elle s’était réveillée tard, ce matin. ou plutôt tôt, si on considérait qu’il était déjà l’après-midi quand la mangouste avait ouvert les yeux. la gueule de bois faisait ravage, la gorge était sèche et la bouche pâteuse. elle avait attrapée la bouteille d’eau qui traînait par terre pour se donner un remontant, avant de sortir du lit pour prendre une douche.

la veille, elle avait festoyer jusque tard, sous prétexte que c’était son anniversaire. ce n’était pas un prétexte. à minuit pile, sasha avait gueulé dans tous le bar à qui voulait bien l’entendre qu’elle avait vingt-cinq ans, l’âge de la raison, le début de son règne. les gros bras avec qui elle sortait avait l’habitude, mais cette-fois, ils lui avaient payé quelques tournée sans rechigner.
après tout, on a pas tous les jours un quart de siècle.

elle était rentrée à 3h, 4h du matin peut-être. c’était flou. tout ce qu’elle savait c’était qu’il faisait nuit depuis longtemps et que le monde tournait bizarrement. il est dix-sept heures passées quand sasha sort de sa douche trop longue, la fumée et la buée ayant envahi tout son petit appartement.
elle s’effondre sur son lit, check son téléphone déchargé pour vérifier si elle a un seul message d’anniversaire. mais comme d’habitude, comme chaque année, il n’y a pas grand monde pour le lui souhaiter. bo-ra et wren ne sont plus là, sam était là hier soir… il n’y a bien qu’errilys et aesop pour y penser, quand ils ne sont pas occupés.

ça la rend un peu triste, dans le fond, tout ça.
même si au bout de dix-ans, on finit par s’y habituer.
l’absence d’un père et d’un cadeau d’anniversaire.

et puis, le téléphone sonne.
shoot d’adrénaline directement au cerveau, la blonde se précipite sur la notification. mais le retour à la réalité est violent quand elle découvre le sms de sa patronne qui la convoque ce soir, à 20h30, à arc-en-terre. la mangouste grommèle. vu son état lamentable à cause de la mine d’hier, elle se demande bien comment elle va pouvoir travailler ce soir.
mais les ordres d’irina sont non-négociables alors sasha se hâte à se changer (car madame alekseeva à spécifier un dress-code bien précis) avant de sortir dehors en courant pour ne pas manquer la prochaine navette. entre lunapolis et ithloreas, il faut tout de même compter une heure trente de trajet.
sasha sait qu’elle ne doit pas être en retard.

par chance, elle est à l’heure. elle n’a pas vu le temps passer, elle s’est reposée sur les bancs de la navette, de la musique dans les oreilles. mais en sortant de la station, il lui reste moins de dix minutes pour rejoindre l’archange, alors elle court. elle court de toute ses forces, comme elle peut. plus lente que d’habitude entre la gueule de bois et ses vêtements qui l’entravent.
vêtue d’un pantalon de tailleur noir et d’une veste blazer par dessus une chemise blanche, ça lui bloque l’amplitude de ses mouvements. elle déteste ça. il n’y a bien que la paire de baskets noires qui sauvent sa tenue de ce soir. néanmoins, les ordres sont les ordres.

elle arrive devant sa patronne, toute essoufflée, qui l’accueille d’un sourire doux et d’une caresse. sasha cligne des yeux, rougit un peu, mais se reprend et vient se tenir bien droite, au rapport.

“b…bonsoir !!”

courir après une cuite n’a jamais été une véritable bonne idée.
une fois la respiration tranquillisée et le corps un peu plus solide, sasha contemple sa patronne. elle est jolie aujourd’hui, irina. encore plus que d’habitude. à côté, dans ce costume qu’elle lui a prêté et dont elle n’a pas l’habitude de portée, sasha à l’air d’être sa garde du corps chic. ça tombe bien, c’est ce pourquoi elle est payée. même si pour l’aspect chic, il faudra repasser.

“vous allez bien ?  vous êtes super jolie ce soir ! c’est quoi l’taff du jour ?”

parce qu’elle est bien là pour une raison.

irina s’approche de la mangouste. sasha se fige, frémit au contact du souffle de sa patrone. ça fait un peu plus d’un an, mais sasha ne s’est toujours pas habituée au regard implacable de la roses et ombre. irina dégage ce charme et cette grâce que même quelqu’un comme sasha est capable de percevoir. sasha le sait, sasha le sent: elles ne font pas partie du même monde.

“oui… ça vaaaa. disons que j’ai profité de ma soirée hier ! on a fait la fête avec les gens de la fosse, on est sortie au bar après, c'était cool.”

elle ricane en repensant aux souvenirs de la veille. profiter est le bon terme.

“euh… hein ?”

elle cligne des yeux, surprise par la déclaration. ça ne s’imprime pas tout de suite dans son esprit brumeux. comment ça, restaurant ? et puis, au bout de quelques secondes, elle comprend. son visage s’illumine de surprise, elle rougit un peu, toute contente.

“sérieux ???”

elle a envie de crier de joie, elle a poussé un petit cri mais elle s’est vite rattrapée, les mains devant la bouche, pour rester professionnelle. elle est avec madame alekseeva, après tout. il faut rester digne et stoïque. du moins, elle essaye. la bonne humeur est revenue d’un coup, c’est contagieux et sasha a du mal à se contenir.

“comment vous savez que c’est mon anniversaire ?!”

elle est choquée, sasha. choquée mais agréablement surprise. elle se demande bien comment madame irina est au courant, mais elle se rappelle vite que la pieuvre est toujours au courant de tout. ça la fait blêmir un peu, mais elle oublie vite à quel point irina est impressionnante en entrant dans l’archange. c’est la première fois qu’elle y va. la salle est magnifique. les moulures au plafond, les couverts en argent, les tables décorées… c’est grandiose. et en plus, elles sont seules. la salle est privatisée juste pour elles deux. elle n’a jamais connu ça, sasha.

les deux femmes s’installent. un serveur tout apprêté vient s’occuper d’elle et leur demander ce qu’elles veulent boire. sasha comprend dans le regard de sa patronne qu’elle peut commander ce qu’elle veut. elle n’y croit pas ses yeux. elle contemple la carte de plat et de boissons trop cher et finalement… elle se décide:

“du champagne !!”

elle est habituée à la bière parce que c’est pas cher, ou la vodka parce que ça tape suffisamment fort pour tenir la nuit. le champagne, c’est chic. elle pourra se la frimer à la fosse. c’est pas tous les jours qu’une combattante déguste une flûte d’un breuvage aussi cher.
et puis, ça chassera sa gueule de bois de la veille. il faut combattre le mal par le mal.

“merci euh… pour l’invitation au restaurant ! c’est super gentil.” c’est sincère. elle a une boule de chaleur dans le creux du ventre. une reconnaissance étrange. ça lui fait plaisir. “vous vouliez me parler de quoi ?”

parce qu’elle l’a entendu, irina est là pour faire le point.