Shun n'avait pas été bien compliqué à habiller, son ainé remerciant le Ciel pour qu'il n'ait pas eu l'idée saugrenue de courir partout nu en faisant du bruit. Là-dessus, le couple était plutôt chanceux, ils avaient choisi un enfant calme, du moins par rapport aux autres. Son cadet avait son petit caractère, mais il était persuadé qu'il ne mènerait pas la vie dure à qui que ce soit. Aesop ne devait pas lui donner l'impression qu'il avait, celle d'un kidnapping et d'une injustice. Alors autant rester positif, quitte à enjoliver la situation et à grossir les avantages.
Déjà, le vrai cadeau sera d'avoir ta chambre, de dire ce que tu veux manger et de sortir sans restriction d'heure.
Aesop tâchait de se souvenir à quel point les premières années de sa vie avaient été paisibles et insouciantes. Il se souvenait des soirées d'été à rester dehors, à fixer le ciel, à profiter de la fraîcheur quand son père lui expliquait quel animal faisait tel son dans la nuit. Il se souvenait des soirées d'hiver à rester à l'intérieur, à observer le feu de cheminée, à profiter de la chaleur de sa mère quand elle lui permettait de veiller un peu plus. Leur maison lui semblait immense, à l'image d'un grand château et ses souvenirs d'une nouvelle chambre pour accueillir un autre membre dans la famille étaient encore nets. Bien entendu, il n'était pas maltraité ici, à l'orphelinat, mais rien ne surpassera jamais le fait d'avoir deux adultes entièrement dédiés à lui seul, tout le monde en avait besoin dans le commencement de son existence. Shun n'avait pas connu tout cela et ce n'était pas plus mal, dans le sens où il ne pouvait qu'être agréablement surpris désormais.
Le coyote se redressait lorsqu'il se faisait interpeller, devinant à cause de qui on lui reprochait encore d'être ici. Il ne répondit pas, n'étant pas d'humeur à supplier quand il savait que l'issue de cette journée n'y changerait rien. Le silence répondait aux abrutis et il n'avait aucun intérêt à faire plaisir à qui que ce soit ici. Le noiraud se tournait par la suite vers le reptile, forcé de baisser la tête pour que leurs regards se croisent.
Elle a peur que j'attire toute l'attention si je viens de suite. Et que les autres enfants n'aient aucune chance. Donc vas y sans moi d'abord.
Il y aurait bien un jour prochain, où lui aussi posséderait bien des choses, plusieurs collections de n'importe quoi, de valeur de préférence. Pour l'heure, il devait même partager le moment de la douche, alors il se consolait en se disant que Shun lui, aurait droit à des bains moussants très bientôt.
Il trouvait l'ambiance de plus en plus pesante, si bien qu'il tirait son frère par le bras pour qu'il le suive dans la grande salle où ses futurs parents l'attendaient. Mais quand Aesop lui dit qu'il devait y aller tout seul, le reptile se stoppa. Il resta un moment silencieux, chose assez rare quand il était en présence du coyote. Ses petits yeux fixèrent ceux de son semblable avant de dire :
« … Promis tu viens hein ? … Tu viens juste après si j'y vais tout seul parce que je suis un grand ! En plus, je dois devenir aussi gros que le serpent des neiges si je gagne du courage ! »
Il marcha jusqu'à la porte avant de se tourner une dernière fois vers son frère, sans le savoir :
« Tu viens hein ! Faut pas avoir peur, faut faire comme moi et être courageux ! Et toi, t'es le plus courageux ! »
La porte se referma derrière lui et rapidement, la femme qui leur avait parlé lui fit signe de venir vers elle et un jeune couple. Shun avait fini par les rejoindre, persuadé que s'il était adopté son frère le serait aussi. Ils allaient enfin avoir leurs chambres, des jouets, des moments rien qu'à eux et peut-être même des histoires avant de dormir.
Les deux adultes s'étaient mis à genoux pour être à la hauteur du reptile, commençant à le flatter et à lui dire à quel point il était mignon. Chose à laquelle Shun était réceptif puisqu'il souriait à pleine dents. La future mère avait d'ailleurs une petite valise contenant les affaires de Shun, du moins le peu qu'il avait.
Tentant de ne pas « traumatiser » comme ils le pouvaient le plus jeune, ils marchèrent vers la sortie, vers le petit jardin dans l'arrière court après avoir glissé un manteau sur le dos de l'enfant. Shun ne comprenait pas pourquoi les deux adultes ne réagissaient pas quand il parlait de son grand-frère, comme quoi il allait les rejoindre. C'est quand ils furent assez loin et proche de la voiture que le garçon s'arrêta :
« … Aesop … Il est où Aesop ? »
La future maman semblait décontenancé et chercha de l'aide auprès de son mari qui semblait tout aussi penaud qu'elle. Même s'il était jeune, Shun n'était pas idiot, il serait mal avisé de croire que les enfants ne comprennent pas les choses quand elles ne vont pas dans son sens. L'assistante étant toujours là, elle se pencha vers lui et lui expliqua :
« Aesop va rester ici Shun. »
Les yeux du reptile s'étaient remplis de larmes en une fraction de secondes et il avait couru vers la porte qui donnait vers l'intérieur. Malheureusement, avec ses toutes petites gambettes, il n'était pas allé bien loin et avait été rattrapé par l'assistante. Malgré sa taille, Shun s'était débattu comme un beau monstre, en pleine crise de larmes :
« AESOP !!! AESOP !!! » hurla le garçon. « JE VEUX PAS. JE VEUX VOIR AESOP ! JE VEUX RESTER AVEC AESOP ! AESOP !!! »
Aesop se contentait d'un petit signe de la main pour dire au revoir à son cadet, qui aurait pu signifier "à tout à l'heure". Dès que la porte fut close, il restait durant quelques secondes face à cette dernière. Des idées lui traversèrent à nouveau la tête, celle de rentrer pour hurler, déclencher la panique, faire un report, effrayer les adultes, feindre la folie, mentir sur cet établissement, dénoncer par le mensonge, casser quelque chose, renverser une table ou briser une vitre. Mais rien. Ses yeux se contentèrent de fixer la poignée qui ne se tournerait pas pour venir le chercher. Il laissait échapper un long soupir, n'ayant même pas un membre du personnel pour lui dire de s'éloigner, d'aller jouer dehors. Il partit cependant, de son plein grès, pour se rendre aux dortoirs. Le coyote réfléchissait en urgence à ce qu'il pourrait donner de plus à Shun pour son grand voyage, malgré leurs maigres acquisitions. Mais nul part il ne trouvait le bagage du plus jeune. Il ne lui fallu pas longtemps pour comprendre, lui aussi s'était fait devancer. Il comprit aussi que ce au revoir simpliste était le dernier qu'il avait pu offrir à son reptile de frère avant un très long moment. Il eut beau se dépêcher de revenir au point de départ, Aesop savait qu'il n'y avait aucune raison pour le couple de d'avantage s'attarder ici, dans ce lieu qu'il désirait fuir avec la hâte de montrer la nouvelle maison.
Lorsque le coyote débarquait dans la cours, il était trop tard. Un lourd silence était retombé tandis que les hautes grilles étaient fermées, comme si elles n'avaient jamais été ouvertes. Il eut beau chercher partout, la partie de cache-cache était terminée. Il eut beau faire le tour de la bâtisse, ils étaient partis. Il ne se serait jamais pardonné de ne pas l'avoir vérifier lui-même, mais l'évidence était là. Du haut de ses 9 ans, il réalisait que sa dernière action n'avait pas été digne d'un bon grand frère. Il n'avait aucune peine à s'imaginer ce que Shun avait pu penser de lui, alors qu'il avait fui pour le laisser avec de sinistres inconnus. Aesop avait eu beau se rendre à l'évidence de sa condition, se retrouver devant le fait accompli était plus difficile qu'il ne l'aurait imaginé. De qui allait-il prendre soin maintenant ? Est-ce que ses parents le jugeaient fort de là où ils se trouvaient ?
Le jeune garçon finit par être retrouvé après l'heure du repas. On ne lui fit aucun reproche curieusement, et il fut invité à regagner son dortoir. Demain, la vie continuerait comme si de rien n'était. Le quotidien ne serait pas changé et il verrait encore tous ces regards brillants, à l'idée d'être le prochain élu à avoir droit à une vie de famille.
