l’été s’achève doucement et valeryane regrette déjà le soleil, déjà si rare à arc-en-terre, qui va disparaître pour les six prochains mois. l’hiver va être froid et la raie manta préfère les températures hautes. cet été a mal commencé, les orages de juillet ne présentaient rien de bon. heureusement, les semaines qui ont suivies ont été plus douces, bercées par les vagues et par les bras de mortimer. valeryane craint pour l'automne, la mélancolie de leur vacances sur les côtés d’ithloreas qui chantonne déjà dans le fond de son cœur. est-ce que ça ira ? qu’est-ce qu’ils vont devenir ? et lui, alors ? le dernier chanteloup qui manque à l’appel depuis deux mois ?

mortimer lui a demandé de ne pas s’en mêler. mortimer lui a dit qu’il allait gérer. alors valeryane a obéit, valeryane n’a rien dit, rien fait. elle s’est contenté de profiter de l’homme qu’elle aime, de reconstruire la relation mise en péril par ces activités clandestines. il n’y avait pas de place pour désiré pendant leur deuxième lune de miel.

mais aujourd’hui c’est différent. l’été est terminé et la vie reprend son cours. valeryane et mortimer ne sont plus dans leur bulle estivale à se prélasser sur les plages ensoleillées et à nager dans les eaux claires d’ihtloreas.

toujours pas de nouvelles du félin. le crocodile lui, reste de marbre sous sa carapace. et malheureusement, la raie manta s’inquiète. elle ne veut pas interférer entre les frères, mais elle a besoin de veiller. c’est plus fort qu’elle.

il est 23h. devant l'opéra, une foule d’animas quitte le bâtiment par la grande porte vitrée, tous en train de parler du spectacle du soir. valeryane a apprécié la pièce, une des dernières du programme de l’été. la musique et les chants étaient magnifiques. cela faisait longtemps qu’elle n’était pas venue en profiter. mais si elle est venue aujourd’hui, ce n’est pas que pour sa culture et sa passion pour l’art de la scène: c’est pour retrouver un vieil ami.

“bonsoir, solal.” l’homme est là, toujours aussi élégant, fin et droit. valeryane s’approche en souriant pour lui faire la bise, la main qui se pose sur son épaule. “comment vas-tu ?”

elle l'attend devant l’opéra, sur le côté pour ne pas empêcher les autres clients de sortir et de passer. elle lui avait donné rendez-vous par message. on se retrouve après la pièce. à toute à l'heure. bises, valeryane. elle sait qu’en tant que directeur, c’est difficile pour lui de se rendre libre. mais si elle doit être honnête, c’était aussi l'occasion de profiter de l’opéra.

“je suis contente de te voir ! cela faisait longtemps. tu veux qu’on aille boire un verre quelque part dans les alentours ?”

valeryane a du temps. elle se débrouillera pour rentrer ce soir. s’il n’y a plus de navettes, être la femme d’un conducteur est un passe-droit de taille. dans le pire des cas, elle a des amis à babel qui pourront l’accueillir pour la nuit.

soal est de ceux dont la simple présence apaise. il est de la même trempe qu’elle. cette aura calme et douce, mais qu’on sait solidement ancrée dans le sol. l’épaule sur laquelle on peut se reposer. une force tranquille.
cela lui fait du bien, à valeryane. aux premiers mots, aux premiers regards échangés, elle sait que tout se passera bien. même pour lui, la raie manta n’a aucun doute que cette pause, cette trêve fausse, le soulagera autant qu’elle.

“je vais bien, merci. enfin, je vais mieux.”

elle hoche doucement la tête, un soupir s'échappe de ses lèvres. valeryane à cette expression fatiguée qui annonce que le pire est passé, que cela va mieux désormais. solal semble être dans le même état qu’elle et cela ne l’étonne en rien. chacun de leur manière, ils ont été le revers d’une médaille gravée de l’écusson chanteloup.

“effectivement. c’est aussi une des raisons de ma présence ici.” le sourire reste doux mais se fait plus triste. “ah, ça oui !”

elle rit tandis qu’il l'emmène dans un bar non loin de l’opéra. valeryane connaît bien le quartier. elle a fait ses études à babel, pôle scientifique de l’île, l’université des sciences étant plus réputée que celle de lunapolis. elle se souvient des soirées estudiantines de ses plus jeunes années. elles ne lui manquent pas, mais elle ne regrettent pas non plus ces moments d’innocence.

“je ne vais pas passer par quatre chemin, je suis venue te voir pour deux choses. parler de la situation entre mortimer et désiré, et prendre de tes nouvelles et me vider la tête en partageant une soirée avec un ami.”

assise sur la table en bois, valeryane commande une pinte de bière. une blanche avec une rondelle de citron. elle préfère les blondes amers mais ce soir, elle a besoin de quelque chose de léger.

“je me doute que tu es en contact avec désiré. je ne suis pas tout à fait stupide ni aveugle…” elle sourit. c’est son instinct qui le dit. en réalité valeryane n’a aucune preuve de ce qu’elle avance, mais sa perspicacité ne l’a jamais trompé alors elle prend le pari. “tu dois donc être au courant de ce qu’il s’est passé début juillet… j’ai tout appris d’un coup, pour les chanteloup, pour la fosse. ça a été assez terrible…”

elle bat des cils, elle ne ment pas. valeryane d’habitude si intouchable par ce qui se passe sur terre s’est vue extrêmement inquiète. si mortimer et désiré peuvent se débrouiller comme des grands, c’est ce qu’hector à traversé qui l’a le plus inquiété.

“je vais te donner ma version des faits, car je me doute que tu as celle de désiré.” on ne sait jamais, et dans ce genre de chose tous les points de vus sont bons à prendre. “j’ai appris qu’hector n’allait pas bien, qu’il s’était disputé avec son père. je lui ai rendu visite chez lui et j’ai découvert un adolescent traumatisé, et je pèse des mots. je ne sais pas ce que désiré t’a raconté, mais hector s’est retrouvé dans la fosse pour retrouver son meilleur ami, et il est tombé sur son père, abattant un homme.”

et ça lui fait encore froid dans le dos.

“c’est là que j’ai appris pour la fosse. je n’étais au courant de rien et tu imagines mon choc après six ans de vie commune avec mortimer et trois ans de mariage sous le nom chanteloup…” elle est triste. toujours blessée. toujours fâchée. contre elle-même, surtout. “je me suis confiée à un ami, micheletto c. quaderi, tu le connais peut-être de nom, c’est un artiste avec une certaine renommée.” négative, mais une renommée tout de même. “j’apprends que mon mari à mis sans dessus dessous son atelier et qu’il lui a brisé le poignet ? et qu’il sait que désiré trempe dans la fosse depuis des années ? mon monde s’est tout simplement écroulé.”

les commandes arrivent et valeryane remercie le serveur d’un signe de tête avant de plonger se réfugier dans la boisson. la première gorgée soulage toujours.

“je suis rentrée confronté à mortimer. j’apprends donc que désiré est ce fameux bookmaker qui gère les paris dans la fosse et que celui que j’aime et avec qui je partage mon lit nettoie les âmes derrières son passage. j'apprends que les mains de mon mari ont servi à faire mal et blesser.”

ces mains qui l’ont touché, ces mains qu’elle a embrassé, ces mains qu’elle a laissé la caresser.

“alors non, définitivement, ce n’est pas la joie.”

valeryane se recale dans son siège. fatiguée et lassée de tout cela. elle plonge son regard vague dans les yeux de solal.  un frisson lui parcourt l’échine. est-ce que lui aussi, savait, sans rien lui dire ? est-ce que tous les hommes de sa vie lui ont menti pendant des mois, des années, sans qu’aucun ne prennent la peine de lui dire la vérité ?

selle déverse tout. le torrent de mots et d'émotions après deux mois d'orage et de tensions. valeryane est fatiguée. valeryane n’a plus de filtre. valeryane n’en peut plus de lutter et de faire semblant. alors dès qu’elle se sent en confiance, dès qu’elle a une oreille attentive auprès d’elle, voilà qu’elle se livre.

mais la culpabilité la rattrape. la situation n’est pas juste. pauvre raie manta vient se lamenter dans les bras d’un ami, certes, mais d’un ami concerné. le drame des chanteloups ne se limitent pas à trois acteurs, c’est un ballet plus complexe. pour solal aussi, tout est délicat.

“je… je suis désolée solal… je te confis tout ça alors que toi aussi tu es dans ce maelström… ce n’est pas juste, je n’aurai pas dû craquer comme ça, je suis désolée.”

valeryane soupire. la grande dame se redresse, retrouve de sa contenance. il faut rester digne.

“je vais être honnête, je suis fatiguée de voir que tous ceux en qui j’avais confiance me cachaient cette vérité… certes, pour me protéger, mais… j’aurai fini par savoir. et si j’avais su plus tôt, on en serait probablement pas là.”

comment rattraper tous ces mensonges, comment gérer la situation ? ce qui pose problème, ce n’est pas la fosse, ce n’est pas la double vie. ce qui dérange valeryane au point de lui retourner les entrailles, c’est que pendant six ans, on lui ait menti.
qu’ils lui aient tous menti.

“oui.” elle lui concède. “je ne comprends pas non plus comment on a pu en arriver là. et je n’ai surement pas tous les éléments non plus. juste des bribes de témoignages, un drame et un grand bazar.”

elle ne dit rien quand il prononce ces mots. “c’est fou qu’il ait pu te cacher ce type d’activité.” oui, c’est fou. mais pas que mortimer. désiré aussi, micheletto. gustave aussi peut-être ? et solal ? elle ne veut pas y penser, elle ne veut pas y croire. elle ne veut pas faire la chasse aux sorcières de tous ceux qui savaient et qui fermaient les yeux.

“je suis encore désolée. je m’appuie sur toi alors que tu n’es pas neutre et que la situation de ton côté aussi n’est pas simple. mais merci pour ta douceur et ta compréhension, ça aide beaucoup.”

faible sourire.
elle se sent mieux.
un peu.

“avec mortimer, ça va mieux.” état des lieux rapide. “on s’est disputé violemment début juillet, tu es au courant. derrière on est partie en vacances quelques semaines à la mer. pour se retrouver, pour parler, mettre les choses à plat. j’ai décidé… non, on a décidé de rester ensemble. mais je ne veux plus de mensonge. ce n’est pas la fosse qui me rend malade, c’est qu’il a pu me cacher la vérité pendant tout ce temps et… je ne veux plus jamais que cela arrive à nouveau.”

elle ne le supporterai pas.

“mais même si mon couple ça va… il n’y a pas que cela. ce n’est pas une dispute fermée entre époux. ça serait trop simple sinon… il y a aussi hector, il y a désiré, il y a toi… et au milieu de tout ça, je ne sais pas quoi faire…”

elle noie son désarroi dans sa pinte de blanche que le serveur à déposer sur leur table. l’acidité du citron l’aide à maintenir sa concentration.

“mortimer et désiré ne se sont pas reparlé. visiblement désiré a décrété qu’il devait sortir de la vie de sn frère... je n'en sais trop rien, en fait. morty ne veut pas que je m'en mêle.  et il ne veut rien savoir non plus, c’est au point mort. pour hector… j’ai des nouvelles de temps en temps par ses mamans, mais je vois bien que c’est dur.”

la voix devient grave, l’échine se courbe. valeryane qui d’habitude, ne se plie jamais.

“toute seule je ne sais pas quoi faire. j’ai besoin d’aide…”

ses yeux noirs cherchent ceux du directeur de l’opéra.
elle se dit naïvement qu’a deux, peut-être qu’ils y arriveront.
avec beaucoup d’amour et de communication ?

il est là. il le dit lui-même, dans la douceur qu’on lui connaît. pourtant dans l’esprit brumeux de valeryane, sa tête pleine de doutes et ses pas dans les ténèbres, ces paroles lui semblent bien lointaine. solal est là, mais elle a l’impression qu’il est à des années lumières. qu’elle aura beau tendre la main, elle sera vouée à dériver dans le néant de ses angoisses.

mais au fond, elle sait que solal à raison. elle n’est plus seule. ils sont deux. si elle est venue aujourd’hui, ce soir, pour le voir, c’est bien pour s’accrocher à cela comme un ultime espoir. cela prendra du temps, murmure-t-il. elle le sait. elle le sait mais ça lui peine. valeryane a beaucoup de qualité mais valeryane n’est pas patiente. elle aime quand les résultats suivent les premières impulsions, quand tout lui vient vite et naturellement.

malheureusement les équations scientifiques ne régissent pas les sentiments humains, et valeryane n’est pas la seule actrice de cette terrible pièce de théâtre mélo-dramatique. bien qu’elle soit prête à régler tous les problèmes, si les autres partis ne le sont pas, elle ne peut qu’attendre.

“tu as sans doute raison… mais j’ai aussi du mal à voir comment.”

comment faire pour que ça aille mieux ?
comment faire pour s’en sortir ?
comment faire pour régler les conflits à coup de baguette magique ?

elle avale d’une traite la fin de sa bière.

“mais merci, solal. au fond, ça me rassure de savoir que je ne suis pas toute seule.”

elle redresse la tête, retrouve un peu de sa contenance pour lui adresser un sourire sincère.
elle se dit qu’au moins, il y a quelqu’un du côté de désiré. quelqu’un capable de l’approcher. quelqu’un capable de lui parler.

“... mais du coup…” son regard brille d’une lumière un peu nouvelle. celle de la curiosité. “ça va, toi, avec désiré ?”

valeryane se doute bien que quelque chose se trame entre les deux hommes. depuis longtemps d’ailleurs. probablement avant que désiré lui-même ne s’en rende compte. valeryane aimerait bien l’entendre de la bouche de solal. savoir s’ils sont toujours amis, ou un peu plus…