Ça fait déjà deux semaines que tu tournes en boucle, que tu ronchonnes encore plus que d’habitude. Tu perds patience, tu t’agites, tu t’agaces pour un rien. Ce que t’as constaté n’arrive pas à sortir de ton crâne; et t’as la vision de ce pauvre con complètement amorphe gravée dans ton crâne. Ça te fait putain de chier. Tu lui avais pourtant dis, que le monde de la nuit craignait trop pour un gars de son genre; qu’il avait largement de quoi se lancer dans une carrière de mannequinat plus élitiste s’il croyait un peu plus en lui. Quitte à vendre son putain de corps; autant le faire avec des règles strictes et une forme de décence quant à son intimité. Avec un peu de chance il aurait même pu percer et t’embaucher comme garde du corps histoire de lui assurer une foutue sécurité qu’il ne prenait jamais en compte jusque là.
Mais non. Cet idiot s’embourbe dans la nuit; et il t’entraîne avec lui, parce que tu t’apprêtais à le rendre moins gracile, moins délicat. T’allais l’abimer; pour que personne d’autre ne puisse le faire et ça te fais soupirer ton désespoir dans un énième jet de fumée cancérigène. Ce gamin allait finir le travail des tonnes de clopes que tu t’enfilais; il allait goudronner ton coeur à jamais. Le rendre plus noir que noir.
Ton acier tombe depuis une plateforme en fer sur la silhouette qui s’hasarde dans ce lieu qui ne lui sied pas. Bao est trop lumineux pour trainer ici, et ce n’est pas son joli minois bien amoché ou le vieux cache-oeil qui changeront quelque chose à cette dualité qu’il fait naître ici.
Forcément, il attire l’attention de celle qui surveille tout; Médusa; au regard perçant. Elle n’a pas choisi ce petit surnom au hasard; chaque individu qui croise ses prunelles se transforme automatiquement en pierre. Et ça te fait légèrement sourire de voir Bao trembloter devant cette femme qui pourrait ne faire qu’une bouchée de lui. Mais, la grande reptile a été avertie; une âme égarée est attendue, et personne n’y touche. Toi, t’as son respect parce que comme elle t’as su imposer ton rythme et ton caractère de fer.
L’ignare lève le regard en suivant les indication de l’Anaconda et croise enfin ton regard, strié par les barreaux de la trappe.
- Tu te démerdes. Si t’es pas foutu de grimper jusqu’ici c’est même pas la peine que je t’entraîne.
Et tu le penses réellement, la base de tout apprentissage, c’est la débrouille; donc il allait devoir se démerder pour atteindre le haut de l’échelle qui vous sépare. Normalement, un saut et une simple traction faisaient l’affaire; mais t’étais même pas sûre qu’il aie la condition physique pour soulever son propre poids ne serait-ce qu’une fois.
Evidemment, il essaye, il force, grimace, et retombe. Un exercice humiliant qui pourtant est essentiel à l’analyse de sa condition physique. T’es même pas déçue, parce que t’avais bien compris que ce gamin faible comme pas deux, et qu’il ne s’était jamais attelé à prendre soin de lui.
Tu l’entends râler, mais tu l’ignores, cette étape était non négociable.
T’as l’impression que le sujet va prendre des heures, alors tu te redresses pour continuer de grimper sur la plateforme jusqu’à rejoindre le haut du toit, accessible avec une plaque métallique carrée.
- Si dans une heure t’es pas en haut, jme barre.
———
Tu soupires en t’affalant dans un transat posé là dont t’abuses souvent pour faire tes nuits à la belle étoile. T’allais fermer un oeil quand le bruit de la trappe de fer résonne et harponne ton attention. Bao s’extirpe de là et arrache toute la sobriété de ton visage pour laisser une empreinte d’étonnement dessus.
- Alors là…?
Tu t’y attendais pas, vraiment pas, et tu le montres en souriant d’un rictus courroucé. Tu te redresses comme un boeuf et t’approches sans délicatesse vers le petit prodigue que tu jauges salement. Ta poigne agrippe ses joues au niveau de ses fossettes et force presque ses lèvres à former un coeur; pour une fois qu’il ne le fait pas volontairement pour te faire chier. Tu le forces à bouger la tête dans tous les sens, l’inspectant de toutes parts. Ses bleus ont dégonflés mais laissent quelques vilaines traces ça et là; son cou est bien abimé aussi et…
- Enlève ça; ici ça te sert à rien.
Tu pointes le cache oeil du doigt, avant de laisser plonger ta paume indélicate au niveau de ses hanches. Sans prévenir, tu soulèves son haut; surprenant cet idiot parce que t’es bien plus intrusive qu’à l’accoutumée.
- Fais pas ta mijaurée, t’as l’habitude de te foutre à poil devant tes petites meufs non ?
Il se débat, visiblement devant toi ça n’est pas aussi simple; peut-être parce que c’est difficile de te considérer comme une « petite meuf » compte tenu de ton gabarit et de tes mots crus.
- Rahhh mais arrête de bouger, jvais pas te bouffer, j’dois juste voir l’étendue des dégâts.
Et le constat est triste; y’a pas une parcelle de son buste qui n’est pas violacée par des ecchymoses. Pareil sur les tranches, pareil dans son dos. T’as tourné autour sans aucune pudeur parce que tes yeux ne l’ont jamais regardé comme ceux d’une femme qui contemple un homme et que tout ce qui t’importe, c’est jauger son état.
- Pfff… Ces enfoirés de première.
Ton sang ne fait qu’un tour, il te suffit de voir les plaies pour câbler de plus belle.
- J’comprends vraiment pas pourquoi tu veux pas juste me donner leurs noms, j’aurais réglé ça en 5 minutes
En fait si, tu comprends. Tu comprends mieux que personne même.
On ne peut compter que sur soi-même.
La voilà, la dure réalité. Et ce petit idiot le sait; il l’a compris, et ça te fait bien chier.
- Bon.
Tu le libères de tes mains, de ta présence, laissant retomber son haut alors que tu recules de plusieurs pas.
- T’es pas en état pour qu’on s’attaque direct à la baston, et puis tfaçons ça f’rait aucun sens, regarde toi merde !
Et voilà, tu lui gueules encore dessus, mais si c’est pour les bonnes raisons, t’as le droit non ?
- T’as que la peau sur les os; Bao, déjà. Faut que tu manges. Jsais pas c’que tu fous ou si c’est un genre de fétichisme à la con pour ton job, mais maintenant t’oublies, parce que c’est pas compatible avec la self-défense.
Tu pourrais lever ton haut et flex des abdos sculptés dans le marbre mais tu sais très bien que Bao comprend, qu’il n’a pas besoin de l’évidence pour voir que la forme physique était une importante condition pour remplir les critères de sélection quand on veut apprendre à se battre.
- Donc tu vas déjà commencer par me montrer combien de pompes tu peux faire, et quand t’es à bout, tu bascules en abdos.
Tu croises les bras sur ta poitrine, le regard froid et apathique au possible.
- T’attends quoi ?