sonate au clair de lune

pas un mauvais fond.
eliott ne soupire pas, il reste impassible. mais au fond de lui, il se dit que ça ressemble bien à jayson. il n’a jamais compris pourquoi le bullmastif continuait de s’approcher, encore et encore. pourquoi il continuait de s’accrocher à lui, à ce lien stupide, entre un gamin et un infirmier d’un quartier malfamé. jayson, il a toujours été trop bonne patte. trop bon trop con. il a toujours tout pris sur ses épaules et a toujours vu le meilleur chez les autres.

ce que c’était agaçant.

“tsk. évidemment.”

ça le met en colère.
mais eliott n’est plus du genre à s’énerver, plus du genre à laisser sa rage éclater. il n’en montre rien, il laisse seulement son agacement se trahir. comme un chat qui bat la queue.

“il pense que c’est de sa faute et il se sent responsable, hm ?” question rhétorique. “il va falloir qu’il arrête de croire que tout tourne autour de lui.”

ça sonne méchamment et c’est volontaire. eliott veut prendre de la distance, veut choisir la fuite. c’est plus facile d’incomber l’ancien infirmier que de simplement assumer. mais ce qu’eliott veut vraiment dire par là, c’est que jayson est de ceux à prendre tous les malheurs du monde sur ses  épaule.

“honte ?” le regard glisse vers son voisin, un peu surpris par la question. il prend la peine de réfléchir une seconde, peut-être trois, avant de souffler du nez, comme si la question l’amusait. “non.”

non eliott n’a pas honte d’être partie sans rien dire.
c’était son choix, sa décision.
il ne devait rien à personne. il était libre.
eliott a honte de tout ce qui s’est passé après.
des promesses qu’il n’a pas tenu.
du monde qu’il n’a jamais conquis.

“c’est gentil de ta part mais je n’ai pas besoin d’être rassuré.” la distance revient encore, d’un coup. eliott n’aime pas se montrer vulnérable. parlé de son passé. encore moins a un voisin qu’il ne connaît pas et qui joue de la batterie à 4h du matin. “je suis parti car j’en ai fait le choix et ce n’est pas quelque chose que je regrette. ce n’est ni quelque chose que jayson aurait pu empêcher et il faudra qu’il l’accepte.”

regard étrange. à la fois sévère mais bienveillant. comme si le chat lui-même ne savait pas comment réagir, sur quel pied danser. lui qui maîtrise toujours tout, le voilà dans une situation bien étrange. alors énigmatique, il lâche:

“pas de raison de rester, c'est une bonne raison de partir.”

et puis bien la dernière phrase et eliott plonge son regard dans le vide. à nouveau. revoir jayson. revoir son visage. est-ce qu’il a changé ? combien de rides sa peau a-t-elle prit ? comment a poussé sa barbe et ses cheveux ? réentendre sa voix. est-ce qu’elle est plus grave ? plus aïgue peut-être ? mais surtout est-ce qu’elle est plus légère, comme libérée d’un fardeau trop lourd ?
mais est-ce qu’eliott s’en sent capable ? que le souvenir flou d’une homme qu’il n’a pas vu depuis huit devienne de nouveau une réalité? qu’il ne s’estompe pas avec le temps comme tout ce qu’eliott a abandonné ? est-ce qu’il sera capable de le confronter, de lui expliquer, de l’écouter ?

“...”

il ne sait pas.
pire que ça.
il a peur.

“...je.”

il.
il quoi ?
est-ce qu’il le sait lui-même ?
ça a toujours été je. eliott et rien d’autre. eliott eliott eliott. gamin égoïste à homme égocentrique. manipulateur et calculateur. sans scrupule et lâche.
mais depuis peu, depuis alysse et celian, depuis les retrouvailles avant maman…
c’est un peu moins je et un peu plus nous.
est-ce que jayson mérite de faire partie de ce nous ?
ou plutôt.
est-ce que eliott mérite de faire parti de celui de jayson ?

“... sans doute. je… je pense que j’irai le voir. je vais y réfléchir. je suis trop fatigué ce soir, on se demande pourquoi.” le regard glisse en un rictus amusé. “je veux bien l’adresse. merci.”

il se redresse alors. quitte le canapé parce qu’il a soudain conscient de lui et il ne veut plus rester dans cet appartement juxtaposé au sien. il veut rentrer, s'enfuir dans son lit et se laisser partir. même s’il sait qu’il ne dormira sans doute pas ce soir.

“j’vais bouger. désolé pour… tout ça.” d’avoir paniqué sur une putain de photo cornée. “mais essaye-toi à tchaïkovski ou bach la prochaine fois. je préfère le piano à la batterie pour m’endormir.”  il ricane, il s’est repris. “tu passeras boire un truc la prochaine fois. et… merci.”

dernier mot un peu sincère.
un peu intense.