elle sourit.
elle sourit de toutes ses dents. elle ne voit plus les lumières au-dessus de son crâne, ni les tâches de sang sur son corps. il n’y a que son adversaire qui existe encore. c’est un jeune homme, d’à peu près son âge, ou peut-être un peu plus jeune. c’est une genette, petit carnivore pour la plupart des animas, certes, mais contrairement à sasha, cet animal fait le double de sa taille. le corps d’une mangouste fait une trentaine de centimètres, de même pour la queue. le corps de la genette, lui seul, en fait soixante.

c’est parfait.
c’est vraiment parfait.
sasha préfère gagner contre plus grand, plus fort, plus féroce qu’elle.
il n’y a pas de vraie victoire sans risque, de gloire sans péril. elle n’y pense pas encore, le corps et l’esprit concentré sur son combat, mais quand elle aura gagné (car elle va forcément gagner), elle a hâte d’être acclamée par la foule et les parieurs. elle n’attend qu’à augmenter sa prime, sa notoriété, et sa rage de vivre.

la genette commence à faiblir sous les coups de sasha. elle est peut-être plus grosse, plus forte, mais sasha est rapide, précise, et surtout c’est une vraie furie. le jeune homme l’avait sous estimé au début du combat, mais manque de bol:
sasha frappe plus fort quand on la sous-estime.

elle reste sous forme humaine en majorité, seule les griffes et le visage sont transformés afin de blesser plus fort, plus profondément. on ne frappe plus, on déchiquète. mais au dernier moment, pour éviter un combat, sasha se transforme complètement. petite mangouste sautille dans tous les sens et se faufile dans le dos du combattant. elle reprend une forme humaine afin de maximiser son poids. une mangouste ne pèse pas bien lourd. elle écrase le dos, le corps, de la pauvre genette qui se retransforme trop tard. le museau de sasha est toujours animal et elle vient planter ses crocs dans son épaule. elle n'a pas viser la jugulaire car elle n'est pas là pour tuer.
mais elle aurait pu.

le jeune homme s'étale au sol et sasha, de nouveau totalement humaine et nue dans l'arène, pousse un hurlement de vainqueur. les bras écartés et la tête relevée vers les gradins, elle savoure sa victoire en criant comme une sauce, l'air de dire:
regardez-moi bien.

déclarée gagnante sans trop de débat par l'arbitre du match, sasha récupére ses vêtements et s'éclipse de l'arène pour remonter et profiter de sa victoire. elle a soif, après un tel combat. elle a surtout envie de faire disparaitre le goût du sang. ça ne la gène pas, mais elle préfère celui du houblon.

une fois en haut, elle cherche du regard quelques copains, des compagnons de beuveries, n'importe qui qui viendrait flatter son égo et lui payer un verre. ça fonctionne: en cinq minute, elle est déjà au bar avec deux hommes et une femme: deux parieurs satisfait et un collègue combattant. elle s'offre une pinte de blonde qu'elle entame joyeusement quand son regard se pose sur une silhouette familière.

il ne lui faut pas longtemps pour être curieuse. sasha à la concentration d'un enfant de cinq ans. elle abandonne ses convives du moment (non sans filer avec son verre) pour s'approcher à la va vite de l'homme.

“aesop !! t'es venu me voir ce soir ? alors j'étais comment ? ça t'a impressionné hein ? tu peux l'avouer, je sais tout…”

elle ricane, un peu mielleuse car de bonne humeur, la tête encore en effervescence après son combat. elle s'est laissée tomber sur le banc, à côté de lui, la tête qui vient s'approcher de l'homme, comme un enfant trop facile qui quémanderai une étreinte.

“bizarre tes fringues ce soir. t'as changé de st…”

elle ne finit pas sa phrase parce qu'elle a enfin prit le temps d'humeur l'odeur de l'homme.
ce n’est pas aesop.

“...t'es qui ?”

elle a soudain la voix sèche, placide, cruelle.
car l'odeur qu'elle sent est serpentine et,
petite mangouste raffole des reptiles.
pire que ça, elle sort d'un combat sanglant.
son instinct et toujours à vif.

elle le sent. elle le capte.
il y a le frisson chez l’opposant, la peur qui se loge dans le creu du ventre, l’instinct qui intime la fuite. sasha a l’ascendant parce qu’elle est mangouste et qu’il est serpent. sasha a l’ascendant parce qu’elle est combattante et lui n’est qu’au mieux un nouveau client. la fosse, c’est son territoire. l’arène, son terrain de jeu. elle vient de passer à quelques centimètres d’égorger un type avec ses crocs.
n’importe qui aurait peur d’elle.

et elle en profite.
elle aime ce sentiment. comme un truc à compenser. parce que des prédateurs elle est finalement la plus petite. elle aurait aimé être un lion ou un tigre, mais le destin à voulu qu’elle soit mangouste. ce n’est pas grave. elle bouffera le monde quand même et terrassera tout le monde de ses poings affutés.

l’homme fuit, mais sasha a décidé d’être chiante, ce soir. elle a envie de faire mal. envie de dominer. envie de gagner. alors elle prend un ton mielleux, carnassier:

“mhhhhh…. ouais, nan, t’as l’air d’avoir jamais foutu les pieds ici… fais attention… c’pas pour les tapettes cet endroit… faudra pas finir par se faire… dévorer.”

elle a les lippes qui s’étirent. elle aime bien faire peur, elle aime bien faire la meuf qui s’y connaît alors qu’au fond, elle n’est qu’une gamine paumée comme une autre. mais elle s’en fou, elle s’en moque. elle oublie.

et puis.
le nom sort.

“gneuh ?” elle reste interloquée une seconde. se met à réfléchir. “kinkle ? euuuh…” suffisamment pour que le masque tombe et que sasha ait plus l’air tête en l’air que prédatrice. “j’connais un aesop mais je sais plus c’est quoi son nom…peut-être que c’est ça… peut-être pas… hmmm…”

elle l’a su il y a cinq ans, probablement. mais elle ne l’a jamais noté dans ses contacts. comme elle n’est pas sur les réseaux sociaux de l’intranet, elle a vite oublié qu’elle nom le coyote portrait. pour elle, il est aesop. le sauveur. le mentor. le grand frère.

“eh, attends.”

la main part sur l’épaule du type pour qu’il retourne son regard en sa direction. elle a agit sans réfléchir, l’a interpellé par réflexe. il a éveillé sa curiosité, il ne vas pas partir comme ça.

“tu cherches qui ? t’es qui ?”

la dernière question revient à la charge. sasha se dit que pour un type qui ressemble au coyote et qui cherche quelqu’un portant le même prénom, cela fait un peu trop de coïncidences. pire que ça, le serpent était peut-être un membre de la mafia venu s’en prendre à son mentor ? un réglement de compte, un vol de tableau, une dette impayée.. les scénarios catastrophes défilent dans sa tête et les yeux de la blonde brillent d’un air amusé.  il est du devoir de sasha de l’en empêcher et de protéger l’amateur d’art, n’est-ce pas ?

sasha n’est pas vraiment concentré, pas vraiment sobre pour vraiment comprendre ce qu’il se passe devant elle. de toute manière, même en temps normal, elle n’a probablement pas l’intelligence nécessaire pour comprendre ces jeux de messes-basses et de masques. alors tant pis, elle se contente de ricaner et d’arborer un regard un peu menaçant, pour faire peur au serpent.

“ouais, ça j’ai bien compris, j’suis pas conne non plus.” étrangement, ça ne la vexe pas. elle a même plutôt l’air d’en rire. probablement parce qu’elle sait qu’elle a l’ascendant sur l’âme animale. ça lui donne une force viscérale, une envie de dominer, de faire mal. “mais tu vois, il y a plusieurs raison de pourquoi le chercher… moi si tu cherches vraiment l’aesop que je connais, ça me ferait un peu chier que tu lui voulais du mal… tu comprends ? tu sais ici, un drame est vite arrivé…”

les yeux brillent, cruels. elle s’amuse sasha, mais si l’homme est attentif, il remarquera qu’elle est plus sérieuse qu’il n’y paraît. du fond de son cœur, sasha ne laissera personne faire du mal au coyote.

et puis la photo glisse devant ses yeux. c’est bref, c’est timide et prude, comme si l’homme n’osait pas vraiment en montrer plus. mais c’était suffisamment long pour que sasha ait capté la silhouette, le visage enfantin de deux petits garçons. et sasha, elle n’est finalement pas si bête que ça. elle croit reconnaître aesop, son aesop. et même si son interlocuteur à le visage et le corps camouflés dans de larges couches de tissus, elle commence à comprendre ce qui se profile à l’horizon.

et ça ne lui plaît pas du tout.

sasha n’est plus sur ses gardes parce qu’elle a peur qu’on veuille faire la peau à son mentor, que la mafia a décidé de l’évincer ou qu’il ait des comptes à régler. non, sasha commence à flipper parce qu’elle a l’impression que quelqu’un d’important aux yeux du coyote est en train de refaire surface dans sa vie. quelque chose qu’elle perçoit comme un ami d’enfance, un frère peut-être.
et ça lui fait.
peur.
sans qu’elle ne comprenne.

parce que sasha finalement,
elle est juste terrifiée à l’idée d’être remplacée.
alors elle ne sait plus si elle a envie de l’aider.

les doutes sont achevés quand il mentionne l’âme d’aesop. un aesop coyote, à lunapolis, il n’y en a pas des tonnes. la tactique du serpent pour la faire aller voir ailleurs aurait pu marcher, mais sasha est désormais contaminée par cette curiosité morbide mélangée à l’envie. la jalousie qui se confond à l’envie d’en savoir plus.
alors sèchement, elle lâche:

“hm. ouais… peut-être… mais ton aesop là, ton coyote… j’crois bien que je le connais. grand, voix grave, cheveux bruns long avec des reflets plus clairs… mouais, ça correspond à la photo.  j’ai même son numéro, si tu veux tout savoir. sauf que je sais toujours pas qui t’es et ce que tu lui veux. si tu m’donnes une bonne raison et si je suis sûre que tu le vois pas du mal, j’aviserai peut-être… parce que tu vois, cet aesop, c’est un mec à qui je tiens.”

et voilà, c’est dit.
c’est un peu menaçant aussi.
au cas où, pour être sûre.
pour vérifier.
elle espère de tout coeur que ce n’est pas un frère caché.
mais bien à mafieux qui lui veut du mal.
comme ça elle aura une bonne raison de le tabasser.
et elle n’aura plus peur de perdre sa place de protégée.

elle a fait la maline les cinq premières minutes. elle s'est voulu menaçante, impressionnante. elle a gonflé ses poumons de toute sa violence, bombé le torse pour paraître plus grande.ça a fonctionné parce que sainte haklyone lui a donné l’âme du prédateur, ça a fonctionné parce qu’elle sortait d’un combat à la brutalité exacerbés, parce qu’elle avait un coup dans le nez.
mais ça ne prend plus. les braises de l’incendie promise se sont éteintes parce que sasha, elle a beau frapper toujours plus fort, sortir les crocs et rire face à l’enfer; contre quelqu’un de plus intelligent et de plus mâlin qu’elle, elle ne peut rien faire si ce n’est céder à la colère.

sauf que sasha n’est pas énervée. sasha ne compte pas sauter à la gorge de l’homme ni même le manger. alors doucement, elle se laisse embobiner. elle rendre dans son jeu, dans sa danse. elle perd l’ascendant du danger pour finir par se faire charmer.

“euuuh… ah ! bah oui !” éclaircie dans ses yeux, comme si elle venait d’avoir une idée. “je suis sa garde du corps !!”

c’est plutôt faux, mais pas totalement. c’est ce que sasha a décidé d’être pour la soirée, bien qu’en réalité, si le coyote avait un jour des ennuis elle serait la première à accourir. il dira non, probablement, mais sasha n'écoutera pas. c’est juste que ça la fait marrer de dire ça ce soir, de se dire aussi forte pour assurer la protection d’un homme qui n’en a pas besoin. et puis, c’est pour impressionner l’autre reptile, lui signifier qu’elle est sérieuse et dangereuse, qu’elle ne le laissera pas approcher d’aesop sans une véritable bonne raison.

“shun… okay je note.”

elle aura probablement oublié le lendemain après quelques verres. et puis le serpent lui propose d’aller boire un verre. les sentiments négatifs de sasha s’envolent d’un coup. elle ne refuse jamais un verre qu’on lui paye:

“OKAY DEAL !” dit-elle en hurlant d'enthousiasme, un peu trop vite, un peu trop fort. tactile, elle saisit la main de l’autre pour la secouer en signe de ce nouvel accord. “mais je veux un gros verre hein !!”

elle court alors au bar, souriant au barman du soir. tout le monde se connaît ici. depuis le temps que les mêmes visages traînent. dans la fosse, beaucoup rentrent et peu en sortent. les exceptions sont rares, la majorité sont souvent rattrapés par la mort..

“j’veux une pinte de blonde la plus forte !” regard vers le serpent, tout sourire. sa bonne humeur est revenue, toujours un peu malicieuse, un peu malsaine, un peu effrayante… mais avec beaucoup moins d’animosité. “bon du coup shuuuun, tu fais quoi dans la vie ?”

on revient à la question de base:
t’es qui ?
parce que dans le fond de son coeur, tapit dans l'ombre, les sombres sentiments n'ont pas totalement disparus. ils attendent leur heure pour revenir frapper, amers et insidieux, ses doutes et sa légitimité.

comme si tous ses problèmes pouvaient être réglés dans une chope de bière. comme si se noyer dans  l’ivresse lui permettait d’oublier la vie réelle.  sasha, elle boit des verres en trop pour se sentir un peu moins. sasha, elle s’abandonne dans l’alcool pour rendre tolérable la douleur. celle de vivre dans brise-coeur, d’exister que par la fosse. d’être ce qu’elle est, définie par sa violence ses échecs et ses espoirs.

alors elle trinque avec plaisir, le sourire aux lèvres. comme si ce n’était pas grave. comme si rien n’était grave. comme si tout pouvait être réglé par un peu de houblon et deux trois lenss. parce que sasha a toutes les raisons du monde d’aller mal mais qu’elle arrive tout de même à être heureuse, à rire, à être joyeuse. parce que face à la misère de son monde, elle se lève dans son insolence et réplique. parce que sa bêtise et sa stupidité soulagent. parce que c’est plus simple de vivre dans sa bulle de dénie.

“yay !” le verre monte en l’air pour trinquer avec le soda de l’autre. “à ma victoire !!”

parce qu’il n’y a que son petit nombril qui compte. elle porte le verre à ses lèvres et se délecte de la première gorgée. à la fin de celui-ci, il est sûr qu’elle sera vraiment ivre. mais elle a encore le temps, la mangouste a un petit gabarit et une petite descente.

“ah, ça, je suis bien d’accord ! les combats dans la fosse y’a rien de plus spectaculaire. surtout les miens !! t’as grave raison !”

il la brosse dans le sens du poil et elle ne remarque rien. elle oublie déjà qu’il bosse dans les ordinateurs ou l’informatique. elle s’en fou. elle a juste retenue qu’il l’a flatté, qu’il a parlé de ses combats, et il n’y a que ça qui compte à ses yeux. petite blondinette au centre de son monde.

“ah, bah. oui. il a fait beaucoup pour moi aesop.” elle reprend une gorgée en pensant au passé. sans encore trop réaliser. parce qu’elle entends sans écouter. “bah, évidemment qu’il m’estime ! je suis la meille…”

et puis elle réalise.
elle réalise qu’il n’a jamais dit aesop.
qu’il n’a jamais dit le coyote.
mais bien mon frère.

“... attends, quoi ?”

le visage de sasha pivote pour venir planter ses yeux dans ceux de shun. il a dit mon frère, c’est bien ce qu’il a dit ? il l’a dit deux fois. c’est quoi ses conneries. c’est qui ? c’est vraiment son frère ? est-ce qu’elle doit avoir peur ? se sentir menacé ?

tout se bouscule dans sa caboche alors sasha, le verre à la main qu’elle sert un peu plus, reste figée. elle qui ne s’arrête jamais de bouger, il n’y a bien que dans la surprise et l’incrédulité qu’elle s’arrête. ou quand elle réfléchit vraiment. peut-être parce que ça surprend son cerveau de se mettre à cogiter. elle n’a pas vraiment l’habitude.

“t’es… t’es le frangin d’aesop ?! il m’a dit qu’il en avait plein avant, mais  j’ai pas trop compris. c’est quoi ce foutoir ? c’pour ça que tu le cherches ??? il m’a jamais parlé de toi, shun.”

le prénom est mentionné au cas où pour repousser. pour lui dire qu’il peut s’aventurer là s’il le souhaite, mais qu’il n’a jamais existé entre aesop et sasha. qu’il n’a jamais rien dit. qu’il ne compte pas, ou en tout cas, qu’il compte moins qu’elle.
il l’avait dit, au renard rouge, la dernière fois:
il n’y a que elle à qui il doit faire un minimum attention.

“c’est un truc de ouf !! vous vous connaissez d’où ? fin, comment ça c’est ton frère ? parce que c’est louche quand même hein.. mais… genre vas-y raconte !!! …pas que ça m'intéresse c’est juste pour protéger aesop et vérifier que t’es pas un gros mytho… mais… vas-y balance les bails, par sainte haklyone !”

l’alcool fait effet. sasha s’enflamme. elle parle un peu plus fort, un peu plus vite. elle quitte son rôle de garde du corps parce qu’elle est sincèrement étonnée par cette histoire, même si elle a envie de jouer les casse-pieds. alors elle oscille entre menace et étonnement sincère, entre méfiance et curiosité.