comme d’habitude, réveil de merde.
gueule de bois. soleil dans la tronche. courbatures aux muscles. bouche pâteuse. ventre vide. envie de vomir. c’est la totale, mais c’est aussi la routine. pour sasha, tous les matins sont les mêmes: horribles.
sasha attrape son téléphone en gémissant, par principe. ça devrait lui retourner le bide mais elle s’est habituée. vie malsaine. elle boit trop, s’agite trop, fume trop, se drogue trop. tout est trop;  elle en paye le prix.

madame irina a dit qu’elle finirait par bousiller son corps et qu’il fallait faire attention. l’agent su lui dis de faire attention à son alimentation. l’autre pouffiasse de cadenza lui fait la morale sur ses choix de vie à chaque fois qu’elle lui passe les menottes. tous les mêmes. tous derrière son dos.
sasha, elle s’en fout. elle ne pense pas au futur. jamais. elle n’en a pas l’occasion. elle ne fait pas partie de la population qui a la chance de pouvoir se construire un avenir, de pouvoir prédire. sasha, elle fait partie de ceux qui se battent au jour le jour. alors elle oublie le passé, ne fuit pas dans l’avenir, elle se concentre sur l’aujourd’hui: gagner sa journée à tout prix.

ce matin, donc, réveil de merde, comme d’habitude.
mais il y a les cinq notifications sur son téléphone à côté du pseudo “saaaaaaaaam” avec neuf “a”, elle ne sait pas pourquoi. elle s’attends à une connerie, une vidéo marrante, une anecdote de sa soirée, des insultes affectueuses, mais non.
rien de tout ça.

pointe de panique devant l’incompréhension et ses messages chelous. il peut pas être clair et dire les choses ce sale ratel ? sasha peste parce qu’elle n’est pas réveillée, mais l’inquiète la force à bondir de son lit pour aller s’habiller. elle donne quinze minute à sam pour lui fournir une explication convenable, sinon, c’est décidé: sasha se pointera.

“SAM RÉPONDS !!!!” les doigts frustrés tapotant le clavier. grognement et fin de cigarette.
roh et puis merde.
“vazy tu saoules j’arrive”

elle enfile les premières basket qu’elle trouve (trouées),  fouille sur sa table pour récupérer son porte-monnaie balancé là la veille pour le glisser dans la poche de son cargo, elle n’oublie pas les clefs et claque la porte direction babel: la clinique bartholomé.

elle s’est achetée un café sur le quai de la navette qu’elle a avalé en deux minutes. dans le wagon, elle regarde le paysage défiler et profite des quarante-cinq minutes de trajet pour se réveiller. à la station d’arrivée, elle sort le plus vite possible et file da ns le quartier adjacent où se trouve l’hôpital de l’île.

à l'accueil, elle demande la chambre de sam. elle se fait reprendre pour son manque de politesse, alors elle se rattrape auprès du personnel par un sourire maladroit et un bonjour timide. une fois le numéro donné, elle le répète en boucle pour ne pas l’oublier, se dirige vers l’ascenseur pour monter au bon étage et cherche la bonne piaule. les murs blancs de la clinique l’angoisse un peu. elle n’y a jamais mis les pieds. elle a toujours refusé. sasha, elle n’a pas besoin de l'hôpital pour ses plaies. elle se soigne toujours seule.

“yo.” elle est entrée sans frapper. tant pis si elle l’a réveillé. elle balance un sac en papier sur le lit avec un manque flagrant de délicatesse.  “j’t’ai pris des pains aux raisins parce que j’ai pas oublié tes goûts douteux.”

elle lui tire la langue avant de se laisser tomber sur la chaise d’à côté.
il y a un moment de silence. de flottement.
c’est con, mais sasha n’est pas à l’aise de le voir comme ça, en convalescence.

“...s’est passé quoi ?”

elle essaye d’être la plus douce possible, mais sasha reste et sasha, alors elle met les pieds dans le plat. parce qu’au fond, tout au fond, elle est inquiète. elle ne lui dira jamais, mais elle n’a pas envie de le perdre.

tw: insultes

avachie dans la chaise d’hôpital, elle se balance un peu avant de manquer de se casser la gueule. elle râle intérieurement. c’est fragile, ces chaises de merde. elle a la flemme de devoir justifier aux infirmiers qu’il y a une chaise pétées dans la chambre. ça foutrait sam dans la merde, et c’est bien le seule pour qui elle tente d’éviter de causer trop de torts.

“j’ai un faible que pour UN SEUL gros nul: toi.”

ricanement de hyène. c’est à moitié vrai. sam, il a un truc inexplicable qui fait qu’elle n’imagine pas sa vie sans lui. peut-être parce qu’ils sont pareil. peut-être parce qu’ils ont la même vie. elle sait pas trop. c’est son meilleur ami. un frère de cœur. le seul gars avec qui elle se sent vraiment bien. elle sait pas trop vraiment c’est quoi la nature de ses sentiments. elle sait juste que sasha et sam, ça sonne bien.

elle tente de rester impassible quand il lui raconte, mais c’est plus fort qu’elle, son genoux tremble nerveusement. elle aime pas ça. elle aime pas savoir que sam s’est fait défoncer. pire, elle aime pas savoir qu’il a perdu.

en temps normal, elle lui aurait ri au nez, se serait moqué de lui parce qu’il s’est fait défoncer. sauf que là, c’est pas normal. sam est à l’hosto. il a l’air épuisé, vidé, démuni. il fuit du regard, à l’air d’un chien mouillé sur le trottoir.  ça lui fout le seum.

“hmm…” elle réfléchit, ou du moins elle essaye. sasha a du mal avec l’intellect. “c’était qui cette salope ?”

histoire de dire: j’vais te venger. mais elle le dit pas, y’a pas besoin. si elle a un nom, un visage, une piste, elle ira lui défoncer son autre bras. par pure rancœur, par pure vengeance que cette connasse ait osé blessé son pote.

tout va bien.
elle sert les dents.
si tout va bien, pourquoi est-ce qu’il est comme ça ? aussi mal ? aussi triste ?
aussi faible.

“sam.”

elle hausse le ton pour lui couper la parole, pour prendre la place dans le dialogue. sauf qu’elle reste plantée là parce qu’elle n’a pas prévu la suite. elle ne sait pas quoi dire. comme si elle avait oublié qu’elle n’avait ni l’intelligence ni le charisme.
merde.

roh et puis.
c’est sam.
elle a pas besoin d’essayer d’être ce qu’elle n’est pas.

alors sasha se lève de sa chaise pour s'asseoir sur le lit à côté de sam. elle lui dit du regard de lui faire de la place avant de capter qu’il ne peut peut-être pas bouger. tant pis, au pire elle l’écrase, c’est pas grave, il a l’habitude de l’avoir sur le dos, sur les côtes ou sur le ventre. au pire il la poussera pour qu’elle dégage. c’est ok.

“t’es vraiment chiant tu sais !”

elle a retrouvé son ton habituel, un peu taquin, très affectueux. elle se cale contre lui, passe le bras autour de son torse pour lui faire une étreinte. elle a calé son autre main replié, de sorte à s’appuyer sur son coude et être un peu au-dessus de lui, le visage au-dessus du sien. elle en profite pour déposer un baiser sur son front. elle capte qu’il en a besoin.

“t’es pas mort, sam. d’ailleurs si un jour tu oses crever sans moi, je te retrouve et je te bute. genre, sur dix générations, à chaque fois que ta foutue âme de ratel se réincarnera, j’serais là pour t’en foutre une d’m’avoir abandonné.”

c’est pas très cool de ne penser qu’à sa gueule quand son meilleur pote et sur un drap blanc et qu’il a le thorax déchiré. mais sasha s’en fout. elle est comme ça. il l’aime comme ça. s’il veut des “je suis désolée de ce qui t’es arrivé” ou “j’espère que ça va aller” ou “prend soin de toi”, c’est pas auprès d’elle qu’il faudra minauder.

“bref. t’es vivant et j'suis là. ça va. ok ?” elle a le sentiment qu’il plane et qu’il faut qu’il revienne au sol, qu’il capte que c’est fini et qu’elle est là. alors elle force, un peu trop brusque, pour lui remettre les idées en place. c’est pas très rassurant mais étrangement, ça marche pas trop mal entre eux. “du coup t’as quoi ? deux côtes cassées ? des jolies cicatrices en plus ? tu pourras sortir quand ?”

elle dit ça comme si c’était cool, mais c’est surtout qu’elle s’inquiète et qu’elle veut savoir à quel point il est blessé.

“y’a un truc qui te remonterai le moral ? j’aime pas te voir tout maussade…” le regard brille, la voix est mielleuse, joueuse. son doigts s’agite dans l’air, comme si elle sous-entendait plus qu’un bisous sur le front… “j’ai une idée si tu veux…” elle s’approche, le souffle chaud, de son oreil qu’elle a elle-même déchiré il y a des années. tout cela pour lâcher un: “que dirais-tu d’un morceau de tarte au miel ?”

et d’un coup, elle se redresse pour bondir du lit et sortir d’une des poches de son pantalon cargo un autre sachet de la boulangerie.

“j’avais pris tes pains aux raisins dégueulasses mais en partant j’ai vu qu’ils avaient une pâtisserie au miel. j’suis vraiment une super amie tu trouves pas ?”

elle éclate de rire en lui tendant le bout de tarte au miel et aux amandes. elle sait à quel point il aime le miel et que c’est son péché mignon. et puis, elle lui affiche un regard encore malicieux.

“quoi, tu pensais à quoi ?”

elle rit encore, clin d'oeil taquin. elle est joyeuse, dans la même complicité qu’ils ont toujours eu. elle espère que ça rend un peu plus joyeux cette foutue chambre blanche et impersonnelle.
si avec ça, ça ne va pas mieux, elle ne sait plus quoi faire.

elle l’écoute balbutié ses quelques explications sur son état. il cherche ses mots mais sasha peut pas l’aider. quand ça fait plus de trois syllabes, elle galère. alors là, cinq, c’est mort.

“une pneumomachin, j’ai capté. va falloir qu’t’arrête la fumette alors ?”

elle ricane pour se foutre de sa gueule mais la question est semi-sérieuse. si ça touche les poumons, peut-être que sam ne pourra plus jamais fumer ? après tout, c’est là que va la fumée. elle réfléchit une fraction de seconde, plisse les yeux en observant sam. il respire. elle voit son torse se lever quand l’air rentre et se baisser quand il l’expire. elle entend son souffle fatigué. s’il avait vraiment les poumons morts, il pourrait pas faire ça, non ? donc voilà, s’il respire, il peut fumer. s’il peut fumer, tout va bien, c’est qu’il est pas complétement pété.

“tu veux pas rester mais tu veux pas partir ! je l’avais dis: t’es relou.”

mais sam sourit enfin et ça lui fait du bien. son gonflement au coeur disparaît. il va déjà mieux et ça se voit. putain, ça la rassure plus que ce qu’elle ne peut assumer. elle lève les yeux aux ciels pour les infirmières avant de laisser, faussement sceptique:

“je savais pas que c’était ton délire ce genre de rôle play ! plusieurs infirmières en plus ! ça va tu t’fais plaiz. j’te suffit pas ? j’suis pas assez douce pour jouer les médecins ?”

sasha se marre et lui fait un clin d'œil. elle connaît déjà la réponse: elle est l’opposée même de la douceur. mais toutes ces conneries, ça lui donne une idée.

“si tu te sens pas de partir toi, qu’est-ce que que tu dis d’un kidnapping ?” elle s’approche à nouveau, les yeux qui brillent d’une idée foireuse. “genre… tu es un pauvre convalescent enfermé dans une chambre blanche et tu rêves de t’échapper… et là, tu as une jolie blonde qui vient à ta rescousse et qui te fait sortir pour te faire profiter des joies de la vie…” elle passe son indexe sur les clavicules de sam,  contourne les plaits, admire les cicatrices. elle aime bien. elle l’aime bien.  “alors, c’est moins fun qu’une pyjama partie avec plein de jolies infirmières à ton chevet, mais ça reste cool comme scénario non ?”

ça finit par sam sur qui lui attrape le poignet pour la faire venir contre lui et l’enlacer. sasha rend l’étreinte avec plaisir. elle le serre fort contre elle, rassurée, soulagée. elle laisse le temps s’écouler, juste pour profiter, se dire que c’est bien réel. elle ne se permet qu’une réplique:

“et pour la millième fois, j’suis pas petite.”

quand il lui balance le petite teigne. surnom affectueux qui reste depuis des années. sasha aime pas qu’on lui rappelle sa petitesse mais puisque c’est sam… ça va.
elle quitte ses bras pour s'asseoir sur le rebord du lit, à côté de lui. le ratel se décide à tout lui balancer. ce qui lui est [/i]vraiment[i] arrivé.

“hmm… ah ouais j’crois je vois. vlad non ? un truc comme ça, j’sais plus… c’pas lui qui est blessé et qui peut plus se battre depuis quelque temps ?”

un petit con un peu prétentieux persuadé d’être meilleur que les autres alors que c’est encore un blanc-bec. le même sponsor que sam, une rivalité qui s’installe. mais à part ça, sasha savait rien.

“oooooh ! HAHAHA ! alors c’est à cause de toi !”

la mention de la violence, de savoir que c’est sam qui lui à péter les genoux, ça l’excite. elle se rend pas compte que c’est grave, que les règlements de comptes ça finit jamais bien. elle aime trop la violence pour ça. alors elle exulte, un peu fière de sam.

“oui t’es débile mais mérité non ? on nous fait pas de l’ombre à nous !” tout sourire. elle le pense. ils sont trop exceptionnels pour ça. et puis vient la suite. le sourire de sasha s’efface quand elle capte. “ah. attends… pas la première fois ?”

elle fronce les sourcils.
y’a un truc qui l’emmerde.

“donc t’es en train de me dire que ça fait un moment que y’a des dégénérés mentaux qui essayent de te casser la gueule ?? pourquoi tu m’as rien dit avant wsh ?”

elle sait pourquoi: il pensait sans doute pouvoir gérer ça tout seul. et sasha, elle aime pas ne pas faire partie des coups, alors elle n’est pas contente. elle soupire. elle lui pardonne vite. c’est bien le seul.

“bon maintenant bonne nouvelle: t’es plus tout seul.” elle soutient son regard. “ta chevalière est là pour te sauver, princesse en détresse coincée dans ta tour blanche.” regard un peu taquin, provocateur.  parce qu’elle est vraiment chaud de faire sortir sam d’ici en le kidnappant. “la prochaine fois, tu m’en parles, ducon.”

elle se laisse tomber sur le lit, le dos amorti par le matelas. c’est assez confortable comme truc. ils devraient se barrer avec et installer le matelas chez sasha, ça fera un squat de luxe. le corps perpendiculaire au sens du lit une place, elle fixe le plafond.

y’a un silence.
et puis.

“sam.”

le ton est soudainement sérieux. ça coupe un peu avec l’ambiance abrutie de leur présence à tous les deux, quand ils sont ensembles et qu’ils créent leur truc à deux.

“donne-moi un nom.”

c’est un ordre.
mais aussi une menace.
par pour lui.
pour l’autre pétasse, pour le bouffon au genou en moins. pour tous ceux qui osent toucher à un cheveux de sam.

ah, c’est pas vlad. vlad c’est l’autre, l’aînée. sasha écoute en hochant la tête comme si ça coulait de source. mais franchement, c’est pas sa faute si elle confond tout. ils avaient qu’à pas s'appeler comme ça. vlad et vick. c’est trop proche. ils sont cons leurs parents ou quoi ? et la soeur elle s’appelle comment à ce stade ? viola ?

“oooook. vlad… vick… et leur pétasse de soeur. c’est bon j’ai tout capté !” elle n’a rien capté du tout. “hm hm. ouais t’as raison, tabasser les nuls c’est..  nul ! mais la prochaine fois ouvre ton chakra parce que j’ai pas envie de te retrouver une deuxième fois à l’hôpital. ça va me demander d’ouvrir un budget viennoiserie et j’ai trop la flemme de justifier ça à mon banquier.”

en réalité, elle n’a pas de banquier. mais sasha s’en fiche, ce qui compte, c’est l’idée, le message à faire passer.

sam joue avec ses cheveux. elle se laisse faire en souriant. elle aime bien. en fait, ce qu’elle aime bien, ce n’est pas tant sa manière qu’il a à la toucher, à effleurer sa peau ou à rire à sa blague. ce qu’elle aime, c’est comment le monde semble s’arrêter quand ils sont tous les deux.

sauf que sam décide de casser l’ambiance en prononçant le prénom interdit. sasha se fige, se redresse d’un coup, le corps tout rigide, elle d’habitude si souple.

“nan, t’as pas compris. j’veux un nom pour aller casser la gueule à ceux qui t’ont fait du mal.”

elle va pas aller casser la gueule de wren. quoique. ça la défoulera un peu. elle toise sam qui poursuit ses explications, elle aime pas trop ça. elle est de nouveau nerveuse sur le lit d’hôpital. il y a un silence. le temps qu’il lui fait pour réfléchir. c’est à dire pas très longtemps.

“donc en plus de te libérer des hordes d’infirmières en chaleur, faut en plus de ça que je te kidnappe des griffes de wren et de jayson ? j’ai du boulot alors !”

elle ricane. elle le dit sur le ton de la blague, mais ça l’ennuie réellement. elle a pas envie de savoir sam, son sam, avec cet.te imbécile de wren. vraiment pas. elle sent la crainte et la jalousie approcher à grand pas. elle fera quoi, sasha, si wren met le grappin sur sam ? si iel lui enlève son ratel préféré ? s’iel lui lave le cerveau pour qu’il quitte la fosse ?

elle fera quoi, sasha, si sam n’est plus là ?

par réflexe, elle ne le laisse pas dégager la mèche qui tombe sur son visage. elle se dérobe à son contact, comme une fuite à peine dissimulée. elle détourne le regard, elle fixe ses pieds. on dirait une enfant à qui ont à privé de goûter.

“... pour de vrai, tu veux pas te planquer chez moi ? ou alors on part en vacances, je sais pas…”

elle relève la tête vers lui, le regard qui implore. elle a vraiment trop peur qu’il disparaisse à son tour. elle le supporterai pas. pas lui. pas sam.

“j’ai plein de thune en ce moment en plus ! je demanderai à mon banquier, j’te jure !”

elle s’exclame, toute contente et motivée. c’est un mensonge mignon, un peu naïf. sasha ne roule pas sur l’or. elle est même un peu fauchée. elle s’en rends pas compte parce que depuis qu’elle est avec irina, ça va putain de mieux. le contraste est tel que sasha se sent comme le chef de la mafia. mais elle réalise pas qu’elle reste mal payée, mal logée, mal nourrie. mais pour quelqu’un pour elle qui n’a connu que la misère, elle à l’impression d’être le roi du monde.

et puis, pour faire rester sam, elle est prête à inventer des lingots d'or dans sa poche.

elle aime pas ce qu’il se passe. elle a le regard de chien battue, celui qu’elle arborait avant après la mort de papa, quand elle se prenait des raclées à la fosse. le regard de celle qui ne comprend pas, qui sent petit à petit les rouages se disloquer et le monde s’effondrer. le regard de chien fou sur le trottoir qui refuse encore et encore la putain de réalité.

“depuis euh…  quatre mois ! c’est parce que mme irina m’a dit que j’avais bien travaillé, t’inquiète !”

elle ne veut pas que sam parte. elle arrive pas à le croire quand il parle de vacances. s’il s’en va même pour quelque jour, qu’est-ce qui se passerait s’il se rend compte que c’est mieux ailleurs ? s’il se rend compte que c’est mieux loin de la fosse, s’il se rend compte que c’est mieux
sans elle.

“ce sera pas n’importe quelle porte. ça sera MA porte. j’te protégerai. à deux, on est invincible !” elle lève le poing pour dévoiler ses biceps. elle y croit. “et puis justement, ils penseront jamais que t’es resté à brise-coeur. c’est comme cacher un arbre dans une forêt ou un cadavre dans un cimetière ! c’est du génie ! fais-moi confiance, tu sais bien que c’est moi le cerveau du groupe.”

pas vraiment, mais bon.
sasha s’accroche à ce qu’elle peut, tous les arguments sont bons. elle veut qu’il reste. à brise-coeur, dans la fosse.
avec elle.

“hmmm…” elle baisse la tête, se dandine un peu. elle ne sait pas vraiment comment le dire.  et finalement la petite voix s’élève. “...je… j’ai jamais vu la mer.”

elle a fait régalia ses plaines et sa forêt.
elle a fait les bars de babel et la baston.
elle a fait lunapolis de long en large et en travers.
mais elle n’a jamais vu la mer, elle n’a jamais escaladé les falaises, elle n’a jamais vu les neiges éternelles.

“c’est pas que je suis pas très temples… c’est les temples qui sont pas très sasha !”

elle fait la moue en repensant à toutes les fois où elle s’est fait dégager. peut-être que débarquer pendant la première en faisant une ode au culte de la mort n’était pas non plus sa plus brillante idée.

“hm... t'as vraiment aucun indice ?”

au pire, elle demandera à madame irina. elle se débrouillera. elle achétera elle-même une putain de batte pour défoncer en hurlant et en riant ceux qui ont osé lui faire du mal. ça sera pas la première fois que sasha a du sang sur les mains.
ni la dernière.
le monde est bien trop fou.

elle ressent tout à coup le besoin irrépressible de briser le silence qui s’est installé. parce que ça la rend nerveuse cet espèce d’ambiance pesante, grave, triste, comme un putain d’au revoir ou de promesse manquée. sasha a besoin de se changer les idées. et sam aussi, elle l’a décidé.

“eh. tu penses que si on fume dans cette piaule y’a les machins anti-incendie qui vont se déclencher ?”

elle n’attend pas la réponse. elle sort son paquet de maltaureau pour sortir deux clopes. peut-être sam va cracher du sang avec sa pneumomachin mais sasha se dit qu’au pire, elle lui fera du bouche à bouche et ça ira. ça sera un bon prétexte pour lui rouler une pelle.
elle n'attend pas la réponse parce que si l’alarme anti-incendie se déclenche pur de vrai, ça créera un peu de chaos dans cette chambre immaculée. ça fera venir la sécurité, les infirmiers, et ça leur donnera une bonne raison de se barrer en courant.

alors sasha allume son briquet et sa clope dans la foulée avant d'inspirer puis d'expirer un gros paquet de fumée.
parce qu’elle a toujours fait ça comme ça, sasha:
les deux pieds dans le plat pour foutre le bordel et tout casser.
foutre le feu à l'incendie tout enflammé.