WE STARTED OFF IN SUCH A NICE PLACE
WE WERE TALKING THE SAME LANGUAGE Seul héritier sur le trône, Jules-Augustin aux boucles brunes et aux grands yeux olives est l'enfant qu'on attendait sur la propriété Palatine.
Gamin sur qui tout repose, enfant qu'on espère voir heureux, prospère de la fortune qui l'attend.
Jules-Augustin s'épanouit au milieu des feuilles de vigne et des bains de soleil qui brûlerait la peau si maman ne lui déposait pas sur le crâne son chapeau de paille et la crème solaire peinte en marguerite sur les joues déjà pourpres.
Grand sourire qui gamberge, il s'amuse des mains qu'il trouve, surtout celles de la petite Dyomyre, sa jeune voisine, avec qui il aime tant passer ses journées lorsque l'école ne lui dévore pas ce temps qu'il jure déjà trop précieux pour être gaspillé.
C'est doux et ça sent bon, les journées dans le jardin de maman et papa, là où les lierres décorent les murs, là où les clématites dansent sous les rayons solaires. Il a le sourire grand Jules lorsqu'il s'assoit dessous, le verre de limonade dont les gouttes font glisser la boisson citronnée, il rattrape maladroitement, se marre et se rapproche toujours de Dyomyre. Que c'est un peu impensable de passer du temps sans sa meilleure copine, celle qui illumine les journées un peu morose à travailler le piano et les mathématiques à la maison.
On oublie les tapes qui grattent sur les poignets, les règles qui heurtent le bout des doigts lorsque les leçons ne sont pas bien apprises.
C'est vrai que la douceur de l'astre chaud fait tout oublier, l'ombre des vignes sur les carcasses, le sol encore frais et les raisins qui éclatent sous les dents.
C'est vrai, ce sont des souvenirs qu'il aime se remémorer Jules-Augustin, pour se dire que tout n'était pas terrible lorsqu'il avait huit ans.
I OPEN AND I'M CLOSING
YOU CAN'T STAND THE THOUGHTLa sueur sur le front, le dos colle aux draps et Jules souffle, le rythme lancinant et les yeux moites. C'est l'haleine humide qui revient en relent -les effluves de vin asphyxie l'air encore potable qu'il voudrait respirer.
Le garçon aux bouclettes distendues s'extirpe difficilement du lit, il rampe jusqu'aux toilettes et accroche fermement les phalanges par peur de glisser, d'heurter le menton contre le sol et de perdre encore connaissance.
Cela fait maintenant plusieurs années que les adolescents se murgent dans les caves, dérobent des bouteilles pour boire en secret derrière la maison, près du lac, près des murs dont les plantes grimpent un peu plus haut chaque été.
Jules-Augustin il a quinze ans, approche de ses seize ans, il s'inquiète un peu de ce que lui réserve l'avenir. De ce que papa continue à infliger sur les avant-bras et les doigts, des excès de salive qui s'expulsent lorsqu'il hurle à pleins poumons
que c'est pas assez Jules-Augustin
qu'on ne perd pas du temps à élever un demeuré
que tu aurais mieux fait de rester dans les vignes
à raté l'école pour faire ça.
C'est peut-être pour ça qu'il n'y a rien pour fragiliser l'égo et la fierté déjà entachés du garçon, qu'à force, ça ne lui fait ni chaud ni froid.
Les maux s'éclatent au fond du wc, le vin rougit l'eau claire et les glaires rendent la gorge rance et douloureuse.
Les yeux comme des océans, les perles se meurent lentement le long des joues jusqu'à venir saler le fond de dégueulis.
Ce sont des rameaux de souvenirs qu'il a plein la tête, Jules. Il a l'entrée dans la maison, la même que ses parents, la même que ses grands parents.
Il se souvient avoir eu un vin de blanc ce soir là, Dyomyre à ses côtés avec un fond de jus de fruit parsemé de vin. Comme un secret indéfectible entre eux.
Les soirées avec la petite Caucase, les genoux par dessus les épaules et le dos droit sous le soleil orange, à traversé les lignes vertes, slalomer entre les viticulteurs sans se faire attraper.
Petite Caucase dont les danses sont enivrantes, qu'elles donnent envie de sourire à Jules un peu plus, d'enterrer cette tristesse pestilentielle au fond des cabinets.
La chasse se tire et les émois s'en vont. Jules ne se sent pas très bien, il a les idées embrumées et le cœur grenat d'épines.
OF A REAL BEATING HEART
YOU'D BE HOLDING, HAVING TROUBLEC'est comme une descente aux enfers qui s'en suit durant trois ans.
Jules rate l'école et les leçons, il a le dos rond et les os saillants là, sur le canapé. Maman s'inquiète et murmure que
c'est comme ma mère, on devrait consulter
si ça ne va pas mieux dans quelques jours.
Papa s'insurge que ce ne sont que des problèmes d'adolescents, que mamie elle était malade, qu'elle n'avait rien pour elle, qu'elle avait le
droit d'être triste, Jules, il a tout, il n'a
rien pour être triste.
Jules-Augustin sort de chez lui les yeux ternes et la carcasse livide, il s'assoit sous le soleil à seize ans, il aimerait lever les bras et festoyer cependant il n'en a pas le cœur, il a la gorge serrée par la peine, qu'il n'a aucune idée de pourquoi il est comme ça, pourquoi pas les autres, pourquoi lui, pourquoi personne ne peut le comprendre.
Et puis il y a l'arrivée des jumeaux.
Marcel et
Valentin les deux nouvelles têtes phare du domaine Palatine.
On s'intéresse un peu plus à eux, moins à Jules et ses soucis. Parce qu'on a pas le temps, que c'est comme ça, ça ira mieux Jules, c'est promis.
Jules va à l'école, il y retourne la poitrine lourde parce qu'il sent les regards inquisiteurs et les mots lourds qui flottent contre sa poitrine.
Pourtant ça va mieux, parfois. Il n'y a plus cette malédiction qui s'abat contre ses nerfs et il
la rencontre, jolie fille au visage de chérubin, le courant passe immédiatement et s'il peut oublier le cœur qui se serre lorsque Dyomyre ne le regarde pas de la façon dont lui le fait, ça lui va.
Les mois passent et rien ne s'arrange pour Jules, il a toujours le dos courbé par ses démons, la tête par dessus les toilettes à expier les repas qui n'arrivent pas à passer.
Dyomyre s'éloigne, il ne comprend pas bien pourquoi et à son tour, brise l'idylle avec cette fille. Le fils des Palatine cesse les mots tendres et les embrassades, il ne va plus que rarement à l'école ces derniers mois, annule toujours les sorties, parce qu'il a souvent une bonne excuse, parce qu'il est fatigué, Jules.
Et puis il y a eu les pas de Dyomyre à sa fenêtre, petit rongeur qu'il a ignoré le mois entier, d'autres mois encore.
Et parfois Jules retrouvait la sérénité, comme si rien de tout ça n'avait existé. C'était la douceur et l'accalmie, presque certain que rien de tout ça ne pourrait encore lui retomber sur les épaules.
Il écrit des lettres pour s'excuser, Jules. Il chante les poèmes et danse les valses à Dyomyre pour se faire pardonner, lui marmonner que promis, je ne le ferais plus.
Et ce n'est pas sans en avoir la poitrine lourde, qu'il aurait aimé les tenir ses promesses.
OWNING AND ADMIT THAT I AM HOPINGC'est long, trois ans. C'est long mais ça en vaut la peine.
Jules va légèrement mieux, il lui faut du temps pour s'adapter aux médicaments, aux phases amoindries, à l'envie de jeter dans la poubelle les médicaments.
La rage baigne toujours dans le creux de son estomac à dix huit ans, il est toujours en colère après papa Jules. Il aurait aimé qu'il écoute maman, que tout ça s'arrête plus tôt.
Jules-Augustin dont les relations s'apaisent doucement avec son paternel, se décide à se lancer dans la poterie de son côté, ne travaille plus le piano une heure par jour comme il en avait l'habitude, continue cependant la guitare.
L'argile sous les doigts et les peintures qu'il apprend, le mélange des couleurs et les voluptés qu'on forme comme celles des musées, ça plaît au brunet qui se sent un peu mieux à chaque fois.
Puis il a vingt deux ans Jules. Il n'a pas envie de quitter Dyomyre et son odeur fleuri, il n'a pas non plus envie de dire au revoir aux petites têtes blondes, pourtant il le fait.
Il dit au revoir aux soirées sous les vergers avec Dyomyre, le travail aux vignes avec la famille de cette dernière.
Son propre magasin qui prospère depuis deux ans maintenant, il est fier, Jules-Augustin, il sait que sa famille aussi l'est, même si elle se refuse à le dire, qu'il revient toujours pour aider à courber le dos parmi les autres vignerons, le grand sourire aux lèvres.
Et tout s'arrête. Jules-Augustin s'en est allé pour une année entière, les valises sous les bras à tout oublier d'un monde qu'il a tant embrassé.
Aujourd'hui, entre les ivresses rances et les rancœurs moroses, Jules est revenu se nicher dans les vieilles breloques branlantes de son magasin, les meubles toujours à la même place, les mêmes bouteilles brisées sous le lit.