Faux numéro délaissé sur la table de nuit d’une demoiselle en début de matinée, la séduction est un jeu fallacieux pour voler les cœurs déjà usés. Il faut remplacer les artères pour continuer de pomper un peu d’affection, pour gonfler l’égo sans passion, pour une petite mort sans succession. Elle a dévalé les marches de l’appartement en fermant doucement la porte d’entrée : aucune chance de renouer avec un visage qu’elle daignera oublier. Carmine est une voleuse : à la poursuite du bonheur, à faire parfois semblant d’être heureuse. Elle s'enfonce dans la grande cité, à la recherche de son téléphone en marchant dans les rues  : elle se mêle à la foule comme si de rien était.

Son prénom résonne, la rascasse cherche la source de ce son. Carmine, la curiosité au dessus du front commence à marcher à reculons. Elle marche, la sympathie rayonnant sur le minois. Une façade des beaux jours, pour planquer la voleuse d’un factice amour. Devant la table de Caspian, elle renvoie le sourire de prince charmant.

- Ne serait-ce pas le petit prince aux pommes ?

Souvenir de l’été dernier, un peu de frustration baignant dans les sourires, entre les dents planquées. Les morsures de la défaite, Carmine y est encore clouée. Carmine, elle n’a pas oublié les promesses qu’elle n’a pas prononcé, elle reviendra l’an prochain, mais elle n’avait pas prévu de le recroiser aussi rapidement. Malgré un sourire ravissant, elle serre un peu les dents. Elle s’arrête pour quelques secondes, peut-être plus. Finalement, elle veut profiter, rire, prendre son temps.

- Alors, j’espère que tu as fait de belles rencontres avec ta série de fan.
[ J’espère que tu as fait de jolies rencontres. ]

Souvenir de la presque vieille chamaillerie, les bons comptes font les bons amis. Caspian, il est tout seul attablé et Carmine ne veut  croire qu’en la joie, qu’en la gaieté. Dans cette scène il y a une tasse vide, une tasse à moitié remplie, une chaise vide et Caspian qui sourit. Une main dans la poche, l’autre en métal mais déchargée.

- Ta compagnie a finit pourtant par te délaisser.
[ Il faudra faire mieux l’an prochain, pour être plus aimable. On ne va plus te lâcher. ]

- Allez, t’es pleins de vitamines.

Mimique effrontée, elle taquine le plus âgé, amusée par les familiarités. Carmine, elle a perdu ce jour là, alors il devrait rester fier pour mériter son titre. Si c’est pour faiblir face à la remarque, il aurait pu laisser la victoire, ça rend la rascasse envieuse de la gloire. Carmine, elle donnera tout l’an prochain, l’année d’après, à moins qu’on lui retire tous les membres, à moins qu’elle n’ait plus de poumons pour respirer. Carmine, elle veut que les vainqueurs soit fiers : c’est mérité.

- Non, le grand gagnant de la pêche aux pommes abandonné comme ça… Impossible, mais ne me dis pas que tu es déjà marié. J’attendais que tu prennes ma main.
[ Il faut passer à autre chose. Si les gens ne restent pas, soit assez bien quand tu les recroiseras pour qu’ils le regrettent, mais ne cède pas.]

Qu’elle dit pour plaisanter, Carmine et mariage ce n’est pas prévu, une idée délaissée encore loin du rivage. Elle se considère encore jeune pour oser prétendre fusionner son âme. Elle finirait pas créer des drames, des tromperies. Les lippes cachent toutes les fourberies. Le poisson lion n’est pas encore prêt à baisser la crinière pour un bel homme, une belle femme. L’amour est une drôle de prison dans laquelle elle n’oserait pas se laisser couler : elle ne peut s'empêcher de flotter, joli poisson au dangereux poison.

- Je comptais filer, mais soit. Un peu de camaraderie, ça ne fait de mal à personne.
[ Le café est déjà commandé. ]

Carmine finit par s’installer, s’enfonce dans le siège à côté. Elle retire sa casquette comme si de rien était et déclare de fausses intentions : pas la peine de décrire les méfaits.

- Je suis passée voir une amie qui vit dans le quartier. Là je rentre chez moi, je vais sûrement aller m’entraîner sous l’eau après.
[ Une amante de plus que je ne reverrai probablement pas.]

Mensonge assumé, elle sourit toujours Carmine enfoncée contre son dossier. Elle attend paisiblement que le serveur dépose sur la table le café. Un merci doucement susurré entre les fossettes creusées, elle repose ses iris dorés sur le fennec pour l'écouter. Carmine, elle préfère écouter plutôt que de dire la vérité, plutôt que de décrire sa manie de voler les baisers.

- Ah bon ? Pourquoi ? Tu es pourtant un charmant milicien. Tu devrais avoir du succès.

Elle se contente toujours jouer celle qui ne sait rien. Carmine sait déjà ce qu’il s’est passé. Elle n’a cependant qu’un tiers des faits, mais elle fait semblant de n’avoir rien vu, rien entendu. Elle fait simplement de s’intéresser : parce que le garçon a côté, il a l’air bien seul sans ses sourires accommodants. Elle ne le reconnaît pas Carmine, elle n’est pas sûre de percevoir totalement le petite prince charmant.

- Ah, les mères…
Un drôle de projet que de les retrouver à chaque fois.

Carmine, quand elle revoit sa mère : elle n’a l’impression que rien n’a changé, qu’elle ne va jamais bien, qu’elle est toujours cette petite fille au fond de son lit d’hôpital, celle qui vient d’être opérée. Sa mère la regarde comme une petite chose vulnérable qu’elle doit à tout prix aider. Pourtant, Carmine ne lui a rien demandé. Son père a côté, a l’air se moquer de tout. Il n’est pas toujours sensible, il est un peu froid : elle ne se souvient pas quand il a rit ou pleuré la dernière fois.

- Pourtant, je ne gagne vraiment jamais.
Jamais première à l'arrivée.

Toujours seconde, jamais l’or en poche. Elle l’a collé dans les iris l’or, à chercher sans cesse le mérite, sans cesse les médailles. Pourtant ça ne suffit pas. Ça ne suffit pas, de se faire passer pour quelqu’un qu’elle n’est peut-être pas. Ça ne suffit pas d’être l’objet des magasines, la petite protégée des médias, l’objet de tous les charmes alors qu’il lui manque quelque chose : un bras. Caspian, il devrait le savoir pourtant, qu’elle ne gagne pas réellement, que ça ne lui convient pas. Des fois, elle a l’impression que personne ne la comprend, mais la rascasse ne s’exprime pas, que pour de faux. Elle joue, s’enjolive, nargue les autres avec du beau. Elle se recouvre d’une carapace d’épines pour planquer l’imperfection nuisible dans les pensées empoisonnées. Carmine, elle n’arrive plus à dire toute la vérité.

- Tu sais très bien que jamais je n’accepterai qu’on m’offre une victoire.

Carmine, elle veut gagner dignement. C’est une question de fierté. Si Caspian lui offre une victoire, ce ne sera probablement pas la vérité, elle qui a beau mentir pour s’enjoliver ne peut pourtant pas accepter une telle fourberie. Elle ne veut pas que la gloire ne soit qu’un énième mensonge dans sa vie. Alors Carmine elle fronce les sourcils doucement avant de retrouver le sourire d’antan. Elle ne veut pas de la pitié qu’on offre au faible pour les rassurer. Elle préfère perdre plutôt que de ne pas vaincre pour de vrai.

Carmine l’écoute, sans savoir ce qu’il va aborder, une étincelle de malice au fond des yeux. La rascasse ne s’attendait pas à ça : parler d’intimité, dévoiler son avis personnel alors que leurs mondes ne doivent pas se ressembler. Carmine, elle ne sait pas réellement de quoi il s’agit, mais elle pourrait faire un effort : faire mine d’être une amie. Alors elle tient son bras déchargé, commence à réfléchir à la question avant de dévoiler un peu de vérité.

- Mes parents ont divorcé, alors je suppose que ma réponse est vite biaisée… Quand à la seconde question, je pense que ça dépend de quoi on parle. Il y a des choses qui sont impardonnables.

Comme voler le bras d'un enfant et le traumatiser.
Si elle donne, elle espère recevoir en échange. Carmine, elle n’a pas l’habitude d’offrir les écueils sur un plateau au petit déjeuner.

- Il y a des jours ou ça va j’imagine, d’autres ou c’est plus dur à porter… Mais est ce que tu peux vraiment tout ignorer Caspian ? Tu n’as pas peur de t’oublier ?

La carapace d’épines, les jolis sourires, tout est partiellement faux, on préfère garder les secrets. Elle ne le dit pas qu’elle se sent un peu concernée par les doubles jeux grossiers. Elle ne dit pas que les paroles la concernent plus qu’elle ne l’aimerait. Des fois, elle en a marre de faire semblant devant le miroir, de faire des jolis sourires à la caméra. Des fois, elle aimerait qu’on l’aime pour ce qu’elle est, mais à force de changer de rôle, Carmine a oublié qui elle était sur le papier. Elle n’est plus que ces masques qu’elle change selon la scène pour planquer la terreur de cette douloureuse après-midi.

- C’est peut-être vrai, mais est ce qu’elle serait capable d’écouter ? Je veux dire, si jamais rien n’a changé… Est ce que ça risque réellement d’évoluer si tu es sincère ? Si tu t’es toujours adapté, si tu as toujours fait semblant, pourquoi accepterait-elle que tu ais l’envie de changer ? Enfin, je dis ça, je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe en réalité… Comme toutes les affaires familiales, c'est sûrement compliqué.

Elle est pensive au fond de son dossier alors qu’elle vient attraper la tasse de café, déposée sous son nez pour choper quelques gorgées.

- C’est difficile de comparer. Mes parents sont divorcés, je suis enfant unique d’un côté, de l’autre j’ai un/e adelphe, mais on ne se parle presque jamais. Peut-être qu’ils se complaisent là dedans, c’est difficile de juger l’inconnu, mais tu les connais mieux que moi. Tu as probablement raison.  

Carmine, elle voit l’autre enfant de sa mère comme une étrange créature. Elle ne le/a voit jamais, les deux animas se croisent à peine, font comme s’ils n’existaient : comme si le mur qui séparaient leurs chambres d’adolescents était la barrière de corail. Carmine n’offre même pas un sourire à la personne qui rejoint parfois les repas de famille, simple fantôme futile. Ses géniteurs ne se parlent presque plus maintenant, que quelques fois quand ils se déplacent pour les Olympiades, quand ils se croisent dans les gradins, à peine un bonjour et puis plus rien. Alors il est difficile de comparer l’incomparable, la rascasse n’en souffre pas : ça fait depuis des années que c’est comme ça.

- Est ce que ça te rend heureux toi ?   

Carmine, elle fonctionne un peu différemment, elle le fait dans son intérêt, pour laisser des paillettes dans les regards, pour jouer un peu au hasard, parce qu’elle est devenue d’amour avare. Si elle le fait un pour se croire lovée, ses intentions sont plus égoïstes que celles du blondinet : jusqu’où serait-il capable de mentir pour les autres ? La rascasse devrait-elle se méfier ? Dans le fond de son dossier, elle semble réfléchir sans pour autant que les idées n’arrivent à se croiser.

- Alors peut-être que parler ne suffira pas. Les mères, elles n’écoutent que ce qu’elles ont envie d’entendre.

Drôle de vérité, un peu douloureuse finalement. Les enfants ont beau crier, pleurer, les mères ne verront que ce qu’elles veulent dans les yeux de leur enfant. Peu importe s’ils commencent à employer de jolis mots pour exprimer leurs désarrois, pour le poisson épineux les mères pensent savoir ce qui est bon ou pas, alors elle épouse les mensonges pour faire l’inverse. C’est du pareil au même.

- Il doit garder l’espoir de probablement te retrouver. Sûrement parce que tu es sa progéniture… Ou peut-être parce qu’il t’apprécie ? Ou sinon ce n’est parce qu’il ne respecte volontairement pas tes décisions ? C’est difficile de juger à ma place, encore une fois.

Les autres Matkovic, elle ne les connaît pas.

- C’est peut-être vrai, mais tu restes mon allié de la course à trois pattes de cette année et j’ai l’impression que t’as besoin de parler, mais c’est comme tu veux. On peut changer de sujet.

Elle hausse les épaules, sirote un peu de café et rit doucement avant de reposer la tasse contre la table.