Les couloirs sombres et le silence de plomb, bien loin des souvenirs colorés du manoir Dupuy au temps des beaux sourires, jolis soupirs. Maxine, elle ne pensait pas remettre un jour les pieds dans un lieu aussi grand et luxueux, les employés cachés dans les moindres recoins. Agacement au creux de la poitrine, ça tire fort et ça laisse la sueur de l'entraînement lui glacer l’échine, lui susurrer que c’est du passé et qu’elle s’y imagine encore.
Désiré n’y est pas allé de main morte, la pie fait craquer ses épaules en grimaçant, prenant soin de ménager son attelle au bras droit. Le bandeau censé immobiliser le bras donné par le médecin viré depuis longtemps, Maxine n’a pas besoin de se sentir autant démuni face à son mentor du moment. Il a râlé, comme d’habitude.
Maxine est nulle, Maxine ne jauge pas les risques, Maxine se fait briser les os comme un cure-dents oh comme c’est amusant.
Elle aurait dû s'en douter, pas de jour de repos même pour les blesser et hargneuse comme elle l’est, elle ne l’aurait de toute façon pas demandé.
Dans son short de sport et son sweat gris ample, les mèches follement colorées de ciel s’emmêlent dans son chignon brouillon alors que les yeux se plissent encore devant un énième couloir identique aux précédents. Ça la gonfle, Maxine elle veut trouver les cuisines, chaparder autant de pâtisseries qu’elle le peut et tant pis si le pauvre maître de maison doit se contenter d’une compote pour ce soir.

Pas de cuisine, pas d’employés, pas de Désiré exalté lui demandant de filer finir ses pompes et d’enchaîner par 10 tours de jardins. Non, il n’y a qu’un sale gamin pas fichu de tenir correctement sur ses pattes. La jeune femme ricane sans se cacher, offre un sourire prétentieux bien vite remplacé par des lèvres crispées. Un Désiré miniature, voilà donc le petit prince des lieux, fléau de son mentor.
Et qu’avait-il dit ?
Maxine tu lui parles, et t’es morte, morte morte morte.
Parce que les petits princes, ça ne se froisse pas comme du papier, ça ne mérite pas les gerbes ensanglantées. Les jointures éraflées par les coups, elle crispe les poings et le rire s’éteint.
Ok, aussi taré que le père.
Mais clairement moins mignon.
Un regard blasé sur le liquide entre leurs pieds et le verre éclaté. Un regard blasé sur le gamin devant elle suivit d’un claquement de langue réprobateur.
Promis pas un mot, promis, elle ne mourra pas aujourd’hui sous les coups d’un paternel possessif.
Promis, elle ne tient jamais ses promesses.

C’était pourtant presque gagné, mais voilà qu’il se retourne et qu’elle rougit comme une écrevisse.
“La nouvelle compagne de-” Elle s’étrangle à moitié, tousse dans son poings avant de se reprendre et de lancer son plus beau regard venimeux.

“C’est toi le mioche de Désiré ? Pas étonnant qu’il te montre à personne.”

Maxine elle, avec un gosse pareil, elle l’enfermerait à double tour et oublierait jusqu’à son existence, et tant pis si ça crève de faim comme un chien.  “Il veut même pas qu’on t’adresse la parole, d’après les rumeurs t’es un peu limité.” La pie se tapote le crâne du doigt pour mieux faire comprendre l’allusion. C’est vrai ça, ce gosse on ne le voit jamais, on ne l’entend jamais et il ne participe pas aux entraînements. Probablement un truc à cacher.

Maxine les sourires effrontés, elle les lui ferait volontiers ravaler, mâcher comme du charbon, la langue noire comme du poison. Les petits princes aux dents affutés telles un rasoir, ça dégouline de faux principes, d’ordres démesurés jusqu’aux chevilles un peu gonflées par la vanité.
Ne pas parler à l’héritier. Mais Maxine les ordres, elle s’y plie une seconde deux secondes et c’est déjà trop, ça démange dans les jointures crispés, l’envie d’exploser. La pie se serait bien passée d’une rencontre avec Hector Chanteloup car elle le sait, c’est son nom, barbant et ignorant. Se faire traiter de bonne ça ne lui plait pas, mais les insultes roulent sur elle comme des compliments si bien qu’un sourire surpris orne la bouche dans une parade exalté.

“Méchante ?”  La pie s’approche comme le prédateur qu’elle rêverait d’être, vient triturer le col du peignoir dans un air conquérant, railleur. “Franchement c’est la plus belle chose qu’on m’ait dite aujourd’hui ! T’inquiète pas à toi aussi on va te trouver une copine moche et méchante, c’est les meilleures !”
L’idée de s’imaginer avec Désiré, ça lui donne un peu chaud aussi préfère-t-elle ne plus y penser. Un pas en arrière et une main contre le cœur, faussement dramatique, la bouche en rond. “Trop d’émotion tu vas m’faire pleurer de joie là, stop les compliments.”  C’est dommage avec un éventail à proximité, Maxine aurait fait semblant de manquer d’air.

Revenue sérieuse en une seconde, elle baisse les yeux sur sa propre tenue en haussant les épaules, un peu perplexe.  “Quoi t’as jamais vu quelqu’un faire du sport ?”  Un regard vers le gamin.  “T’as les muscles atrophiés c’est ça ?”  Ça ne l’étonnerait même pas.
Limité et atrophié.

Le petit prince finit par s’éclairer un peu, rajuster le peignoir et prendre de grands airs qui il faut bien l’avouer, lui colle parfaitement à la peau. Un peu de solitude dans ce grand manoir aux portes battantes et courant d’air incessant, Maxine peut comprendre, elle qui crache sur tout et n’importe quoi pour une seconde de plus de tranquillité, de liberté gâchée par ses querelles endiablées, vengeance esseulée. Finir vieille fille ce n’est pas si mal, Maxine a les envies exaltés de rêves à retrouver, d’un autre à briser, châtier pour le mal qu’on lui a fait. Maxine, elle n’a pas le temps pour les autres, pas le temps pour les Yolène susceptible et Tatiana trop parfaite. Pas le temps de s’encombrer de ce qui lui plombe les os, corps lourds sur ses frêles épaules.

Hector, il attaque comme un chien enragé, une armée déchaînée ; petite moue sur le visage de la pie alors qu’elle lève les yeux au ciel. “C’est pas le concour de celui qui pisse le plus loin tu sais, j’crois qu’il me manque un truc à ce niveau là pour gagner.” Certainement pas la plus gracieuse et charmante des répliques. Maxine, elle n’a plus rien d’une petite poupée habillée de rubans par le paternel amoureux sous le regard sage d’une mère amusée. Elle finit par attraper une de ses mèches colorées, un peu mouillée par la sueur. “Tu trouves que j’ressemble à une punk ?” Nez plissé, ça, on ne le lui a jamais dit; elle les aime bien elle, ses couleurs extravagantes pour attirer l’attention qu’elle pense mériter.

Curieuse, la pie s’avance sans se faire prier dans la chambre, jette des regards ici et là dans tous les recoins, comme à la recherche de la moindre menace avant de se détendre un peu. Vu le spécimen, elle n’aurait pas été surprise de voir débarquer 3 gars baraqués pour lui faire la misère. Elle siffle, impressionnée par les yeux.
“C’est ta chambre ça ? Stylé.”

Plus grand que son minable appartement, Maxine est un peu jalouse et finit par s’avachir sur le petit sofa près du lit, soupirant d’aise. Tête renversée, yeux fermés. “Ouai, je cherchai les cuisines pour manger un truc.” Elle relève vivement la tête, persuadé qu’il se fout de sa gueule. “Sérieux, on peut commander des trucs ?? T’as qu’à demander toute la liste alors !” Son estomac se rappelle à elle en gargouillant peu gracieusement.

“J’m’appelle Maxine.” Un énième regard sur la pièce. “Ca doit être cool d’avoir un père avec autant de thune. Est-ce que tu fais exprès de casser des trucs et donner des ordres sans aucun sens ?” Car Maxine elle, c’est ce qu’elle ferait.

Les petites piques la font sourire, étendre les lèvres en ricanement peu élégant alors que les pieds s’agitent, que s’avachir ainsi dans le sofa des autres n’a jamais était plus satisfaisant. Maxine donnerait bien tout pour se retrouver à la place du propriétaire, se réveiller tous les matins dans des draps de soies sans risquer de dégringoler du lit au moindre mouvement. Tout pour ne pas avoir à entendre les hurlements du vent, grincements contre les volets écaillés. La pie a beau ne pas apprécier les petits princes bien lotis, enhardis par les beaux tissus sur la peau et brillantes bagues au bout des doigts, celui là elle ne peut s’empêcher de le trouver étonnement amusant.

Car au fond, c’est vrai qu’elle fait la gueule, c’est vrai qu’elle braille beaucoup. Et comme pour lui donner raison, le bas du visage se transforme rapidement pour laisser apparaître rien qu’une seconde le bec charbon des corvidés et qu’un jacassement sonore emplisse la pièce. Les pies, ce n’est jamais bien beau à entendre, ça piaillent et ça croassent à s’en faire saigner les oreilles mais heureusement pour Hector, tout cela ne dure pas longtemps et Maxine redevient aussi humaine que possible. Avant d’exploser de rire et de taper les pieds contre le sofa.

Le sérieux revenu, le sourire ne la quitte pourtant plus.“J’aime bien brailler.”
Haussement d’épaule. Elle écoute le gamin passer la commande, affichant l’air ravis des grandes dames satisfaites. Occupée à observer le plafond et jouer avec le tissu du sofa, l’ouvrière ne fait pas attention au jeune homme qui se change non loin de là ; les vestiaires de l’usine lui en ont fait voir de toutes les couleurs, la pudeur ce n’est bien bon que pour les idiots.

Petite pointe de jalousie à l’idée qu’en plus d’avoir un père plus que génial, Hector a là deux mères pour lui remonter les bretelles. Maxine elle, elle n’a plus grand monde et n’ose même pas penser à Tatiana. Personne ne viendra lui offrir une belle suite pour les vacances, ou ne l’aidera à renflouer sa garde-robe. “C’est… bien. Nan je vais rien casser pour l’instant, Désiré serait capable de tout me faire payer, ya surement qu’à toi qu’il laisse tout passer.” Nuance un peu aigre dans la voix avant que l’autre ne revienne, presque aussi mal habillé qu’elle et qu’un regard noir ne l’accueil. “Au cas où tu l’aurais pas remarqué, je ressemble pas vraiment à une princesse.” Et elle ne désire pas non plus l’être, oh quelle horreur que de porter des robes tous les jours (elle ment, ça lui manque) et attendre que l’on satisfasse ses moindres besoins (elle se pensait alors importante).

Petit ricanement alors qu’elle se lève, s’en va inspecter les armoires, s’amuse à ouvrir les tiroirs sans demander la permission. “Ba voyons. Désolée de te décevoir mais je sais parfaitement qui sont mes parents. Désiré est… et bien il m’a aidé quand j’en avais besoin." En lui plantant au passage un couteau dans la main, merveilleuse journée. Le poing se crispe sur la cicatrice encore légèrement visible sur sa paume alors qu’elle referme gauchement un tiroir avec son attelle de l’autre côté.

Mais la nourriture arrive et pour Maxine, tout le reste est oublié. Des étoiles dans les yeux, elle se précipite vers les plats, observant tout ce qui lui fait envie. Sans se faire prier plus longtemps, elle attrape l’assiette complète contenant des œufs brouillés et vient s’asseoir aux côtés d’Hector sans lui demander son avis.

Maxine a le ricanement facile aujourd’hui et l’idée de casser les oreilles à toute la maisonnée par ses cris de pie lui fait décidément drôlement envie, jusqu’à ce que l’image d’un Désiré sauvage, toutes griffes dehors la fasse une seconde plus tard trembler d’effroi. Non, mieux valait ne pas chercher les emmerdes sous ce toit. Un regard pour le fils qui lui semble beaucoup moins dangereux, à plaquer ses mains contre ses oreilles et se balader dans ces fringues trop grandes. Oui, clairement moins dangereux.

Maxine, elle ne sait absolument pas qui est Mortimer, peut-être bien le garçon de ménage pour ce qu’elle en sait et honnêtement, elle sent fou, hoche simplement la tête en feignant s’y intéresser. Mais une chose est sûre, ce n’est pas la gentillesse et les sourires compatissants qui doivent régner par ici. Froncement de sourcil. « Tous des tarés ici ok j’ai compris. » Mais après une journée d’entrainement avec Désiré, elle le savait déjà.
La pie baisse à son tour les yeux sur son accoutrement. A quoi est-ce qu’il s’attend après une séance de sport ? Qu’elle soit pimpante et brille comme un diamant ? Pas un gramme de sueur ? Qu’elle fasse ses pompes en robe de soirée ? Les chevilles se croisent et Maxine ricane, se moque un peu. « Tant mieux, aucune envie de ressembler à un petit prince pompeux pourri gâté non plus. »

L’ouvrière mache ses œufs sans trop de finesse, utilisant sa fourchette à la va-vite. La bouche pleine, elle s’autorise un coup de coude à l’autre, le fusillant du regard. Oui, Désiré elle le trouve incroyable elle. Et bien plus beau qu’Hector ne le sera jamais du haut de ses 14 ans. Ou 12 ans elle ne sait pas trop. Encore une bouchée d’œufs brouillés, elle déglutit et hausse les épaules. « Nan ça c’est pas lui. » Elle ose un regard vers la porte, puis vers la fenêtre fermée. Bon si personne n’écoute, elle peut bien le lui montrer. Tendant le bras non blessé, elle ouvre la paume pour lui montrer la cicatrice. Si ça ne lui fait plus mal maintenant, elle a encore en mémoire le couteau planté, transperçant la chair et la table avec. Une cicatrice bien nette au centre de la paume, Désiré, il fait apparemment tout parfaitement. « ça, c’est lui. Mais ne le répète à personne, on n’a pas trop le droit de te parler. » Elle ne voit pas trop pourquoi et trouve ça parfaitement idiot. Hector, il serait pataud dans la fosse mais avec un peu d’entrainement, il devrait pouvoir s’en sortir. « Il m'aide parce que je le lui ai demandé et le reste te regarde pas voilà. » Sourire narquois. Aucune envie de s’apitoyer ou de livrer ses petits secrets au premier venu.