Les épaules roulent sous le poids du travail insatisfaisant, Maxine la moue revêche coincée à jamais dans son bleu délavé ; une triste réalité. Elle grogne encore un peu pour la forme mais depuis le temps, ça n'a plus rien d'un hurlement, elle a compris que montrer les dents n'était pas entièrement satisfaisant. Que ça ne fait pas passer le temps.
Maxine ni de bonne ni de mauvaise humeur amasse le travail à peine en retard, suis les ordres et lève un majeur en l'air pour donner le change dans une grimace désabusée au dos d'un supérieur. Ça en fait rire quelques-uns, ça la fait sourire aussi en grand de tous les imaginer en méchant.

L'alarme des heures sonnent, midi chaque jour la même rengaine, les bons employés à la cafétéria dans une file indienne. Maxine souffle, se presse comme la plupart des collègues car être dernier, c'est se retrouver une bouillie en guise de déjeuner, quand il n'y a plus grand chose à préparer. Un coup d'épaule, la pie pense à s'insurger, se rattrape en moue amusé en voyant l'ours désabusé. "Yo Marek."
Elle rêverait d'être une véritable menace plutôt que d'avoir du travail qui s'entasse.

Le plateau en équilibre précaire, ça ne ressemble pas à grand chose, elle a pris l'option insecte mais elle peine à trouver la moindre carapace de scarabée dans les grains de riz beaucoup trop cuit.
beurk.
Le plateau claque contre la table, Maxine s'installe à son aise, une jambe repliée contre le torse, un bras qui pend sur le genoux.
Un regard pour son plateau, un autre pour Marek à côté duquel elle vient de s'installer, comme une vieille habitude.
Un regard pour Auguste et son grand sourire, un peu trop beau pour être vrai. Elle ne l'aime pas spécialement ce raton-laveur, toujours dans les pattes des autres, ça lui rappelle Hector qui lui, c'est bien mieux se tenir. Une pensée hypocrite alors que sa propre fourchette s'agite dans sa main, comme une baguette magique qui viendrait jeter son dévolu sur l'individu dans un froncement de sourcil.
"Vous parlez de quoi ? Un truc de mec c'est ça ?"
Promis, elle lui casse le nez s'il lui dit que oui, elle ne comprendrait pas.

"Naan on parlait justement de toi Max !" Le visage chafouin se penche vers elle, comme dans une confidence trop bruyante. Toujours cet insupportable sourire. "Alors c'était comment l'autre nuit dans l'usine ? Fais pas ta timide." Mais Maxine, elle n'a pas grand chose à rajouter sur leur fresque bousillée, sur la peinture qu'ils auraient dû laver. Un haussement d'épaule et elle se concentre sur son assiette, la conversation l'intéresse à peine. "Joe était pas content, on a dû faire des heures sup'." Pour le saccage causé par les heures sup', c'est assez drôle quand elle y pense, mais le raton à l'air de trouver ça bien plus comique que ça ne devrait l'être. "Je parle pas de ça Max..."  Un clin d'œil bien appuyé.
Elle ne comprend pas grand chose, hausse un sourcil en se tournant vers l'ours, la fourchette pointée vers Auguste. "C'est quoi son problème ce matin à cet attardé ?"

Maxine met quelques secondes à comprendre, les mots incrustés comme de la saleté ; les ragots du midi sans faire mine d'aucune coquetterie. Les sourcils se froncent un peu pour l'ursidé, un peu pour Auguste et sa bouche plissé en amusement soucieux. Elle, ça ne l'amuse pas du tout que l'on puisse insinuer les coucheries du soir, les amourettes de vacances inventées sous couvert de gaminerie. Marek et elle, ce n'est pas ça et le goût du savon lui revient en bouche, l'eau sale sur les vêtements et les remous adolescents. Le raton est en train de foutre en l'air les bon souvenirs et Maxine n'aime pas ça. Pas du tout. Elle se penche, soudain de mauvaise humeur.
"Fous nous la paix Auguste, ta vie est tellement pourrie qu'il faut que tu te mêles de nos affaires ? Il s'est rien passé et il se passera rien mais t'es juste trop bête pour t'en rendre compte."

Les bras se croisent sur la poitrine, Maxine n'a plus faim, la fourchette délaissée dans un coin du plateau. Elle a encore mille répliques acerbes, des insultes bien senties, du mouvement dans les tripes. Des menaces, mais Marek la prend de cours et elle hausse une seconde un sourcil en l'observant étrangement. Marek énervé, ce n'est pas souvent. Il n'a pas bronché quand elle a fait éclater la peinture colorée sur son visage, pas même quand ils se sont retrouvés tout trempés. Il n'a pas sourcillé devant les heures supplémentaires, devant les tâches qu'on a fini par leur rajouter à tous les deux. Marek dans un brouillon colère, c'est un peu nouveau, elle s'en serait amusé s'il elle n'avait pas elle aussi des menaces à proférer.
Maxine, elle veut bien être les muscles pour cette fois.

"Dans la grande cuve, ensuite j'vais te faire bouffer ces saletés de produits chimiques, puis tu vas t'étouffer avec tes propres gants, et ensuite faudra bien faire gaffe à la cisaille qu'Ernest garde dans son casier, et ensuite-" Elle s'interrompt, presque essoufflée et à cour de menaces. Ca fuse dans ses pensées, mais elle n'arriverait jamais à tout organiser. Les prunelles vertes jettent leur lot de flamme, les petits poings serrés contre la table.
Ensuite, il a très bien compris qu'elle ne s'arrêterait pas là.

"Ola tout doux, je prône seulement l'amour et l'affection moi !" Il lève les mains dans une parade innocente qui ne dupera personne. "Mais avouez quand même qu'un couple au sein de l'usine serait vraiment adorable non ? Vous êtes sûr que vous ne vous roulez pas des pelles dans les placards pendant les pauses ? Je vous donne mon entière bénédiction !"

Auguste ne fera pas long feu entre les bac de soude et les muscles de Marek, les menaces bien explicites et celles qui grondent sous la peau. Maxine n'aime pas qu'on se foute de sa gueule, ça bourdonne comme un rire narquois, les rôles sont comme inversés et ça lui fait comme une écharde dans le pied.
La pie hoche la tête, bien d'accord avec son collègue préféré, les bras croisés sous sa poitrine sans laisser au raton le plaisir de la voir douter ou peut-être se rallier. Elle finit par sourire un peu, le goût de la victoire incrusté dans la sueur des vieux bleus d'usine, l'autre ne fera pas long feu et les ragots s'éteindront avant même d'avoir pu flamber.
Il n'y a finalement peut-être pas de quoi s'emballer, grogner comme un clebs enrager ; elle n'a pourtant pu s'en empêcher.

La tête se tourne presque nonchalamment, peut-être une nouvelle réplique ou l'envie d'ignorer l'indésirable. Une main contre son crâne, elle couine à peine quand les bouches s'entrechoquent pour un baiser futile, une seconde et c'est fini. Une seconde et c'est déjà trop. Un mouvement de recul brusque, les yeux grands ouverts devant l'envisageable. Petit poisson dans un bocal, Maxine ouvre la bouche et la referme, trop choquée par la tournure des évènements pour s'insurger une nouvelle fois, penser au mélange pomme-cigarette, peut-être à court d'argument ou de faux-semblants.
L'ours débout, un silence qui s'éternise et Maxine elle non plus, elle ne sait quoi dire, figée dans une parole pour tout désamorcer mais rien ne sort. Le regard se braque sur Marek, puis sur Auguste dont les rires font resurgir la fureur glaciale en étreinte amère.
Maxine n'aime pas embrasser les gens, Maxine s'efforce de ne pas apprécier les autres tout court, le cœur barricader sous une tonne de barbelé. Parfois il y a des ratés, elle s'emmêle les pieds.
La blague n'est pas amusante du tout, elle a les doigts crispés un peu tremblant sous les manches trop grandes car ici, il n'y a jamais vraiment sa taille.
Va te faire foutre Auguste. Oui, c'est ce qu'elle aurait probablement pu balancer elle aussi si la tournure des évènements ne la prenait pas autant au dépourvu et si ses muscles fonctionnaient encore.

L'échine se courbe, elle se lève finalement à son tour sans relever la nourriture qui s'envole une seconde plus tard par-dessus sa tête.
Peut-être qu'elle va pleurer, mais Maxine, elle l'a écrit à l'encre de sang comme un serment,
qu'elle ne pleurerait plus jamais.
Alors elle relève la tête, la lèvre mordue à lui en faire mal. Le regard fiévreux d'une colère soudaine.
"T'es un raton mort Auguste."  C'est froid comme la glace, figé comme un iceberg, elle se retient un peu de laisser place à la fosse et de s'emparer d'un petit couteau à peine aiguisé pour tenter de trancher ce qui lui passera sous la main. Une oreille ou une langue. La langue probablement.

Mais là en cet instant, Maxine n'est pas sûre d'apprécier les bains de sang autant qu'elle le voudrait, les collègues s'amusent à s'envoyer les déjeuners sans se soucier des ventres vides à en crever.
Une tranche de jambon vient lui écraser la joue, laisser une traînée de ketchup avant de retomber mollement à leurs pieds dans un bruit écoeurant. Peut-être la goutte de trop.
La bouche se tord en rictus que tout ça n'a jamais amusé un seul instant. Mais Maxine comme elle ne peut plus pleurer, explose en méchanceté enfantine, la gorge un peu noué.
"Je...J'vous déteste tous !!"
Le plateau s'envole contre la table, bouillie écrasée avant même d'avoir été goûtée. La pie se retourne trop brusquement dans un dernier regard noir pour toute la tablée, même à son préféré. A grand pas vient quitter le réfectoire les poings serrés contre le cœur et la rage au ventre. Pas un regard en arrière,
Dilan,
Auguste,
Joe,
Marek,
elle les déteste tous.

Maxine rumine, le matin, le midi, le soir. Hier, aujourd'hui et probablement demain, si tout va bien. Une chewing gum calé contre les dents, elle mâche et laisse filer le temps, fait claquer les gants en les enlevant, bien calés dans sa ceinture pour ne pas les perdre pour la millième fois. Un majeur en l'air pour Joe qui lui tourne le dos, elle en ricane un peu, demande une petite pause car les produits chimiques, ça lui bousille encore les neurones, n'arrange rien à l'humeur morose. Elle tourne la tête à gauche et à droite, et reprend sa route en évitant les collègues, pas de Marek en vu, pas d'Auguste en vu.
C'est une bonné journée après tout, faire l'autruche lui réussit bien, le chewing gum éclate et elle mâche Maxine, encore et encore.

L'ascenseur s'arrête, elle commence à s'y engouffrer, s'arrête in extremis dans un regard presque mauvais.
Elle ne voulait pas le croiser, pas tout de suite. Marek et ses palettes, en silence pour ne rien changer. La pie se souvient de la nourriture balancée, des rumeurs bonnes à jeter, des lèvres plaquées contre leur gré.
Elle grimace, hésite mais finit par monter à son tour dans la cage non sans un regard de défis. Cet ascenseur, elle a le droit de l'emprunter aussi, ce n'est pas que pour les ours hirsutes et les gens qu'elle a juré ne plus vouloir croiser.
La bouche résolument close, elle se place à côté, regarde la porte se refermer. Bien droite, un bruit de mastication plein la tête.
Elle ne lui demandera pas où il va, Maxine, elle ne lui demandera pas comment ça va, si cette semaine est aussi barbante que les autres ou s'ils ne feraient pas mieux de partir se planquer pour sécher, comme parfois quand ils en ont marre de trimer.

La mâchoire crispée, l'ouvrière fusille la porte du regard et attend que ça redémarre. Plaque un doigt pour allumer tous les boutons des étages. Ça lui fera les pieds de patienter, se rendant compte trop tard que ça signifie prolonger le calvaire.
Elle n'oublie pas, Marek est un idiot et elle la reine des sottes pour s'insurger pour un simple baiser qu'ils ont tous peut-être déjà oublié.
Sauf que non, personne n'a oublié, ce matin même un petit nouveau est venu la narguer, lui demander si les tourtereaux ne comptaient pas bientôt emménager ensemble.  
Elle a frappé, un coup dans la rotule et un reniflement peu amusé.
Alors non, elle ne lui jettera pas un regard, pas même une parole de politesse quand bien même il faut l'avouer, ça lui manque parfois un peu. Obligé maintenant de prendre son déjeuner avec cette idiote de Sybille.
Foutue Sybille.
De planquer des épingles aiguisées dans les bottes d'Auguste.
Foutu Auguste
De faire comme si l'immense Marek n'apparaissait jamais dans son périmètre.
Foutu Marek.

Le regard plongé loin devant, les entrailles se tordent de nervosité enragée, elle se promet de ne pas capituler en premier, baisser la tête et pardonner. Maxine, elle ne veut pas se laisser marcher sur les pieds, se laisser dicter par les rumeurs idiotes et les rires des collègues. Maxine, elle vaut mieux que ça et tant pis si l'ours ne comprend pas.

La bouche résolument close, c'est probablement le plus long moment de sa vie, après les cérémonies de deuil et l'attente des linceuls. Soudain, le fracas, l'ascenseur s'arrête trop brusquement, elle manque de s'écrouler dans un couinement qui n'a rien de vaillant, se rattrape de justesse au mur, les mains plaquées et les yeux grands ouverts. Les bouteilles étalées par terre, Maxine jette un regard surpris à Marek avant de se souvenir qu'elle lui en veut, retrouver son froncement de sourcil caractéristique. Ça fait chier, elle en a avalé son chewing-gum. "Bordel". Parce que fermer sa gueule ça ne dure jamais bien longtemps.

Le coup de pied contre la porte en métal ne laisse que le fracas résonner si bien que la pie se demande si l'ouvrier y a réellement mis toute sa force. Allongé contre la surface froide, le regard dans le vide. Maxine l'observe dans une grimace à peine exagérée. Apparemment, il ne va pas falloir compter sur le grand et vaillant prédateur pour les sortir de là.
Mais Maxine n'aime pas les boites, l'enfermement et les laisses qui la ramènent à terre. Maxine quand elle sait ne pas pouvoir s'envoler (s'évader), ça la fait un peu paniquer. Les poings serrés, elle laisse la colère l'animer pour compenser les entrailles nouées, l'envie de tout poignarder.

A son tour, elle lance un coup de pied contre la porte de l'ascenseur, un peu de rage et de liberté parsemés là juste comme Désiré le lui a appris. Encore un coup de botte, l'ascenseur grince et oscille un peu ; elle s'arrête le poing levé, certaine maintenant que tout ça, c'est une bien mauvaise idée. Et si les fils lachaient ? Et si la cage tombait ? Nerveuse, elle arrête de s'en prendre au pauvre métal dans un juron, préféré reporter son attention sur l'ouvrier étalé. Les bottes s'arrêtent à coté de la tête hirsute, le buste se penche un peu, Maxine ronchonne laisse quelques mèches s'échapper de sa queue de cheval. Le bout de sa botte vient tapoter le crâne, le pousser un peu. "Hé tu fais le mort ou quoi ? Tu crois que j'suis prête à passer les prochaines heures de ma vie à rester bloquée ici ?? Lève-toi et aide moi !" Elle n'est pas sûre qu'il obéisse, Marek, elle commence à bien le connaître. Les poings s'ouvrent et se referment, ça lui fout les jetons d'imaginer ne pas pouvoir étendre les ailes. Alors elle se met à baragouiner seule, la voix crescendo et l'âme en lambeaux alors qu'elle fait les cents pas, manque d'écraser la grande main de son collègue une fois ou deux. "Doit y avoir une trappe ou une connerie comme ça. Peut-être que si tu charges la porte ça va s'ouvrir. Ou alors on va juste tous mourir, MOURIR." Ca lui parait horrible alors Maxine, elle continue de réfléchir à toute vitesse.