mon coeur à moi reste étanche

Carmine n’insistera pas, elle reste là. Cela suffira.
L’état de Fleur semble se dégrader, peut-être que les multiples effets s’additionnent : effets cardiovasculaires, neuromusculaires et cytologiques. La rascasse collectionne quelques des bouquets de petits effets toxiques. Elle murmure tout-bas, maintenant que Fleur se love contre bras, toujours le sourire entrelacé au son de sa voix.

- Je reste là. Je bouge pas.

Jusqu’à ce qu’ils viennent chercher Fleur. Puis elle ira se délecter d’un délicieux banquet, son estomac joue les crieurs. L’entraînement et jouer les sauveuses, ça finit par creuser. Elle a des envies de poissons crus, mais aussi de crabes, de langoustes, de morues.

- Ils ne vont pas tarder. C’est bientôt terminé.

Depuis qu’elle a appelé, elle est sûre qu’ils ne vont pas tarder. Les urgences, réelles sauveuses vont venir chercher la malheureuse au maquillage en cascade sous les paupières pleureuses. Carmine laisse ses pupilles dériver sur le visage comme devant un joli paysage. Il est souillé par une marée noire : catastrophe se traduisant par l’écoulement d’une nappe de mascara et de fard. Si elle avait encore un second bras ou sa prothèse pendue à son épaule, elle aurait essuyé les imperfections sur ce minois au charme désuet, elle aurait fait sécher la sève serpentant sous ses cernes, elle aurait nettoyé les fissures par les vagues délivrées. Alors elle se contente de soutenir Fleur avec un bras, de l’enlacer tendrement, de la consoler à moitié : chevalier bancal, sans bras ni épée.

L’idée de d’inversement dans le cœur de Carmine ne peut fonctionner réellement. Fleur, elle n’a rien perdu. Elle a trouvé quelques douleurs les épines logées : parce qu’il n’y a pas que les fleurs qui peuvent piquer. Fleur, ses espoirs n’ont pas été gâché, Fleur elle ne devra pas se battre à la sortie de la clinique, elle est déjà sauvée.

- Est-ce que tu voudras des fleurs ou tu préfères des chocolats ?

Les fleurs, comme les autres, finiront par crever. Elles seront jetées à la poubelle, toutes fanées, comme celles que les Montgomery avaient laissée au bord du lit. Carmine les a regardé mourir jour après jour, malgré l’eau changée, malgré le temps qui passe : il a fallut accepter la fatalité, il a fallut accepter que c’était déjà terminé. Pourtant pour Fleur, ça ne fait que commencer.

mon coeur à moi reste étanche

- C’est peut-être mieux comme ça oui. Il pourrait encore y avoir des truites dans la piscine, on ne sait pas.

Carmine, elle se moque un peu de Fleur, encore une fois, mais pourra t-elle le comprendre dans son état ? Carmine, elle se dit qu’elle ne sera plus tentée, de lui faire perdre du temps, de bouffer les minutes précieuses de son entraînement. Il n’y aura plus d’écueil, qu’un potentiel entraîneur et les contre courants, les nageoires épineuses et bicolores qui frémissent à l’idée de devenir le prochain gagnant. Elle triomphe de ce corps désolant, de sa peau enivrée à la toxine flamboyante.

- Tout le monde aime les fleurs, non ? D’accord. Je t’apporterai des mon colibri.

Fleur, elle ne veut pas de fleurs. Elle préfère les pétales en chocolat à celles qui fanent et se meurent, aux bouquets qu’on offre pour consoler les jolies femmes qui pleurent. Elle préfère une boîte de mon colibri : fait presque grimacer la nageuse à l’idée de manger cette hérésie. C’est un plaisir factice garnit d’un liquide écœurant, un poison enrobé d’un chocolat alléchant. Les mon colibri sont un peu comme Carmine finalement, une gourmandise fallacieuse pour piéger les gourmand.e.s.

Les sirènes se mettent à hurler, les urgences sont enfin arrivées pour retirer Fleur de son unique bras. Le sourire toujours collé aux lippes, elle laisse s'écouler le silence volontairement, parce qu’elle ne compte pas l’accompagner : Carmine est déjà promise à son futur buffet. Elle veut épouser les délices d’un repas promis, déjà oublié, d’une promesse tuée par les baisers empoisonnés.

- Ah bon ? Prêtresse ? Toi ?

Les railleries sont de moins en moins retenues : elle n’arrive pas à l’imaginer prendre soin d’un temple et se consacrer à la religion, mais peut-être qu’elle se trompe au fond. Elle se moque des autres, de qui ils sont, de ce qu’ils font : elle ne retient pas toutes les confessions, elle ne se sert que de ce qui l’arrange pour écumer ses brûlantes passions. Alors, bien que le sourire reste, son minois traduit une étrange confusion.

Carmine, elle n’est pas très religieuse. Elle aimerait parfois trouver l’adoration, pour devenir un peu plus pieuse, mais elle ne trouve pas la foi. Elle préfère s’acharner à la natation, elle est trop investie dans un autre combat. Prier pour Fleur lui semble aberrant, elle ne va pas mourir : ils sont arrivés à temps. Alors, elle la laisse s’exprimer, mais ne peut s’empêcher de murmurer tout bas, en la cajolant contre son unique bras.

- Qu’est ce que tu racontes Fleur ?
< Et moi demain je vais retrouver mon second bras. >

Fleur prétend lui offrir les plantes sur son bureau, celles qu’elle arrose quelques fois quand elle lui montre le dos, celles qui se montrent un peu faiblardes car trop ou pas assez arrosées. Carmine les a déjà adoptées en secret, mais elle préfère s’abstenir de lui dévoiler ce coup monté : joue avec ses sourires bien ficelés.

- Merci beaucoup. Ça me touche tu sais.
< Je les arrose des fois dans ton dos. >

Quelques riches enjoliveurs alors que Fleur pique contre sa joue un baiser. La rascasse n’est pas sûre de comprendre ce qu’il vient de se passer, les intentions de son aînée piégée dans son filet intoxiqué  : le poison continue de la faire délirer et avant que ses paupières ne finissent totalement par fusionner dans les ténèbres la rascasse s’enlise contre ses racines pour lui déclarer.

- Il ne faut pas se jouer à ce jeu, Fleur. C’est dangereux.

Les bruits de pas claquent dans le couloir, alors que Fleur continue de se perdre dans son épais brouillard. Les urgentistes finissent par récupérer le corps de la princesse, jusqu'à ce qu'elle s'envole à son tour à l'hôpital, jusqu'à qu'elle disparaisse, laissant Carmine errer encore un peu dans la piscine sans la pauvresse.