Les dernières liasses de billets sont jetés aux derniers parieurs, les combattants nouent les énièmes compresses contre la chair ébréchée. Sentiment d'urgence, les quelques organisateurs leur crient ici et là de dégager vite fait s'il ne veulent pas finir entre 4 murs. Protestations et plaintes mais au fond, personne ne souhaite crever derrière les barreaux ; la foule se disperse petit à petit dans un immense chaos. Ici, chacun pour sa gueule.
Mortimer est confiant, sous le grand blouson noir et les mèches sombres indisciplinées relevées en chignon brouillon, le sourire caïman ne quitte pas son visage.
Mortimer est confiant. Comme à chaque fois, ils ne choperont qu'un ou deux retardataires -restés dans le coin car il s'en est assuré-, perdront patience à inspecter les rings poisseux ; vides comme le reste de la fosse. Il ne sait pas qui les a prévenus cette fois, mais Mortimer s'en fou, on les prévient toujours.

Comme une ombre, reste planqué là le silence pour compagne, triturant sa chevalière Chanteloup dans un mouvement familier. Un soupir presque amusé, s'entête à souhaiter les voir galérer, râler, abandonner.
C'est chose faite. La longue carcasse connaît les dédales comme sa poche ce qui n'est pas le cas des miliciens. Personne ne remarque l'ombre qui se glisse enfin dehors, abandonnant la fosse et sa violence attractive pour venir s'accouder au mur d'une ruelle, un peu plus loin.
Encore de longues minutes mais le chasseur a la patience gravée dans la chair, parquée sous la peau. Une cigarette s'allume entre les doigts fins, bourrées de cicatrices qui n'ont jamais dérangé sa femme. Flamme entre les lèvres, le reptile respire les fumées nocives, recrache la saveur nicotine sans jamais se préoccuper des poumons depuis longtemps encrassés qui lui donne la voix cassée.
Ils ressortent tous, abattus. Un sourire dans l'ombre, Mortimer se retient d'aller narguer un peu plus près. Il a promis à Valeryane de limiter ses apparitions ici, qu'il ferait un effort,
qu'il ne mentirait plus.
Mais c'est tentant, et lorsque le regard d'un capitaine qu'il ne connaît que trop bien s'accroche au sien, il ne peut s'empêcher de hocher la tête pour narguer encore.

Patiemment, il l'attend sans faire mine de vouloir s'enfuir - à quoi bon. "Bonsoir Elyas. De bonnes prises ce soir ?" Un coup d'œil innocent au reste des miliciens qui s'éloignent déjà, bien loin du duo. "Je te laisse ces deux-là, un cadeau en souvenir du bon vieux temps." Dans la voix un amusement presque naïf alors que la fumée s'enroule sans relâche.
Mais Elyas Belcourt n'aura jamais rien d'autre à ramener dans son terrier,
il sera toujours là pour s'en assurer.

Le sourire biaisé des promesses endiablées, Mortimer la courbe presque sincère où trône la malice paisible, les lendemains d'hécatombe quand le souffle retombe. Morty sourit aux voisins, aux passants, aux habitués et aux éméchés. Morty sourit à Elyas dans toute sa panoplie d'esquisse presque sincère, de cette ombre carnassière voilée sous les viscères.
La frustration colle à la peau du dingo comme une chape déjà trop visible, le reptile inspire les relents de nicotine, la flammèche venant jouer entre les doigts. L'agacement lui va bien au teint, Mortimer s'en voudrait de ne pas en jouer.

"Des aveux ? On n'a plus le droit de se faire des cadeaux maintenant ? D'ailleurs c'est un peu énervant, tu as raté mon anniversaire." Il y a presque 3 mois, mais Mortimer n'en est pas à compter les jours, se satisfera probablement de paroles susurrées même 20 ans après. La malice en vieil éclat, le bourreau se fait presque trop sérieux, comme si ça comptait, que l'on puisse l'oublier.

Le regard rivé sur les ruelles au loin, il fait une seconde mine de ne pas avoir entendu. Parler de sa femme à Elyas ne l'enchante pas. Valeryane sait, mais Valeryane a les bras croisés et le regard pire qu'un typhon. Fervente rancunière quant aux frasques de son mari et de ses péripéties sanglantes. Mais Mortimer a promis, il n'en fera pas trop, laissera le monde couler à flot sans plus lever le petit doigt (parfois). Prendre quelques distances avec le temps, peut-être s'occuper davantage des hortensias qui poussent sous la fenêtre. Un peu de terre contre un peu de sang. Mais le caïman sait pertinemment qu'un capitaine n'oublie jamais les questions restées sans réponse, aussi prend-il sur lui, en nonchalance feinte pour faire taire les obsessions du blond. "Qui te dis qu'elle ne se planque pas en ce moment même dans une ombre pour venir à ma rescousse si tu montrais trop les crocs ?" La lame a la main, ça lui plaît de l'imaginer bien qu'il ne le lui avouera jamais. "Laisse mon mariage en dehors de tout ça s'il te plait." Il est poli Mortimer, reprend le sérieux qui le caractérise, la froideur des hivers trop secs et le regard plus que polaire rivé au canidé. Il n'a plus aucune envie d'en rire.
Mais le sourire innocent retrouvé, comme après l'averse passagère. On cligne des yeux, et le regard se rive à nouveau sur la fumée de la cigarette qui s'élève entre les corps.

"Complètement fou oui." Il acquiesce, comme si tout était parfaitement logique. "Je n'ai vu personne, mais j'espère que tu l'attraperas bientôt." Le sérieux se mêle à la malice, Mortimer n'est pas prêt de sitôt à se laisser passer les menottes. Il enchaîne, s'approche, vient laisser tomber une main que l'on pourrait croire amicale sur l'épaule du capitaine. "Viens, on va boire un verre et tu me raconteras tes galères de petit capitaine tellement parfait." Il le dépasse sans demander son reste. Il connaît un bon endroit, parfait pour laisser s'échouer leur carcasse, siroter la bière, peut-être sans rien dire car le silence est probablement sa meilleure amante. Il a peut-être juste besoin d'un peu de compagnie Mortimer, d'une affreuse note sur laquelle finir la soirée.

La fumée s'enroule entre les corps, encore une bouffée de cigarette, Mortimer parfaitement à son aise entre les murmures sauvages et les bonnes convenances, un sourire et une politesse ; les drames tout en finesse. Dans une lueur nonchalante il observe l'uniforme sombre qui convient si bien aux ombres, qui détonne sous la blondeur caractéristique et le regard justicier du Capitaine. Mortimer s'amuse et souffle pour fausser le dépit en secouant la tête, presque navré.

"On ne va pas faire comme si je connaissais la date." Ça ne l'intéresse pas, ça ne l'intéressait pas ; s'envoyer des cartes postales joliment décorées ou des cadeaux à 3 lenss sur le marché. Mortimer préfère ne pas faire compliquer, laisser aller les années sans les compter.

Les crocs pointent derrière un sourire carnassier alors qu'il tourne le dos, commence à fuir les bonnes politesses. Un haussement d'épaule sans se retourner, il n'attend pas qu'on le suive. "Rendez-vous au Renard Rouge, je ne dis pas que j'y serais encore." Car qui sait où il sera dans une heure.

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L'ambiance est sombre, la pièce faiblement éclairée par les nombreux néons rouges qui sans surprise, on valu au bar son nom. Mortimer a menti, il a patienté en bavardant avec le barman, en sirotant une bière peu corsée. Il est resté, parce qu'alors, qui sait quand ils auront encore à nouveau le temps de discuter. Fosse et Milice ne font jamais bon marché, mais tranquillement installé sur un tabouret haut, le coude contre le bois du bar, il patiente tranquillement dans un sourire polie qui lui vaut bien quelques regards sympathiques du reste de la clientèle. Mortimer comme un homme modèle, la chemise froissée remonté sur les avants bras, l'odeur du tabac froid comme parfum du soir.

Une tête blonde apparaît, il vérifie sa montre mais Elyas n'a pas menti. Une heure après le voilà qui franchit la porte du bar et le caïman lève son verre à moitié vide pour l'inviter à le rejoindre dans un sourire toujours bien trop poli. "C'est pas trop tôt."

Il attend, Mortimer, comme à la chasse, le fusil plaqué contre l'épaule, le souffle lent et la fin brutale. Il attend, la grande silhouette qui prend place à ses côtés, quatre coudes contre le comptoir et un sourire qui donne presque espoir. Mortimer un brun polie, le sourire courtois qui ne laisse rien prévoir des lamentations passagères. Il ne soupire pas, Valeryane serait fière de lui.

"Est-ce qu'on est censé se comporter comme deux vieux amis qui se retrouvent ? Si c'est ça je n'ai pas eu le mémo." Un sourire dans la voix avant qu'il ne devienne un peu plus sec, pour la forme. "Assieds toi et arrête de raconter des conneries." Il tique, c'est une réplique digne de Désiré, la bave aux lèvres et l'humeur ardente. Mortimer fait craquer la nuque dans une fausse paresse, laisse la commande passer sans rien exiger, il n'est pas contre une boisson plus forte.

Les lèvres toujours en sourire un peu feint, le reptile lance un regard presque outré. "C'est un défi ou est-ce que les capitaines n'ont maintenant plus aucun sens de l'observation ? On vous recrute sur la base du nombre de blagues que vous sortez à la minute maintenant ?" C'est un peu désespérant, Mortimer joue de la guerre, des petits soldats de plombs que l'on déposait adolescent sur le bord du balcon. Les querelles ancestrales entre devoir et fraude, Elyas justice jusqu'au bout des ongles maintenant, Mortimer le préférait avant, les crocs dévoilés et les poings ensanglantés. "C'est du gâchis." Il a parlé à haute voix, la moue crispée.
Elyas dans les forces de l'ordre, c'est juste du gâchis, ça n'a rien de bon, rien de glorieux. De belles bottes lustrées et un uniforme impeccable. De quoi tous les faire gerber.

Les bières arrivent, Mortimer trinque pour la forme, dans un numéro parfait avant d'y tremper les lèvres, les pensées rivées au passé.

Mortimer se plaint beaucoup c'est vrai, un sourire légèrement amusé quand on le lui fait remarquer. Mortimer se plaint des boissons trop douces, de la viande trop grillée, du sang sur le parquet et des voisins trop collants. Mortimer se plaint de choses futiles ou les esquive dans une parade souriante, faussement ensoleillée. Alors c'est ce qu'il fait, bonne humeur en fausseté, fait claquer le verre contre celui de son voisin. "C'est bien vrai, je te le laisse volontiers tu l'as toujours fait mieux que moi." Elyas et ses manières parfois un peu guindées quand il devrait juste se laisser aller.

Le verre porté aux lèvres, l'alcool coule dans la trachée, réchauffe l'estomac mieux qu'un coup bas. Le reptile se plaît dans les silences qui rythment les conversations, les non-dits roulant sous la langue de la meilleure des façons ; celle qui lui donne toujours raison. Le regard se perd dans le liquide ambré, Mortimer tout à ses mauvaises pensées, à ressasser le passé avant qu'on ne le lui fasse remarquer.
"Oui."
C'est tout ce qu'il dit, le sourire dissimulé derrière le verre qu'il lève à nouveau contre les lippes. Oui, peut-être qu'il compte bien faire la gueule toute la soirée, faire semblant de ne pas s'amuser, rien qu'un peu. Elyas plonge parfois quand il devrait marcher. Il en rajoute une couche, menteur jusqu'au bout des crocs caïmans. "C'est toi le rayon de soleil ici Elyas, faut bien que je contrebalance ton petit sourire niais. Tu peux bien me laisser ça, être le méchant de l'histoire ?" Ca l'amuse, la fosse contre la Milice, le noir contre le blanc. Elyas qui n'a pourtant rien d'un prince charmant, Mortimer s'en souvient, quand il le voyait lever les poings d'un air conquérant. Un coude posé contre le bar, la tête se penche, observe le minois du capitaine comme s'il l'avait oublié. "Ca fait quoi, d'avoir toujours tous les regards tournés vers toi ?" Il ne demande pas vraiment sérieusement, quoiqu'un peu de curiosité au fond des yeux. C'est comme avec Désiré, de la même trempe peut-être, ils sont là à être exhibés comme de jolies poupées. Le chasseur a toujours préféré l'ombre lui, les failles béantes, les soupirs diabolisés. Il ne peut pas s'imaginer ce que ça doit être, de devoir briller en société.