Un peu de chamaillerie au bord du lit défait, Maxine a l’air grognon qui fond, les sourires un peu crispés qui finissent par se libérer du joug de sa mauvaise humeur continue. L’exercice dans les jardins a parfois cet effet, délier sa langue du sac de noeud noué et renoué chaque matin pour ne pas avoir à sympathiser, garder son air aigri pour la vie et les sourcils si froncés qu’elle pourrait les redessiner. Les muscles (encore presque inexistants) dénoués par l’effort, la course et les tractions qu’elle peine à effectuer jusqu’au bout. Elle triche parfois, en fait 5 de moins quand Désiré ne regarde pas car le grand roi ne regarde pas toujours, fâcheuse manie à se perdre dans sa propre folie.  

Le coup de coude en retour lui fait presque recracher ses œufs. Regard mortellement amusé au petit prince afin d’engloutir son plat à la vitesse de la lumière. Maxine, elle veut goûter à tout, s'enivrer des bons petits plats qu’elle n’a pas l’habitude d’avaler. C’est certain, ça lui change du surgelé. Elle le regarde d’un oeil étrange mélanger des aliments pour elle incompatible, un peu curieuse quant à l’âme de l’autre. Assurément pas un gros prédateur comme son père, elle aurait senti le danger dès les premières secondes ; frisson de peur et larme de sang.

Maxine se penche, attrape une grosse tranche de pain et croque dedans comme si le plat d’avant ne lui avait pas suffit. La bouche pleine, elle hausse les épaules et se contente de marmonner. “Chétait une preuve d’acheptation che crois.” La lame dans la chair, définitivement. Elle finit par avaler, fixer les iris pâles en secouant la tête. “J’en sais rien, j’ai cru que t’étais un peu limité... ou fou.” elle englobe le raton d’un geste de la main. Ne pas agacer le fils débile de l’héritier fou, ça sonnait bien sans sa tête. “Mais maintenant que je te parle, j’me rend compte que je me suis trompée.” Maxine, elle ne veut pas avouer pour les entrainements. Si elle feint la bêtise, elle est loin d’avoir laissé ses neurones à la maison. Désiré ne veut pas que l’on parle des entraînements c’est évident, et donc de la fosse, alors Maxine en bonne petite pie avide de revanche, n’en parlera pas. Maxine, elle ne jouera pas le tournant de sa vie pour un gosse qui pose trop de questions et mange n’importe comment.

Lorsque les seconds plats arrivent, la blonde se sert copieusement des légumes farcies jusqu’à en faire presque déborder le jus de son assiette. Peut-être tâche-t-elle un peu les draps au passage. Elle ricane, suivant néanmoins le conseil pour délaisser la fourchette, s’attaquant à son plat avec les doigts, mettant du jus de partout. “Ouai non t’as rien d’un petit prince, on dirait un gamin des rues. T’es sûr que Désiré c’est bien ton père ? Il est toujours classe lui.” Toujours bien beau dans ses chemises étranges.

Une seconde d’hésitation à peine avant de mentir effrontément. “J’bosse à Ithloreas au casino, trop cool comme job.” Parce que se casser le cul à l’usine, c’est nettement moins classe et Maxine, peu importe que le temps passe, elle n’assume toujours pas. Un gros morceau d’aubergine mordu à pleine dent, elle continue. “Et toi tu veux faire quoi plus tard ? Tu vas reprendre l'hôtel ?” Car après tout, c’est ce que font les héritiers n’est-ce pas ? Maxine elle, elle rêvait de pouvoir reprendre les bijouteries Dupuy, donner des ordres et se perdre dans l’éclat des cristaux. Si le souvenir la rend triste, elle n’en montre rien et mange avec encore plus d’entrain. Pleurer, c’est pour les faibles.

Hector, il a les manies pas trop pompeuses, rien du petit héritier Chanteloup. Hector, il n’a rien des petits princes, les os trop fins, les canines aiguisés trop occupées à ronger jusqu’à l’os ce pauvre poulet. Maxine a les pieds qui s’agitent d’amusement, l'hôtel Chanteloup regorge de pièces cachées, de placards fermés à clé et de raton à amuser. Désiré oublié pendant quelques minutes, probablement furieux de la voir filer en douce pendant l’entraînement mais la faim ça n’attend pas et son estomac aura toujours plus d’autorité sur elle que Désiré ne le pourra jamais.

Maxine toute concentrée a les sourcils froncés, les petites dents enfoncées dans son morceau d’aubergine qu’elle se dépêche d’engloutir avant que tout ne lui coule sur les doigts. Elle grogne, s’insurge un peu. “T’es trop petit pour jouer les cupidons, qu’est-ce que t’y connais à l’amour ?”  Rien probablement, et elle non plus d’ailleurs. Mot tabou, elle ne veut pas en parler, ne veut rien avoir à ressentir. Ça picote les entrailles, l'amour (apparemment), ça foudroie les cœurs et fait dérailler les neurones. Ça délaisse la raison pour s’envenimer de chaos. Et Maxine, elle a besoin de toute sa tête pour ce qu’elle a à faire, toute sa rage, toute son impartialité. Elle se penche pour attraper un morceau de viande.  “Laisse tomber j’tiens pas plus que toi à devenir ta belle-mère même si ça me ferait bien rire.”  Et elle ricane, engloutit le tout sans attendre. Elle a bien mangé la pie, se tapote le ventre avec fierté car ça fait bien longtemps qu’il n’a pas été aussi rempli de délice.

Les yeux printemps suivent les membres qui s’agitent de l’autre côté du plateau, essayent de ne rien laisser paraître.
“J’ai 21 ans, c’est bien assez grand.”  Pour se lancer dans la fosse, pour murmurer aux fantômes, pour se débrouiller seule sans jamais rien attendre de personne.

Piquée au vif, la pie se relève à son tour, sautille autour du plateau à la recherche de sa prochaine victime à dévorer. “Hm non j’y connais rien en littérature, j’ai arrêté l’école tôt. C’était plus pour moi.” Pas après les corps livides sous les linceuls, les jambes ballottant dans le vide. “Au casino ya du bruit, j’aime bien. Le silence me rend nerveuse.” C’est vrai, même si elle n’y travaille pas, Maxine à l’amour des grands espaces bondés, des bruits de roulettes, de jackpot qui s’annoncent, de cris quand les lenss sont perdus à jamais pour renflouer les poches des plus grands. Maxine sourit, dévoile les dents blanches avant de s’emparer d’un pilon de poulet. Plus loin dans les couloirs, il lui semble entendre du mouvement. Le poulet s’agite entre ses mains un peu indécises avec que la pie ne se décide à coller son oreille à la porte.  “Oooh j’espère que je ne l’ai pas trop énervé… faut pas qu’on me trouve ici.” La situation l’amuse pourtant. Elle se retourne vivement et effectue une parfaite révérence, poulet toujours baladé dans les mains.  “C’était un plaisir gamin, on se reverra peut-être un jour ! D’ici là j’serais peut-être devenue ta belle mère.”
Et dans ricanement peu gracieux, elle s’éclipse en refermant doucement la porte derrière elle.