La vérité, Carmine ne la cherche pas réellement, elle crée la sienne. Elle s’est battue pour changer le passé, parce que les regards n’ont fait que juger ce qu'elle était. Entre ses doigts, elle a modelé son corps, ses pensées, ses masques avec lesquels elle arrive à jongler. La vérité d’Helen n’est pas si éloignée de la sienne, mais elle n’en connaît pas tous les recoins, ça résonne sans devenir un besoin, une curiosité. Dans la baignoire, elle vient piquer un peu de liquide coloré pour en glisser dans sa chevelure hémoglobine : faire un petit masque ne se refuse pas, tant que ses cheveux sont aussi humides que la contrée d’Ithloréas.

Elle n’est pas certaine de ce que raconte Helen, qui l’enlace, qui fusionne avec ses écailles chaudes et imbibées de baisers. Elle ferme simplement ses yeux, le sourire collé aux lèvres. Ce n’est pas celui de prince charmant, c’est celui qui répond aux mots envoûtant. Les bulles collent à la peau, comme les pensées formées de bons sentiments, elle a du mal à les reconnaître bien évidemment. Carmine a accumulé les rencontres avec les corps, les baisers de passages,  à l’aventure dans les lits des conquêtes comme trophées, ça fait gonfler l’égo de réussir à charmer, de conquérir les cœurs, de faire de fausses promesses sans jamais les tenir. C’est une drôle de ligne de conduite, de voler, de toujours déguerpir, de ne jamais chercher à s’attacher, mais les poignets sont liés. Carmine, elle ne peut pas s’enfuir, elle ne peut pas partir, elle est chez elle : il n’y a pas meilleur endroit où nager, il n’y pas meilleure peau contre laquelle se lover.

- Helen ?... Ah oui ? Quelle vérité ?

Carmine aussi, elle réussit à éparpiller un peu plus de vérité que dans toute l’île, Carmine elle gagne peut-être pour une fois, à se laisser aller, à gagner un peu en vulnérabilité.

- Ta vérité ?

Cela n’a pas de sens dit ainsi, Carmine penche la tête sur le côté, fixe le coin de la pièce sans savoir quoi en songer. Entre les bulles éparpillées qui commencent à disparaître dans les bas-fonds, elle sent un peu noyée le poisson. Elle aimerait chercher dans son regard les précisions, mais en face d’elle, il n’y a qu’un corps, une âme, une question.

Les mots d’Helen se sont noyés, perdus entre les bulles, Carmine n’arrive pas à nager pour retrouver un sens et pour les attacher. Alors quand le boa s’éloigne, elle se contente de l’observer, la curiosité dans le regard. La rascasse est un peu terre à terre, le crâne plongé dans un brouillard. Elle n’a pas l’habitude de ce genre de déclaration de la part du reptile, elle n’a pas la raison.

- Oui, c’est vrai.

Pas de mensonge, c’est un fait. Carmine, elle est bien avec Helen, elle se sent bien à ses côtés, elle se sent pour une fois réellement écoutée. Elle n’a peut-être pas besoin de jouer avec ses masques, parce qu’ils sont acceptés, dans ce théâtre qu’est la salle de bain.  Derrière le rideau du grand miroir, toutes les pièces sont jouées, tous les personnages sont présents, mais le corps est toujours confiant.

- Je crois oui… Avoir saisi.

Le petit prédateur s’approche dangereusement du serpent. Elle ne compte pas la gober, l’empaler avec sa couronne d’épines, elle s’approche lentement pour l’embrasser, pour se lier avec un unique baiser.

- Je t’avoue que quand je suis avec les autres, je finis toujours par filer. Je n’arrive pas à m’attacher, mais quand tu es à mes côtés je n’ai pas envie que tu me quittes. Je veux bien jouer à ce jeu à deux.

Qu’elle vient doucement murmurer à quelques centimètres de ses lèves avant de reculer à l’opposé, de l’autre côté de la baignoire.