L'été est la pire saison. Déjà, il fait chaud. Ensuite, c'est animé. Et c'est la période où l'on montre plus de peau, ce qui attire les regards, et le désir. Les couples sont mis à l'épreuve, et cela donne beaucoup de travail peu intéressants à la détective. "Mon copain revient plus tard le soir ces derniers temps", "je l'ai vue regarder un torse, et elle sort plus régulièrement depuis". Si l'argent n'était pas nécessaire pour avoir un toit et manger, Kayla leur dirait bien de communiquer avant de venir la voir. Peut-être qu'elle aurait dû finir ses études et faire des thérapies de couple. Ah, la bonne blague, elle qui n'a jamais été dans une relation.

A ce rythme, elle arrivera peut-être à vivre sans avoir besoin de l'argent de son père, voir le rembourser, voir aller à Regalia ! Le rêve. Mais en attendant, l'argent c'est bien, mais il faut aussi du temps pour le dépenser en fait, sinon ça ne sert à rien. Les clients n'étaient pas à une journée près de toute façon, et avec de la chance elle tombera sur une cible en se baladant en ville ? Objectif du jour, la bibliothèque, et d'autres endroits où dépenser ses lenss bien gagnés (ou mal selon le point de vue).

Comme c'était un jour de repos, qu'il fait chaud et que la détective n'avait en aucun cas prévu de voir de belles choses, elle était en simple t-shirt rouge et shirt gris sans sac contenant son appareil photo. Si jamais elle tombe sur une cible, elle se contentera de retenir les visages et les lieux pour une prochaine fois. Et sa tenue se complète avec des baskets. On sait jamais s'il y a besoin de courir...

Sur son chemin, des bars et restaurants avec terrasse, et des vendeurs de glaces. Pourquoi pas en prendre une, il fait chaud et le sucre c'est bon, il faut bien faire des folies de temps en temps non ? Alors elle s'approcha et vu quelqu'un assis à côté, avec un gobelet et une pancarte pour acheter une glace. Faire la manche pour avoir de quoi manger ou avoir un toit, ok, mais pour une glace ? Ce serait probablement une meilleure idée de dire que c'est pour manger, PUIS acheter une glace. M'enfin, si c'est que pour une glace, elle peut bien en payer 2.

La jeune femme s'approcha du jeune homme (c'est triste de mendier si jeune) pour lui demander ce qu'il voulait. elle ralenti à mesure qu'elle s'approchait. Les souvenirs remontaient. Principalement les négatifs, la mémoire étant sélective et retenant mieux les mauvaises expériences que les bonnes. Sur son visage, la surprise et la confusion.

"Sam ?"

Son visage se crispe. Même après toutes ces années, il n'est toujours pas foutu de l'appeler par son prénom. Elle n'était donc qu'une fille dont se moquer à ses dépends, juste un passe-temps. Kayla entretenait cette idée dans sa tête depuis longtemps, cela ne la choquait donc pas. Cela reste extrêmement frustrant. Mais ça aurait pu être pire. Il l'a reconnue.

En fait, ils étaient gamins à l'époque. La jeune femme n'avait, au fond, pas beaucoup changée depuis. Le même visage, les mêmes cheveux, la même corpulence. Juste un poil plus grande, et encore, pas de beaucoup. Elle était plus fine que ça à l'époque, les activités physiques c'était pas trop son truc. Jusqu'à ce qu'elle ait son premier appareil photo et envie d'en prendre en hauteur, alors il fallait grimper. Elle ne fait pas de musculation exprès pour sculpter son corps, mais en comparaison, cela se voit.

Mais lui, il avait un peu plus changé comparativement. Où est donc passée son assurance ? Ses cheveux aussi. Mais impossible de l'oublier, les humiliations, les coups. Son visage se crispa encore plus de colère, ayant un mal fou à contrôler le bouillonnement d'émotions qu'elle ressentait. Ce devait bien être la première fois qu'elle en avait autant à la fois en même temps.

Kayla avait répété dans sa tête des centaines de fois ce qu'elle lui dirait si elle le voyait à nouveau. Pour se libérer. C'était il y a de nombreuses années, et elle ne répétait pas régulièrement. Elle en avait oublié la majorité. Ils sont en publics. Aucune chaise (pour lancer dans sa tronche) dans son champ de vision. La panique commençait à se mettre au niveau de la colère, et l'hyperventilation commençait aussi.

"C'est bon, y'en a marre, j'appelle un milicien pour dégager ce sale clodo."

Qu'est-ce qu'il venait de dire l'empaffé là ? La jeune femme tourna son visage lentement vers le glacier, avec un regard noir. Il ne vit rien, il avait déjà son attention ailleurs pour faire venir un milicien. La limite de colère avait été dépassée, alors elle agit avant de réfléchir. Elle marcha vers le glacier et lui lança l'un de ses plus beau coup de pied dans le tibia, assez fort pour le mettre à terre et attirer l'attention.
"Tu parles pas de lui comme ça."

Déjà, on insulte pas les gens, en général. Ceux qui font la manche n'ont pas droit à moins de respect. Ensuite, c'est à elle de l'insulter.

Le vendeur de glace eut une première surprise quand il se prit un coup qui le mit à terre par la personne qu'il était persuadé d'aider en allant chercher la milice. Mais entre le cri de douleur et l'attroupement de gens, évidemment que cela avait attiré l'attention. La milice se rapprochant et retrouvant ses esprits, la détective se dit qu'elle avait foiré. Partir en courant ou tenter de s'expliquer ? Elle n'eut pas le temps de prendre une décision qu'un bras l'entoura au niveau de l'épaule. Elle se figea dans la panique.

"Cet homme est un sot dénué de tout bon vivre. Nous ne serons pas soumis à ses injures criminelles!"
... Quoi ? Ce fut très certainement la seconde surprise du glacier qui n'aura finalement jamais l'occasion d'expliquer ce qui venait de se passer. Ni personne d'autre d'ailleurs. Cela avait complètement désamorcé la situation et les miliciens laissèrent passer, pensant à une blague, ou au pire rien de grave ou important. Le visage rouge de Kayla avait probablement aidé. Comment ça se fait qu'il connaît ce bouquin ? Il aurait pu utiliser une meilleure citation quand même...

La jeune femme se retrouva collé à lui. C'est pire. A ce rythme, elle allait faire une surchauffe. Encore trop gênée et choquée pour réagir plus que ça, elle le suivit, ce qui de toute façon n'était pas une mauvaise solution. Ils s'arrêtèrent au bout de la 3ème ruelle, ce qui les éloignait suffisamment du reste de la population, et au cas où le glacier reprenait ses esprits et tentait d'envoyer la milice. Mains sur les épaules de la jeune femme, ils se faisaient face. Allait-il déclarer sa flamme ?

“Dis. Pourquoi il doit pas me parler comme ça? Tout l’monde me parle comme ça…”
... Quoi ?
Le blanc dura environ 10 secondes, où elle le regardait avec des grands yeux ronds.
"Mais enfin, parce que c'est mal."
Moralement, pour elle, c'était une évidence. Et c'est toujours très compliqué d'expliquer un truc qu'on considère évident, parce que cette réponse n'allait très certainement pas l'aider du tout.

Comme toujours avec lui, les événements s'enchaînaient beaucoup trop vite pour elle. Kayla se libéra de son emprise, lui fit le signe de patienter un instant, s'éloigna un peu, plaça ses mains sur sa bouche, et cria de toute ses forces. C'était ridicule, mais elle en avait besoin. Et il valait mieux ne pas alerter les autorités avec un cri de femme dans une ruelle... Elle prit ensuite une grande inspiration et se retourna vers ce pauvre Sam ne comprenant probablement pas ce qui se passait plus qu'elle en fait.

Dans leur jeunesse, il l'avait humiliée à plusieurs reprises, l'avait dérangée de nombreuses fois, et cela avait souvent fini en bagarre, principalement parce qu'elle avait une patience très faible et aucune envie de comprendre son prochain à l'époque. Mais il avait été loin d'être le pire, en fait, tant qu'il était là, il n'y avait que lui qui l'embêtait, si quelqu'un d'autre s'y essayait, Sam le défonçait. Après sa disparition, la vie fut moins mouvementée en général, mais quand elle l'était, c'était pire.

Son principal pêché, aux yeux de Kayla, c'est de l'avoir abandonnée.
Elle n'est pas au courant.
Elle l'observa, en particulier ses blessures visibles.

"Mais qu'est-ce qui s'est passé il y a 10 ans ? Qu'est-ce qui t'es arrivé depuis ?"
Avant qu'il ait le temps de répondre, elle reprit.
"Attends. J'ai chaud et besoin de m'hydrater... Toi aussi, non ? Je t'invite."

Super, Sam semblait accepter l'invitation. C'était bon pour sa curiosité de la situation, car concrètement, Kayla était plus confuse qu'autre chose. Elle voulait encore régler ses comptes avec, mais cela pouvait changer selon ses réponses. Peut-être qu'elle ne lui demanderait que de s'agenouiller et de s'excuser triangulairement. L'idée n'était pas déplaisante.

La confusion augmenta quand il tendit sa main. Est-ce qu'il... Voulait qu'ils se tiennent la main ? Il aurait mieux fait de se confesser quand il la tenait par les épaules alors. Et il n'a toujours pas retenu qu'elle n'aime pas spécialement le contact physique non plus. Mais c'est mignon de sa part, alors ça la fait sourire et détourner le regard, les joues roses.
"Merci, mais je peux marcher seule. Va pour ton idée, je te suis."

Au lieu de directement retourner sur la voie principale, son idée était de rester dans les ruelles un moment avant de retourner sur les voies menant à des restaurants et autres stands. La jeune femme ne le voyait pas comme une menace ET préférait être en petit comité, donc son idée était très bien. Particulièrement pour dire des choses en privée.
"Oh."

La bombe tomba si violemment qu'elle continua l'air de rien pendant une bonne seconde avant de se stopper net. D'un coup, tout faisait sens. Le déménagement soudain "pour des raisons familiales", le fait qu'il n'ait pas tenté de reprendre contact, son état actuel. Le coup d'épaule la réveilla. Les larmes montèrent vite, comme les regrets de ne pas avoir été plus sympa et tenté de le contacter. Kayla ne pouvait imaginer ce qu'il ressentait, mais l'image qu'elle s'en faisait était amplement suffisant pour pleurer pour lui.

"Je suis désolée."
Et elle lui prit la main qu'elle avait refusée plus tôt. Elle supposait que l'enlacer serait mieux émotionnellement, mais c'était déjà un effort pas naturel de sa part. Bien sûr elle détournait le visage. Cela ne lui cachait pas très bien son état, mais c'était pas comme si elle allait s'enfuir maintenant. Cela dit, elle garda le silence après ça.

Bon sang, 5min et elle veut le tuer, 5min de plus et elle veut bien négocier, encore 5min et elle veut l'aider. Si on suivait le cycle, quelque chose devrait arriver pour qu'elle veuille à nouveau le tuer. Sortir avait été une terrible erreur qu'elle ne reproduirait jam-Oh des bubble tea. La jeune femme lâcha la main.
"Un goût que tu préfères ?"

Le meilleur moyen de calmer un enfant reste de détourner son attention. Cela se voyait qu'elle avait pleuré mais elle n'allait pas se cacher le visage pendant une heure. Et elle commanda les deux boissons. La sienne était à la vanille avec des perles de fraises, du lait, et beaucoup de sucre. Trop de sucre. Plus qu'à s'asseoir sur un banc à l'ombre. Ou ailleurs.

Maintenant, comment reprendre la discussion ? Kayla pourrait démarrer par dire que tout est la faute de son père qui lui a menti et qu'elle allait définitivement lui jeter un gros livre dessus. En tout cas c'est ce qu'elle aurait fait dans la panique, mais elle était calme.
"Je suis désolée. Mon père m'a juste dit que tu avais déménagé précipitamment, mais peu importe, j'aurai dû garder le contact."

Kayla soupira. Peu importe si Sam avait arrêté de lui répondre et disparu exprès pour l'éviter, il avait besoin d'aide à ce moment, et elle avait fait l'autruche. Peut-être que ça aurait très mal fini, ou peut-être que ça aurait bien fini. Difficile de prédire ce genre de chose, et impossible de changer le passé, mais elle regrettait quand même. Les émotions, c'est juste un message crypté qui dit "fais quelque chose", et depuis qu'elle le sait, la jeune femme essaie au moins de faire quelque chose quand elle ressent quelque chose. Après un temps de réflexion bien sûr, tant qu'elle ne panique pas...

"De rien. Donc ces goûts vont ensemble..."
Celle qui payait avait eu un doute avec ce qu'il voulait. Pas que c'était plus cher ou quoi, juste une question de goût qui ne vont pas selon elle, ou plutôt qu'elle n'a pas essayé. C'est toujours pratique d'avoir quelqu'un qui teste à ta place. De son côté, sa boisson descend à grande vitesse. Anxieuse quand au fait d'être assise sur un banc avec quelqu'un et de discuter avec, elle ne sait pas quoi faire de ses mains, donc elle boit pendant qu'elle écoute. Il faut qu'elle pense à emporter un truc à tripoter.

En tout cas, ce que son ami d'enfance racontait, ça l'énervait. Ca lui refaisait penser à sa question sur le fait de lui parler comme à un moins que rien. Quel genre d'abus il avait vécu ses 10 dernières années pour se rabaisser ainsi lui-même ?
"Non, ce n'est pas l'ordre des choses. C'est..."
Elle soupira à nouveau, de frustration cette fois. Kayla ne s'était pas préparée à débattre du concept de karma, des conséquences de ses actions et de l'abus. C'était la première fois qu'ils se voyaient en 10 ans, ce n'était pas non plus un bon sujet de conversation.
"... Pardon, oublie."

Ce qu'elle fait ?... Hmmm... Excellent, peut-être qu'en parlant d'elle, il parlera de lui. Cela dit, que dire ? Se sous-estimant, dans un autre registre, elle serait capable de résumé les 10 dernières années en quelques phrases et considérer avoir tout dit. Il ne s'était rien passé d'extraordinaire, il n'y avait donc rien à dire de particulier.
"... Je ne sais pas."
Ah, zut, elle a fini son bubble tea. La jeune femme est allée trop vite.

"J'ai échoué en psychologie. Mais honnêtement, je ne sais pas exactement pourquoi j'ai suivi ce parcours. Je crois pas avoir envie de devenir psychologue... Mais j'ai envie d'être indépendante, alors j'essaie un truc."
Normalement, Kayla évite de parler de son boulot au risque que la personne fasse attention à ce qu'il dise, mais comme la situation était différente, pourquoi pas. Peut-être qu'il voudra lui demander de l'aide par cet angle...
"Je suis détective privée. Mais ça consiste surtout à fournir des preuves au client que sa moitié le trompe. Une fois, une vieille dame m'a appelée pour retrouver un chat..."

Elle regarda le ciel un instant. La jeune femme n'avait pas osé regarder en face son ami d'enfance depuis qu'ils étaient sur le banc, bien qu'elle avait parfois tourné les yeux vers lui en l'écoutant. Pour cacher sa gêne, même si c'était un peu tard pour ça.

"... Je suppose que ça me fait utiliser mes compétences en photographie, mais je sais pas si je sers à quelque chose... Peut-être que je devrais plutôt écrire... Ou reprendre la suite de mon père..."
Elle avait réussi l'exploit de rendre encore plus déprimant la conversation. Et subitement, l'illumination.
"Mais je fais plus d'activité physique maintenant. Je peux jeter deux chaises en même temps."
Etrangement, elle était fière d'elle, et osait le regarder dans les yeux en souriant.