White Camellia – "Adorableness"Les yeux à peine ouverts
voilà que le monde t’ouvre grand les bras
petit bourgeon miraculé près de l’éclosion
attendu depuis longtemps maintenant
après maints boutons qui n’ont pas éclos
« Florianne sera ton nom »
qu’ont dit tes parents
Atlas et Laura
quand ils t’ont prise dans leurs bras
pour la première fois
« un nom doux comme les fleurs qui s’ouvrent au printemps
un nom qui te sied déjà à merveille
petit soleil
petit
canari »
Plusieurs fois ont-ils essayé
de faire fleurir un second bourgeon
mais ceux qui t’ont précédé
ne se sont jamais ouverts
n’ont jamais montré leurs pétales.
Seule ta grande sœur
celle qui t’a regardée d’un air un peu
confus, un peu
perdu
quand vos parents t’ont ramenée à la maison
a daigné dévoiler ses couleurs
déployer ses pétales
éclore au bout d’un hiver long et terriblement
froid.
Il n’y a pas grand-chose qui t’aide à grandir
mais il y a Papa
il y a Maman
il y a ta sœur
et c’est tout ce qu’il te faut
alors que tu grandis
alors que tu apprends auprès de Papa
et de Maman
comment tisser ces belles étoffes qu’on vend au rez-de-chaussée
à la boutique des Reyes
tisserands reconnus de Régalia.
Butterfly Weed – "Let me go"Tu ne sais ni comment c’est arrivé
ni pourquoi c’est arrivé
mais aujourd’hui
tu es à l’hôpital.
Ce n’est pas toi qui pleure
mais bien Maman
et ta grande sœur
alors que Papa est couché sur le lit trop blanc
son corps devenu trop maigre
son visage devenu trop terne
les yeux qui ne brillent plus
la bouche qui n’articule plus
de mots
les lèvres qui ne s’entrouvent plus
pour laisser passer le souffle.
De tes petites mains
tu tiens celle de Papa
tu serres fort
si fort
que tes jointures en deviennent trop
blanches
comme les draps du lit
comme les murs de la chambre où Papa gît
un blanc aseptisé, aseptisant
les rêves
et les espoirs
de ceux qui sont malades
mais aussi
de ceux qui viennent les voir.
Et toi, tu lui parles
de tout
de rien
tu babilles
car tu ne comprends pas
du haut de tes trois ans
que Papa ne t’entend plus
que Papa ne te dira plus rien
que Papa ne te dira plus jamais
« Je t’aime, petite fleur »
que Papa ne rentrera plus jamais à la maison
que Papa s’en ira bien vite à la Crypte
accompagné d’une statuette de bronze
représentant son anima
son aigle royal.
Et tu ne comprends pas
pourquoi Maman pleure
pourquoi ta sœur pleure aussi
tu ne comprends pas que ce soir
ce soir ne sera pas comme les autres
et demain ne sera pas comme tu l’imaginais
tu ne comprends pas qu’aujourd’hui
tu as vu pour la dernière fois
le sourire de ton Papa
le sourire de ta Maman
le sourire de ta sœur.
Et tu rechignes un peu
quand Maman te fait lâcher la main de Papa
mais du haut de tes trois ans, tu te dis
« C’est pas grave, Papa, il dort »
alors quand Maman te prend dans ses bras
attrape la main de ta sœur
et marche vers la porte
toi, tu observes par-dessus son épaule
et tu salues Papa de la main
mais tu ne sais pas
que Papa ne le voit pas.
Et tu n’as d’autre choix que de le laisser partir
et de rentrer à Régalia sans lui.
C’est Maman qui t’apprendra à raffiner ton travail
à tisser avec délicatesse
tous ces beaux tissus.
Begonia – "Beware"Tante Elise
tante Elise
on n’en parle pas
de tante Elise
on n’en parle pas
de la sœur de Maman
qui vient toquer parfois
à la porte de la maison
surtout depuis que Papa est parti
elle va et vient
demande à Maman
des conseils
des astuces
des bijoux
des vêtements
de l’argent
des promesses qu’elle promet de tenir
mais tante Elise
elle n’en tient pas, de promesses
et Maman jure quand
de la bouche de tante Elise
tombent des demandes
ou des
« Désolée, je ne pourrai pas te rendre l’argent
pas maintenant
j’ai quelques problèmes financiers actuellement. »
Elle a tout d’un vautour, tante Elise
et Maman jure de ne plus l’aider
mais il a fallu attendre
que Maman tombe gravement malade
pour qu’elle cesse de venir
tante Elise
qu'elle cesse de
demander, qu’elle cesse de
venir
d'exiger
de sa sœur qu’elle l’aide.
Et Florianne
tu n’en parles pas, de
tante Elise
tu l’as même quasi-occultée de tes souvenirs
car la dernière fois où tu l’as vue
Maman te l’a dit
d’un souffle difficile
« On n’y parle pas, à
tante Elise
et tu ne t’approches d’elle sous aucun prétexte
car de mauvaises choses t’arriveront. »
Maman n’a jamais dit ce qu’étaient ces
‘mauvaises choses’
mais canari n’a jamais posé de questions
car Maman
elle ne dit jamais rien pour rien.
Purple Hyacinth – "Sorrow"Maman est malade ;
Maman est malade depuis que Papa est parti.
Maman est malade, car le cœur ne suit plus
ancré dans un passé qui ne se traduira jamais
en un futur heureux
car Maman a mal
quelque part entre les côtes
quelque part près du cœur
et Maman a ce même air qu’avait Papa
la dernière fois où tu l’as vu.
Elle est pâle, Maman
et elle a les joues creuses
elle a le regard qui vascille et qui ne s’arrête pas
elle a les lèvres et la bouche sèche
entrouverte
comme pour murmurer quelques mots
au bout d’un souffle qui commence à manquer.
Ta sœur est à son chevet, et toi
Florianne
tu ne peux te résoudre à y rester
car tes yeux à toi sont pleins de larmes
sont pleins de
tristesse, de
chagrin, de
colère, de
culpabilité.
Tu te dis que tu aurais pu en faire plus pour aider Maman
que tu aurais pu travailler plus fort, plus vite
pour créer de plus jolies étoffes qui se seraient bien vendues
qui auraient permis à la famille d’économiser un peu mieux
d’acheter de quoi manger à leur faim à tous les soirs.
Tu te dis que, peut-être, si Maman mangeait à sa faim
elle ne serait pas alittée
trop faible pour ne serait-ce qu’ouvrir les yeux un instant.
Malgré tes treize hivers
tu sais déjà
que Maman est beaucoup trop malade
et qu’elle ne s’en remettra pas
même si elle mangeait à sa faim
même si elle tendait la main
même si tu travaillais plus fort pour pouvoir lui payer
les médicaments dont elle aurait besoin.
Mais Maman trop malade
s’efface bien vite de cette vie
de cette vie trop cruelle qui l’aura laissée
brisée
vide
malade d’amour
malade de vivre.
Ainsi, quand tu visites la Crypte, maintenant
un Aigle et une Buse perchent côte à côte
près des tombeaux marqués des noms de tes parents
Atlas et Laura
qui, tu l’espères, volent maintenant loin
bien loin d’Haklyone
et de tous les soucis qu’ils y ont vécus.
Marygold – "Grief, jealousy"Tu jures fidélité aux Roses et Ombres
comme ta sœur t’a dit de faire
au Temple Amanite
dans la grande salle vide
devant les prêtres et prêtresses qui sont venus
en tant que témoins
seule devant tant d’inconnus
tu murmures ton serment.
Tu veux rendre hommage à Maman
à Papa
en choisissant la même Maison qu’eux
et pourtant, tu te dis
que ce n’est peut-être pas le choix que tu aurais fait
si ta sœur n’était pas là
mais ce n’est pas grave
ce n’est qu’une maison, après tout.
À tes yeux d’enfant
il n’y a aucune différence
si ce ne sont que des couleurs
sur Haklyone, il y a des bleus
des jaunes
des violets
des roses.
Mais au fond, tous sont anima.
Alors ça lui est égal.
Mais ta sœur
ta grande sœur
elle t’abandonne bien vite –
tu n’as que seize ans, à l’époque.
Elle te dit que t’es assez vieille
assez
mature pour une jeune fille de ton âge
pour enfin te débrouiller seule ;
elle te dit que t’es assez vieille
que tu n’as plus besoin d’elle.
Et elle te quitte
t’abandonne à Régalia
te laisse la gérance des Tissus Reyes entre les mains
car elle n’en a jamais voulu, du business de Papa
elle te laisse avec tous ses espoirs entre les mains.
Et tu ne la reverras plus
après qu’elle ait quitté la boutique
en claquant la porte derrière elle
la seule indication qu’elle ait été là
le tintement de la clochette qui résonne encore dans la pièce.
Une aide t’es allouée par ta Maison
quelqu’un qui t’aura prêté main forte le temps que tu apprennes
le temps que tu saches comment gérer
le travail de création
de recherche
et tout ce qui est administratif
la gérance de ce commerce dont tu as hérité les rênes
lorsque Maman est partie
et que ta soeur t’a abandonnée.
Et tu te débrouilles bien, pour une gamine
si bien qu’à tes dix-huit ans
tu sais déjà bien faire les choses
avec deux ans d’expérience sous la ceinture.
Ton sauveur s’éclipse, lui aussi
non sans te dire qu’il reviendra si tu as besoin de lui
mais tu ne lui feras jamais appel
car tu te dis qu’il t’a aidée des masses
et qu’il n’y a plus le besoin de le déranger.
Oak – "Strength"Chaque matin, la même rengaine
depuis tes seize ans, c’est pareil
tu te lèves et tu te prépares
à une nouvelle journée
de travail.
L’imposant métier à tisser
ton seul ami
usé par les années
mais toujours fonctionnel –
il appartenait à Papa
et Maman l’utilisait aussi
un peu comme le seul souvenir qu’il te reste
d’eux
de ta vie d’
avantquand tout était rose
quand tout était
normal.
Maintenant tu t’y installes
à chaque matin, à chaque
jour
tu t’y installes et
tu tisses
tu crées
du rêve, tu crées
de la douceur, tu crées
de tes mains qui se meurtrissent un peu plus
à chaque jour
chaque heure
chaque minute
passée devant
ton vieil ami le métier à tisser.
Et tu ne dis pas un mot
pas même une plainte
quand tes doigts te font souffrir
usés à sang à force de pincer
les filaments luisants qui composent
la soie que tu crées
tu n’émets pas même un couinement
lorsque la peau fend
sur le bout des doigts
tu ne fais que prendre un instant
le temps de panser ta plaie
y apposer un petit pansement
pour ne pas entacher le tissu
et tu recommences
jusqu’au soir lorsque les yeux commencent à fermer tous seuls.
Ce n’est qu’à ce moment que tu t’arrêtes
que tu prends un instant pour manger un repas léger
pour ménager un peu tes maigres économies
et tu vas te coucher
sans avoir vraiment mangé à ta faim
mais tu y es habituée
Florianne.
Et vient le lendemain
la même chose
comme toujours.
Heureusement, t’es forte
Florianne
car n’importe qui d’autre
en aurait assez
mais pas toi
toi tu te plais à créer
à fredonner devant ton métier à tisser
à répéter chaque mouvement
chaque geste
avec précision
jusqu’à ce que
devant toi
s’étale le fruit de ton travail acharné
une soie si douce
si luisante
qu’on voudrait la garder pour soi
mais elle rejoindra les autres rouleaux de tissu
sur les étagères de la boutique
sur un mannequin dans la vitrine
ou dans les commandes qu’on t’a passées.
Sunflower – "Hope, positivity"Parfois
quand les jours se font longs et que tu n’as pas envie
de rester cloîtrée dans ta boutique devant le métier
il t’arrive de fermer boutique pour la journée
il t’arrive de prendre une pause quand tu as pris
un peu d’avance dans tes affaires.
Alors tu sors avec ta guitare
et tu te rends à la place Marygold
là où tu t’installes au bord de la fontaine
là où tu arrives à égayer un tant soit peu
la journée d’autres animas
en chantant quelques chansons
que tu interprètes en te présentant sous le pseudonyme
« Songbird. »
Tu sais que, là, maintenant
la vie n’est pas tout à fait rose
que les choses ne sont pas comme tu aimerais qu’elles soient
mais tu ne perds pas espoir, petit oiseau
non
au contraire, tu le nourris
tu le nourris de sourires et de rires
des airs satisfaits des gens qui t’écoutent chanter
et tu te dis
que même si la vie n’est pas comme tu l’aurais voulue
elle n’est pas si mal du tout
si t’arrives à faire sourire d’autres gens
même quand toi tu n’as pas envie de sourire.
Pink Rose – "Happiness"Un jour
dans la fontaine il est tombé
alors que t’avais fermé boutique pour la journée
et que tu t’y étais rendue pour chanter
un moment
ça t’avait fait rire
qu’il finisse trempé
mais tu n’y aurais jamais cru si on t’avait dit
que ce jour-là serait le premier
d’une série de jours heureux
où le sourire vient facile
et où on commence à se dire
qu’il est grand temps de prendre une pause
de cesser de s’acharner
de ralentir et apprécier un peu
ce que la vie a à offrir.
Non, tu n’aurais jamais cru qui que ce soit
si on t’avait dit que ton chemin croiserait celui de Celian Dresdell
et que vos deux chemins ne se sépareraient plus désormais.
Mais c’est une bonne chose, car
grâce à lui
tu as compris que la Vie se doit d’être pleinement vécue
et non pas passée devant le métier à tisser
simplement car tu essaies de garder une tradition bien en vie
tu as compris que tu dois faire attention
à toi-même, à ta santé
à ton bien-être
et à ceux qui tiennent à toi.
Et un jour, tu lui as dit
que tu tenais à lui comme à la prunelle de tes yeux
le soir de l’ouverture de l’ACE
et quand bien même la première fois
il n’a rien dit
a simplement détourné le sujet
tu t’es dit que ce devait être le choc
le stress, peut-être.
Quelques semaines se sont écoulées
avant qu’enfin, tu n’apprennes la vérité
que tes sentiments étaient bien réciproques
alors que t’emmêlais les tiges de jolies fleurs
pour en faire des couronnes.
Et Celian, tu l’as couronné roi de ton cœur
et lui t’a déclarée reine
et depuis
depuis tu n’as plus ressenti de tristesse
depuis tu n’es que sourire
et tu n’as que chanté
ton bonheur.
Et voilà que maintenant
vous vous êtes promis de rester ensemble à jamais
à deux contre vents et marées
une promesse scellée un soir de fête
une promesse qui t’a fait
la plus heureuse des femmes.