eelle devrait se méfier, être un peu plus sur la défensive et faire attention aux choix des mots et des paroles données. il l’appelle par son prénom, lui sert une bière sans sourciller qu’elle s’apprête à avaler sans retenue, se la met doucement dans la poche… elle ne tilt même pas quand il la nomme, comme de bons vieux amis, comme des gens proches. elle devrait pourtant. elle devrait se méfier des soupirs du serpent.
mais sasha est ivre. c’est de moins en plus insidieux et de plus en plus évident. en plus, elle a gagné son combat, elle a terrorisé une proie, et elle s’est fait payé à boire.

la définition même d’une bonne soirée.
il n’y a donc pas de quoi se méfier.

“je suis parfaaaaitement calme !!”

les mots commencent à se déformer doucement, l’alcool qui prend le pas sur l’esprit et la locution. mais cela reste discret. pour le moment. il argumente sur son honnêteté et sasha prend la peine d’y réfléchir environ… une demi-seconde. elle se gratte le menton comme le font les philosophes à la télévision avant d’hocher doucement la tête.

“hmmmm… ouaaaaais… ça se tieeeent… mais je ne serai vraiment convaincue que si tu me payes une deuxième bière !”

elle bombe le torse, affiche un air fier. sasha se dit qu’elle est tout de même une fine négociatrice.
aesop serait fier.

en parlant du coyote, il finit par pointer le bout de sa queue. le serpent du nom de shun commence à lui raconter leur enfance, l’orphelinat, la séparation. pour une fois sasha écoute. elle ne connaissait pas cette partie-là de l’histoire de son mentor. elle prend les informations, les notes dans son petit cerveau du mieux qu’elle le peut. elle boit, pendant ce temps. elle finit sa bière et ça la frappe d’un coup. les lumières deviennent floues, ça tourne un peu, les sons autours sont moins distincts qu’avant.

“ah ouais ooook je vois… il m’a dit il avait pleeeeein de frères et s’soeurs alors c’était à cause de l'orphelinat. et bah sacrée histoire !!! purée c’est ouf quand même que tu sois tombé sur moi !! elle est dure à croire cette histoire quand même maaaaais t’as l’air déter et moi j’aime bien les gens déter et puis et puis tu m’as payé une bière et…”

il lui en reprose une.
elle lève les bras en signe de joie.
ou de victoire, elle ne sait pas.

“OUAAAAAIS !”

encore une pour l’achever définitivement. sauf que dans un élan de lucidité, elle se dit que tout ça et une belle histoire et qu’il a beau l’air d’être quelqu’un de confiance… elle devrait peut-être prévenir aesop. alors discrètement (tout du moins, aussi discret que sasha peut faire), elle saisit son téléphone de sa poche pour envoyer à la va-vite un sms.
elle a tapé vite pour que ce soit rapide, et ses doigts frappent une fois sur deux les mauvaises touches. l’alcool n’aidant pas, aesop va recevoir un message tout à fait cryptique.

elle range le téléphone quand la deuxième commande est passée et que la pinte arrive devant ses yeux bleus.

“merciii !!! t’es vraiment trooop sympa pour un s… un serpent !” les mots sont de plus en plus inintelligibles. “j‘suis presque contente de pas t’avoir bouffé !”

prédatrice le restera jusqu’au bout. elle affiche un sourire carnassier. elle a beau être bourrée et passer un bon moment, elle apprécie toujours terroriser les autres.

“eh, viens, selfiiiiiie !”

elle attrape shun par la manche pour le tirer contre elle. elle sort son téléphone et allume l’appareil photo pour venir les prendre tous les deux en un selfie un peu surprise. elle ne l’enverrai pas à aesop ce soir, ça serait trop compliqué. mais c’est au cas où elle ait besoin de lui montrer, de justifier, ou simplement pour être sûre que demain en se relevant, le fameux serpent ne soit pas juste une hallucination de son esprit trop déchiré.

le selfie est pris. c’est mi-impulsif, mi-réfléchi. enfin, c’est majoritairement pour être sûre qu’elle n’a pas halluciné au cas où aesop aurait des questions. ça l’emmerderait de le décevoir encore. d’ailleurs, elle a sentit son téléphone vibrer, elle regardera après.

“aaah bahhh, vous les serp-serpents vous êtes vicieux… hic. mais c’vrai qu’j’mériiiite ! merci de le… RECONNAÎTRE !”

spécisme assumé. sasha croit en les prédateurs mais elle croit surtout en son espèce, en elle. elle croit en la chaîne alimentaire et n’a pas le temps de songer à une quelconque égalité des âmes. c’est trop de travail. elle laisse ça au bout samaritain, aux prêtres et prêtresses qui prônent l’amour et la paix.

sasha ne frissonne pas quand la main passe dans son dos. elle est trop ivre pour s’en rendre compte ou pour être gênée. elle n’est de toute façon jamais gênée. tactile et brute de décoffrage.

“euuuh, j’pense j’vais rester là. la soirée n’fait que euh, commencez !!!”

si sasha était intelligente, elle aurait dit non pour ne pas donner son adresse à un homme qu’elle vient de rencontrer. hélas, si sasha refuse c’est parce qu’elle est déterminée à continuer de festoyer, aucunement par sagacité.

“alleeez bisouuuuus et merci pour les ver… verres !” elle le frappe dans le dos en riant d’un rire un peu grotesque. “bonne chance pour r’trouver ‘sop, si j’sais des trucs et qu’tu repasses ici j’te diraaaiiii.”

et puis sasha s’arrête un instant. elle penche la tête sur le côté, étire ses lippes assoiffées.

“sauf si cette fois j’décide de te man-ger.”

avant de rire encore comme une vraie hyène.
ça l’amuse beaucoup de jouer les prédateurs.

elle salue une ultime fois le reptile avant de disparaître pour rejoindre les vieux copains, ces gros bras qui surveillaient dans l'ombre ce qui se passait. on aime pas trop les inconnus, ici-bas. elle en profite pour répondre au message d'aesop et son étrange emoji parapluie qu'elle ne comprends pas.
cette nuit, elle fera la fête jusqu'au petit matin.