Toi qui étais pourtant si désinvolte avec tes conquêtes, comment en étais-tu arrivée à faire tant d’effort pour passer la soirée avec une personne ? Entre la navette et tout ce trajet sous-marin, ça en faisait du chemin pour une seule personne. Mais après tout, c’était Carmine.

Pour quelqu’un qui préférait les hauteurs aériennes, le quartier Maintes-Eaux représentait un mélange de curiosité et de frayeur, long boa qui ne sait pas nager, crainte de rester enfermée dans les profondeurs. Pourtant, ce quartier, c’était aussi le plaisir, l’intimité, une bulle sensuelle et rassurante, bien plus que tu ne voudrais l’avouer.

A peine sortie de la cellule, alors que tu as quitté la combinaison imposée, te voilà déjà dans les bras de ta rascasse, à sourire contre ses lèvres et à recevoir ses baisers dispersés. Tu en redemandes, tes lèvres venant retrouver les siennes pour prolonger ses affections.


« Contente de me recevoir, à ce que je vois. »


L’appartement de Carmine, à force, tu le connais bien. Tu sais où poser tes affaires, où te déchausser, où poser les pieds. Et alors que tu rassembles ta longue chevelure en une haute queue, voilà que votre prochaine activité t’est tout de suite imposée. Surprise mais conquise, un sourire se dessine à la commissure de tes lèvres tandis que tes yeux s’accrochent aux siens.


« Un bain ? Très bien. Je te suis, dans ce cas. »


La dernière baignoire dans laquelle tu avais été t’avait mise face à tes faiblesses, en espérant que celle-ci soit pleine de tendresse.

Carmine et toi, c’était une histoire sans fin et sans début. Une évidence muette, ni elle ni toi ne sembliez vous décider à mettre des mots, des termes dessus. Adeptes d’étreintes passagères, l’une comme l’autre, vous ne cessiez de revenir à vos baisers communiqués, comme des aimants sans attaches. Libres et peut être un peu amoureuses qui sait, personne ne saurait le dire, vous les premières.

Au milieu de sa salle de bain, tu observes Carmine faire des va-et-vient, tout autour de toi, ses paroles qui partent en ricochet sur le carrelage tandis que ses vêtements l’abandonnent, un par un. La proposition te paraît délicieuse, alors tu te laisses entraîner dans la danse, offrant petit à petit un peu plus de peau sous les lumières. Jusqu’à saisir sa main humide, tremper le bout de tes pieds pour rejoindre son corps, tout collé.


« Décidément, vous me surprenez de jour en jour, Miss Rilke. »


Vos deux silhouettes ensevelies dans l’eau chaude font trembler la surface contre les rebords de la baignoire. Tes mains délicates replacent quelques mèches rouges derrière ses oreilles pour mieux contempler son visage, pour mieux embrasser ses joues, puis ses lèvres. Tandis que la mousse savonneuse rongent les contours de nos hanches, tu en profites pour te lover contre Carmine, offrant ton dos à son buste et ta nuque au creux de son épaule.


« C’est plutôt agréable. Je comprend l’intérêt. »


Il était pourtant si rare que tu t’habitues à ce genre d’intimité. Reptile au corps froid, les douches glacées en solitaire —ou à deux, parfois, quand elles ne durent pas— te suffisait. Mais tu restes loin de tes craintes et tes doutes, tes pensés emprisonnées, l’épée de l’engagement que tu redoutes te parait évaporée, tu te contentes de savourer cette chaleur, sans t’inquiéter.


« Tu as eu une grosse journée pour avoir envie d’un bain bien chaud ? Ou c’est juste une excuse pour m’avoir tout près de toi ? »


Tu la taquines, levant tes yeux brûlants vers elle, tes doigts qui caressent doucement ses clavicules. Avec ou sans le bain, tu n’avais pas besoin de raison pour être collée à la rascasse.

Personne ne fait rien sans intérêt. Elle a raison, Carmine. Et tu le sais bien. Tu es comme ça, toi aussi. Si le jeu n'en vaut pas la chandelle, tu perds ton intérêt avec, tu t'envoler comme si le jeu n'avait jamais existé. Il fallait croire qu'avec Carmine, tu ne cessais d'en redemander.

La voix de la rascasse provoque un frisson le long de ta colonne. Tu sens sa respiration juste au creux de ton oreille, la tonalité suave de ses quelques mots, tu ne décèles pas le vrai du faux, pourtant tu as tes préférences. Car il est si bon de penser que tu es le centre de leurs univers, de son univers. Mais tu n'es pas naïve et Carmine te ressemble trop sur ce côté là.

Alternant entre ange et démon au coin de tes épaules, le souffle de Carmine pourrait te faire bouillir dans l'eau. Carmine, elle avait cette capacité à brouiller les pistes, ne jamais faire savoir quand elle mentait, quand son honnêteté frappait. Ça t'amuse de ne jamais savoir, de toujours danser en espérant que ce soit le bon pied. Mais quelques parts, bien au fond, là où se cachent tes insécurités refoulées, ça te fait peur.

Carmine, elle te demande la version que tu préfère et ça te fait sourire. Ses baisers et son étreinte, tu t'y accroches comme si elle n'était pas capable de te détruire. Car tu l'apprécies, Carmine, plus qu'une amie, plus que quiconque ici. Mais c'est dur de mettre des mots sur des sentiments que tu n'as jamais eu, jamais ressenti, sur des sensations familières et différentes à la fois. Tu préfères ne pas trop y penser, tu risques de t'y noyer.


" La version que je préfère ... "


Un dernier baiser avant que doucement vous ne vous sépariez. Juste un instant juste le temps pour elle de se tremper, le temps pour toi de penser. Elle remonte à la surface et te voilà à présent face à elle, vos jambes emmêlées les unes aux autres, tu la regardes émerger avant de lui donner ta réponse.


" Étonnamment, je préfère la vérité. Et te connaissant, je penche plutôt vers la première version. Même si la deuxième pourrait aussi en être une après tout. "


Tu ne sais pas laquelle des deux est fausse, ou plutôt tu ne sais pas si les deux sont vraies. Et pour le moment, ça n'a pas grande importance.


" J'aime bien partager ces petites moments du quotidien avec toi. "


Oh, Helen. Toi qui ne partage jamais rien de tes sentiments, c'était bien une première. C'était subtile, léger et rien qu'avec ça, tu pourrais sentir la peur te dévorer. Mais avec Carmine, ce n'est pas pareil. Il n'y a qu'avec elle que tu peux t'autoriser à te dévoiler.

C'est à ton tour de couler, juste un instant, peut être pour te calmer aussi. Un instant, alors que tu es sous l'eau, tu écoutes ton cœur battre, lui qui se fait pourtant si discret. Tu le sens cogner un peu plus fort juste assez pour que tu le remarques. Et revenant à la surface, voilà qu'il est reparti se cacher. Toi, tu retrouves le bras de Carmine, sa chaleur dont tu ne peux te passer.


" Est-ce que ça t'arrive de préférer une version de toi à une autre ? J'aime bien la Helen que je suis avec toi. J'aime aussi la Helen qui chante à l'Opéra. Ce ne sont pas les mêmes, mais je les aime bien. "


Et toi Carmine, quelle facette empruntes-tu devant moi ?

Tout autour de Carmine et toi, c’est une bulle au milieu d’autres qui se forme pour vous protéger. Comme un secret, comme un monde inventé qui n’appartient qu’à vous. Baignées dans l’eau parfumée, tu sens que Carmine se dévoile, timidement et assurément à la fois, sans vulnérabilité mais sans distance pour autant.

Alors qu’elle te rapproche de sa silhouette, ton corps glisse sur la paroi inférieure de la cuve dans un rire amusée qui franchit la frontière de tes lèvres. Tu observes ses baisers se disperser sur ta peau, ils entraînent des caresses auxquelles tu donnes echo, tes mains fines se baladent sur son épiderme humide, dégagent les mèches rouges collées au coin de ses joues, sa vision forme un sourire sur tes lèvres.


« C’est plus rassurant d’avoir le contrôle, après tout. Quand tu es la seule à connaître la vérité, tu n’as pas peur qu’on te la cache. Tu n’as pas peur d’être en position de faiblesse. »


Avec Carmine, tu sentais que même en ayant différente facette, tu pouvais être tout à la fois, sans avoir peur de te cacher. Tu pouvais être la Helen de porcelaine, poupée chantante qui prends vie sous les projecteurs. Tu pouvais être la Helen de foi, poupée croyante qui remet sa vie entre les mains des cieux. Tu pouvais être la Helen de feu, poupée fondante qui prônait les plaisirs charnelles et remplissait le vide de son existence. Cette distance que tu imposais entre toi et les autres n’existait pas, n’existait plus. Quand Carmine te touchait, elle ne se doutait pas qu’elle pouvait te briser sous ses doigts.


« Souvent, j’ai l’impression de ne jamais dire la vérité. Sur moi. Parce que les gens voient la grande Helen, la belle Helen, et moi, je veux qu’ils le pensent et qu’ils le gardent en tête. Mais c’est pas forcément la vérité. Parfois, c’est la petite Helen, la laide Helen, la triste Helen. Et ça, j’ai du mal à le montrer. Parce que je ne veux pas de pitié. »


Le bout de tes doigts saisit la mousse savonneuse qui se balade tout autour de vous. Quelques bulles éclatent, frétillent sur la pulpe de tes phalanges. C’est si léger, éphémère, tu fermes les yeux, tu ne peux même plus la sentir, même au creux de ta paume. A mesure que tu la manipule, le nuage se liquéfie et les clapotis de l’eau résonnent entre les murs de carrelage. Puis doucement, tu viens glisser tes doigts entre ceux de Carmine.


« J’ai le sentiment qu’avec toi, même quand je me sens petite, je ne serais pas obligée de mentir et de faire semblant d’être grande. »


Tu viens te pencher délicatement vers elle pour déposer un baiser sur ses lèvres, tu la regardes dans les yeux, tes mèches humides plaquées vers l’arrière. Tout doucement, tu viens lui murmurer au creux de l’oreille.


« Quand tu dis que tu aimes être collée à moi, c’est un mensonge ou une vérité ? »


Tu n’as pas besoin d’excuse pour m’avoir toute entière, Carmine.

Les confessions de Carmine glissent sur la surface de l’eau en ricochet, tandis que tu ne cesses de te raccrocher à son corps, constant besoin de la sentir toute proche de toi. Carmine, tu ne l’avais jamais vu comme chétive ou à blâmer. Mieux que quiconque, elle avait su t’enlacer et te couvrir de caresses d’une main. Elle était capable de te combler et de te transporter sans que son corps ne pose jamais aucun soucis, sans même que tu y songes durant vos échanges. Carmine, elle représentait pour toi la force et le charisme des titans, et rien ne pourrait changer cela.

Devenue silencieuse, tu l’écoutes religieusement tandis qu’elle te livre ses pensées et travers. Plus tu l’écoutes, plus tu te rends compte de vos ressemblances et vos différences. Ce besoin constant de prouver que vous n’étiez pas qu’une face d’une même pièce, que vous n’étiez pas seulement une apparence mais une entité toute entière. Et d’un coup, tu te sens bien proche d’elle, plus encore que tu pensais l’être. Elle parvient même à t’arracher un sourire amusée alors qu’elle parle de revanche, comme si cette explication t’étonnait à peine tellement elle lui ressemblait.


« Tu ne fais que rétablir la vérité par la revanche, après tout. »


Entre vérité et mensonge, tu ne sais parfois pas sur quel pied danser et tu ne saurais dire si tu t’en soucies réellement ou non. Car peu importe que les gens mentent ou non, tant que tu sais où est la vérité, le monde entier peut bien jouer la comédie, tu en seras toute détachée. Et Carmine dit vrai, tout ne peut pas être entièrement vérité selon qui le raconte.

Dans un climat intime qui semble s’être instauré entre vous, tu prends le risque de nager en eaux troubles, tu la contemples un instant avant qu’elle ne t’entoure de nouveau de son bras avant que tu ne répondes à son étreinte en glissant tes mains dans son dos nu.


« Carmine. » Ta voix sulfureuse est de nouveau murmurante. « La vérité, c’est que je pense que je n’ai envie de la dire qu’à toi. »


Le visage calé dans le creux de son épaule, c’est facile de trouver la force quand ses yeux intenses ne sont pas fixés aux tiens pour te désorienter.


« J’ai envie que tu sois ma vérité. »


Peut être était-ce la chaleur du bain qui te montait à la tête ou simplement l’intimité de la situation qui te mettait à nue plus que tu ne l’étais déjà, mais te voilà à avouer à demi mots que tu aimerais que vous soyez plus que deux corps qui s’enlacent, que tu voulais que vos deux vérités s’embrassent. Un secret partagé, juste entre vous.