valeryane tranquillement assise à son bureau, la fenêtre ouverte en oscillo battant pour profiter de la douce brise du printemps. l’observatoire est calme en cette première semaine de vacances. cela fait de toute manière un petit mois que l’astronome a une charge de travail moindre. en janvier et février, etre la fin du premier semestre, la préparation du second, les examens et les jury à présider, tout s’était enchaîné.

mais depuis mars, la vie de chercheuse était un peu plus calme. valeryane n’avait plus de cours à donner, moins de charge administrative à traiter, et seulement quelques conférences à préparer d’ici la fin de l’année.
elle avait donc enfin du temps pour elle, du temps pour la recherche. et la dame, le nez plongée dans un vieux livre d’équation sur les trajectoire orbitale, semblait passionnée par le sujet. sur le tableau de craie, quelques équations traînaient. valeryane avait espoir de percevoir quelques mystères et qui sait, de peut-être réussir à faire passer à un satellite l’étrange dôme qui flottait au-dessus de leur île.

et puis le téléphone noir sur le bureau, à côté de l’ordinateur éteint et de quelques papiers bien rangés, se met à sonner. valeryane glisse un marque page entre la tranche de son grimoire et s’empresse de décrocher.

“oui ?”

qu’elle demande doucement, poliment, tendrement.
mais ça hurle déjà de l’autre côté du combiné et comme par réflexe, valeryane éloigne un peu le téléphone de son oreille.

“ah. diplo. que se passe-t-il de si urgent ?”

on peut entendre son sourire amusé alors qu’elle lui répond, ça s’entend dans le ton de sa voix. diplo, elle l’aime bien. elle n’avait pas spécialement prévue d’encadrer de thèse durant son mandat, mais l’étudiant avait été convaincant. valeryane, elle ne sait pas dire non aux passionnés. et avec diplo, n’importe quelle étoile était belle à étudier. valeryane, elle savait apprécier.

“bien bien, j’arri-.”

et puis le téléphone raccroche brusquement dans un bip aigu. valeryane soupire. avec diplo, tout va toujours très vite. très bien, dans ce cas. valeryane se lève de son bureau, attrape un stylo et un carnet s’il faut noter, et quitte son bureau qu’elle ferme à clef.

contrairement aux conseils précieux et pressant de son doctorant, valeryane ne se hâte pas spécialement dans les couloirs de l’observatoire. elle marche à son rythme, soutenue, certe, mais elle ne courra pas en talon pour rejoindre la salle du télescope. de toute manière, son bureau n’est pas bien loin et en quelques minutes, valeryane rejoint l’orque.

“bonjour, diplo. tu vas bien ?” parce que c’est son rôle de calmer les ardeurs des plus jeunes et d'imposer la rigueur. “alors, que se passe-t-il de si merveilleux dans les cieux ?”

le sourire tendre et le regard curieux. valeryane a beau être son aînée, elle a beau avoir des années d’expériences dans les pattes, elle reste toujours fascinée par ce qu’elle aime.

pas de bonjour, pas de réponse. mais valeryane s’y attendait. elle qui trône dans ses couloirs de l’observatoire, elle qui sourit à tous ses visages, elle sait reconnaître le feu de la passion qui brûle dans les prunelles des astronomes en devenir. ce feu là, valeryane aussi le possède dans ses yeux aux reflets bleus.

“montre-moi ça.”

valeryane s’installe devant le télescope et fait pivoter la lunette à cinquante degrés, comme indiqué par son élève. entre ses doigts fins, la roulette tourne pour effectuer la mise au point. devant ses yeux, la belle vénus venait d’apparaître. valeryane, comme par réflexe, redresse la lunette vers le nord pour y découvrir la lune, comme si elle s’y attendait, puis enfin, mars encore au-dessus, mais un peu à l’ouest. les deux planètes les plus brillantes de la parade. diplo a raison, proche de mars, dûe à l’inclinaison, jupiter se devine dans le ciel maculé d’étoiles. non loin, encore un peu masquée par l’horizon, la faute à la rotation inachevée de la terre tandis que le soleil n’est pas encore couché, mercure suit le ballet.

“et bien et bien ! quelle magnifique parade !”

tout à coup la voix change un peu, devient un peu plus aiguë, un peu plus intense. valeryane quitte doucement son rôle de directrice pour renouer avec celui de l’astronome. tant pis pour les règles de bienséances et la politesse, dans ce lieu d’observation, seuls la passion et le savoir prônent.

“je ne sais pas si tu te souviens en juin dernier, diplo ? l’année scolaire était déjà achevé, je crois que nous ne sommes pas vu avant fin août puisque j’avais pris mon mois de juillet.” les drames de famille et les doutes du nom chanteloup. mais valeryane n’épiloguera pas sur l’été 2098. “mais lors des deux premières semaines de l’été, il y avait eu un ballet similaire. mais on avait eu le droit à saturne qui semble avoir laissé sa place à la lune, cette année.”

elle rit.

“l’angle était beaucoup plus obtus, 104° de mémoire. la prochaine valse avec toutes ces planètes devait avoir lieu dans 138 ans selon nos calculs. mais visiblement, nous nous sommes trompés !”

sa voix chantonne et son sourire vibre, il s’entend si facilement dans le ton de sa voix grave. les erreurs qui permettent de telles surprises, valeryane les aime à en mourir.

“ah, mais d’ailleurs.” de ses mains expertes, la raie achève quelques réglages pour pointer vers le sud de quelques degrés en plus. “en parlant de saturne… regarde.”

valeryane sourit avant de laisser sa place à son disciple. saturne n’a pas laissé son ticket pour la lune cette année, elle est juste arrivée un peu en retard. elle laisse diplo profiter du spectacle, il a le droit aux honneurs pour les avoir toutes aperçues dans le ciel, cela mérite bien de prendre le temps pour s’épancher sur sa découverte.

la directrice, pendant ce temps, réfléchit avec mélancolie. elle repense à l’été dernier, aux ruines de soupir, avec son ami. micheletto serait sûrement content de retourner observer la parade cette année encore. mais entre juin 2098 et avril 2099, il s’était passé tellement de chose. le secret sur le nom des chanteloup à vif, les cris et la colère grondant dans les poumons, les larmes sur les joues de valeryane devant le visage de son mari, les doutes et les dilemmes avant la résiliation.

alors valeryane soupire.
est-ce que ce ballet-là sera également annonciateur d’une tempête ?

mais pour le moment, valeryane n’est pas madame chanteloup, la femme de mortimer. pour l’instant valeryane est la directrice de l'observatoire et la tutrice de diplo pour sa thèse.

“tiens, ça sera d’ailleurs un bon exercice. selon l’angle duquel tu aperçois chaque astre, tu devrais être capable de calculer combien de temps ce ballet sera visible et quelles seront les heures de la nuit où l’angle de vue sera optimal. as-tu une idée, diplo ?”

alors il faut rester scolaire.
il faut rester pédagogue.
et transmettre à la nouvelle génération les bons réflexes.

elle sourit en le voyant grommeler. elle sait que diplo fait partie des âmes qui préfèrent le spectaculaire et conter la science plutôt que de la calculer avec rigueur et précision. valeryane ne peut lui en vouloir, elle comprend l’attrait des deux pans de cette même pièce. mais en tant que directrice de l’observatoire et en tant que mentor, elle ne peut pas le laisser vagabonder sans cesse et s’émouvoir devant les premiers astres. c’est bien beau d’admirer les cieux, mais en ces lieux, ils sont là pour les comprendre.

“bien” quand il veut, il peut. “ça me semble plutôt cohérent. il va falloir attendre encore un peu pour affiner nos calculs, lorsque l’angle d'incidence entre le ciel et notre point d’observation seront optimaux, mais j’ai bon espoir.”

elle récupère sa feuille sur laquelle il a gribouillé ses calculs et ses trajectoires orbitales. valeryane soupire silencieusement, c’est encore très brouillon et cela manque de rigueur. elle sourit tendrement en l’imaginant, dans un an, à la rédaction de sa thèse. elle est déjà certaine de l’entendre maugréer toute la journée. l’idée l’amuse mais valeryane ne s’en fait pas: elle sera là pour l’accompagner.

elle remarque que la feuille désormais grisonnante appartenait à son carnet à l’origine, mais ce n’est pas grave, elle l’a amené pour cela. n’importe quel scientifique a toujours besoin de pouvoir noter ses idées. tableau à craie, feuille volante ou bout de table, valeryane préfère encore que diplo écrive sur ses affaires.

“je demanderai  à monsieur morel d’écrire un article pour le site de l’observatoire une fois que j’aurai vérifié tout cela.” monsieur morel était le chargé de communication du site. “comme ça, le public pourra venir admirer le ballet !” la beauté de l’univers, ça se partage. “on pourra aussi ressortir les affiches qu’on avait fait l’année dernière et les exposer dans le hall. qu’en penses-tu ?”

de beaux panneaux plastifiés pour expliquer l'événement. avant de partir en congé, valeryane avait prit la peine, avec quelques collègues, de s’en occuper pour vulgariser la parade et la rendre accessible à quiconque souhaiterait visiter l’observatoire.

et puis soudain.
diplo se propulsa bien loin du télescope en un bruit sourd. les roulettes de sa chaise toute grinçante. valeryane hausse un sourcil, confuse devant ce spectacle, et dans l’appréhension d’une idée saugrenue.
mais finalement, rien de tout cela.
alors valeryane, dans sa surprise, éclate d’un rire cristallin.

“ah ! et donc, quelles sont tes hypothèses, mon cher diplo ?”

pas même un frisson devant les dents prédatrices. valeryane a l’âme d’une raie, elle a l’esprit d’une reine. même les plus terribles des carnassiers, orques, requins ou crocodiles, ne la font pas céder.

“qu’est-ce que le ciel te murmure ?”

ah. il n’y a rien de plus intense que de partager ses hypothèses, ses théories, de voir ses neurones en ébullition devant la grandeur de la science et que la tête fourmillent d’idées à explorer.

sur ce point, diplo lui faisait penser à apollo, qu’elle avait eu en élève et tutorat à l’époque où elle était elle-même en thèse. la même énergie et la même passion, mais en un peu moins extraverti. il faudra qu’elle les présente, un de ces jours. elle est sûre qu’ils auront beaucoup à se dire.

il s’active, diplo. ça fourmille dans tous les sens sous sa caboche et il suffit de voir les tics nerveux de ses yeux pour le comprendre. valeryane, de son point de vu d’observatrice, à l’oeil pour remarquer ces détails. de professeure à tutrice, commence à connaître et reconnaître les manies et malices.

“un drame ?”

cependant, la raie manta ne s’attendait pas à de telles fabulations. valeryane trop rigide, trop scientifique, s’attendait à des prémonitions archaïques, murmurées par l’angle d’un télescope et la mine d’un crayon frottée sur du papier.
certainement pas à des arcanes et des suppositions digne d’une diseuse de bonne aventure ou d’un tirage de cartes de tarot.

“p… pardon ?”

elle cligne les yeux, un peu surprise. contemple diplo dans un instant de silence, bien incapable de dire quoique ce soit. pour une fois, elle n’a même pas envie de rire. alors tout simplement, elle soupire.

“envahisseur hein ? tu fais référence aux propos de joseph harken sur la possible invasion des humains ?” elle ne l’appelle pas docteur. l’ancien directeur du centre de recherche ne mérite plus ce titre. “je suis navrée mais je ne suis pas sûre que saturne ou mars puissent nous indiquer une telle crise. à moins que ces soit-disant humains viennent d’une autre planète, mais, sincèrement, j’en doute.”

elle se permet de rire un peu, tout de même contrariée par toutes ces histoires. valeryane en temps que directrice de l’observatoire s’était vue très déçue des agissements de son collègue, le docteur harken, qu’elle tenait en haute estime. selon elle, aucune cause ne justifie un tel manque d’éthique. les conflits internes à l’île entre les lune et sang et les souffles et cendre la peine énormément.

“c’est bien beau de crier au loup concernant une guerre prochaine, mais il faudrait pour cela que la barrière de corail soit franchissable.”

ce qu’elle déteste cette barrière, valeryane. petite, elle rêvait de naviguer par-delà la frontière. puis lorsqu’elle a jeté son dévolue sur le ciel puisque l’océan lui était interdit, elle s’était retrouvée bien peinée en découvrant que la barrière agissait comme un dôme de verre et les empêchaient d’envoyer quoique ce soit dans l'atmosphère.

“et puis, ce n’est pas le moment pour un tel conflit. l’île et les maisons n’ont jamais été aussi divisées, ce serait le pire moment.” le jeu de la politique était un monde bien mystérieux. “enfin bon. de quels jours peu radieux fais-tu références, diplo ?”

rien ne lui va en tête si ce n’est les orages et les tempêtes dans sa vie privée, les conflits et les larmes face à mortimer. mais de tout cela, valeryane n’en a parlé à personne, alors cela ne peut être ça.

ah, diplo. brillant quand il s’y met, brillant quand il se concentre, mais bien vite sujet aux dérives et au spectaculaire. s’émerveiller et s’émouvoir, c’est bien, c'est beau. mais autant faut-il que cela soit fondé. valeryane a appris que pour arpenter les voix mystérieuses du savoir, il fallait toujours douter.

“oui, j’en doute. c’est le premier réflexe à avoir lorsqu’on se prétend scientifique, mon cher diplo.” elle lui offre un clin d’oeil. tout cela l’amuse plus qu'elle ne lui en tient rigueur. “je n’ai jamais dis que je ne te croyais pas, simplement que je doutais. montrer les choses, c’est bien, mais convaincre… c’est mieux.”

voilà peut-être tout ce que valeryane prétend pouvoir transmettre à son élève, à tous ses élèves: douter, analyser, convaincre. l’observatoire n’est pas un théâtre. en premier lieu, les chercheurs sont seuls face à eux-même, seuls face aux étoiles, seuls face aux calculs. ils sont derrière le rideau rouge, où aucun public ne les attend vraiment pour les applaudir. ensuite ils se confrontent entre eux, car ils doivent avant tout convaincre leur pair. alors enfin, et sous certaine condition, ils peuvent présenter leurs découvertes et théories à la foule endiablée qui les applaudira dans la presse ou dans un amphithéâtre.

“alors un peu de rigueur si tu veux briller.”

sera son dernier conseil. le reste de la discussion dérive sur la politique de l’île et valeryane en profite pour s’étirer et sortir un peu de son rôle de directrice (de thèse et de l’observatoire).

“ah, ça… voilà une question bien épineuse qui n’a rien à voir avec nos étoiles…” elle soupire. décidément, elle est soit fatiguée, soit c’est cette conversation qui la draine. “malheureusement je ne suis pas censée parler politique dans ce lieu, de part les fonctions qui m'incombent. mais autour d'un thé ou d'un café, un de ces quartes, avec plaisir.”

ah, non, valeryane ne peut décemment pas avouer qu’elle a toujours rêvé de s’évader de cette barrière de corail, qu’elle n’aspire qu’à la liberté et que peut-être…
peut-être qu’elle commence à douter de la paix.
et qu’elle se moque de voir le monde brûler.
((à croire que les morsures de mortimer finissent par laisser des traces sur sa peau diaphragme.))

mais l’âme frissonne.
le temps d’un instant.

habituée à nager avec les prédateurs les plus lourds, elle a appris à apprivoiser les pulsions animales, que ce soit celles qui fait d’elle une proie face aux mammifères marins, ou celle qui fait d’elle la prédatrice pour un petit banc de poissons passant par là.

mais là, dans les yeux brillants de diplo, le sourire carnassier, valeryane à bien senti que sa curiosité débordait.
et que cela ne présentait absolument rien de bon.

“peut-être bien…” elle aussi pouvait faire planer le mystère. “mais malheureusement je me vois bien incapable de te répondre entre ces murs... une prochaine fois avec plaisir.”

valeryane sourit. à ce petit jeu là, ce n’est pas diplo qui gagnera aujourd’hui. néanmoins, la raie n’est pas contre les relations amicales dans celles professionnelles. dans un contexte comme l’observatoire, les collègues deviennent souvent des amis, et valeryane apprécie toujours beaucoup ses semblables.
alors oui, pourquoi pas.
simplement pas ce jeudi.

“allez, fini-moi ces calculs au propre pour demain s’il te plaît. comme ça, nous pourrons publier une tribune et tu auras ton nom en gros pour ta découverte. tu les auras, tes applaudissements. mais pas sans rigueur.”

demain, c’était vendredi. fin de semaine justifiant peut-être la tête lourde et la fatigue accumulée. valeryane n’avait aucun doute que diplo parviendrait à tout lui envoyer d’ici demain soir, pour peu qu’il soit motivé.

valeryane lui laisse donc son carnet déjà griffonné, se contente de reprendre son stylo plume (il coûte cher) et achève de se diriger vers la porte, lui souhaitant d’un sourire franc bon courage ainsi qu’une belle fin de journée.
et à demain bien-sûr.

ah, flamboyante jeunesse.
menaçante relève.