La petite bête a tenté de se débattre dans ses bras, l’insulte de toutes ses forces mais la castagne est déjà pliée. Bo-Ra, elle se moque bien des surnoms fleuris qu’elle peut récolter. Elle ne lui en tient pas rigueur, maintenant qu’elle est balancée de l’autre côté. La petite chose semble plus faible, mais la panthère n’est pas bourreau. Elle ne compte pas l’achever. L’oiseau est déjà habile pour se saboter, pour se plumer sans qu’elle n’ait le besoin de bouger quand l’autre reste agenouillée.

Les crocs et les griffes finissent par disparaître : Bo-Ra elle n’est plus habituée et la forme sous la colère finit toujours par s’évaporer avant qu’elle n’ait terminé la saignée. Sous les torrents de cris, elle va chercher quelque chose dans le large congélateur où la viande est figée dans le froid. Entre une cuisse et un morceau de foie elle choppe quelques glaçons qu’elle dépose dans un sac avant de le lancer vers la plaignante. La panthère noire se sent un peu dépassée, dans l’ombre de la mort de son frère elle ne sait vraiment comment panser toutes les plaies qu’elles peuvent ou non partager. Maxine, elle a l’air de porter sur ses épaules un monde dont la brune n’a pas idée.

- Je connais pas trop ce que tu vis. Je n’ai jamais eu trop besoin de me mettre à la place des proies… Je me dis que si les choses ne changent pas, c’est peut-être que c’est pas la solution à tout tes tracas. Peut-être qu’il faudrait faire autrement plutôt que de foncer dans le tas si tu veux pas te retrouver comme ça.

Comme ça, agenouillée et larmoyante devant une inconnue la bouche souillée par le sang. Bo-Ra, elle fait parti de ces gros prédateurs. Elle n’a pas besoin de se remettre en question. Elle ne connaît pas les mêmes nuages, elle n’a jamais eu à affaire aux mêmes équations. La panthère n’a pas les mêmes préoccupations. Face à ces larmes, devant les drames, elle ne sait pas vraiment réconforter. Elle se sent un peu comme la fourchette dans une soupe déjà toute broyée. Épancher sa propre peine, elle n’a jamais su le faire, alors devant les petites perles salées, elle attrape le rouleau d’essuie tout qu’elle fait rouler jusqu’à l’oiseau sans oser bouger.  

- Je ne sais pas ce que les autres t’ont dit… Mais est ce que ça vaut le coup de t’entre-tuer pour des choses qui ne changeront pas ? C’est se gâcher la vie. Ton amie, elle est partie. C’est terminé. Arrête de lutter. On a déjà perdu.

Pleurer, Bo-Ra ne la pas encore fait. Elle n'a pas réussit. Maxine, elle est peut-être plus courageuse que le gros carnassier. Maxine, elle a au moins l’envie de tout affronter alors que la panthère s’est cachée dans les ombres pour mieux frapper. La chasseuse ne sait ni quoi dire, ni quoi lui offrir. Elle n’ose pas s’approcher. Elle se sent un peu abattue, attristée devant le ruisseau de peine déversé devant son minois déformé par le peine ((ou la pitié)).

- Si on se bat tous, c’est parce qu’on est probablement tout aussi pommé. C’est pas parce qu’on se bat que c'est justifié. Moi, j’ai jamais appris à faire autrement que comme ça. Mais la dernière fois que je me suis réellement battue, j’aurai pu crever. Alors évite de finir comme ton amie sous prétexte que ta vie est à chier.

Bo-Ra, elle n’a pas envie que Maxine aille se suicider, désespérée. Elle n’a pas l’envie de la retrouver abîmée dans le fond d’une chaise comme un légume bon pour la soupe. Bo-Ra, elle aimerait bien la voir gagner : elle aimerait bien qu’elle réussisse à s’en sortir en réalité parce qu’elle lui prouverait qu’il y a une porte de sortie, quelque part, bien cachée. Le félin finit par baisser les yeux, désolée. Désolée de ne pas avoir trouvé le point faible de l’ennemi, désolée de ne pas avoir de méthode pour tuer tous les soucis, désolée parce qu’elle reste injuste et froide ((leur vie)). Elle aimerait lui prouver qu’il y a d’autres manières de se consoler tantôt que d’attirer la discorde mais dans les larmes sauront peut-être la consoler.

- Peut-être parce qu’on est pas à ta place et peut-être parce qu’on comprend pas de quoi t’as besoin. Si les autres ne savent pas… Comment je pourrais savoir moi ?

Bo-Ra, elle n’est pas devin. Ce n’est pas clair tous ces cris, mais les larmes sont assez limpides pour que la pitié lui prenne la jambe sans la quitter. Maxine, elle souffre : mais la chasseuse n’a pas encore réussi à remonter en haut du gouffre. Elle se sent imposteur, pas douée pour soigner les jolis coeurs.

- Ton heure ?… Je pense que si tu veux attaquer quelqu’un, soit plus fourbe. C’est pas de l’intelligence… Puis, il te faut aussi plus d’expérience. Le but des fois c’est pas de taper le plus fort, c’est de taper là où ça fait mal. Je sais, c’est un peu  bête dis comme ça. Tu vas me dire encore que le monde entier t’as dit tout ça. Mais qu’est ce que tu veux que je fasse de plus ?

Bo-Ra, elle hausse un peu les épaules. Elle n’a pas de solutions miracles. Elle sait juste chasser, faire des soupes et se battre. Elle n’a pas ces idées folles, ces envies de tout vaindre et de gagner. Bo-Ra, elle sait qu’elle a déjà perdu, elle sait qu’elle n’a pas tout vaincu. La panthère pensait que son frère et elle étaient assez puissants, mais il leur a démontré que non, le temps. Alors le fauve se met à souffler. Elle fait quelques pas vers sont lit avant de s’assoier sur ce dernier, lassée. Elle ramasse sa propre tasse au sol au passage, délaissée : simple cadavre d’un reste de café tiède qu’elle finit par gober.

- Je ne sais pas. Moi j’essaie de m’occuper, de penser à autre. Sinon, autant se laisser mourir.

Bo-Ra, elle essaie de changer. Elle essaie de ne pas vivre dans une rage immonde qui pourrait tout emporter. C’est une tempête plus forte qu’elle, un ras de marrée qui fait trembler les limites de ce qu’elle connaît. Alors elle préfère ne pas prendre ce chemin, ne pas s’y aventurer : parce que l’inconnu fait trembler les murs du présent et du passé pour fracturer le futur en un coup d’épée. Mourir, ça fait trop peur pour réellement oser le faire. Mourir, ça la fait frissonner toute entière : alors elle essaie de se faire la guerre, elle essaie de s’en sortir en cachant les notes de colères qui finissent toujours par éclater entre les tentatives faiblardes, dans les saisons de ses misères.

- J’ai que ça. Des armes, ou des steaks.

Bo-Ra ne lui laissera toucher à rien. Probablement pas à la viande. Certainement pas à ses fusils et ses pièges entassés par dizaines sous le lit. Alors elle a le droit à quelques glaçons pour l'anesthésie : ici il faut assumer les bourbiers, les conneries. Les blessures n’ont pas a être calfeutrées, pas quand on attaque sans se méfier. Peut-être qu’elle ira à la pharmacie, si Maxine est trop fragilisée à moins qu’elle finisse par s’enfuir loin de cette forêt. La panthère continue de fixer l’oiseau, de voir où elle veut aller : elle ne fait que tout repousser, tout refuser, tout réfuter. Alors à quoi bon ? Si elle se donne toujours raison. Faut-il aussi la laisser tomber ? Faudrait-il l’abandonner à sa perte ? Bo-Ra, elle fait ce qu’elle peut, mais aider Maxine est laborieux.

Bo-Ra, elle n’est pas une psychologue. Elle a juste connu la mort.
Bo-Ra, elle n’est pas docteur. Elle n’a que les armes d’un chasseur.
Bo-Ra, ce n’est pas un sauveur. Elle gère maladroitement les malheurs.
Pas de solutions, la forêt et l’isolement comme unique drogue : que faut-il faire de plus pour que ça s’améliore ?

Bo-Ra laisse traîner ses oreilles au bord du lit. Dans la courte vie du piaf, les morts s’alignent et elle essaie de se débattre devant un combat perdu d’avance. A la loterie, Maxine n’a pas eu de chance. Elle a du subir les morts les unes après et les autres sans pouvoir se plaindre ou prêter allégeance à un apôtre.
Même si Maxine quémande un autre regard à la chasseuse, cette dernière n’a pas d’autre arme sous le nez que la compassion. Elle a déjà jeté les mots durs, les coups et la violence, il ne lui reste pas grand-chose : la compassion, les armes, et l’absence.  Alors sur son siège factice, elle passe une main dans ses cheveux presque séchés pour se gratter le crâne face à des équations qu’elle ne saurait résoudre. Peut-être que finalement, sous toute cette foudre, elle ne veut pas se faire aider. Peut-être que le volatile cherche juste quelqu’un qui pourrait l’entendre chanter cette chanson aux allures de requiem. Bo-Ra préfère s’abstenir de parole, sans pour autant briser tout ce système.

- Alors distingue les personnes avec qui tu t’entraînes des personnes à qui tu peux parler de « ça ». On peut pas tout partager avec tous le monde. Il y a des gens qui comprendront jamais. Alors si tu vois qu’ils comprennent pas, gaspille pas ton énergie avec ça. Fais ce que t'as à faire, garde le reste pour les autres.

Il a suffit de revoir Sasha pour qu’elle lui dise qu’elle aurait dû les confronter. Cependant, elle sait. Elle sait qu’ils n’auraient pas compris, qu’ils auraient cherché à la pendre au milieu de la fosse. Alors la panthère a pris toutes ses affaires, sans rien demander et est montée dans le premier carrosse. Elle a conservé le minimum dans de gros sacs et a tout jeté. Tous les espoirs, les avis et les amitiés : il ne reste que le nécessaire à sa survie, assez pour qu’elle arrive à vivre aujourd’hui. Alors la panthère fronce les sourcils, la voix plus affirmée.

- De mon côté, si je suis partie de la fosse sans rien dire à personne, c’est pour ça. Je savais qu’on me retiendrait, qu’on me comprendrait pas. Tant qu’ils ont pas été dans cette merde, ils pourront pas te comprendre non plus.

La chasseuse, elle n’est pas sûre de tout comprendre. Tout se passe si vite, on passe des cris, aux coups, aux cris, aux larmes, comme dans un mauvais drame. Elle assiste sans cérémonie à ce drôle d’amalgame ou la colère s’est changée en tristesse blottie contre la poitrine. Elle voudrait l’arracher, s’en défaire, l’achever, mais elle continue de la tourmenter : drôle de machine sans turbine sans qu'elle n'arriver à larmoyer, sans que les larmes n'arrivent à se dévoiler. C'est la sécheresse dans son cœur qui continue de briller.

Face à la dernière phrase de l’oiseau, les lèvres de Bo-Ra viennent s’écraser l’une contre l’autre pour mimer l’inconfort. Elle ne sait plus quoi dire, elle a l’impression de n’avoir rien arrangé, elle a l’impression que quoi qu’elle dise, que peu importe ses actions : rien ne va changer. C’est probablement le cas. Elle ne peut pas refaire son monde Bo-Ra. Alors elle glisse ses doigts contre l’épaule que ses crocs n’ont pas souillée et l’attrape pour exprimer un support, un soutien. Peu importe.

- Je vois…

Bo-Ra, elle ne voit rien du tour, que quatre murs et un piaf qu’elle a ensanglanté. Des amis, elle sait qu’elle en a quelques uns sur qui compter, mais il est dur avec les années de continuer à entretenir les amitiés. Les personnes finissent toujours pas partir, comme le dit Maxine. Même les mères, les meilleurs amis, les frères jumeaux finissent par se faire la belle et laissent les vies en ruines. Alors, elle ne peut rien lui reprocher, elle la laisse exprimer cette colère qui la maintient toujours en vie. C’est sûrement son seul moyen de survie.

- Moi non plus.

Mais ça Maxine l’a probablement déjà compris. Elle a déjà écouté les cris, elle a déjà dans son épaule senti la douleurs et les crocs : c’est pas du joli. Cependant quand les mots finissent pas s’absenter, que la colère et la violence finissent par la tourmenter, il est difficile d’arrêter l’ancienne combattante qui ne sait plus reculer.  Elle ne lui en veut pas, elle suppose que c’est déjà assez compliqué comme ça : mais elle s’en veut pas, Bo-Ra.

- Peut-être que c’est lâche, mais peut-être que je reviendrai. Je n’en sais rien. Je pense plus à demain.

Maintenant, elle peut l’avouer sans s’énerver, le ton un peu attristé. C’est peut-être un peu lâche de s’être tirée, d’avoir tout rompu sans rien demander, mais elle n’allait pas confronter les avis de ceux qui ne l’auraient jamais comprise. Elle n’allait pas attendre quelque chose parce qu’elle savait que les divergences étaient promises. Elle sait qu’elle aurait échoué à les convaincre, qu’elle aurait finit par cogner pour vaincre.

- Oui. Tu peux revenir. Si je suis pas là, je traîne sûrement dans la forêt. Je suis toujours là en début ou fin de journée.

La panthère inspecte les tâches de sang sur le sol qu’elle va devoir enlever. C’est un peu dégueulasse, mais ça ne change pas des proies qu’elle décortique pour les congeler. Les prunelles dorées finissent pas retrouver Maxine prête à repartir. Elle ne sait pas si elle osera revenir. Bo-Ra, elle n’attend rien, ni d’aujourd’hui, ni de demain, elle espère simplement qu’il ne lui arrivera rien.

Bo-Ra, elle restera là, dans la forêt.
Elle n'aura pas vraiment bougé,
Alors que le monde continue à se battre,
Le sien s'est déjà arrêté de tourner.