la nuit commence à tomber, le soleil qui se fait dévorer par l’horizon, par la barrière de corail peut-être. qui sait. il est tard. en été, l’astre diurne laisse moins la place à sa consœur la lune. ilfaut attendre les alentours de vingt-et-une heure pour qu’il commence à disparaître, et vingt-deux heures pour que la nuit noire apparaisse. c’est une des raisons pour lesquelles valeryane préfère l’hiver.

mais l’été, c’est aussi le retour des températures plus douces, du soleil et des eaux chaudes. l’été, c’est les vacances loin de l’observatoire, c’est la fin de ses obligations universitaires. c’est la pause méritée de l’année où valeryane peut se concentrer sur elle.

“cela fait du bien un peu de frais…” les pieds chatouillés par l'écume des vagues, valeryane sourit doucement. “j’apprécie la chaleure et les eaux chaudes mais je suis incapable de dire non à fraîcheur de la nuit. peut-être que je me suis habituée au climat d’arc-en-terre !” cette région de l’île où il fait froid la moitié de l’année. “savais-tu que sur venus, il ne faisait jamais moins de 446 degrés ? j’apprécie les planètes mais je suis bien contente du climat de la terre.”

elle rit, le regard complice qui se glisse vers la personne à côté d’elle.  elles se sont installées au pied des radieuses, sur une petite plage de sable et de galet, à l'abri des regards. valeryane préfère ces étendues de sables secrètes plutôt que les célèbres plages d’opales où les touristes affluent tout l’été.

“je suis contente de te voir, anfel ! merci de m’avoir proposée cette soirée !”

c’est une jolie bouffée d’air frais. valeryane a peu d’ami.e.s d’enfance, peu de liens d’avant son mariage. anfel fait partie des rares âmes à être là depuis longtemps, depuis avant les chanteloup.

“comment ça va ? l’année n’a pas été trop compliquée ?”

pour elle, oui. terriblement. cela fait presque un an depuis la tempête, depuis la crise. anfel avait été là pour valeryane l’été dernier, mais la vie avait repris son cours et valeryane avait eu du mal à vraiment la tenir au courant.

valeryane hoche doucement la tête tandis que ses pieds s’enfoncent un peu plus dans le sable mouillé. elle bouge doucement ses orteilles pour imprégner sa peau de la sensation de l’eau. elle aurait bien envie de délaisser ses vêtements pour plonger dans l’océan. plus tard, peut-être. si anfel désire l’accompagner en planant à ses côtés.

“je suis bien d’accord. et je suis contente si tout va bien de ton côté. tu sais que si jamais tu as besoin de quoique ce soit, il ne faut jamais hésiter à m'appeler.”

elle lui rend son sourire tendre avant de tourner son regard vers l’horizon. anfel lui retourne la question, par politesse et par intérêt, sans doute. valeryane réfléchit un instant, réfléchit aux mots qu’elle va choisir, à la toile de vérité qu’elle va tisser.

“ça va.”

il y a un flottement.
il est évident que valeryane ne dit pas tout.
valeryane ne dit jamais tout.

“l’été est toujours une période un peu plus calme. l’année est terminée, tous les chercheurs et enseignants de l’observatoire partent en vacances et tout est calme. on a achevé les dernières réunions pour préparer la rentrée la semaine dernière, ce qui fait que même moi je peux souffler un peu jusqu’à août. je n’ai qu'à supervisé les expositions de l’été, celles ouvertes au public, mais c’est une partie du travail que j’apprécie alors ce n’est pas un problème. n’hésite pas à venir, d’ailleurs ! je te ferai visiter.”

ça lui ferait plaisir que son amie lui rende visite. elle serait prête à quitter son bureau de directrice pour lui faire visiter les lieux elle-même, lui montrer les expositions comme une visite de musée, lui expliquer pour chaque astre tout leur secret.

“je vais même pouvoir l’offrir deux à trois semaines de vacances loin de tout cela… alors oui, ça va.”

elle bat des cils. la mer s’écrase contre les rochers, y laissant écumes et remous.

“et avec morty, ça va aussi.” car valeryane a bien compris le sens profond de la question. “enfin je crois.”

elle baisse un peu la tête, enfonce encore plus ses pieds dans le sable comme un désir de s’ancrer dans le réel. elle n’est pas sûre. elle-même à du mal à faire le point sur ses sentiments, ses émotions et ses désirs. est-ce que ça va vraiment, depuis un an ? elle ne sait pas, ni ne sait comment en parler. valeryane n’a jamais été douée pour parler d’elle-même. c’est pour cela qu’anfel a toujours été d’une grande aide. si valeryane passe son temps à écouter les autres, il lui faut bien quelqu’un dans sa vie sur qui s’appuyer. cette personne est la chouette effraie.

valeryane décroche un sourire sans pour autant tourner le regard. elle ne s'est jamais elle-même nommée comme une passionnée. estimant que ceux qui aiment vraiment n’ont pas besoin de le faire savoir. elle l’a entendue de la bouche des autres, milles fois, une fois encore ce soir-là. et comme à chaque fois, valeryane se contente de sourir, reconnaissante, amusée, touchée.
parce qu’au fond, oui, elle sait.

“parfait, tu m’en vois ravie ! une soirée entre filles à l’observatoire…”

pointe d’amusement dans la voix. valeryane oublie parfois que le lieu céleste ne lui appartient pas. néanmoins, elle s’y sent comme chez elle, s’y est parfois sentie plus à l’aise que dans sa propre maison, avec mortimer. alors parfois, pour certaines invitations, l’observatoire fait bien mieux l’affaire.

“et tu as raison. je suis contente de pouvoir joindre travail et passion. ce n’est pas le cas de tout le monde. je dois dire que je m’amuse bien dans mes journées de recherche. même tout le travail administratif de direction est gérable ! c’est dire !”

regard complice parce que valeryane sait que son amie déteste la paperasse angoissante, les dossiers à remplir et les deadlines administratives. du travail de chercheurs, c’est peut-être le seul point noir. valeryane s’y est accommodée, mais elle aime râler de temps en temps auprès d’une personne qui la comprend.

mais anfel est maline. maline et empathique. les fuites de valeryane ne durent jamais longtemps avec elle. si d’habitude la raie balaie de la main les complications, arrive à s’échapper des questions qu’on lui renvoie, garde le voile de mystère sur sa vie… avec la chouette effraie, c’est rarement possible.

alors valeryane soupire.
valeryane abdique.

“probablement à ithloreas, mais j’ai envie de changement. peut-être que régalia peut nous faire du bien. mortimer pourrait aller chasser dans la forêt.” et elle n’aurait pas à s’inquiéter de le voir mourir de froid sous la neige d’arc-en-terre. “ah… je ne peux rien te cacher, hein ?”

elle rit.
soupire encore.
elle marque un temps, une pause, pour prendre une inspiration.

“je ne sais pas. je suis au clair avec moi-même. je suis au clair avec mortimer. bien évidemment, rien n’est comme avant, mais le temps fait son travail et les choses s'améliorent. la relation est évidemment différente mais je ne pense pas que ce soit un mal.”

la vie à deux change un peu. on se redécouvre, on se refait confiance. c’est différent, mais ce n’est pas moins bien, pas mauvais. l’abcès est crevé et le couple reconstruit sa vie, petit à petit.

“ce qui me pose problème c’est que je ne suis pas seule, ce que l’on est pas seulement deux dans tout ce foutoir.” le mauvais mot part. c’est rare. “il y a désiré.” son beau-frère. “il y a hector.” son neveu. “il y a toute la belle-famille, les amis en commun, la sensation étrange que quelque chose se disloque, que ça ne sonne plus comme avant. et puis, il y a toutes les émotions des uns et des autres à prendre en compte. tout le monde n’est pas au même stade.” trémolo dans la voix. “si je prône la discussion, ce n’est pas le cas des autres. de désiré, par exemple. ça me cause du soucis. je suis allée le voir, cet hiver...” en février. “ça ne s’est pas très bien passé. ils avaient discuté avec mortimer, ça s’était arrangé. j’étais mise sur la touche depuis des mois et je me suis dis qu’en temps qu’adulte, il fallait bien commencer par discuter et crever l’abcès. mais l’entrevue a été plus que conflictuelle. il m’a craché à la gueule, probablement des mots qu’il ne pensait pas vraiment… je n’en sais rien. mais désiré communique par la colère, ce que je ne sais pas gérer.”

valeryane déteste la colère.
elle ne s’est énervée vraiment qu’une fois.
ce jour-là, avec mortimer, le clafouti, la cigarette.

“désolée, c’est flou… même pour moi.”

si seulement tout le monde pouvait mettre les choses à plat, communiquer de manière sincère et honnête, et respecter les émotions des autres… tout serait plus facile
mais rien n‘est jamais facile.

“enfin, assez parlé de moi. je prends toute la place, désolée.”

valeryane s’excuse mais elle n’est qu’à moitié désolée. elle se retire humblement, doucement, parce qu’elle n’aime pas tellement parler. elle se sent exposée, un peu gênée.
vulnérable.

“tu n’as pas quelque chose à me raconter ? comment va ta vie en ce moment, outre le temple et les fidèles ?”

valeryane veut bien entendre n’importe quoi tant que cela vient d’anfel. elle a besoin de diluer ses propres confessions dans les discussions amicales qu’elles ne connaissent que trop bien. ces bribes de mots rassurants où l’on profite pour se découvrir et redécouvrir à l’infini. et puis, de toutes les personnes sur l’île, sur terre, ou dans l’univers; anfel fait partie de ses âmes si chères à son cœur que valeryane aime écouter chanter sous les étoiles.

valeryane hoche doucement la tête. elle ne peut qu’être d’accord avec anfel. l’amour ou le bonheur, c’est du pareil au même. la raie est la première à rire aux nez de celleux qui rêvent d’une utopie où plus personne ne serait plus jamais malheureux, et ce pour l’éternité. mais comment apprécier le bonheur si l’on ne connaît pas le malheur ? sans contrastes, sans variations, rien n’aurait de saveur.

elle ne peut s’empêcher de rire lorsque anfel annonce que désiré n’est pas prêt à communiquer. c’est nerveux, ironique, ça permet de relâcher la pression. à ça oui, désiré n’est absolument pas prêt.
c’est bien là tous le problème.

“il m’a dit des horreurs, tu sais.” elle se livre enfin, pour de vrai, sur ces mots durs qu’elle gardait pour elle, sur cette main griffue qui s’est abattue sur son épaule jusqu’à menacer de déchirer sa robe. “selon lui, j’ai gâché sa relation avec son frère.” elle ne l’a toujours pas digéré. “que ma grande solution c’était la discussion, que c’était naïf et stupide et que je me prenais pour qui je n’étais pas.”

elle bouillonne rien que d’y repenser. mais elle s'apaise vite parce qu’elle déteste la colère, sa colère, elle ne sait pas comment gérer. alors elle soupire, se recroqueville et passe ses bras autour de ses genoux.

“en plus, il a faillit déchirer ma robe et me blesser à l’épaule.”

elle le dit en riant, s’amuse à faire de l’humour dessus. mais l’acte lui reste en mémoire et ce n’est pas pour les bonnes raisons.

“je pense que c’est fini entre nous pour un bon moment mais… je ne pouvais pas rester de marbre face à tout ce qu’il a osé me balancer. habituellement, je m’adapte, je prend sur moi, je reste en souriant et je dis que ce n’est pas grave, mais là… là je n’ai pas pu m’empêcher de me rebeller. c’était trop.”

elle redresse la tête pour contempler les astres. est-ce qu’elle regrette ? elle n’est pas sûre. cela lui a fait du bien. cela fait du bien de s’écouter de temps en temps, de se rebiffer, de contre-attaquer. mais de l’autre côté, la relation est repassée au point mort et valeryane ne sait pas si elle s’améliorera un jour.

“je lui ai dis qu’il était lâche. que c’était de sa propre faute s’il s’isolait des autres et qu’il se retrouvait seul, pas la mienne. qu’il n’avait pas à me dire ça et que lui se prenait pour ce qu’il n’était pas. résultat des courses: on ne se parle plus du tout. pourtant, au fond, je n’arrive pas à abandonner l’idée que ça finisse par s’arranger…”

elle n’arrive tout simplement pas à l’abandonner.
que c’est fatiguant de tout porter sur ses épaules.

la conversation revient sur la chouette et valeryane écoute avec le sourire. elle est profondément d’accord avec elle. chaque rencontre est nouvelle, chaque âme est différente. c’est ça qui est magnifique.

“tu dis que tu as rarement connue plus passionnée, mais tu sais, tu n’es pas mal non plus dans ton genre !”

valeryane sourit doucement à la proposition d’anfel. la chouette sait que valeryane n’est pas la plus fervente fidèle et que les probabilités de la voir à l’autel son faible. mais la proposition la touche, même si elle n’est pas sûre de l’écouter.

“peut-être. j’y penserai… tu sais que j’ai du mal à me confier… que ce soit à morti, à toi, ou à sainte haklyone !” elle rit. “mais j’essayerai. merci anfel.”

elle écoute alors le poème. elle ferme les yeux pour que la jolie voix d’anfel se mélange à celui des remous de la mer. c’est joli, doux-amer. ça résonne en elle. valeryane, elle aimerait bien que la mer lui mange le corps et que le se lui lave le cœur.
peut-être qu’anfel à raison. si valeryane n’est pas capable de laisser tous ses fardeaux à son mari, à son amie, ou à une déesse… peut-être que l’océan, lui, sera capable de l'accueillir ?

au fond, ça à souvent été ainsi. quand valeryane n’arrivait plus à rien dans ses études ou dans ses travaux, quand l’immensité de l’espace ne voulait plus d’elle et refusait de lui dévoiler ses secrets; c’est vers les profondeurs abyssales que valeryane se tournait.

“volontiers. cela nous fera du bien.”

valeryane se redresse et s’étire avant d’enlever doucement ses vêtements. elle se prépare à leur petit rituel en bordure de mer. anfel qui vole près de la mer et valeryane juste en dessous qui, de temps en temps, bondit pour voler avec elle.