L’agacement irradie du fennec et le cobra se fait la réflexion qu’il aura sans doute des rides avant l’âge à froncer les sourcils ainsi.
C’est fascinant de constater toute la haine qui peut se cacher dans un seul regard.
C’est fascinant de voir toute l’aversion que peut avoir un frère à son égard.

Caspian, d’ordinaire si solaire, capable de réchauffer les cœurs d’un seul sourire ne dégage pourtant aucune chaleur à cet instant, comme à chaque fois qu’Ilya est dans les parages.
Ilya,glacial, si froid qu’on pourrait mourir d’hypothermie en sa présence, si Caspian lui avait sourit un jour, aurait-ce suffit à faire fondre son cœur de glace, fissurer son cœur de pierre?

Il ne le saura jamais. Parce que Caspian sourit toujours pour les autres, jamais pour lui.
L’animosité, ça se sent, ça se comprend dans le regard d’autrui avant même de savoir lire des phrases noir sur blanc.
Ça fait plus de vingt ans qu’ils nourrissent cet écart entre eux, élargissent le gouffre qui les séparent depuis l’enfance.

Le serpent hoche la tête à la négative, pousse un soupir. Caspian est sur les nerfs, lui n’est pourtant pas certain de comprendre ce qu’il a dit de si mal. Maman fait la potiche, c’est la vérité. On n’appelle pas une pomme une orange.

La fête. Je parlais seulement de la fête, pas de ta fugue et de ta crise d’adolescent. Quoi que c’est vrai, maintenant que tu le dis… Tu l’as abandonné non pas une, mais deux fois.  Grands yeux ronds, il lui sert une moue visiblement pas très impressionnée. Te fais surtout pas d’illusions Caspian, moi j’étais le premier à pas vouloir qu’on t’invite.

Ça aurait été mieux comme ça, chacun aurait eu ce qu’il voulait.
C’est plus agréable lorsqu’il n’est pas là. Papa lui semble alors moins odieux, l’ambiance plus supportable pour tout le monde quand il n’y a personne pour servir de cible à Hazgar Matkovic et ses moqueries.
C’est plus tranquille, moins lourd.

Un point commun?

Je suppose…

Cobra lance un regard suspicieux au fennec. Caspian le lâche, Caspian le simplet, lui, sacrifier sa vie pour la milice? Pourvu que ce ne soient pas des paroles en l’air, alors peut-être qu’il remonte un peu dans son estime, l’opinion si basse qu’il a de lui.

J’espère que ce sera toi, comme ça j’aurais ta part de l’héritage familial.

Ses tentatives d’humour sortent toujours comme une insulte quand il est question de son aîné. Lui est incapable de douceur.
Ilya ne souhaite la mort de personne, pas même celle de Manon. Mais ça, même s’il lui disait, il doute qu’on le croit réellement.
Tant pis.

Un soupir franchit ses lèvres tandis qu’il se retourne pour voir l’autre s’affaler dans les oreillers. En poste, n’est-il pas le plus parfait des soldats? En quoi est-ce que ça nuirait à la milice? La milice a une chance immense de l’avoir, voilà tout. Caspian ne se rend pas compte de ce qu’il dit, la bonne blague.

Et si la haine ne lui fait plus grande chose, n’est-ce pas bien dans un sens?
En faisant ce métier, s’il devait prendre toutes les remarques qu’on lui fait à coeur, alors il en serait malheureux, en deviendrait dégoûté à force de se démener pour des gens qui n’en valent même pas la peine.

Peut-être que j’en ai rien à faire, parce que j’y suis habitué. Peut-être que j’en ai déjà pleuré tous les soirs, par le passé. Qu’est-ce que t’en sais, Caspian? T’es qui pour savoir comment je me sens?

C’est faux. Ilya n’a jamais pleuré pour des ingrats, ne se souvient pas de la dernière fois où il a versé des larmes de tristesse. Ce n’est pas qu’il manque d’émotions, il n’a juste rien à pleurer.
Ilya tire sur un oreiller sous la tête du fennec. Il le pose sur son visage, laisse sa main dessus sans forcer.

Ou peut-être que t’as raison. Peut-être que je suis un monstre, le diable en personne. Peut-être que je suis entré ici seulement pour t’éliminer.

Évidemment que ce n’est pas le cas, même qu'il a déjà retiré sa main. Mais si Caspian veut croire qu’il est un monstre, libre à lui de le penser.

Les sourcils se froissent, les traits se crispent et voilà qu’un énième soupir de frustration quitte les lèvres de son aîné. Décidément, Caspian ne sait faire que ça, grimacer les lippes serrées.
Ilya, qui ne cherche que rarement la bagarre d’ordinaire, avec le fennec, c’est différent, il s’agit là d’une autre histoire. Le cobra prend un malin plaisir à le pousser dans ses retranchements, observer ses expressions faciales se métamorphoser dès qu’il entre dans une pièce.
Si Caspian n’aime pas sa façon d’être, alors lui ne voit pas pourquoi il devrait tenter de calmer le jeu. N'est-ce pas ainsi que leur relation a toujours été? Chien et chat, fennec versus cobra?

Celle que j’ai avec papa ne te concerne pas plus alors.

N’est-ce pas le fennec qui a parlé de sa relation avec son paternel le premier? Ce n’est qu’une question d’égalité, lui s’est contenté de suivre le mouvement, voilà tout.

C’est simple alors, la prochaine fois… Ne. Viens. Pas.

détache les mots lentement, accentuant le mépris dans sa voix.

T’as peur de lui dire non, c’est ça? Pauvre petit Caspian… Même en voulant t’émanciper, tu parviens à échouer. Ça, c’est triste.
Unn doigt sous l'œil, il fait mine d’essuyer une larme inexistante.
Ces fêtes de merde, papa va continuer de les organiser tant que t’arrêteras pas de venir. Le message passera jamais si t’arrives même pas à t’affirmer. De toute façon, ça peut pas être pire que lorsque t’es parti.

Ilya, il ne voit pas ce qui dérange tant Caspian, ne voit pas ce qui l’empêche de se terrer dans son trou à rats le jour de son anniversaire. Le jour où l'aîné a déclaré qu’il quittait le domaine familial, son culot l’a surpris et la colère de papa est restée bien ancrée dans sa mémoire. Et pourtant, le voilà qui rentre quand on lui ordonne, comme quoi Caspian sera toujours prisonnier de l’ombre, de l’emprise du paternel.
Le serpent croise les bras, pousse un soupir exaspéré. Dans sa tête, il est convaincu que ses propos sonnent comme un conseil, même si celui-ci est dénué de bienveillance véritable.

Les yeux suivent les mouvements de la main du fennec quand il parle de l’héritage. Le serpent fait la moue, visiblement déçu que l’autre ne monte pas sur ses grands chevaux, n’assouvit pas sa soif de chaos. Ce manoir immense, ces couloirs trop froids, Ilya, il n’en a jamais rien eu à faire, a toujours préféré le grand jardin, la vie au grand air, s’imagine déjà vivre près de la plage dans une petite maison lorsque les rides auront dévoré son visage.
…
Mais si Caspian ne veut rien de tout ça, Ilya ne sera pas le fou qui crachera sur l’héritage familial malgré tout.

Le serpent penche la tête de côté en entendant l’aîné prétendre le connaître assez, laisse les secondes s’écouler dans un silence de plomb. Les épaules tressaillent une fois tandis qu’il renifle un coup l’air vaguement amusé.

Oh, pitié Caspian. Fais pas comme si tu me connaissais vraiment. Mais je comprends ça, je suppose. Les yeux ne quittent jamais les siens. J’ai pas vraiment envie de te connaître non plus.

Le ton est de nouveau neutre, indifférent. Caspian s’est déjà fait une idée de lui, qu’est-ce que ça lui fait dans le fond? Si on ne le comprend pas, lui et sa façon d’être, ce n’est pas son problème. Lui seul sait qu’il est celui qui a raison.
Caspian est trop sensible, trop susceptible, pas assez impartial et beaucoup trop lâche. Voilà pourquoi ils ne s’entendront jamais jamais jamais.

L’oreiller valse plus loin jusqu’au plancher et le serpent sursaute légèrement lorsqu’on empoigne ses poignets.

Heureusement pour toi, j’ai pas envie de me taper tes funérailles en plus de ton anniversaire.

Le cobra roule des yeux comme si ça coulait de source, comme si c’était plein de sens. D’un geste sec, il se défait de l’étau de ses doigts, se relève lentement, histoire de faire durer ce moment pénible un peu plus longtemps.

À vos ordres, commandant Matkovic. Les putain de robots, ça existe pour obéir.

Dos bien droit, tête bien haute, il se permet de lui faire un salut militaire, le majeur mis en évidence.

Bon anniversaire quand même, monsieur susceptible. Tu parles d’un grand frère de merde.

Il ne le regarde déjà plus en prononçant ses paroles, referme derrière lui dans un grand claquement de porte.

Caspian restera pour toujours une épine dans le pied.
Caspian ne sera jamais de ceux qu’on appelle frère.