Loin de la cadence citadine, à contre temps du tempo régulier de quotidiens qui se veulent trop remplis, le chronomètre de la vie semble se déformer et se tordre, pour se dissoudre dans l’enchevêtrement des branches infinies jusqu’au cœur de la foret Tue-Loup.
Douce fragrance boisée, infime murmure de la végétation, caresse d’un courant d’air. Heures irrégulières et pour un instant éphémère, l’Atelier s’ouvre de nouveau à son monde extérieur. Alors, son étrange bâtiment s’anime, ses baies vitrées se mettent à bailler avant de s’ouvrir, laissant évaporer l’air humide intérieur fait de transpiration végétale. Des cultures en pot, des pans de murs végétaux, d’étranges plantes peu communes tombantes, grimpantes, couvrantes, sous cloche... le tout minutieusement monté, rangé et orchestré par la folie d’un individu aveugle à cette prétendue folie.
Niché dans son terrarium géant, imperméable au reste du monde, Yuahn savoure les moments passés dans cet endroit qu’il a nommé liberté, et qu’il aimerait encore longtemps inaccessible. De retour après plusieurs jours passés à étudier une espèce poussant derrière les cascades Kora-Kora, il se lance dans une longue contemplation pseudo passive de chaque spécimen présent dans son atelier, susceptible de former une symbiose intéressante avec la dernière en date qu’il a découverte.
Dans un univers qui semble éternellement condamné au silence, chaque plante est une note isolée dans une partition vierge, chacune a une résonance à la saveur bien distincte. Rassemblées, elles forment des accords entre elles, une véritable harmonie colorée dont il a toujours été, l’unique spectateur et auditeur. Empire botanique créé de toutes pièces, autour de lui, la flore respire, elle vit, elle le transcende, et lui, il pourrait se sentir disparaître, tout entier, dans ce trou noir, cette brèche dans l’univers. Et ça engloutirait un à un ses sens, son être, son âme; un jour il partirait comme ça. Il le savait.
Mais avant et pour l’heure, c’était dans un équilibre des sens, que devraient encore naître de nouvelles formules, des plus inutiles aux vertus les plus dangereuses, toutes sans nom et qui n’avait pour secret, que les sens aiguisés d’un individu, couplé à son instinct.
Yuahn Lei
Fleur Montgomery
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Jeu 3 Aoû - 14:40
smoke and flowers
Fleur elle y pense souvent, c'est tout sauf une fleur. Un peu fanée, les pétales arrachées, le monde chaviré. Fleur, elle y pense parfois, comme une mauvaise herbe. On l'arrache, elle repousse ; on piétine, elle éclabousse de poisse. Observer les plantes inconnues, remuer le nez sous les milles odeurs qu'elle ne connaît pas, éternuer un peu, froncer les sourcils face aux herbes qui ont et auront toujours ici meilleure mine qu'elle. Dans son pantalon cargo des jours aventureux un peu poussiéreux, Fleur traîne la patte car elle ne se sent pas à sa place. Pas de fleurs pour Fleur.
Elle n'a pas vraiment frappé, tout est ouvert, elle ne se fait pas prier pour glisser entre le lierre comme une intruse passagère. Elle ne sait pas Fleur, s'il faut croire à la magie du lieu, aux rumeurs douteuses, au sorcier qui n'est jamais vraiment là et pourtant toujours présent. Elle ne sait pas Fleur, si elle préférerait l'aimer ou le détester pour oser faire ce qu'elle ne pourra jamais : s'exiler et tout lâcher. Ça la fait flipper, imaginer les nuits seule et les journées vides. Fleur n'aime pas spécialement les plantes, ni les bestioles de la forêt. Pas même le grand air frais, ça rêve du cocktail du soir et des danses de boite de nuit. De brouhaha constant pour oublier le silence intérieur, combler un peu le vide du cœur.
Dans un coin de l'atelier, elle s'arrête pour l'observer, ne pas déranger dans l'intense concentration qui semble souvent habiter le sorcier. C'est souvent comme ça. Parfois, peut-être, elle ne sait plus, elle n'est pas venue depuis longtemps, mais elle pense à son cousin et ça serait bien, d'avoir quelque chose d'autre sous la main que le cannabis planqué dans le cellier. Parfois Fleur, elle ne résiste pas aux mauvaises idées, se souvient vivre égoïstement et se racle soudain la gorge pour attirer l'attention, se fiche maintenant de briser la concentration.
"Bonjour Yuahn." Presque timide en cet instant, la magie, ça lui fout un peu la frousse même si elle n'y croit pas vraiment. Mais elle insiste, faudrait pas rentrer les mains aussi vide que le reste de sa vie. Elle fait mine d'observer les plantes colorées, c'est ce qui attire bien vite l'attention. Elle se demande si ça s'émiette pour remplacer la cigarette. Alors elle hausse une épaule, nonchalante. "Je cherche un truc...T'aurais pas quelque chose qui pourrait ressembler à de l'herbe par hasard..." et pour clarifier la chose, l'ours se met à imiter le joint que l'on roule, la cigarette entre les lèvres, la bouffée de fumée invisible. Elle n'ose pas trop dire les choses à haute voix, se contente d'un grand sourire innocent, de mimiques exagérées.
Nouvelle tonalité, solo inattendu, dérèglement harmonique.
Instinctivement, l’homme aux plantes retient son souffle alors qu’une identité se dessine dans la voix qui fuse derrière son dos. Les voix d’abord, les apparences ensuite. Celle-là étant une de celles qu’il n’a pas entendue depuis plusieurs mois. La dernière fois, elle avait obtenu son identité pour le peu de personnes sur cette île qui l’appelaient par son nom. Ce monde était fait de trop de noms alors que ce n’étaient que des mots. Machinalement, il l’entend, se redresse, se rappelle une brune, trop grande, trop fine aux yeux tombants, et met un moment à se retourner, de moitié, pour l’apercevoir là bas, trop proche des plantes aux couleurs vives qui lui susurrent de venir les voir et sentir de plus près. Beaucoup plus près, d’encore plus près... Tandis qu’un pincement de lèvres contrarié s’installe lentement que son visage, il l’observe du coin de l’œil, lui demander un bout de quintessence de l’univers à vapoter et à s’enfumer le cerveau. Dès lors, un silence, large, s’étire. Élasticité d’un instant déconcertant. Alchimie en suspens dans un monde aux allures fait de magie. Il n’y a pourtant jamais rien eu de plus concret que ces lieux verdoyants.
De nouveau le dos tourné, Yuahn s’affaire à bouturer une liane. Coup de ciseau, clac. Comme si un dialogue ne s'était jamais ouvert. La silhouette qu’il projette est une ombre malgré la bichromie de blanc et de noir dont il est recouvert, sans l’once d’une extravagance. Et finalement, Yuahn ne lui répondra pas ce que c’est impossible parce que ce serait faux; la perspective simple de la savoir revenir pour lui demander la même chose est une idée qui ne lui plait pas assez. Rendre son atelier accessible à une clientèle n’a jamais été son but ultime alors que se propagent toujours plus, rumeurs et curieux.
- ...Tu es heureuse?
La question soufflée est une question qui fuse et tombe sans prémisses, avec une lourdeur de plomb. Espacée, entre deux silences trop sérieux, et qui presque, pourrait se passer d’une suite, parce que la réponse, elle suinte déjà de toute part. Elle, c’est une âme, qui cherche des placebos pour de petits bonheurs éphémères. C’est une femme, dont il n’a jamais eu l’idée -ni le besoin de lui demander son nom. C’est une plante mise sous cloche mais qui n’a rien faire dedans. Elle vit, sans fleur, dans un environnement qui n’est pas son milieu. Yuahn ne se pose pas beaucoup de questions philosophiques mais ce qu’il voit, il perçoit. Le reste, c’est secondaire.
La bouture dans son nouveau vase à eau, il la place dans une étagère vide, méthodiquement.
Yuahn Lei
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Lun 7 Aoû - 10:28
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Le silence s'étire. La grimace aussi. A peine un regard, un éclat de reconnaissance. Le sorcier a les pensées si vastes qu'elle ne le comprendra jamais, la parole aussi rare que ses plantes et le sourire muet du reptile trop vite repu. Fleur, elle ne comprend pas. Le silence, le souffle du vent, l'odeur du basilic, les fruits qui pourrissent. Ca lui parait loin, elle qui n'a connu que le poisson écaillé du matin sur les marchés, les coraux des fonds pour lui entailler les pieds. Fleur, elle n'aime ni le vert ni les mots d'amour qu'on murmure pour la bonne croissance. Les fleurs si elle les touchait, elle les ferait crever.
Pas de bonjour, pas de réponse, pas de souffle, pas de vie. L'ours gonfle les joues comme une enfant, l'indifférence a le goût du mauvais citron, explose sous la langue en cyanure mérité. Les pensées s'attardent contre les lèvres mais la bouche reste close des remarques acerbes qu'elle pourrait hurler, du monde injuste qu'elle pourrait chuchoter. Elle observe les cisailles et les tiges qui claquent, le dos courbé sur l'atelier et la chevelure sombre inégale. Fleur, elle sait qu'elle dérange, indifférente aux désirs étranges. S'avance d'un pas ou deux, de quoi observer par dessus l'épaule, s'écarter brusquement quand il se redresse. Est-ce qu'elle est heureuse ? Ce n'est pas vraiment ce qu'elle a demandé. La voilà irritée.
"Non." C'est bien pour ça qu'elle veut fumer, oublier, s'exiler dans sa propre psyché. "Ca n'existe pas le bonheur." C'est probablement juste une question de perception ou de marketing. Heureuse, elle ne l'a probablement jamais vraiment été, pas même sous la poudreuse les matins d'hiver, pas même sous les baisers qu'on tente d'oublier, pas même la tête sous l'eau salée en pensant se noyer. Fleur, elle a oublié sa propre question, sa quête illicite et ses pensées vaseuses. Les sourcils froncés, elle continue en tendant une main vers une petite plante sur l'étagère, toucher une feuille du bout d'un ongle au verni rouge écaillé. "Mais j'ai pas dis que j'étais malheureuse. Ca n'existe probablement pas non plus. Etre juste un peu vide c'est pas si mal tu trouves pas ?" Elle n'attend pas vraiment de réponse, absorbée par ses pensées et la petite plante sur l'étagère. "Tu penses que les plantes sont heureuses ou malheureuses elles ?" Honnêtement, elle ne leur conseille rien de tout ça.
Éparses étaient les conversations, parfois incapables de se corréler ni dans un équilibre ni dans une structure. Mais Lei, à défaut de noms, se souvenait bien de cette personne là, et de toutes les autres avant elle, tout comme il savait où s’étaient estompés la plupart de leurs fragments d’échanges. C’était une habitude, c’était une récurrence, il poursuivait ainsi la discussion là où elle s’était arrêtée, comme si le temps n’était pas vraiment passé. Les salutations étaient des significations éteintes à sa compréhension, il les oubliait. Trop souvent. Dans le monde animal, beaucoup d’espèces se passent de protocoles conformes que l’être humain a un jour verbalisé. Aux yeux du sorcier, la plupart des mots avaient peu d’intérêt si ce n’est combler le vide. Peut être qu’elle, la fleur sans fleurs, elle avait besoin de ce vide pour se retrouver.
Le pépiement doux des oiseaux derrière ses réponses désinvoltes, la douce brise qui serpente entre les baies ouvertes pour effacer son irritation. Il la sent étudier ses gestes derrière lui, tantôt de près tantôt de loin, miroir de ses propre sens qui décortiquent une nouvelle partition depuis son arrivée. Et tandis qu’il se met à écouter puis affectionner le doux crépitement des feuilles des unes contre les autres, le passage tiède d’un futile mouvement aérien contre son derme, il contourne l’étagère, et une fois de de l’autre côté, saisit dans les ténèbres de son regard trop étiré, le vernis pourpre et usé du bouts de ses doigts.
Comme la dernière fois.
Le bonheur, des éclairs évanescents d’épisodes ressentis heureux dont on ne se rend pas toujours compte. Le bonheur, c’était une une contante fictive, une illusion affublée de croyances sans doute naïves. Dans ce labyrinthe vivant de végétaux, Yuahn n’a jamais réfléchi au bonheur ou au malheur; il sait juste qu’il est dans son élément et ça lui suffit amplement comme ça.
-Les plantes, elles ne s’ouvrent pas quand elles sont pas à leur place, avait il répondu, calme, et dans un demi murmure, -Celle là et tu fais comme si c’était toi.
Et il avait doucement posé une cloche de verre sur la plante qu’elle effleurait. Encastrée dans sa soucoupe, il l’avait poussée vers elle. Mais à la fin, elle l’avait oubliée. Ou avait prétexté l’oublier, mais c’était sans importance.
*
Flottements hasardeux
Un autre jour dans l’atelier, encore. Il l’aperçoit alors qu’il est en train de fermer l’atelier. Prêt à repartir, partir quelque part, rencontrer un ailleurs. Un grand pot dans les bras, il s’immobilise et attend. Elle, le sait-elle, sait-elle au moins ce qui la fait sourire? Aujourd’hui, élan de vieille cigarette, effluve alcoolisée de fermentation fruitée. Peut être encore son vernis écaillé.
-Fleur, sans fleurs?
Yuahn Lei
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Lun 14 Aoû - 11:15
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Les sourcils froncés pour tout observer, s'imprégner un peu du feuillage évasée, de l'odeur printanière loin des mégots écrasés de la vieille ville. Le museau rému, les pattes aussi. L'envie de tout toucher, Fleur, elle a oublié ce qu'elle était venue chercher ; les questions envolées pour exprimer la psychée. Les mouvements du sorcier suivis comme un maître en la matière. Fleur elle voudrait dire peut-être qu'il faudrait arroser. peut-être qu'il faudrait tailler. Mais elle n'y connait rien et le laisse poursuivre son refrain. Observer la petite plante sous verre comme son cocktail du samedi soir. Avec révérence. Elle n'écoutera pas les conseils Fleur, les pétales qui s'ouvrent et se referment. Elle n'écoute jamais vraiment les conseils, se contente d'hocher la tête comme si elle avait compris. Elle ne veut pas comprendre.
Encore quelques phrases oubliées, des mots hauts perchés. Demi-tour les mains vides, au dernier moment elle pense se retourner, revenir en arrière. Mais Fleur n'en fait rien. Elle se dit qu'elle reviendra la chercher. Un autre jour, comme un prétexte pour glisser sous la nature étrangère, observer encore les rayons du soleil à travers la serre.
*
Elle a trop bu Fleur, cocktail fruité là sous le palais, fumée endiablée pour sa propre tranquillité. La robe trop courte, les jambes bancales, la petite veste refermée sur ses épaules sans qu'elle en prenne vraiment conscience. C'est vaseux, brouillon, hasardeux. Ça sent la fleur exotique et la lavande des prés, ça sent le remous cauchemars et la nicotine du soir. Une cigarette à la main, elle vacille contre le mur de l'atelier, s'y appuie pour enlever ses chaussures à talon. Respirer l'air frais et dénouer les chevilles douloureuses. Il est encore là, mais c'est chez lui après tout, rien de plus normal. Elle ne vient pour rien en particulier si ce n'est les pensées éméchées, l'envie d'encore festoyer. Elle ne s'est pas perdue dans la forêt, elle savait où elle allait. Et maintenant ? Observe la plante, l'homme sombre. Il se souvient de son nom, c'est rare. Ce soir, c'est elle qui pagaille à prononcer le sien, abandonne dans une dernière syllabe laborieuse.
"J'ai mal aux pieds." Comme si ça pouvait tout expliquer, elle qui rêve de ne plus avoir la nausée. Les sourcils froncés sur un sourire éméché plissé de défi imaginé. "J'fais une pause ici." Elle a oublié que c'est là qu'elle allait, ici.
Ce soir là, était ce tard la nuit ou était ce tôt le matin, à travers les plants et feuilles qui dépassent de son pot gigantesque, c’est une démarche qui chavire et qu’il ne lui connaît pas, des jambes encores plus longues pour une tenue trop courte, une silhouette au galbe qu’il trouve encore plus fin. La surprise avant son inertie face aux nouvelles visites, il dépose doucement son fardeau au sol et se redresse, l’ouïe pleine de sonorités, des tentatives écorchées pour prononcer son nom. Ribambelles de syllabes, construites puis déconstruites, mécanique dont Lei pourrait répéter pour une éternité. Il secoue imperceptiblement la tête pour s’échapper momentanément de cette mascarade.
Un blanc de conversation, encore, toujours.
Il arrivait, fréquemment, que des âmes s’égarent dans les parages et quand bien même perdues, infinitésimal était le hasard qu’elles tombent sur cet atelier camouflé aux confins de la forêt. Entre vouloir ‘faire une pause’ ici ou débarquer en petits talons apprêtée pour une soirée, Lei ne savait pas ce qu’il trouvait de plus inhabituel. Faire une pause ici. Ici, dans la forêt la plus hostile de toute l’île. Insouciance, provocation ou extrême naïveté ? Elle vacille comme une flamme qui va s’éteindre tandis que lui, il reste figé là, sans réplique à lui rétorquer au nez.
Effluve de cigarette.
Le Sorcier, n’a pas vocation à changer les autres ni l’ambition de vouloir leur donner l’envie de changer. Parce qu’il ne connaît pas d’exemplaires codes de conduite à rabâcher aux autres, parce qu’il ne possède pas vraiment de moralité à partager. Il ne sera pas non plus, l’homme qui se réjouira insidieusement d’une splendide arrivée inattendue, -come to think about it, a beautiful lady in front of his door right there, in the middle of the night. Cracky. Out of her mind. Out of time, out of nowhere, out of nulle part. Altérée est sa perception du monde, et ce soir, cette femme ne tomberait pas sur une étoile hostile dans le tracée de sa vie qu’elle ternit d’elle même. Ni probablement sur sa bonne étoile. Ils n’étaient que deux individus dont l’existence ne faisait que se croiser au carrefour d’une vie, deux passagers le temps neutre d’un regard -mental, chacun avant de continuer son chemin, encore. Et encore.
A l’exception de Lei, qui ne pouvait soutenir un regard.
-Je n’ai pas de choses qui ressemble à de l’herbe, ce soir.
Un tronçon d’arbre en guise de chaise qu’il pousse vers elle.
Il attrape le petit baluchon suspendu là sur une branche pour un départ imminent, le dénoue, pose les affaires plus loin. Déroule la toile soigneusement plié en petit carré et la dépose sur les épaules de la jeune femme.
Il recule, réfléchit et puis.
-Est ce que tu veux avoir mal aux pieds ?
Croassement d’un oiseau nocturne Grillons aux chants taciturnes, Tantôt un parfum de lavande tantôt ceux de capiteux fruits dévoilés Sous une nuit étoilée.
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Lun 21 Aoû - 11:20
smoke and flowers
C'était une mauvaise idée, Fleur n'a que de mauvaises idées. Les sourcils froncés dans un sourire fébrile, Fleur n'est pas la bienvenue, Fleur ne pousse pas ici entre le parterre fushia et les lavandes odorantes, entre les herbes aromatiques et celles qui guérissent. Fleur, enracinée sous le béton fêlé, interstices goudrons à la saveur de l'orage, pas de soleil pas de rivage ; tordue et enchevêtrée entre les bouteilles de bières, les mauvaises sphères. Tangue comme un bateau qui ne connait pas les flots, les doigts entortillés sur la robe de poupée, visage dissimulé sous le maquillage bon marché. C'était bien, la fête, une heure plus tôt. C'était bien, elle n'aurait jamais dû partir, délaisser le jardin festif d'une connaissance de Regalia pour s'emmêler les pensées entre les buissons tue-loup, les humeurs sauvages et l'atelier dissimulé.
Fleur, elle voudrait fumer, tâte les poches d'un air effaré, elle a oublié son briquet. Le sorcier ne fume pas, c'est bien connu les effluves magiques ne doivent bien sortir que de ses plantes essorées, séchées, broyées. Ce ne sont pas les bonnes herbes non, celles qui la font mourir de rire sans raison affalée sur le canapé de son cousin, celles qui embrouillent les pensées bien mieux qu'une symphonie endiablée. Fleur rit un peu. Elle ne vient pas pour les herbes, elle a juste oublié pourquoi elle venait. Probablement les étoiles trop brillantes ici, les odeurs fraiches qu'elle déteste, le silence assourdissant. Pas de musique pas de lumière artificielle, pas de hurlements festifs, pas de verres qui trinquent à l'unisson. Elle déteste ça Fleur, la nature et la forêt, tout ce qui pourrait la rendre un peu meilleure.
Elle s'assoit quand on lui propose un nouveau trône. Bancale, elle manque de basculer, se remet à pleurnicher. Quelle idée, évidemment qu'elle ne veut pas avoir mal aux pieds. "Ta question n'a pas de sens." Mais elle réfléchit et répond quand même après une hésitation qui ne devrait pas hésité. "C'est mieux de ne pas avoir mal, nul part !" Elle a parlé trop fort, plaque immédiatement une main devant sa bouche, les yeux ronds pour demander pardon. Dans la forêt, il vaut mieux ne pas réveiller les loups. Sous son châle improvisé qu'elle n'a pas pensé à remercier - un peu égoïstement elle a trouvé ça normal -, la fleur finit par secouer la tête, le visage trop pâle et l'humeur vaseuse.
"J'ai envie de vomir..."
Alors subitement le corps se relève, monté sur ressort, quelques pas plus loin, le dos courbé, finir par tout dégobiller dans un parterre de fleur ou un joli buisson, elle ne fait plus la différence. S'essuyer la bouche sur le carré de tissu sans presque aucune honte (elle a l'habitude, ils ont tous l'habitude). De nouveau droite et chancelante, elle a juste un peu moins mal au ventre.
Erratiques sont les variations des humeurs de sa visiteuse qu’il observe silencieusement. La paire de talons oubliés au sol, Yuahn les avait saisis dans l’intention de les envoyer valdinguer loin, très loin. Pour qu’elle le ne les retrouve jamais. Peut être qu’alors, les maux qu’elle s’infligeait elle-même s’estomperaient un petit peu ; après tout, c’était mieux de ne pas avoir mal, nulle part, c’est vrai. Mais c'est à ce moment qu'elle le devance, qu'elle chancelle et vacille, fleur impuissante face à une attraction terrestre devenue trop incertaine. Et puis elle régurgite. Régurgite… dans ses plantes, ses frêles plantes de la nuit, fragiles éphémères nocturnes. NON. Non, pas ça.
Écran de fumée noire.
Interloqué, Lei sent ses doigts se transformer en griffes acérés, les chaussures s’échappent de ses phalanges. Il serre les poings, la mâchoire, sent son échine se contracter, dans cette brusque vague d’agitation qui balaye ses sens. Il l’attrape par une épaule et la repousse plus loin, pour faire barrière entre le danger ambulant qu’elle représente et son banc aux précieuses fleurs désormais redécorées.
- Pourquoi, pourquoi est ce que tu viens vomir ici ! Il siffle, furieux, et pointe du doigt griffu ses fleurs aux nouvelles fragrances. Là exactement. Pourquoi.
Elles ne survivront jamais contre les substances gastriques. Des heures et des heures, -jamais ne voudra-t-elle le savoir, ô combien d'heures dédiées à leur croissance pour cette misérable consécration trop injuste. Des existences écrasées. Yuahn le sait depuis toujours, elle n'a aucune considération pour la nature. Il ferme les yeux, résigné.
Avant de les rouvrir et d’un index acéré, il martèle chaque mot à demi murmuré.
-Je ne t’aime PAS - DU - TOUT.
Lei ne sait pas élever davantage sa voix. Elle ne porte pas vraiment. Mais l'intention y est claire, quand il laisse s'exprimer ses élans d'humeurs. Alors, passablement agacé, il lui tourne soudain le dos et disparait dans son atelier, trouver arrosoir et verre d’eau, l’esprit passablement agacé.
Fleur, quand elle vient, peu importe comment elle est apprêtée, elle défait toujours tout sur son passage.
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Mar 5 Sep - 11:01
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Le malaise persiste, le nez se retrousse sous l'odeur nauséabonde. Ca ne va pas non ça ne va pas, qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle ouvre la bouche pour s'excuser Fleur, peut-être une légère prière pour les pauvres plantes, peut-être juste un mensonge de plus pour effacer la honte. Elle sait ce qu'elle va dire oui, ça ressemble à pardon, c'était pas voulu, désolée, je vais nettoyer, oups, je vais m'en aller.
Mais les yeux s'ouvrent en grand devant l'humeur furibonde, loin de la douce mine vagabonde qu'elle pensait rencontrer ce soir en s'exilant du monde. Yuahn n'est pas content, les griffes d'acier et l'échine qui se braque. La peau qui se modèle à la lueur de la nuit. Un hoquet de peur, l'ours repoussé plus loin, tangue encore un peu sur les jambes avant de se stabiliser, les yeux ronds. Elle ne sait pas quoi dire elle ne sait pas quoi faire. C'est étrange, la colère dans les yeux de ceux qui n'en ont jamais. C'est étrange, Fleur elle n'a pas l'habitude, baragouine quelques paroles qui pourrait rimer avec les excuses qu'elle lui réservait quelques secondes plus tôt. Finalement, rien de bien cohérent de sort, et elle continue de fixer de ses yeux sombres toujours surpris.
Il part. Il s'en va. Il l'a laisse là ?
Lueurs de colères, elle redresse la tête, s'égosille alors qu'elle commence déjà à le perdre de vue.
"Et ba tu sais quoi ?! MOI NON PLUS !"
Furieuse, la brune fait demi-tour sans attendre une seconde de plus, se met à courir sans même prendre conscience des chaussures oubliées mais tant pis, elle n'a plus mal aux pieds, elle n'a plus mal nulle part si ce n'est son égo brisé à leurs pieds. Furieuse, elle reprend le chemin de la civilisation sans se retourner, le doux tracé qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Elle n'a pas précisé Fleur dans ses dernières paroles, lequel des deux elle détestait le plus. Lui ou elle, lui ou elle.
* Un autre jour un autre temps
Les sourcils se froncent face aux étales, elle n'y connaît pas grand chose Fleur, des légumes qui peuplent les marchés, des fruits bon à faire sécher. Des arômes qui font vibrer la rue alors même qu'elle se retient d'éternuer. Il est trop tôt, elle a fait un effort. Comme a dit maman ce matin, enfoncée dans son petit fauteuil de terrasse sous le soleil levant, en pleine campagne de Regalia. Il n'y a bien de beau que l'aurore. mais fleur n'est pas d'accord. Va me chercher le pain trésor. Entre autres choses gravés en lettre noir sur la petite liste de course. Ici pas de poissonnier sur le petit marché de la ville, ça la rassure un peu de ne pas avoir à entendre le prix des dorades hurlé dans son dos. Ne pas avoir à ignorer les effluves nauséeuses des chairs blanches qu'on lacère. Fleur soupire, rêve de quitter ces piètres vacances en famille, rêve d'oublier maman prôner la bonne alimentation et papa se goinfrer en cachette. Elle n'aime ni Regalia, ni les marchés, ni les matinées ensoleillées. Elle préférerait un verre de gin dans le pub d'à côté.
Le petit panier d'osier manque de se renverser en percutant quelqu'un. Elle couine Fleur, prête à ne pas s'excuser car au fond, à quoi bon. C'est le sorcier alors Fleur, elle ouvre de grands yeux, jusque là certaine que l'apercevoir hors de son atelier révélait de l'imaginaire. "Oh heu, bonjour !" C'est maladroit, elle sert le petit panier contre sa poitrine.
