Désiré, il joue avec les autres comme avec la bouffe, se pare de tripes comme on porterait les bijoux d’or blanc, les sourires conquérents. L’excitation dans le cobalt et les griffes acharnées à dépiécer comme un aventurier ; la chair d’abord les muscles ensuite. Pas de précision chirurgicale, le puma quémande les peines, se roule dans les soupirs apeurés et les plaies béantes des bons vivants mis à mal et des clochards ambitieux. Brice n’est plus que pelotte de chair fraîche où s’enlisent les grognements rauques de la peur et de la mort dans un mélange brutal, rafraîchissant pour le reste des vivants.
Mortimer demi-mesure, un pas derrière un pied dans l’ombre et c’est un sourire amusé, une esquisse exaltée ; un brin d’ardeur sous le couvert des ombres qui s’enroulent sous les écailles et brisent les nuques d’un claquement sec et précis. Mortimer, il n’aime pas que l’on marche sur ses plate-bandes mais Mortimer, il ne refuse jamais rien à son frère. Nicotine dans l’air, nuage de paix nuage d’aigreur quand la pauvre victime elle, ne prononce plus un râle, loin d’ici dans ses plus belles insomnies.

Le chat, le pollen plein les yeux à rougir et prendre les plus horribles formes du soleil couchant, un mur de fleur pour le grand Désiré Chanteloup, un mur de fleur et le voilà planqué dans les égouts. Un peu crevées un peu tristes les plantations du reptiles oui la main verte il la délaisse volontier à Valeryane mais ça lui enchante les narines de respirer la terre fraîche, s’occuper les mains sur autre chose qu’un os brisé, qu’un fusil bien huilé. Ca lui fait se sentir normal, recouvrir le sang sous les ongles par la terre boueuse un soir d’automne. Ça lui fait se sentir posé, loin des combats sans fin et des regards souverains. Elles crèvent un peu c’est vrai, toute fades et mal arrosées, elles crèvent un peu mais au moins aura t-il la chance de pouvoir replanter une nouvelle variété, écraser les pétales séchées sous ses serres crissantes et répandre au vent les cadavres aux veines vertes. Il ricane un peu parce que ce n’est pas faux, s’avance pour bousculer l’épaule de l’autre.

"Ça risque pas t’es toujours fourré chez nous. Trouves toi une femme et construis nous une petite cabane, t’arrêtera de venir mettre tes pieds sur notre canapé.”  Après, il faut nettoyer. “Et Estelle ?”  A la poubelle ? On en revient à elle, on en revient au jumeau seul à la nuit tombée même si Mortimer, il a du mal à l’imaginer avec qui que ce soit, il a du mal à l’imaginer béat d’amour, les affections confuses.

Désiré a fini de jouer et le caïman peste en lâchant l’arme, reculant sa main avec la précipitation de celui qui a déjà goûté aux petites dents aiguisées d’un puma amusé car les jeux d’enfance ça ne pardonne pas et des cicatrices, il en a déjà. Le club de golf, il s’en fou il a fait son temps, à rouler sous ses doigts de façon peu confortable, ce n’est pas son truc à lui, ce n’est ni tranchant ni vif comme une cartouche de fusil. Il se laisse attraper sous le bras de l’autre, vient tapper l’arcade de sa joue souriante, enrouler un bras dans le dos du frère pour le serrer contre ses côtes dans une cajolerie fraternelle. Sourire encore sourire toujours.

“Tu peux pas te passer de moi tout court Dez.”  Les pas longent l’allée car il est temps d’y aller. Une dernière bouffée de fumée et les doigts s'éloignent, tendent avec interrogation le reste vers la bouche édentée du puma. Loin du cigare mais il n’a que ça. “Ouai filons d’ici, moi aussi je prendrai bien un whisky. Et il te faut une nouvelle chemise, t’as déchiré ton costume, il a belle allure le monstre de la fosse !”  Petit ricanement entêtant.