le silence est épouventail, il fait peur à ton jardin
- D’accord. A la viande alors... On rajoutera quelques légumes pour que tu puisses goûter.
Sasha est un peu comme un enfant des fois, à refuser de manger ci, à ne pas accepter de manger ça, mais elle n’a même pas goûté. Alors ça l’amuse un peu dans le fond Bo-Ra : parce qu’elle a renoncé à se prendre la tête avec ce genre de chose. Les éventualités sont écloses. Elle aurait pu continuer de ne manger que le fruit de la chasse, mais la soupe est la seule chaleur qu'elle daigne accepter : elle ne lasse plus des potasses. - J’ai abandonné tout le monde Sasha, pas parce que je les déteste, mais parce que vous m’auriez retenue…
Rejoindre son frère a peut-être été une éventualité : Bo-Ra a perdu comme elle a gagné. Ce soir là, la foule a scandé son nom quand la nuque a craqué, mais pourtant elle n’a pas eu l’infime sentiment de victoire comme dans le passé. De la fosse elle s’était lassée, pas des humains qui y logeaient. Alors que son visage carmin n’avait connu que le goût du fer, de la douleur, des crocs et des poings, elle n’a pas emprunté les avis : elle a pris la fuite pour tenter de reconstruire sa vie.
- euh… oui ça va.
Sa vie, elle ne sait pas si elle est plus belle aujourd’hui. Elle a perdu son frère. Elle a abandonné leurs amis. Elle a tout balayé, tous les souvenir et les jolis objets. Elle a oublié la valeur du passé pour en mettre au présent, mais dans les brides de ses pensées, entre les lignes : il n’y a de la place que pour les absents.
Dans sa cabane isolée, il n’y pas la chaleur qu’elle aimerait retrouver. Il n’y a que la singularité des meubles seuls, des murs totalement neutres et sans intérêt, il n’y a que les armes et les équipements qui traînent pour les revendre aux titularisés des permis. La forêt est belle, la forêt est jolie, mais elle ne rend pas toujours les jours plus méritant. Elle ne redonne pas le goût de la vie. Son état mental se conjugue avec des sautes d’humeur des insomnies. La forêt est belle, elle est calme, elle est jolie, mais elle tue pour qu’elle remplisse l’ambiance de ces cris : les cris des proies à l’agonie.
Le calme elle le cherche, mais elle ne le supporte pas. Bo-Ra, elle n’est que bonne à tout faire chavirer. Elle n’est que douée quand ses orages viennent défouler des rages accumulées, elle n’est que douée quand il faut cogner : elle n’aime que la symphonie des éclairs, la musique de ses fracassantes colères.
Au fond, elle ne sait pas si tout cela est vrai, mais elle ne veut pas revenir à la fosse si ce n’est pour tuer le coupable de ses élégies. Il vaut mieux prétendre que tout va bien dans la vie, faire semblant de rien plutôt que d’admettre que les soucis sont incrustées dans les gencives à vif. Bo-Ra, elle regarde Sasha et n’ose lui demander que :
- Et toi ? Tu es heureuse Sasha ?
Là-Bas. Dans la fosse où je ne retournerai pas.
Sasha a finalement ce qu’elle est venue chercher et la main de la panthère épouse son épaule quand son dos lui est exposé. Sasha est déjà t-elle tant lassée de sa présence ? Ou tente t-elle de se venger de ces quelques mois d’absence ? Ses griffes se referment sur son épaule pour la retenir tandis qu’elle avance d’un pas pour lui demander.
le silence est épouvantail ft. bo-ra- serre ambrosia - avril 2099
elle hoche la tête, soulagée que le mot viande ne soit pas rayé de son régime alimentaire. elle peut bien supporter quelques légumes, la mangoustes, tant que le morceau de barback suit derrière.
derrière il y a les excuses. celles qui sont classiques, comme quoi ce n’est pas sasha mais bo-ra, comme quoi c’est juste comme ça. sasha ne sait pas quoi répondre, la bile est amère dans la bouche. elle a sans doute raison, bo-ra, sasha les autres l’auraient retenue. pourtant, sasha, ça ne lui va pas. elle a l’impression qu’on décide à sa place et que c’est de sa faute. l’amertume se transforme en culpabilité et en incompréhension. alors elle fronce les sourcils.
“ouais, peut-être… mais ça ne t’a jamais empêché de faire ce que tu voulais, non ? tu as toujours été la plus forte.”
bo-ra, c’était son idole. bo-ra, elle ouvrit la voix de sa simple présence. bo-ra, elle semblait pouvoir toucher les étoiles. alors sasha, elle est sûre que malgré les cris et les supplices, bo-ra serait partie quand même.
“t’aurais quand même pu nous en parler… au moins nous confronter.”
le regard est, inquisiteur. l’air de dire, que c’était lâche.
mais sasha secoue la tête. bo-ra est bien l’une des seules à qui elle n’oserait le prononcer tout haut. une des seules aussi à qui elle ne peut en vouloir bien longtemps. après tout, elle était de retour, elle était en vie, et elle l’aimait toujours. sasha avait connu pire.
“bah ! j'dirai pas aux autres que je t’ai revu si tu veux pas !”
elle tente de lui sourire comme elle peut, c’est sa manière à elle de dire qu’elle lui pardonne un peu. et puis, bo-ra l’a dit: elle est heureuse. ou du moins, elle le croit. sasha, ça la fait frémir d’entendre ça. peut-être qu’elle aurait aimé qu’elle lui dise que non, qu’elle lui dise qu’elle voulait rentrer avec elle. mais non, sasha va faire demi-tour et quitter la serre seule.
“moi ?” regard interloqué. elle ne s’attendait pas à ce qu’on lui retourne la question. elle cligne des yeux une fois ou deux, puis fronce les sourcils. “bah oui pourquoi ? tu sais moi ça va toujours !!!” mensonge. mais sasha préfère oublier tous les genoux à terre. “je mange des burger avec kaien même si c’est un gros naze, parfois on va au bar avec errilys, j’mate des films et j’commence a avoir une sacrée culture ! et irina est gentille même si elle fait peur des fois. bref, j’ai un toit, un salaire et j’m’amuse bien. la vie de rêve, non ?”
elle a compté sur ses doigts tous les avantages, s’est perdue dans le décompte. elle a les yeux qui brillent et le sourire grand comme le cœur. sasha, elle n’a jamais été aussi bien. mais ce que la mangouste ne sait pas, c’est que ses repères ne sont peut-être pas les bons, et qu’avant, ça a tellement été la galère et la misère, que maintenant elle se croit au sommet du luxe.
“m’enfin, c’était quand même un peu triste sans toi… je suis contente de savoir que tu vas bien et que… tu es heureuse.”
les derniers mots sont hésitants mais sasha ne fera pas de vague aujourd’hui. il faut qu’elle prenne le temps de se rendre compte que bo-ra n’est pas morte ou disparue, de prendre le temps de digérer.
de toute façon, il est temps de partir.
et puis. la patte de bo-ra s’abat sur son épaule comme pour la retenir. sasha se tourne un peu surprise. et les yeux s’illuminent.
“jure ? c’est vrai ?! tu veux pas que je disparaisse de ta vie ???”
il n’a jamais été question de cela, bo-ra n’a jamais prononcé de telle parole, mais sasha a déjà oublié, remodelé la réalité comme elle l’a perçue, ressentie. les émotions à fleur de peau et les larmes qui ont creusé les joues rondes. dans un dernier réflexe de joie, elle enlace à nouveau la panthère en essayant cette fois-ci de ne pas écraser ses légumes.
“j’suis contente que tu sois vivante quand même.”
dernière confession contre la poitrine avant de relâcher définitivement l’ancienne combattante. les numéros sont échangés et comme une éclaircie après la pluie, sasha repart le coeur un peu plus léger.
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