elle avait bondit de joie quand, héroïquement, il avait laissé tomber sa blouse pour se barrer de la clinique. elle avait sauté, sur lui, avait enlacé sa nuque un peu brusquement pour venir coller ses lèvres aux siennes et l’embrasser de bonheur. on va voir la mer, il avait dit. et elle avait pensé: “quel homme.”

ça a piaillé et rit dans la navette.  les deux lascars dans le wagon à prendre toute la place, à jeter des regards aux grands-mères et à ceux qui osaient les regarder de travers. sasha assise sur son siège, les jambes écartées pour en prendre trois au lieu d’un, à rire fort et à hausser la voix.
ça fait du bien d’avoir la sensation d’être au dessus du monde.

ils sont descendus de la navette une fois que celle-ci est arrivée à ithloreas. vu qu’ils se sont cassés direct de l’hôpital, ils ont rien prévu pour leur voyage. sasha à juste ses fringues, ses clopes, son briquet, ses clefs et son porte-monnaie. pas de sac à dos, pas de sac de couchage, rien à boulotter.
que dalle.
mais ça n’enlève en rien le sourire sur leur visage. en fait, ça les fait marrer parce qu’ils ont l’impression de se retrouver comme avant, presque adolescents. quand c’était la galère, qu’ils avaient rien à faire à part traîner dehors et se brûler le gosier d’alcool à trop haut degrés.

“c’par où ? j’veux voir la mer !!!”

elle est fin excitée, elle a envie de courir tout droit, au pif, jusqu’à tomber sur la plage. mais si sasha quitte sam cinq minutes, elle est absolument sûre de finir paumée. alors elle se contient, mais comme une gosse, elle demande toutes les cinq minutes c’est quand qu’on arrive.

“waow.”

ils y sont enfin, après quelques minutes de marche. c’est la fin d’aprem et c’est bondé de touristes parce que c’est l’été. y’a une grande étendue de sable et à côté, une grande étendue d’eau salée.

sasha, elle bouge pas. elle ose même pas quitter le bitume pour poser un pied sur le sable chaud. elle sait pas pourquoi, sûrement parce qu’elle ne connaît pas. elle est impressionnée parce que  c’est putain de magnifique et en même temps.
elle a peur de se faire avaler.

“tu sais nager toi sam ?”

pas elle.
mais elle le dira pas.

“moi je suis trois fois championne de natation aux olympiades !”

conneries. elle a jamais foutu un pied dans l’eau mais c’est pas grave. pas besoin pour qu’elle s’invente ses histoires.
plus ou moins discrètement - c'est à dire pas du tout- elle chope la main de sam pour venir entremêler ses doigts aux siens. elle veut bien y aller. mais elle veut qu'il lui tienne la main. ça lui donne du courage.
en fait, ça lui fait un peu bizarre d'être là parce que d'habitude, quand ils tirent des plans sur la comète, ça se passe que dans sa tête. mais là, aujourd'hui, ce soir, ils vont vraiment faire des châteaux et jouer dans le sable ?

elle rigole au lapin mort. elle lui fout un coup de coude dans les côtes pour lui dire d’arrêter de faire le zouave. et puis elle se rappelle qu’il est blessé alors elle s’excuse à moitié. oups. pardon sam. vraiment désolée je le referait plus ! et puis elle recommencera dans cinq minutes parce qu’elle aura oublié, parce qu’elle imagine pas sam fragile. jamais.

“mais genre tu coules ? genre glouglouglou…”

elle gonfle les joues en se moquant mais elle n'a pas super envie de rentrer dans l’eau non plus. dans une baignoire, ça va, elle a pied. mais la mer… elle fera quoi, sasha, si le courant vient l’emporter ? probablement rien. à part hurler. c’est ce qu’elle fait de mieux.

ils posent un pied sur le sable,  puis l’autre. sasha s’enfonce un peu, c’est chelou comme sol mais elle contemple, la tête baissée. c’est un peu rigolo de s’enfoncer comme dans de la pâte à modeler.
elle refuse d’enlever ses baskets au début. juste par esprit de contradiction. elle observe les orteils de sam qui frappent dans le sable et elle se demande ce que ça fait, comme sensation. elle verra quand ils seront posés et qu’elle pourra tester.

elle tire la langue et fait des doigts aux idiots qui se plaignent d’eux. sasha en a rien à foutre. ceux qui râlent, elle leur fout un autre coup de sable sur la serviette.

“on aurait dû prendre les serviettes de ta chambre à l'hosto. et les draps. et les coussins.”

elle y pense. ça aurait été pratique. c’est pas grave elle se foutera en sous-vêtement et elle utilisera son t-shirt à la place. ou alors… ils n'auront qu’à en voler à des touristes riches. ça c’est une bête d’idée !

“tu vas pas te noyer ducon ! si les gamins arrivent à aller dans l’eau on peut le faire aussi…” elle est pas très sûre d’elle mais pas question de perdre face à des gosses. “au piiiire… on vole leur bouée ?”

c’est une idée comme une autre. ils s’installent finalement dans un petit coin épargné par le trop de foule. sasha se laisse tomber sur le sable. elle enfonce ses mains dedans pour sentir la chaleur. il a beau être déjà dix-sept heures trente, elle a l’impression qu’il est midi ou quatorze heure. le sable est chaud. ça fait bizarre. c’est granuleux aussi, c’est pas comme la terre, la boue ou la poussière auxquelles elle est habituée.

“c’est tout chaud…”

elle défait enfin les lacets de ses baskets pour toucher le sable de ses pieds. c’est hyper chelou comme sensation. mais plutôt agréable. et puis… cet odeur de sel. d’habitude, c’est systématiquement synonyme de sang. mais pas là, là, ça sent l’air marin.

“j’irai dans l’eau après… quand je serai prête… mais crois pas que j’ai pas peur hein !!”

elle s’arrête un instant pour regarder l’horizon bleuté. c’est magnifique et ça la frappe d’un coup. sasha, elle a jamais rien trouvé de vraiment beau. ni les néons de la fosse, ni les tableaux du musée d’art’klyone. mais là, ça lui fout un choc.
peut-être parce qu’elle a l’habitude de vivre de nuit. qu’elle ne connaît que les rayons de la lune et les lumières radioactives de la ville ? peut-être qu’elle est trop habituée à dormir le jour et à vivre la nuit. au point qu’elle a oublié que tout rend plus beau sous le soleil.

en fait, c’est ça. il fait jour, il fait beau. elle a l’impression d’être dans un rêve.

sasha fait la moue quand il lui renvoie son mensonge dans la gueule. évidemment, avec sam, ça ne prend jamais. il est gentil, flegmatique. il la laisse faire quand elle s’énerve ou qu’elle monte sur ses grands chevaux; quand elle tisse de jolis mensonges et qu’elle se vante. mais en réalité, il sait. et il sait aussi comment gérer. mais sasha est forte à ce petit jeu là, elle est forte pour ne jamais, jamais perdre un débat.

“les champions, monsieur, ça à besoin de temps pour se préparer !” elle réplique, la voix railleuse. “pour choper le bon mindset et performer, tout ça tout ça. toi tu sais pas parce que t’es un gros nul.” elle lui tire la langue. “donc je viendrai quand je serai prête, voilà !”

et toc.

mais sam ne lui laisse pas de répit. il rit, se lève, et veut partir à la mer. sasha espère sincèrement qu’ils auront pied. dans le pire des cas, elle n’aura aucun scrupule à noyer deux ou trois gamins pour leur voler leur bouée. et puis sam lui lance un jet de sable et la mangouste cri, surprise.

“eeeeh !!! salopard !!”

elle se lève pour lui sauter dessus et lui faire manger le sable, mais sam est plus rapide et file dans l’océan. sasha enlève son pantalon et son t-shirt pour le poursuivre, et trébuche, surprise par la sensation de sable. putain, c’est tellement plus facile de courir sur du béton.  à moitié à quatre pattes, elle se carapate à la poursuite du ratel qui s’est désapé pour filer dans l’eau. sa fuite aurait pu être spectaculaire s’il ne s’était pas arrêté dès que ses orteils avaient frôlé les remous.

sam sort peut-être de l’hôpital, mais sasha n’a pas de pitié. sam s’est arrêté trop tôt et c’est ce qui causera sa prête. toujours en courant, la mangouste bondit sur le ratel immobile pour le faire basculer. son poids fait bascule et les deux combattants se vautre par terre, la chute amortie par les vaguelettes.

“allez vas-y, fais le lapin crevé, sangberg !”

sasha ricane, sur lui. ils sont à moitié couchés dans l’eau et ils ont plus que pied. personne ne se noiera ici. elle se laisse tomber à côté, frisonne quand on bassin rentre finalement dans l’eau et se relève pour se libérer de cette sensation. c’est vrai qu’elle est froide.

“chochotte.”

mais plutôt crever que de l’avouer. une fois debout, l’eau leur arrive finalement jusqu’au genoux. sasha hésite, toise sam, hésite encore. elle décide finalement d’avancer dans l’eau parce qu’elle n’a pas du tout envie d’être cocu, même si elle n’a aucune idée de ce que cette expression veut dire.

“en vrai… ça va !” petite mangouste s’habitue vite. elle a trop longtemps pris des douches glacées parce qu’elle n’avait pas d’argent pour se payer le chauffage et l'électricité. “du coup c’est toi qui a perdu !”

elle rit. continue sa course vers l’océan. elle décide de s’arrêter quand l’eau est au niveau de son ventre. le passage du bassin au nombril reste délicat, même si elle fait la fière. et pusi comme ça, elle pourra s’accroupir pour s’immerger jusqu’au cou sans risque de boire la tasse. du grand géni.

“eh… sam…” elle tourne sa tête vers lui, chuchote l’air malicieux. “cap ou pas cap de noyer les gosses là-bas ?”

elle désigne d’un coup de tête un groupe de petit anima qui joue et patauge bruyamment, non loin de là.
c’est pas bien.
elle s’en fout.

sasha moufte. comment ça, pas cap ? elle fronce les sourcils. c’est pas mignon un gosse ! ça parle fort, ça hurle partout, ça dit des choses stupides tout en étant persuadés d’avoir raison, ça se plaint tout le temps parce qu’ils ont envie de faire pipi, de manger ou de dormir et ça chouine dès qu’ils sont contredis…
comme elle, finalement.

“...mouais.”

elle est pas super persuadée. le visage est à moitié immergé dans l’eau, la bouche sous et les yeux au-dessus. ça lui donne un air de crocodile, ça lui plaît. elle souffle pour faire des bulles à la surface de l’eau en s’amusant à loucher dessus.

“eh… y’en a un qui se noie !”

effectivement, pas besoin de les couler, ils y arrivent bien tout seul. sam a plus de réflexe que la mangouste qui continue de barboter. ni une ni deux, il chope le pied du gosse en détresse pour le sortir hors de l’eau. sasha s’approche, assez étonnée de la douceur dont le ratel est capable. les tapes dans le dos et les bras en berceau… elle, elle en serait bien incapable. aucun instinct maternel.
son visage s’illumine quand sam en profite pour lui donner la bouée. elle est contente, elle glisse sa tête dedans parce qu'elle ne peut pas passer ses épaules. il lui avait dit de la tenir, mais sasha décide que c’est maintenant la sienne.

“.. c’est nul juju !” elle rit, s’approche de sampour pincer le gosse et vérifier qu’il est vivant. il hurle. il est donc en vie. “et pourquoi pas golem terminator ultime 2.0 ? on l’entraîne à la fosse et ça devient un giga champion !!!”

c’est beaucoup mieux que juju.
sauf que pas le temps de se projeter dans leur futur parentalité que sam et sasha, le gamin toujours chouinant, finissent par se faire interpeller sur la plage. sasha pivote le regard pour découvrir une petite foule de plagistes aux regards froids et jugeurs, des enfants en panique accrochés à leurs mères, et le surveillant de baignade qui s’approche l’air sévère et leur faisant signe.

“lâche golem terminator ultime 2.0, sam. on s’casse.”

sasha comprend vite.
les gens comme eux ne sont pas les bienvenus ici.



ils se sont fait dégager de la plage comme des malpropres, comme un rappel silencieux qu’ils n’appartiennent pas à ce monde-là. que leur place, elle, se trouve dans les souterrains.  le sable et le soleil, le sel de la mer, c’était sympa; mais le sang et la poussière, le bitume et les néons les rappellent bien vite.

ils sont passés par la douche froide pour se décrasser, et traînent maintenant dans les rues d’ihtloreas pour essayer de sécher avec les derniers rayons avant de choper la crève. sasha découvre la ville portuaire. elle n’a jamais vu autant de bateaux au même endroit. en fait, elle n’a jamais vu de bâteau tout court.

et puis, le ventre se met à gronder, rappelant à la mangouste qu’elle crève la dalle et que ce n’est pas trois misérables pains aux raisins qui vont les rassasiés.

“... j’ai faim ! on fait quoi maintenant ?”

vu que la plage publique, c’est fini pour aujourd’hui.
mais c’était quand même super marrant.

le soleil, c’était marrant. le sable brûlant, c’était marrant. l’eau trop salée pour être bu, c’était marrant. tenter de noyer des gamins, c’était marrant. ce qui n’était pas marrant, c’était le regard des gens après leur passage, les sourcils froncés quand ils faisaient trop de bruit, les regards baissés quand ils bousculaient les plagistes. c’est pas marrant non plus de se faire dégager d’un endroit où ils n’ont, de toute manière, implicitement pas le droit d’être. c’est pas marrant le rappel à la réalité, le rappel qu’ils ne sont que des gamins du goudrons et que jamais, jamais la plage et le soleil ça ne sera pour eux. c’est pas marrant quand la nuit tombe et que finalement, que ce soit au port des prieurs ou à brise-coeur, le noir et l’obscurité englobe tout, les englobe eux. il y a la même odeur d’alcool et de clope froide, y’a juste l’odeur de la mer au loin, parmi tout ça. mais pas assez pour oublier d’où ils viennent.


sasha hausse les épaules. il a raison, sam, les bars c’est pas donné ici. mais c’est pas dans ses plans. elle a bien compris qu’ils étaient pas les bienvenus alors autant trouver une supérette dans le coin, choper une bouteille de vodka et se barrer en courant. dans le pire des cas, y’a la milice qui débarquera et ils auront un toît au dessus de la tête cette nuit, même si ce toît aura le goût et l’allure d’une putain de cellule de dégrisement. parfois sasha, elle se dit que c’est pas plus mal.

sauf que y’a un problème dans le plan. elle a pas capté tout de suite, mais sam, il vascille. genoux à terre et tête pencher, c’est la même pose que quand on s’en prend une un peu trop forte dans la fosse. et puis sasha se souvient. sasha se souvient de l’hôpital, de la peur bleue de le perdre, de sa blessure et de ses côtes fêlées.
merde.
alors elle vient à ses côtés, elle passe son bras autour du sien pour le soutenir et le relever. bras dessus, bras dessous. c’est comme ça qu’on fait pour ne pas se lâcher.

“t’es fatigué mon pauvre sam, c’est la mer, c’est sûr. vu que tu sais pas nager ça a drainé ton énergie. mais t’inquiète on est de retour sur la terre ferme !”

elle rigole grassement. c’est pas ça, elle le sait. ce qui le met à terre c’est les coups pris par la batte de baseball . mais sasha, c’est la pro pour se murmurer de beaux mensonges, se dire que tout va bien. que rien n’est grave.

“viens, il reste encore des navettes.” parce qu’il n’est pas si tard. “vient dormir chez moi, il me reste à manger et à boire.”

ça sera moins cher et moins dangereux que les bars ou les vols à l’étalage. sam pourra se reposer, s’allonger, souffler. ils se poseront sur le lit, mangeront mal et boirons un peu. peut-être qu’ils s’embrasseront, feront l’amour avant de s’endormir et de repartir pour un autre jour.
parce que toutes les belles choses ont une fin. qu’il faut rentrer au terrier, arrêter de rêver. brise-coeur les attends et, de toute façon, on n’en échappe pas aussi facilement. il y a des loups qui les tiennent en laisse. des monstres qui les attendent. des serpents pour les retrouver.