre qui empêche les mots de se dérouler comme du papier musique. Pour faire illusion, Tatiana (en cloque) étire le sourire, les épaules jetées vers l’arrière dans un air pensif. Je ne vois pas comment je pourrais refuser dans ces conditions. Le rire sage laisse à peine entrevoir les incisives quand la gorge se déploie doucement pour balayer les dernières traces de l’embarras. Les iris posées sur le peintre détaille les expressions pour y chercher la farce. La situation lui semble surréaliste. Un conte où les ivrognes recherchent leur muse dans des tavernes et les retrouvent le long de la balade la plus touristique de l’île. Il y a dans l’histoire, même pas romancée, une magie que la brune a toujours aspirée. Le charme opère sur ses traits une excitation enfantine qu’elle ne se connaît désormais quand la présence du peintre et un gloussement déborde. Tatiana dit. Je vous laisse me guider. Sans le capiteux d’un mauvais rouge pour affadir les contours des sensations. Sans l’obscurité de minuit pour camoufler le portrait désuet de Michelana (Micheletto et Tatiana). Le déjà-vu se prolonge sur la rive et sous le crâne embrumé par les contrastes de Quaderi qui ressemblent à une poésie ou un art de vivre.