Caractère
Sans-Âme.

C’est un petit mot qui en fait grimacer plus d’un. C’est celui que l’on murmure aux oreilles des enfants turbulents pour les calmer (tu ne veux pas finir comme la Sans-Âme, hein ?) lorsqu’ils sont trop énervés. C’est celui qu’on n’ose pas prononcer, de peur que nos propres enfants le soient, eux aussi. C’est celui que l’on associe avec le malheur, avec la personne que tout Haklyone devrait détester sans exception aucune.

Peut-être y a-t-il un fond de vérité à toutes ces rumeurs.

A toutes ces histoires farfelues que l’on raconte à son sujet.

Serait-ce son tempérament farouche qui enflamme l’imagination de ceux qui la croisent ? Qui laisse croire que ne pas avoir d’âme fait d’elle une aberration ? Ou encore serait-ce le venin laçant ses paroles, acerbité absolue envers celleux qui lui ont longtemps craché au visage ? On ne saurait dire. Mais ne pas avoir d’âme, c’est ce qui l’a forgée – c’est ce qui a déterminé sa passion pour la médecine, la recherche. C’est ce qui a planté en elle ce désir d’en apprendre plus, d’entamer des études plus poussées, dans l’espoir d’un jour trouver la cause de ce manque et le contrer.

Car c’est bien ce qui la caractérise, Yara – l’espoir.

Elle espère. Si fort. Elle espère qu’un jour, on la verra elle. Au-delà de l’étiquette « sans-âme » qu’on lui a collée au front. Au-delà de ces absurdes rumeurs qui courent, de ces histoires qu’on raconte aux enfants. Au-delà de cette peur que d’autres comme elle voient le jour. Car si l’on omet ces longs séjours à l’hôpital, ces commentaires obscènes qu’on fait à son sujet et ce sentiment de n’appartenir nulle part – Yara admet que ne pas avoir d’âme, ce n’est pas plus mal.

Elle ne connaît pas la joie de pouvoir se transformer.

Elle ne connaît pas l’utilité d’une forme animale, ni même des sens qu’une âme pleine peut procurer à la forme humaine.

Elle ne connaît pas la pleine forme que ça lui aurait procuré dès le départ – la vie loin de l’hôpital lui est inconnue.

Comment pourrait-elle dire que ça lui manque, si elle ne sait même pas ce que ça fait que de vivre avec ça ?

Yara, contente de ce qu’elle a, même si elle aimerait au moins se porter mieux.

Yara, qui crache son venin au moindre commentaire déplacé à l’égard de ses proches.

Yara, qui déteste les séjours à l’hôpital quand c’est elle, le patient.

Yara, qui sait voir le bon côté des choses malgré sa condition, sa maladie à laquelle elle veut trouver un remède.

Yara, qui chérit ce qu’elle a, qui sait être extrêmement chanceuse d’avoir son fils et quelques amis privilégiés dans sa vie. Qui aime comme une mère, écoute comme une confidente, conseille comme un vieux sage. Qui sait rire de sa situation, prend désormais tout avec une pincée de sel.

Yara, la Sans-Âme, au désir ardent de vivre malgré le malheur qui s’est abattu sur elle.

Détails physiques
• 1m65.
• 59kg.
• Silhouette svelte, un peu trop maigre.
• Yeux ambrés.
• Teint hâlé, taches de rousseur parsmées sur le nez et les pommettes, ainsi que les épaules, le dos et les cuisses.
• Légères vergetures présentes sur le bas-ventre, à peine visibles si on ne sait pas qu’elles y sont.
• Cheveux très longs, bruns foncés. Naturellement bouclés, elle les lisse.
• A de très nombreuses marques plus ou moins étranges sur les bras (peau cicatrisée, marques d’aiguilles…) laissées par ses très fréquents passages à l’hôpital d’Haklyone.
• S’habille de couleurs ternes ou peu flamboyantes, style très décontracté.
• Immuno-déficiente, elle tombe souvent malade. Un simple rhume pourrait lui être fatal si elle n’est pas traitée à temps.

L’autre
La pièce est plongée dans un silence des plus complets. L’on pourrait dire que le temps est beau, que les rayons du soleil filtrent à travers les rideaux translucides pendus devant les fenêtres, que les grains de poussière en suspension dans l’air semblent rendre la lumière presque tangible. L’on pourrait dire que c’est une belle journée pour sortir, pour passer un moment agréable entre amis, pour visiter ceux que l’on aime. L’on pourrait dire que c’est un jour heureux.

Pourtant, voilà que Yara ne partage pas ces pensées si positives, son esprit embrumé par l’amertume d’une époque depuis longtemps révolue.

Dans cette pièce aux murs blancs, à peine décorée par manque de temps – et d’argent –, trône un miroir tout simple. Une glace égratignée par le temps, qui renvoie un peu mal le reflet de qui ose y plonger son regard, qui présente l’image morne d’une chambre où se trouve seulement qu’un lit simple habillé de vieilles couvertures et une commode aux tiroirs abîmés. Normalement recouvert d’un drap – car Yara supporte à peine l’image qu’il lui renvoie –, aujourd’hui sa parure a été tirée.

L’image qu’il renvoie est d’une tristesse à en fendre le cœur.

Aujourd’hui, il reflète l’image d’un corps frêle, à la peau halée mais teintée de cendre – une couleur malade –, abîmé par le temps et la faiblesse. Il reflète l’image d’une jeune femme aux cheveux ternes, aux yeux cernés, aux joues un peu creuses – aux airs triste, déprimé et démoli. Il reflète, le miroir, l’image de Yara de Rivera, carcasse à peine vivante maintenue en vie d’on-ne-sait quelle façon puisqu’elle n’a pas d’âme.

Ses yeux d’ambre et de miel scrutent ce reflet qu’elle n’a jamais aimé, observent minutieusement cette image qu’elle aimerait tout simplement effacer à jamais. Elle aimerait bien remplacer cette femme par une autre – une femme qui lui ressemblerait, serait plus radieuse, plus souriante, plus jolie. Une femme qui aurait cette chevelure éclatante, ces yeux pétillants, ces joues un peu plus rondes. Une femme qui aurait la peau d’une couleur plus chaude, plus lisse.

Une femme qui a une âme, comme tous les autres habitants de cette île.

Cette autre femme, elle aurait tout. Une âme, une présence qui lui permettrait de sortir sans se soucier des regards qu’on lui jette. Elle aurait eu une enfance des plus joyeuses, passée loin de l’hôpital d’Haklyone et plus près des parcs et des cours d’école. Elle aurait plus de beaux souvenirs, passés dans les bras de ses parents et auprès de son grand frère, à mettre plein de rubans dans les cheveux de Papa et à faire les quatre cents coups avec Faïr.

Mais l’autre, elle n’existe pas. Il n’y a que Yara.

Yara l’humaine, comme on se plaît à l’appeler.


Rêver
C’est fou comme le temps passe rapidement lorsque l’on est en bonne compagnie. Il passe trop vite, même, tant et si bien que par moments, on a l’impression de ne pas arriver à en profiter pleinement. C’était bien ce sentiment qui l’habitait, alors que ses grands yeux ambrés observaient d’un air bienveillant le jeune homme assoupi à ses côtés. Avec tendresse, elle lui replace une mèche de ses cheveux derrière l’oreille, avant de tirer les draps pour bien le couvrir. Un baiser sur le front, un « je t’aime » murmuré tout bas.

Comment pouvait-elle ne pas l’aimer, lui qui était apparu dans sa vie un jour et ne l’avait à peine quittée depuis ?

Pour la première fois en de longues années, Yara se sentait à sa place en ce monde. Elle qui n’avait pas d’âme, avait trouvé quelqu’un pour qui ça n’importait pas. Quelqu’un qui ne la dévisageait pas en jugeant, quelqu’un qui ne l’observait pas avec ce même dédain qu’elle voyait dans le regard de parfaits inconnus. Quelqu’un qui la voyait, elle, et qui l’aimait malgré tous les médires qu’on pouvait bien cracher à son sujet. Quelqu’un qui la voyait, elle, et qui la laissait l’aimer en retour.

Et elle se permettait de rêver, la Sans-Âme – un songe éveillé, duquel elle ne souhaitait jamais se tirer. Elle rêvait d’un futur heureux, de cette famille qu’elle n’a jamais eue, de cette vie que l’autre pourrait avoir, si elle avait été à sa place.

Et pendant un temps, le rêve fut réalité.

Les longues discussions sur leur futur, leurs rêves, leurs passions. La famille qu’ils auraient aimé fonder ensemble.

Si la douceur de ce rêve lui permit d’oublier un peu la réalité… Cette dernière ne tarda pas à se manifester à nouveau.

Les rêves, ça se brise. Ça éclate en morceaux dès qu’on se rend compte que ça n’aboutira pas. Ce qui aurait pu être une idylle des plus parfaites se ternit bien trop vite, tout d’un coup. Et voilà que les larmes ont coulé.

Que le rêve si doux et si beau devint amer et teinté d’orage.

Que le nom d’un ex roule sur la langue, un soir où il a trop bu.

Que le nom d’un ex se retrouve entre un « Je t’aime » et un « il me manque ».

Et voilà que Yara, forte de son tempéramment de feu, ne l’a pas pris. Qu’elle a craché son venin, qu’elle a assumé le pire. Qu’elle a raconté des bêtises qu’elle regrettera toujours.

-†-

C’est fou comme le temps a passé vite.

Un instant, elle était heureuse.

Celui d’après, elle a quitté en trombe l’appartement qu’elle partageait avec son premier amour.

Elle n’a jamais repris les affaires qu’elle y avait laissées.

Elle était partie avec bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé, de toute façon. Sans même le savoir, à ce moment-là.


Dérive
Cette nuit, le miroir n’est pas couvert comme il l’est normalement. Cette nuit, Yara ose plonger son regard dans la glace, observer ce triste reflet qu’il lui renvoie de manière si moqueuse. Car le reflet a changé, présente maintenant une image toujours aussi triste, mais plus percutante – toujours sur ce fond trop blanc, trop terne, habillé d’un lit au vieux draps et d’une commode aux tiroirs usés.

C’est l’image de ce corps si faible et si frêle qui a changé.

Le visage est le même – aux yeux ternes et cernés, aux joues légèrement creuses, au teint halé teinté de cendre, sa couleur malade. Le corps est le même, chétif, menu. Les bras piqués de petites cicatrices, preuves de ses passages fréquents à l’hôpital. Mais ces marques sont vieilles – les plus fraîches sont visibles lorsqu’elle relève son t-shirt. Car là, sur le bas du ventre, la peau est striée de veinures pâles, de vergetures dont seules les mamans connaissent la douleur.

Un soupir, le même qui lui échappe chaque fois que son regard croise son reflet, quitte ses lèvres. Yara se détourne du miroir, le drape de sa parure blanche destinée à en bloquer l’image. Puis elle quitte la chambre, se dirige au bout du couloir, ouvre la porte bloquant l’accès à la chambre de son fils, qui dormait encore à cette heure.

Debout près de son berceau, les grands yeux ambrés de la Sans-Âme observent attentivement la petite chose toute chétive qui dort à poings fermés. Elle observe, grave cette image dans les moindres détails au plus profond de sa mémoire – celle d’un enfant à la peau halée, aux cheveux noirs et bouclés. Au visage joufflu, si adorable.

Son fils, Camilo, a tout pour lui – comme son papa.

Mais son papa n’a pas conscience de son existence – pas encore – car Yara n’a pas eu le courage ni l’envie de la lui dévoiler. Pas après qu’ils aient mis fin si abruptement à leur relation – pas après qu’elle ait craché son venin, ces paroles qu’elle regrette encore aujourd’hui.

La jeune femme replace doucement l’une des mèches bouclées de l’enfant, qu’elle n’ose pas réveiller. Il dormait si paisiblement – ça lui rappelait ces longues nuits d’insomnie, qu’elle passait autrefois auprès de son premier amour. Qu’elle passait à veiller sur lui en lui caressant les cheveux, en le serrant bien dans ses bras. À poser des baisers sur sa chevelure, sur son front, sur la peau de son visage fissurée par la cicatrice qui lui barre l’œil. À lui murmurer des « je t’aime » dont il n’avait certainement aucun souvenir. Ces longues nuits où elle n’arrivait pas à dormir étaient, ironiquement, ses préférées – parce qu’elle pouvait aimer sans limites la seule personne ayant réussi à percer la barrière entourant son cœur. Maintenant, à défaut de pouvoir l’aimer lui, elle chérissait ce qu’il lui restait de ces courts mois de bonheur – Camilo, qu’elle finit par prendre dans ses bras doucement.

Posée au salon, devant la grande baie vitrée de l’appartement qu’elle partage avec son colocataire – devenu un bon ami depuis quelques années, maintenant –, elle serre son enfant contre elle avec tout l’amour qu’elle peut lui donner. Observe les lumières de Lunapolis en soupirant doucement. Se dit que ce n’était pas ici qu’elle s’imaginait, il y a trois ans – mère monoparentale, de retour aux études et à peine capable de demeurer hors de l’hôpital d’Haklyone plus de deux mois. Elle ne s’imaginait pas hésiter tous les jours à sortir avec son petit, de peur que lui hérite de sa terrible réputation malgré qu’il ait une âme tout ce qu’il y a de plus normal.

Surtout, elle ne s’était jamais imaginé cacher l’existence de Camilo à Celian.

C’est bien son fils, après tout.

Mais elle n’avait pas l’intention d’en dire un traître mot.



Timeline
0-6 ans :
Yara est la plus jeune des enfants de Sage et Dahlia – elle naît sans-âme. Elle passe la majorité de son enfance entre l’hôpital d’Haklyone et Régalia, où est établie sa famille. De faible constitution et presque toujours malade, elle ne commence à prendre conscience de son état que lorsqu’elle remarque enfin les regards hargneux qu’ont certaines personnes – particulièrement les médecins et infirmiers – à son égard.

6-13 ans :
Suite à la séparation de ses parents et du départ de Sage, elle suit Dahlia lors de son déménagement en ville. Yara sait qu’ils sont désormais à Lunapolis car sa mère souhaite qu’ils soient proches du centre où elle est traitée pour diverses maladies au cours des prochaines années. Après avoir vu Sage partir, elle voit également son frère Faïr quitter la famille. Il ne lui reste plus que Dahlia. A l’école, elle s’intéresse aux sciences et plus particulièrement à tout ce qui touche l’âme.

14-19 ans :
Elle fait ses vœux et se lie à la Maison du Souffle et des Cendres. La vie est la même qu’avant – elle reste soit avec Dahlia, soit à l’hôpital lorsque sa maladie est trop grave pour qu’elle soit en mesure de se rétablir par elle-même. Où qu’elle aille, elle attire l’attention de par l’absence de son âme. Commentaires désobligeants à son égard et à celui de sa mère fusent de partout – alors Yara a commencé à sortir seule et ne plus accompagner Dahlia nulle part. Elle n’a pas à souffrir pour quelque chose qui n’est absolument pas de sa faute. A 19 ans, elle fait une pause dans ses études, mais continue de s’intéresser à la science entourant l’âme.

19-20 ans :
Elle rencontre son premier amour alors qu’elle était sortie dans un bar, un soir. On a d’abord refusé de la servir, puis lui est venu lui offrir un verre – Celian, qu’il s’appelle. Leur rencontre la laisse profondément perplexe, car lui est le premier (à l’exception de sa famille) à l’observer sans aucune peur, ni haine, ni dédain dans le regard. Elle revient souvent le voir par la suite – ainsi débute leur petite idylle, qui s’étendra sur une période de dix mois. Suite à leur séparation amère, Yara apprend être enceinte, mais refuse de communiquer l’information à son ex, par pure fierté. Vers la fin de sa grossesse, elle rencontre Willow, qui l’aura aidée à se rendre à l’hôpital alors qu’elle avait fait un malaise. Les deux deviennent bons amis.

21-23 ans :
Après la naissance de son fils Camilo, Yara prend Willow sous son aile lorsqu’il quitte les Delacroix. Ils deviennent colocataires et logent à Lunapolis, dans un petit appartement duquel ils payent le loyer à deux. La vie est plus difficile que prévu, entre les études en médecine nouvellement reprises et la vie de mère monoparentale – cependant, elle se retrouve bien entourée. Elle est heureuse pour la première fois depuis longtemps.