La nuit tombait, sur le quartier Brise-Coeur de Lunapolis. L'endroit le plus malfamé de la cité de Lunapolis. Et très probablement de toute l'île entière, quand on y repensait. Après tout, ici régnait plus ou moins la loi du plus fort et beaucoup de prédateurs étaient présents entre ces lieux : dealers, guerriers, criminels, voleurs. Une belle brochette d'ordures. Mais c'était là qu'Elain était née et malgré les années, elle ne parvenait pas à haïr cet endroit. Au contraire, c'était même ici qu'elle pouvait laisser exprimer la part la plus sombre de son être, son autre personne, que beaucoup connaissaient sans jamais savoir que c'était elle : Queen. Bookmaker de la Fosse et reine des paris.
Autant dire qu'il n'y avait rien de surprenant à la voir déambuler dans les rues de ce quartier donc, même si, précaution obliger, elle avait une perruque plus vraie que nature, donnant à ses cheveux une couleur noire et mettait des lentilles de contact bleues. Tout ça pour cacher sa véritable apparence : ce serait bête de se faire identifier par un milicien faisant un peu trop de zèle : même si ces derniers évitaient de venir ici trop souvent, il n'était pas rare de trouver de rares courageux, ou idiots pour tenter e nettoyer le quartier.
Des efforts vains, selon Elain.
Et en voilà un, justement. Un courageux, blond, plutôt joli garçon mais qui semblait garder une trace de naïveté et d'effronterie dans son regard. Elain le connaissait : c'était un bon ami de sa chère proie, Alexis, il venait de temps en temps au Devil's Nets mais jamais ils ne s'étaient adressés la parole plus que nécessaire.
Et visiblement, il ne savait pas qui il avait en face d'elle. Des soupçons ? Peut-être. Dans tous les cas, la jolie rousse se devait de jouer le jeu, si elle ne voulait pas avoir d'ennuis.
" - Bien sûr monsieur l'agent. Camille Duciel. Juste un instant, voici mes papiers. "
Un faux nom, bien sûr. Et de faux papiers, qui avaient été faits par le meilleur faussaire de l'île : Elain avait remporté un paris face à lui et comme gage, elle avait demander les meilleurs faux possibles. Avec ça, même des gradés de la Milice pourraient s'y tromper. Alors une jeune pousse comme lui, un sans-grade, Elain avait bon espoir de parvenir à le tromper. En plus, c'était un nom assez commun au final, plusieurs homonymes étaient présents sur l'île.
Il n'y avait donc pas à s'inquiéter. C'est d'une voix légèrement inquiète, jouant la comédie, qu'Elain reprit de plus belle.
" - Tout va bien monsieur l'agent ? Je sais que le quartier n'est jamais très sûr... Il y a un problème ? "
Une légère inquiétude pouvait se voir dans son regard. Combien de fois avait-elle jouer la comédie ainsi, face aux forces de l'ordre ? Bien trop pour s'en souvenir. Autant dire que son discours était réglé comme du papier à musique.
Le jeu des faux-semblants et de la recherche de la vérité venait de commencer.
Même si le garçon semblait un mignon petit milicien, la façon dont il s'emparait des papiers d'Elain était assez agressive, déchirant presque ces derniers. Hé bien, le chien de garde avait faim visiblement mais la jeune rousse était confiante : ce n'était certainement pas un garde de seconde zone dans son genre qui allait la percer à jour. Mais il fallait tout de même qu'elle reste prudente et continue de jouer le jeu. Ainsi, elle feignit l'inquiétude en entendant ses propos.
" - Je suis là pour me fournir chez un fleuriste. C'est un très bon ami à moi malgré qu'il habite ici et j'essaie toujours de l'aider un peu en lui prenant quelques plantes. Il est très doué vous savez. "
Il y avait effectivement un fleuriste dans la zone, assez discret et gentil qui tenait correctement son commerce. Et assez intelligent pour ne poser aucune question embarrassante. Ainsi, même si le milicien l'accompagnerait, il n'y aurait aucun problème. Certes, ça allait chambouler quelque peu ses plans de la soirée, mais vu que visiblement il ne comptait pas lâcher ses basques, tant pis elle devrait faire avec.
" - Ce serait avec plaisir ! Merci monsieur... ? "
Il ne s'était pas présenté après tout. Est-ce qu'il le ferait ? Elain, enfin Camille n'en était pas sûre, mais autant tenter le coup. Après tout, c'était assez naturel dans la conversation. Et s'il ne voulait pas, elle ferait avec ! Dans tous les cas, c'est d'un pas assez confiant et enjoué que la jeune femme commença à marcher, probablement suivit de près par le milicien.
" - Le travail n'est pas trop dur en ce moment ? "
Celle qui se faisait appeler Camille haussait simplement des épaules, en entendant le commentaire du milicien, sur le fait que ce n'était pas un endroit très approprié pour une boutique de fleurs. Ahlala, ces chevaliers blancs qui se permettaient de juger ce qu'ils ne connaissaient et ce qui ne les concernaient pas. Tant pis, elle n'allait pas se bagarrer pour si peu, surtout avec un milicien, même si ce dernier avait quelque peu l'apparence d'un gamin, malgré qu'il avait probablement le même âge que la Belth, ou pas loin.
Il semblait désarçonné par la question d'Elain. Visiblement, il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui demande son nom. Dans ces conditions, ça aurait été quoi, la tête qu'il aurait fait si elle demandait sa carte pour être certaine qu'il était bien ce qu'il prétendait être.
" - Très bien, c'est noté. "
Ainsi, il emboitait le pas d'Elain afin de la suivre dans les ruelles sombres. Au moins, il avait plus de courage que la plupart des miliciens qui souvent, ne traînaient pas ici. Et presque jamais en solo. Il fallait lui reconnaître au moins ça.
" - Bien sûr, mais il y a parfois des cas qui sont plus problématiques que d'autres. C'est donc rassurant de vous avoir à mes côtés. "
Petit sourire entendu, alors qu'Elain avançait tranquillement dans les dédales de Brise-Cœur. Elle savait exactement où aller et il n'y avait aucune hésitation dans ces pas. Après tout, elle se rendait réellement chez le fleuriste et ce n'était pas un piège. Aucun besoin de stresser.
" - Du coup, ça fait longtemps que vous exercez ici ? Dans le coin, on a l'habitude de se souvenir des miliciens qui viennent faire des patrouilles vu qu'ils peuvent parfois être assez désagréables avec nous pour un oui et pour un non. Mais c'est la première fois que je vous vois. "
Hé bien, le moins qu'on puisse dire, c'était que son « compliment » semblait toucher en plein cœur le blond qui bombait fièrement le torse. Ainsi, le petit chiot des autorités était sensible à ce genre de paroles ? C'était bon de se le noter dans un coin de l'esprit, pour la bookmaker. Les mots étaient une arme redoutable et elle n'hésitait pas à les utiliser pour avoir ce qu'elle souhaitait.
" - Merci bien alors, me voilà tranquille. "
Honnêtement, sa présence faisait plus que l'agacer mais elle ne pouvait pas l'envoyer sur les roses, ça serait suspect. Et en plus, ça ne serait pas le premier milicien à employer un prétexte fallacieux pour emmerder son monde. Alors Elain devait se contenter de jouer son rôle et utiliser la ruse du renard pour qu'il la laisse tranquille. Des soupçons ? Il en avait certainement. Mais sans rien de tangible...
" - Je prierais pour qu'il n'arrive rien à votre âme alors... "
Jouant toujours son petit jeu, Elain faisait mine de s'intéresser, en souhaitant qu'il n'arrive rien au petit blond courageux. En vérité, elle s'en lavait un peu les mains, s'il arrivait quelque chose à Caspian.
" - C'est vrai que l'endroit est plutôt difficile et qu'il faut faire attention. Mais simplement envoyer quelques miliciens de temps en temps risque de ne pas suffire. Sans un véritable programme de réhabilitation du quartier et de ses habitants, la situation va continuer comme ça un bon moment. "
En effet, il ne fallait pas être un génie pour comprendre d'où venait le réel problème de ce quartier. C'était la misère et la discrimination. Elle-même avait, pendant un temps, eu pas mal de difficultés pour s'en sortir. Mais bon, ça se saurait, si la criminalité et la misère pouvait disparaître simplement par la répression
" - Il y a quelques histoires qui traînent là-dessus en effet. Mais de ce que j'ai compris, ça remonte à bien avant ma naissance. Et malheureusement, ma famille n'a jamais été très causante à ce sujet. Peut-être que j'irais faire un tour du côté d'Ithloreas pour visiter à l'occasion. "
Un endroit aussi touristique intéressait la renarde. Le commerce y était extrêmement développé et il y avait sans doute moyen d'y gratter quelques informations intéressantes ou même des affaires qui valaient le coup. Dans tous les cas, ils arrivaient bientôt en direction de la boutique, plus que quelques foulées.
Un sourire se dessina sur le visage d'Elain.
" - Sur un ton un peu plus joyeux, peut-être pourriez-vous aussi en profiter pour jeter un coup d'œil ? Je suis certaine qu'un homme aussi séduisant que vous doit avoir une petite amie et les bouquets font toujours plaisir. "
Visiblement, le blond ne semblait pas être un idiot aveugle et adorateur du régime. Ce qui était une bonne chose : Elain détestait les personnes comme ça. Elle avait la plupart du temps envie de leur foutre son poing dans la gueule. Il y avait beaucoup de vérité dans ce que disait Caspian ; une grosse partie du problème résidait dans ses dirigeants. Faisant mine de prendre un visage un peu embarrassé et amusée, la jeune femme répliqua.
" - Ahah, je vous dirais bien le fond de ma pensée, mais pour des raisons assez évidentes, je vais éviter. Je ne voudrais pas avoir des ennuis. "
Au vu de ce qu'elle analysait du jeune homme jusqu'ici, Elain estimait pouvoir dire cette petite boutade en s'en sortant sans ennuis. Après tout, si elle était trop lisse, ça attirerait les soupçons. Alors autant lâcher la bride un peu, juste assez pour que ça paraisse naturel et qu'elle n'éveille pas les soupçons. Elain était comme une funambule sur la corde raide, dans cette conversation.
Et c'était plutôt amusant.
" - Vraiment navrée, je ne savais pas. "
Ainsi, il avait perdu quelqu'un de cher ? Pour le coup, Elain se sentait effectivement quelque peu désolée pour le blond, mais ça arrangeait quand même ses affaires. Avec de la chance, il ruminerait des sombres pensées et ne s'attarderait pas sur les détails de leur conversation ou des lieux. C'était donc tout bénef pour la renarde.
" - Malheureusement, je suis célibataire. Je dois avouer avoir un certain succès, mais je n'ai pas encore trouver de personne à mon goût. "
Alors, pour le coup ce n'était pas un mensonge. En effet elle n'avait personne actuellement et il était clair qu'elle avait du succès, ne serait-ce que grâce à son physique plus avantageux. Mais il n'y avait également personne pour qui son coeur balançait. Certes, elle avait de l'intérêt pour certaines personnes, une jeune étudiante en particulier, mais de l'amour ? Certainement pas.
" - Je viens simplement prendre des chrysanthèmes pour un membre de ma famille. N'hésitez pas à regarder pendant que je fais mes emplettes. "
Des fleurs blanches liées au deuil. Certes, ce n'était pas son plan prévu à la base mais pourquoi pas ? Ainsi, elle pourrait honorer pour une fois son ordure de père. Dans tous les cas, Elain, pénétra tranquillement dans la boutique, sans que le fleuriste ne pipe mot, à part les salutations habituelles. Dans tous les cas, Elain repéra également une plante rare assez exotique, qui irait à merveille dans son appartement. Parfait !
Il ne restait plus qu'à voir ce que le milicien faisait pendant ce temps.