valeryane dans son bureau, au sommet de l’observatoire de babel, comme une reine dans sa tour stellaire. elle est assise, valeryane, le dos bien droit sur sa chaise et la tête un peu penchée sur une feuille. elle écrit à l’encre noir, avec rigueur et concentration.

elle l’a fait mille fois, ici. que ce soit à son bureau ou debout face à son tableau. les gestes répétés et les pensées qui fusent à la recherche du moindre petit détail qui pourrait faire avancer la science et les théories. si d’habitude ce que valeryane griffonne sont des théorèmes, des équations et des conjectures, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

valeryane a passé sa journée à écrire des lettres.

les débuts ont été pénibles. l’administratif n’est jamais une partie de plaisir, et valeryane n’échappe pas à la règle. mais en son statut de directrice de l’observatoire, elle n’a pas le droit de se dérober à son devoir.
alors elle a bouclé tous ses dossiers, à cacheté toutes les demandes de ses collègues et du comité d’administration, à lu en détail chaque demande et chaque maquette des prochaines conférences.

et juste après ça, elle a rédigé son ultime lettre ou presque.
celle où elle demande à faire une pause ses fonctions.

un mandat dure habituellement cinq ans, et valeryane n’en est pour le moment qu’à trois. elle sait que son geste aura des conséquences, mais elle a confiance en son vice-président et les autres membres du bureau pour tenir la barre en son absence. elle reviendra, valeryane, elle leur a promis. elle ne sait juste pas combien de temps. de toute manière, elle n’a pas le choix.
les jours de congés accumulés tous posés d’un coup, valeryane a promis d’au moins continuer ses recherches pendant cette longue pause. parce qu’elle reste une chercheuse et rien ne changera jamais sa nature.

alors voilà, le bureau a été totalement rangé, dépouillé de toute son âme, de tout ce qui faisait valeryane.
mais valeryane y est toujours assise, le dos bien droit sur sa chaise et la tête un peu penchée sur une feuille.

parce qu’il y a encore une dernière chose à écrire.

“chère tatiana,

cela faisait bien longtemps que je ne t’avais pas écrit de lettre. je me souviens de la première. j’avais treize ans, peut-être quatorze, et j’étais partie en vacances à régalia avec ma famille. je ne sais pas pourquoi, mais j’avais eu envie de t’envoyer une carte postale, comme pour imiter les héroïnes des romans de notre enfance et les lettres qui sentent la bougie et le bord de mer.
cette lettre-ci est un peu différente et j’espère que tu me pardonneras. si d’habitude je t’en ai toujours envoyé une fois partie, cette-fois ci j’ai bien peur de devoir anticiper mon départ. je ne sais pas comment te l’annoncer ni comment te l’écrire alors je vais faire de mon mieux. j’espère que tu pardonneras mes mots flous et mes pensées nébuleuses.

tatiana, je vais disparaître quelque temps. je suis désolée de te l’annoncer comme ça, que tu le découvres sur une encre sèche d’une vieille feuille qui traînait sur mon bureau, c’est malheureux mais c’est ainsi. je ne peux pas t’en dire plus pour le moment, ça va durer quelques semaines, peut-être un peu plus. n’essaye pas de me chercher ou de me contacter, je ne répondrai pas.
la situation est délicate et j’ai besoin de manoeuvrer avec précision. j’ai trop peur qu’il ne t’arrive quoique ce soit, que l’équilibre fragile de ma vie actuelle ne cède et ne te blesse. je ne me le pardonnerai pas. je préfère encore que ce soit moi.

je le redis encore, mais ne me court pas après, s’il te plaît. promet-le moi. tu as autre chose à faire en ce moment que d’être prise dans la tempête de mes problèmes. je sais que tu vas fouiller, je te connais par cœur, mais s’il te plaît, réfléchis une seule seconde avant d’agir. tu as suzanne sur qui veiller.
je te jure qu’au plus tard, je serai là quand elle verra le jour. c’est la seule date que je peux te promettre.

je suis désolée.
je t’aime.

valeryane”

les larmes coulent sur le papier abîmé.  valeryane se redresse de sa chaise pour la glisser sous son bureau qui n’a jamais été aussi bien rangé. les livres d’équations parfaitement alignés dans les étagères, les tiroirs fermés à double tour, le tableau nettoyé de toutes traces de craies.

valeryane regarde une dernière fois son bureau.
et ferme la porte à clef dans un soupir.
la lettre est pliée soigneusement dans une enveloppe qu’elle tient contre sa poitrine. elle n’a pas envie de l’envoyer, mais elle n’a pas le choix. c’est brusque et c’est cruel, mais c’est comme ça. elle a besoin de temps. de temps pour réfléchir, pour trouver une solution.

demain matin, elle partira pour la mer en compagnie. un petit bungalow réservé pour un temps.
le temps de se retrouver.
au prix de celleux laissés sur le côté.