Marek, il baille devant son méfait. Il écoute la petite pie piailler et ricane. Il ne voit pas les caméras, il ne voit pas, ou peut-être qu’il voit ce que les autres ne voient pas. Marek, il n’a pas fait attention aux caméras, comme Maxine : et maintenant ils sont là à récurer les murs à des heures tardives sans savoir s’ils vont réussir à rentrer, sans savoir si la dernière navette va se tirer.

- C’est toi qui aurait du vérifier. Les pies ça vole pas haut. C’est plus ce que c’était…

Visage plissé, un sourire fléchit contre ses lippes alors que l’autre partie du visage reste blasée. Marek, il donne un léger coup d’épaule à Maxine alors qu’il lève les bras pour continuer de frotter. Il ne sait plus combien de temps cela fait, l’humidité creuse la peau depuis déjà un bon moment si bien que la pulpe est fripée, froissée, déformée. Pourtant il continue de racler le mur sans volonté. Il frotte, il frotte, alors que les bulles deviennent colorées.
Elles sont salies par les jolies couleurs des graffitis.
Il frotte, il frotte, alors que la blancheur finit souillée,
Devant cette fresque couleur ressentiments infini.

- C’est sûr. Si c’est mal fait j’t’en parle même pas. On se crève la paillasse tous les jours ici depuis des années et c’est toujours pareil.

Marek, il reste parce qu’il ne veut pas chercher. Il se doute que les entretiens, ça serait sans fin. Il ne sait rien faire, ou alors il n’a pas l’air bien malin. Alors il continue de faire ce job qui le tue, qui l’assomme, pour ne pas fournir le moindre effort. Pourtant, il rame dans la falaise, parce que son corps tire la sonnette d’alarme, mais il joue le sourds. Les douleurs, elles courent, elles déchirent les tissus, elles abîment les articulations. Quand il sera vieux, il ne restera que les râles et les ressentiments face à cette jeunesse gâchée à respirer le plomb et le savon.

- J’ai jamais compris pourquoi tu pars pas faire une grosse carrière à la fosse… Ça fait un moment que tu y es. Tu commences à bien te d’emmerder non ?

Qu’il demande sans réel intérêt. Marek, s’il reste à l’usine, il ne comprend pas pourquoi Maxine ne la quitte pas, parce que peut-être qu’elle peut se le permettre et ils sont déjà jeunes et bousillés. En fait, il ne sait pas.

Quand il s’approche pour éponger son torchon pour la millième fois, il remarque les bulles sales et entassées. Une idée germe dans sa caboche et doucement, Marek s’approche. Il se penche jusqu’au réservoir et se sert de ses longs doigts comme d’une louche. L’ours lippu s’approche silencieusement jusqu’à la nuque de Maxine pour renverser le contenu coloré dans le creux de son bleu. Toutes les excuses sont bonnes pour ne rien branler. Toutes les excuses sont bonnes pour marivauder. Il se moque encore d’être filmé, Marek il en a marre de frotter alors qu’un coup de peinture suffirait.

- Tiens, au cas où tu rates la navette, en guise de douche...

- Bah ouais. Tu pourrais faire un effort quand même. Il faut lever la tête, c’est trop d’effort pour moi.

Marek, il se moque d’être petit, d’être trop grand. Marek, il s’en moque, ça ne lui sert à rien. Des fois, il a les pieds qui dépasse des lits des inconnus. Des fois, les pantalons deviennent des pantacourts. Des fois, il est trop long pour les petits plafonds. Pourtant parfois Marek se contente de nettoyer où il peut, là où Maxine ne peut pas aller, mais il a mal aux bras à force de les lever le long du murs qu’ils ont ensanglanté de petites taches colorées.

- Je vois.

Marek il écoute la petite pie. Il n’aurait pas le courage de se battre à la fosse, lui. Elle est courageuse Maxine, bien qu’elle n’ait pas l’air comme ça. Lui, il n’a pas l’envie de se battre. Il n’a pas l’envie de parier. IL n’a que les plantes pour le sauver. Ça fait quelques sous en plus à la fin du mois. Ça aide à terminer les mois compliqués. Çà aide à payer de nouveaux pots pour encore abuser de sa manie de planter. Marek, il n’y connaît rien en combat. Il ne saurait même pas sur qui parier. Alors, il fait confiance aux paroles de Maxine, les mains dans le col de son bleu.

C’est finalement réussi. Ce n’est plus le mur qu’elle veut frotter, mais la gueule de l’ours lippu qui recule pour se délecter de la réaction de sa collègue préférée.

- Vas-y Maxine ! Viens me chercher.

Marek, crever ça lui semble absurde. Des fois, il a l’impression qu’il est trop absent, que cette vie ne rime à rien, que même s’il se lève, il est mort-vivant. Peut-être que le fait de naître l’a fait mourir. Peut-être qu’il est déjà mort avant de vivre. Peut-être qu’il attend juste de périr.
Alors Marek attend. Il attend son heure et reçoit l’éponge salement parfumée qui a volé les couleurs des graffitis pour lui colorier le museau. C’est désagréable, il commence à râler parce que la texture l’embête, les yeux fermés, pas parce qu’il est probablement tout coloré. L’éponge retombe à ses pieds, mais dans le creux de sa main il s’avance doucement vers Maxine pour tenter de lui rendre la pareille. Son long bras essaie de nettoyer le visage de cette dernière, armé de son éponge sale et délavée.

- Allez ! C’est l’heure de la douche.

Les menaces, il ne les prend pas au sérieux. Marek, il n’est pas bien méchant, il n’a aucune hargne, il est à peine éveillé de ses sommeils douteux. Il ne se bat pas réellement, parce qu’il n’a même pas la force de lutter. Marek n’est qu’un drôle de géant démotivé, une machine désarticulée, un golem trop fainéant pour garder les terres éclaboussées par les bulles et l’eau poisseuses.

- Je suis déjà un peu mort de toute façon, alors une fois de plus, une fois de moins...

Marek il découvre les positions de combat, celles qu’il n’a vu que peut-être une fois, quand il est venu assisté à une lutte en bas. Pourtant Marek semble insouciant, il se moque des menaces, de la douleur, il se moque des arrêts du coeur. Il veut juste paresser, oublier les problèmes et les taches à dilapider. Il veut oublier qu’il doit faire des heures de navettes pour rentrer, qu’il doit faire à manger, qu’il va encore se mettre sur son balcon pour épier un monde dans lequel il est trop endormi. Que fait-il de sa vie ?Marek, il veut oublier un peu les aléas de l'existence , dans la paresse, la léthargie.

- Promis.

Marek, il risque simplement de râler. De dire qu’il a mal, mais les larmes ne vont pas couler. L’ours lippu, il ne pleurerait que pour arroser ses petits protégés. Les germes et les cendres dans le cendrier. Marek, il ne pleure plus, il a arrêté. Il ne sait plus où, il ne sait plus quand : peut-être depuis qu’il a cessé d’être un adolescent, depuis qu’il a compris qu’il n’aurait plus de réelle aide de ses parents.

Maxine elle est habile, rapide, drôle de volatile. Accrochée dans son dos, elle est espiègle camisole, elle veut le faire céder, suspendue à son col.

- Des fois je me demande ce que tu manges. Peut-être serpent en cachette...

Qu’il marmonne les bras autour de sa trachée. Un peu étouffé par la clé de bras, l’ours lippu veut s’en dégager. Lui, il n’a jamais vraiment su lutter, ou peut-être une fois à a fin d’une soirée. Marek, il s’en moque de vaincre, de gagner, il a déjà abandonner sa vie, celles des autres. Marek, il a déjà tout abandonné,  alors il jette l’éponge. Façon de parler. Ses grosses mains essaient de dégager les bras de Maxine pour la faire tomber, les pies ça ne suspend pas à des ours, sauf peut-être pour s’amuser. Toujours trop lent, toujours trop mou, il veut juste repeindre la face du volatile ou faire semblant : c’est mieux que de bosser. Le sourire dans sa mâchoire inscrit son amusement.  L’ours lippu change d’avis, il finit par saisir ses deux poignets pour la maintenir contre son dos et vient se frotter contre la vieille fresque pour la nettoyer. C’est Maxine qui devient l’éponge alors qu’il commence à délicieusement rigoler.

- Allez ! Il faut frotter maintenant.

L’ours frotte son dossier couvert par sa collègue, comme à un arbre alors que la peinture ne fait que s’étaler, mais il fait peut-être un peu attention, il n’a pas l’envie de l’écrabouiller. Les gestes sont lents et mous, il est peut-être trop fatigué et l'étreinte de ses mains finit par se doucement relâcher. Marek, il ne cherche pas à gagner.

La petite pie s’est évadée de cette étreinte forcée. Marek, il rigole, il se marre, ça le fait rire. Alors que peut-être, dehors, la dernière navette a déjà filé. Il est probablement déjà tard, mais il se moque de l’heure qu’il est, tant qu’il n’a pas à terminer cette tâche ingrate. Marek, il veut pour une fois un peu s’amuser. Alors il contemple sa nouvelle œuvre d’art : une peinture gueularde. Elle crie, elle papote, elle boude, le petit oisillon. Pourtant, il n’est pas bien méchant le grand ourson. Alors il gratte l’arrière de son crâne un peu dépassé. Maxine, recroquevillée, toute colorée.

- Tu m’as dit de ne pas pleurer, mais tu ne vas pas me dire que toi tu vas bouder ?

Marek, il la regarde pendant quelques secondes, il ne viendra pas la chercher. Il reste droit, sage comme un piquet. Il a déjà trop mal au dos, il ne faudrait pas qu’il fasse l’effort de se baisser. Marek, il ne fait pas d’effort pour chercher, il n’est pas encore prêt. Il se contente d’aller chercher son éponge. Alors il commence mollement à marcher.

- Ça te va bien. T’es plus mignonne comme ça, toute colorée.

Rictus au bord des lippes. Marek, il se fera pardonné, mais pas de suite. Il veut attendre qu’elle termine de se lamenter. Il n’aime pas ces lamentions. L’ursidé se met à souffler il arrive devant l’éponge, mais doit se baisser pour la ramasser. Il a déjà mal au dos, rien que d’y penser.

- Tu veux dire à une combattante de la fosse ? Le petit oiseau, ou la petite aux biscotos. Tu t’avoues déjà vaincue ? Moi je m’avoue un peu déçu…


Maxine, elle a des fois des bleus. Il ne sait pas comment elle fait pour tout endurer, elle a plus de réserve que le grand feignant qu’il est. Il ne pensait pas qu’elle baisserait si vite les bras, mais Marek le fait alors pour finir par se remettre à bosser. Alors Marek il se baisse lentement, pousse un râle, drôle de grognement. Ça fait mal aux lombaires, mais pas la peine de voir un médecin, il préfère s’infliger les courbatures, les douleurs, son corps, l’enfer.

Alors que ses doigts arrivent à piquer l’éponge contre le sol, la surprise dans son dos dégringole. Marek, si lent, si calme, qu'il sursaute. Dans un long silence, il met du temps à réaliser que c’est le contenu du sceau qu’il a reçu dans le dos.

L'ours lippu se redresse avec le rythme d’un mourant. Le bleu est devenu crasseux, sale, trempé. Les couleurs et la crasse s’émeuvent doucement dans les vêtements. Marek il pousse un petit soupir, son réveil est assuré, ravivé par un sourire délicieusement dessiné sur le coin de ses lèvres : le géant est amusé. La sécheresse est rompue, alors il range l’éponge dans le bleu déjà trop mouillé.  Il prend le zip de sa tenue,  la partie supérieure est retirée ainsi que le t-shirt qui cachait sa peau alors que l’eau a traversé les tissus : même le t-shirt dessous. Tatouages et épiderme libérés. Marek il se défait de cette seconde peau, prêt à se venger. La bataille n’est pas terminé.

- T’abandonnes jamais. Je préfère ça.

Les mauvaises herbes, c’est un peu comme Maxine. Ça revient à chaque saison, mais c’est une preuve de sols fertiles.
Il daigne offrir une pensée à cette année d’étude à marivauder, à traîner dans les lieux malfamé, à jouer les cons plutôt qu’à apprendre par cœur des listes interminables de formules et autres définition. Marek il se souvient du regard de son père et son jugement, pourtant il se sent moins adulte pour le moment, plus adolescent. Il veut profiter du moment présent. S’il est un raté, alors il préfère l’assumer.

- Tu l’auras voulu.

La fourrure de l’ursidé vient couvrir en majorité sa peau trempée, les ongles s’allongent et déchirent l’accalmie qu’il a tendance à instaurer. Le corps de Marek commence à se secouer pour que les goutelettes s’envolent sur Maxine pour former une petite averse. La bruine colorée s’éparpille dans l’espace et finit par retomber sur le sol déjà trempé. Rapidement, les nuages poilus finissent par se dissiper et il enfile son t-shirt avant de se retourner pour observer la constellations de goûtes arc-en-ciel.

- Alors, cette douche ? Mouillée j'espère ? Ils n'avaient pourtant pas prévu d'averse ce soir.