Paresseuse, la longue jupe remontée sur les mollets et l'humeur désastreuse. Fleur s'impatiente un peu des choses qu'elle ne comprend pas, des victoires qu'elle ne rencontrera jamais. Du mouvement de l'eau sous la surface, de l'éclat carmin entre les embruns. Un œil vers la grande baie-vitré ou perce le soleil, ça la fait chier de rester enfermée. Étendu sur sa chaise, l'ours maudit les piscines d'intérieurs, la chaleur étouffante et les vapeurs de chlore. Ça lui paraissait bien sur le papier, vérifier que l'entraînement porte ses fruits, délaisser l'idée d'une possible défaite. Et si ce n'était pas assez ? La brune tend le cou sans bouger de sa chaise, observer Carmine enchaîner les longueurs sans jamais se fatiguer. Fleur déjà éreintée rien qu'à la regarder, étouffe un bâillement et se masse une seconde le crâne dans un ennui flagrant. L'entraîneur vient de partir mais la nageuse n'en a pas fini, elle persévère quand Fleur désespère.

"C'est quand qu'on rentre ?" Pas assez fort, la nageuse continue ses rapides longueurs et Fleur fait la moue, trouve la force d'écailler encore un peu sa vieille manucure du bout des canines.
Finalement, elle se lève, réajuste sa jupe tout en se félicitant que l'établissement soit aujourd'hui privatisé pour les célébrités. Ça lui permet de faire la sieste, faire semblant de s'émerveiller pour le sport. Garder son job. Les pieds nus viennent se poser au bord du grand bassin, observer le poisson et ses aller-retours dans un froncement de sourcil. Répéter plus fort.  "T'as bientôt fini ? C'est l'heure de manger." Le ventre gronde sous la remarque, Fleur hésite à laisser la rousse ici, filer ingurgiter une horrible salade. Devenir végétarienne ce n'est pas de tout repos, Fleur rêve parfois de belles entrecôtes. Un pied vient tremper dans l'eau, le bout de l'oreille avant qu'elle ne le retire vivement en fronçant les sourcils. Elle aussi elle rêverait de nager un peu, mais elle n'a pas pris son maillot de bain. Elle aussi elle pourrait faire trempette mais elle a la flemme Fleur, tout cette motivation ça l'écœure.

Les écailles carmines font jouer la lumière, sous l’eau c’est comme une étincelle, ça fuse plus vite que Fleur ne peut le suivre, parfois. Sous les néons du bâtiments l’ours à la mâchoire qui se décroche dans un bâillement sonore, les os qui craquent sous l’étirement agacée de celle qui voudrait rentrer. Carmine s’entraîne et n’en finit pas, les Olympiades à portée de main, médaille d’or ils l’espèrent tous, rehausser l’argent terne qui doit trainer sur le buffet. Fleur comprend, mais Fleur comprend également l’estomac qui grogne, se révolte une seconde. Une moue qui ne s’amuse plus, flâner sur le banc c’était beau il y a quelques instants, ça ne l’est plus maintenant.

Elle est belle Carmine, lorsque la tête sort de l’eau, que les branchies fendillent la peau et que les écailles jouent sous l’eau. Le regard de l’agent fait mine de ne pas voir le membre manquant, un instant mais les yeux y reviennent toujours. Loin de se sentir désolée, c’est la honte qui lui tord encore les entrailles quand parfois, elle se rappelle que sans elle la course ne serait pas la même. Ça lui massacre le moral parfois, quand le métal bionique d’agite sous ses yeux, que tout semble aller pour le mieux. Ça lui sape les dernières étincelles de positivités, les doigts nouées dans le dos pour ne pas avoir encor à demander pardon. Elle l’a trop dit, désormais elle ne sait plus si elle le pense encore alors Fleur garde la bouche close, préfère faire semblant, s’inquiéter silencieusement des tripes nouées de miettes de culpabilité.

« Tout ce que je veux ? Hm bon ok. » Les mains se crispent sur les hanches, Fleur face à une telle proposition, elle peut bien attendre un peu, ignorer le tonnerre dans son ventre. Elle observe le poisson porter ses jolies rayures, s’enfoncer une nouvelle fois dans l’eau et s’éclipser dans une nage habile malgré le handicap.
La brune finit par se laisser tomber au bord du bassin, à moitié allongée là comme si elle n’avait pas mieux à faire ailleurs. Travailler peut-être, mais Fleur fait la sourde oreille aux obligations, préfère compter là les allers-retours de la rascasse, s’émerveiller un peu de ne pas savoir faire de même. Mais tout ça lui donne mal à la tête, c’est trop rapide, trop précis. Trop bien fait. Les yeux se plissent et nonchalante, elle transforme une main pour se vêtir de fourrure blanche, les griffes sombres à moitiés formées percent la chair, Fleur se penche, trace un tourbillon dans l’eau, d’abord timide, puis plus provoquant. Carmine revient à la charge, Fleur enlève sa patte, attend une seconde, la remet pour s’exercer encore à patauger sans rien faire. Ça, ça ne demande aucun effort. Lui donnerait presque envie de chasser du poisson, la gueule penchée au bord de l’eau. Ici, pas d’odeur salée qui lui rappelle ses péchés. Ici, pas de cris de chalutiers, pas de filet mal placé. Comme au bord du ruisseau pour chasser la truite, les mois de printemps à agiter la truffe sous le vent. D’instinct, Fleur oublie qu’il ne faut pas se frotter aux grosses épines, d’instinct, Fleur s’imagine au bord du ruisseau, donne un coup de patte au poisson quand il passe dans les environs.

Quelques secondes passent, Fleur se redresse brusquement, la patte redevient humaine dans un cri de douleur. De compréhension. Fleur, elle se frotte toujours aux mauvaises épines. Fleur, elle ne fait jamais attention, roule sur le dos et relève une main devant son visage en gémissant de douleur. « Carmiiiiiine ! » Attirer l’attention comme l’enfant qui aurait faut une bêtise. Une grosse bêtise. Les coins des yeux s’humidifient alors que la main commence un peu à gonfler, devenir rouge. La toxine fait son chemin, Fleur finit par se tortiller un peu. « PUTAIN ça fait MAL ! Carmine ! » Comme si c’était sa faute mais Fleur sait parfaitement au fond, qu’elle ne pourra jamais s’en prendre qu’à elle-même.

La douleur pulse au creux de la main, le dos s'arque de souffrance exagérée, larmes de peur qui perlent au coin des yeux. L'ours gémit, le dos collé au béton mouillé, la main levée devant ses yeux pour contempler les rougeurs, la peau qui flambe, la souffrance qui gonfle. Un reniflement, Fleur remarque à peine la nageuse sortie de l'eau, les éclaboussures contre sa jupe, le coup de fil que l'on passe avec calme mais urgence. Elle écoute à moitié, les paroles n'ont plus de sens, toutes emmêlées dans le désarroi douloureux. "Oh par les âmes je vais perdre ma main il va falloir la couper C'EST CA ??" La panique enfle, Fleur a du mal à respirer, voit sa vie défiler. Sans main, oubliant égoïstement le bras arrachée dans une enfance si lointaine. Il n'y en a aujourd'hui que pour elle.
Fleur se maudit en silence larmoyant, Fleur s'insulte de tous les noms d'oiseaux, d'avoir osé braver les flots. On ne touche pas aux épines, Carmine l'a toujours clairement dit. On ne touche pas au rascasse, papa le lui a répété, souvent quand ils allaient nager. On ne se frotte pas au venin, maman les bras croisés désespérés à force de répéter. Mais Fleur n'écoute jamais, Fleur à l'esprit détraqué peut-être, les joues ravagées par les fleurs. Elle a mal et elle à chaud, se promet de ne plus recommencer, de ne plus se plaindre de l'heure du déjeuner.

On la relève difficilement, la brune consent quelques secondes à tenir sur ses jambes, ne plus être un misérable poids mort. Entre deux reniflements douloureux, elle acquiesce faiblement. "D'accord..." Sa propre voix lui paraît pleurnicharde, Fleur les membres crispés à s'en faire crisser les os, accepte d'être amené jusqu'aux douches non loin de là, un pas après l'autre. Ce ne sont pas ses jambes qui sont défectueuses, Fleur devrait pouvoir y arriver. Sur le chemin, elle chouine encore, sa main saine venant s'accrocher à l'épaule de Carmine. "J'ai cru que c'était une truite, j'ai pas réfléchi." Elle baragouine, les larmes pleins les yeux, ne sait plus trop ce qu'elle dit sous la douleur. "Carmine je crois que je vais mourir." Fataliste, la tête se baisse, peut-être qu'on devrait la laisser là au bord de l'eau, c'est une affreuse façon de finir sa vie mais au moins ne sera-t-elle pas seule pour expirer son dernier souffle.

Les larmes s’écrasent sur le carrelage délavé de la piscine, Fleur ne fait plus attention aux pas qu’elle fait, aux muscles de son corps qui force pour suivre les mouvements. Au clapotis du bassin un peu plus loin, aux cris enfantins dans la rue, pas si loin de là. Mâchoire crispée à s’en faire mal aux dents, Fleur peine à garder l’esprit lucide ; c’est pire qu’un cacheton les soirs sans noms, pire qu’une bouteille de vodka diluée dans les drames. Pire que tout, mais peut-être pas autant que sa propre vie. Un reniflement, Fleur ne peut qu’acquiescer sans trop savoir ce qu’elle peut bien raconter, ça sort sans qu’elle ait besoin d’y réfléchir, peser les mots avant de les recracher dans un tremblement douloureux. « Ouai, yavais une truite… »

Le rire lui parvient un peu, sous une grimace douloureuse. Ce n’est pas le moment de rire Carmine, ce n’est pas le moment de faire des blagues, sourire devant les caméras ; il n’y en a pas. « T’as jamais tué quelqu’un comme ça ? » Fleur, elle ne sait pas si elle est déçue que ce ne soit pas le cas, les secrets sont bien plus amusants lorsqu’il y a quelques cadavres sous le tapis. Fleur s’en fiche, il lui faudrait juste un peu de piment dans sa vie.

Le robinet s’ouvre sous une Fleur fébrile, tend la main dans un énième grognement de douleur. Elle n’est pas sûre que l’eau lui fasse du bien, ça brûle, est-ce qu’il va falloir tout couper ? Déchiqueter la chair, se retrouver elle aussi avec une prothèse ? Elle chouine, essuie les larmes de sa main libre tout en secouant la tête. « C’est ta faute Carmine, je t’avais dit qu’il fallait allait manger. » Mais non, avec Carmine c’est toujours une longueur de plus, une minute de plus, une vie de plus. Fleur se rend compte trop tard, que les paroles sont horribles, qu’elle ne pense encore une fois qu’à elle, que les éclipses égoïstes sont bien présentes, que baisser la tête honteusement comme elle le fait n’y changera rien. Préfère changer de sujet. « T’as appelé l’hôpital ? Je suis pas sûre d’avoir envie d’y aller. » La bouffe sera dégueu là-bas, les murs trop blancs, ça l’angoisse un peu.  Wren ne sera pas content.e, les bras croisés sans rien dire, probablement. Jude va se moquer, Eliott va soupirer. Alors Fleur lance un regard plein d’espoir à la rascasse, l’air de dire s’il te plait.

Sous les larmes et le mascaras qui colle aux joues, Fleur a la moue presque déçue de ne pas pouvoir se gaver de folles histoires à raconter, de cadavres qu'on laisserait s'échouer. Les épines, elle aurait du les voir venir, l'odeur de la douleur en pleine ardeur. Fleur la patte grossièrement velue pour satisfaire ses fausses idées ingénues, chasser la rascasse dans le petit bassin ; non elle n'apprendra jamais rien. C'est mieux qu'un filet se dit-elle, c'est peut-être mieux que de se retrouver coincer dans les abysses, pleurer sous l'eau et s'asphyxier de jurons.  "Oui carmine, t'as pas la tête d'une meurtrière." Entre les larmes presque un sourire désabusé avant de soudain grimacer, ça pulse entre les doigts, Fleur, elle pensait s'égarer un instant de la douleur mais ça revient à la charge, dissèque la moindre de ses pensées. Prier pour que Carmine ne la laisse pas tomber.

Elle a l'impression que l'eau chaude lui brûle encore plus la peau, décape les vaisseaux. Que le monde s'arrête alors qu'elle retient sa respiration, une seconde deux secondes trois secondes. Ca n'ira pas, Fleur préfère ne pas s'évanouir là, se souvient comment inspirer, expirer. Ça passera, ça passera.
Et si ça ne passe pas ?
Elle pleurniche encore renifle sans se soucier de la tête qu'elle peut bien montrer. Carmine est d'accord avec elle oui, c'est de sa faute, de sa faute.
Mais Carmine sous les sourires et les couleurs passion ment très bien parfois, l'ours s'en rend compte de temps en temps, quand les rires se mettent à rimer avec l'ennui.

"Plusieurs HEURES consécutives ?!" Fleur se laisse aller, les jambes cèdent et elle préfère s'écraser doucement, presque avec précision sur les dalles, laisser l'eau chaude couler sur la main enflée. Renifler encore. "Me PARALYSER ?!" Elle n'en peut plus, ça parle d'agonie et de monstre brûlant sous la peau, Fleur préférerait trouver une solution, le regard soudain paniqué vers Carmine après avoir constaté qu'effectivement, les doigts n'ont plus leur taille habituelle.  "Tu peux pas aspirer le venin Carmine ? Comme dans les films ? Ou j'en sais rien, sortir un antidote miracle..." Elle s'accroche soudain aux dalles comme si ça allait la sauver. "J'ai pas envie d'être à l'AGONIE par les âmes c'est horribles !!" Elle crie un peu, commence à paniquer sous l'ardeur de la douleur.
Carmine a menti, elle va mourir.
Carmine a menti, peut-être qu'elle va en rire.