Dans ce monde vide.
Emplis de cris.
Teintant de bruits.
Il y a un intrus. Qui tente de se frayer un chemin. Un intrus. Qui cherche avidement une attention toute particulière. Un intrus. Qui ne sait peut être pas que tu n'es pas homme à jouer. Le cache-cache dissimulé dans des mots. Égarés dans ta boîte aux lettres. Qui ne cessent jamais d'arriver. Tu n'as pas envie de te fatiguer à le chercher, Kaien. Mais tu ne peux jamais l'ignorer. Ne cessant de te questionner.
Sur qui il est.

Parce qu'il sait tout.
Il est là à chaque combat.
Regardant depuis le sommet.
Ce que tu deviens.
Sans jamais s'annoncer enfin. Il ne laissait que des mots. Pour conter tes exploits pathétiques et ta gueule en sang. Ta rage désespérée et ta haine muette de toi-même. Il ne laissait que des mots sur un bout de papier. Que tu froissais parfois sans même regarder. Parce que ça ne changeait rien. Si ce n'est cette impression quasiment oppressante d'être vu en permanence. Si tu n'étais pas homme de combat, tu aurais pu prendre peur. Te demander quand est-ce que tu le retrouverais chez toi. Attendant patiemment pour te poignarder ou qui sait. Mais tu sais bien, Kaien, qu'il faut être fou pour débarquer dans ton monde.
Il ne le fera pas.

Jusqu'à ces quelques mots.
Cette heure et ce lieu.
Ce jour et cette demande silencieuse.
Il souhaite te voir.
Te rencontrer face à face. Il souhaite sortir de son ombre. Du trou dans lequel il ne fait que t'observer. À présent, il veut te parler. Te confronter. Et il sait sûrement comment tout ceci va se passer. Il sait sûrement comment tu vas réagir. Ce que tu penses de lui. De tout ceci. Un putain de taré qui te suit. Comme n'importe qui le penserait. Et tu ne t'attendais à rien. Car les fous n'ont jamais la tronche qu'on leur imaginerait. Tu ne t'attendais à rien et pourtant... tu es quand même déçu lorsque tu le vois. Ce n'est pas une grande surprise. Avançant jusqu'à sa table. Le regard presque noir. Déjà fatigué avant de lui avoir parlé. Déjà éreinté avant de l'avoir cogné. Comme si tu n'avais déjà pas assez de malades dans ta vie.

« J'peux savoir qui tu es au juste ? Ou pour quelle merde est-ce que tu m'as demandé d'venir ? » qu'est-ce que tu crains. Rien. Alors tu te laisses tomber lourdement sur la chaise face à lui. Détaillant cet homme qui te laisse des mots depuis un moment maintenant. En te demandant pourquoi. Pourquoi tu le fascines tant. « J'vais pas péter un câble si ça peut t'rassurer, par contre t'es un putain d'malade tu le savais ? C'est quoi ton problème avec moi ? » tu soupires. Même tes mots se voudraient durs alors que ta voix résonne usée.
Pourquoi tu dois perdre ton temps ici.
Zieutant le verre, refusant d'y toucher.

On ne sait jamais.
Il te suit.
Sait où tu habites.
Il croit vraiment pouvoir t'offrir un verre... sérieusement.

Des yeux acérés.
Ils ne cessent de t'analyser.
Comme au premier jour.
Peut-être bien depuis la première fois.
Renforçant ce sentiment de malaise. Renforçant cette idée que l'on se fait de lui. En à peine quelques minutes. Alors que cela fait d'innombrables bouts de papier que tu le « connais ». Il y a ce sentiment dérangeant. Dans ce regard assidu qu'il laisse traîner. Observant le moindre fait et gestes. Sa présence est étouffante. Ses mots plus encore. Un admirateur. Juste cela. Alors pourquoi. Pourquoi ne pas rester terrer dans son coin. Sans jamais t'approcher. Sans jamais te déranger. Pourquoi venir te trouver. Quand il sait déjà que vous n'avez rien en commun.

Pourquoi est-il là.
Devant toi.
Et pourquoi toi.
Tu es venu le rejoindre.
Pour assouvir ton désir de savoir. De mettre un visage sur la personne qui suit tes pas. Voilé dans ton ombre. Pour ne te parler que de toi. Il n'y a rien de décent là-dedans. Rien de parfaitement normal. « D'jà j'ai jamais dit que j'allais boire avec toi pour commencer, ni même rester là à taper la causette pendant cent quarante ans. » il te faut poser les bases, Kaien. Pour ne pas te laisser submerger. Pour qu'il ne puisse pas entrer dans ton monde. Pour l'instant, il se tient dehors. Devant ta porte d'entrée. Tu ne peux pas le laisser poser un pied à l'intérieur de chez toi. Parce qu'après cela, tu ne pourras plus t'en débarrasser. C'est tangible. Tu le sais. Tu le sens. Tu le vois.
« J'déteste les poèmes. J'ai une gueule à aimer ça ? Franchement, t'crois que j'passe mes heures libres à lire de la poésie ? J'ai autre chose à foutre ! » croisant les bras. Tu fermes, d'une certaine manière, l'accès jusqu'à toi. Parce qu'il s'intéresse bien trop à ta manière de combattre. À ce que tu fais réellement dans la fosse. Au milieu de la poussière et du sang. Il sait que tu ne cherches pas à t'échapper. Ni même à t'élever.
Il sait.

« Il faut des gens pour pleurer les morts. »
que tu laisses vagabonder. Fronçant les sourcils, blasé. Levant les yeux au ciel. Oui, il faut des gens pour pleurer ceux qui ne sont plus là. Et toi, il n'y a personne pour te pleurer assez pour cela en vaille la peine. Alors finalement, tu comprends. Qu'il ne sait rien. Rien de plus que ce que les autres, n'importe qui, peut comprendre de toi. « Donc j'résume. T'es un psychopathe qui admire un mec se faire démolir parce que t'kiff ça, c'est ça ? Quoi ? T'as un délire chelou sur les gueules cassées ou j'sais pas quoi ? C'est encore pire que c'que j'croyais... » et tu le juges.

Cela se voit.
Au fond de tes yeux éreintés.
Tu le juges.
Parce que tu crois à présent qu'il a un fantasme très louche sur tes combats. « Y'a pleins d'mecs dans la fosse qui s'font arracher la tête, tu pouvais pas choisir quelqu'un d'autre ? Honnêtement, j'suis sûr que tu trouverais facilement un mec aussi chelou que toi dans l'tas... » un mélange étrange entre le fantasme du sang et de la mort. D'un combattant démoli qui rend son dernier souffle de vie. C'est ce que tu comprends.

De ton stalker.
Et tu préférerais rentrer pioncer, putain.

Jusqu'à quel point.
Ce monde ne tourne pas rond.
Du moins jamais le tien. Y a rien qui coule de source autour de toi. Y a rien qui ne soit banal, normal. Y a jamais rien de simple près de chez toi. Seulement de la complexité et des gens comme lui. Qui s'impose aux autres. Quand bien même ils ne veulent pas d'eux. Ils sont là. Comme des putains de tiques. Errante jusqu'à trouver une proie. S'accrocher à elle pour lui sucer le sang. Encore et encore. Inlassablement. Assez longtemps pour être rassasié et se barrer. Pour recommencer. Il est là pour te sucer le temps. À défaut du sang. Embellir tes oreilles d'un tas de conneries. Des raisons ou des excuses toutes faites pour masquer la vérité. Et la vérité c'est seulement qu'il est fêlé.
Honnêtement, ce serait difficile de le qualifier autrement.

Attiré par la mort.
Narrant la violence.
Célébrant la réincarnation.
Alors c'est bien cela. Il fait une fixation sombre sur tout ça. Tu le crois du moins. C'est ce qu'il laisse paraître. Et plus ça va, Kaien, et plus tu te demandes pourquoi. Pourquoi t'es encore là. Le cul visé sur cette chaise. Pourquoi tu l'écoutes parler. Pourquoi t'es seulement venu jusqu'ici. T'arrêtes pas de te le demander. Pourquoi t'es aussi con. « C'est des conneries et honnêtement si c'est l'cas, j'espère qu'y'a une sélection. » pourquoi tu réponds à ses questions.
Pourquoi tu lui donnes ce qu'il veut de toi.

Ton temps.
Des réponses.
Il cherche peut être à te connaître. Et t'en sais rien. Tu ne le vois même pas. Restant bêtement interdit devant ce qui se passe. C'est une rencontre lunaire. Qui te laisse sans voix. Tu n'arrives même pas à t'énerver. Tu n'arrives même pas à le provoquer. T'es juste là, paralysé par l'absurdité de tout cela. Jamais assez pourtant pour ne pas sentir le frisson désagréable. Du son de sa voix. Qui te traverse l'échine. Jamais assez pour ne pas froncer les sourcils. De le voir s'approcher. Grinçant des dents jusqu'à ce qu'il se taise enfin.

« Plus que toutes tes conneries, j'te conseille de reculer avant que je t'encastre la tête dans cette table. »

Il n'est pas si près de toi.
Mais assez pour te déranger.
Il bouffe déjà assez ton air comme ça. « J'crois rien sur tout ces connards qui viennent voir la fosse comme des demeurés assoiffés d'violence qui sont incapables d'lever le petit doigt sans se l'péter. Par contre, t'es le seul d'entre eux à m'faire chier jusqu'à chez moi. Difficile d'croire que t'es pas l'pire du lot. » à présent, tu commences à t'agacer. Rythmant ton humeur du bout du pied. Tintant le sol avec vigueur maintenant. Il te fait chier. « Finissons en, j'ai pas toute la soirée... qu'est-ce que t'veux ? T'as réussi à m'faire venir, t'voulais m'admirer d'près ? C'est fait, alors quoi ? Dit le moi avant que j'finisse vraiment par t'faire bouffer cette table. »

La patience a des limites que tu connais pas.

Il arrive que tu recules.
Toi aussi.
Malgré ta carrure et malgré ta vie. Malgré l'habitude du sang. Des poings. Des crochets et des coups bas. Malgré tout cela, toi aussi tu sais reconnaître les limites. Celles que tu ne devrais pas dépasser. Sans savoir ce qu'il trouve après. Et lui, c'est une limite. Que tu n'as pas envie de franchir. Parce que tu ne veux pas savoir. Ce qu'il se trouvera derrière ton poing. Si tu venais à lui décrocher le droit. Il dégage une assurance. Une nonchalance. Comme si tu ne pouvais pas l'atteindre. Comme si tu ne pourrais pas le blesser. Même si t'essayais de toute tes forces. Même si tu donnais toutes tes tripes.
Il ne vrille pas. Il n'hésite pas. Te laissant encore plus interdit face à lui. Jusqu'à quel point cet homme est compliqué. Trop pour que tu puisses le déchiffrer. Honnêtement, tu sais déjà que tu n'as ni l'intelligence, ni la patience pour ça. Et tout ce que tu vois, te donner envie de clamser. Assez rapidement pour l'effacer.

Mais il fait demi-tour.
Sans donner son nom.
Sans répondre à tes questions. Il te menace à demi-mot et s'en va ? Décochant un clin d'oeil qui te donne envie de t'écraser toi-même la tête dans ladite table. C'est qui ce guignol. C'est qui ce taré. Pourquoi les dérangés te suivent jusqu'en dehors de la fosse. C'est une vraie merde. Tu voudrais l'arrêter. Et tu te lèves pour l'interpeller. « Où est-ce que t'crois aller sans m'dire c'que tu veux ?! » mais est-ce qu'il est toujours là.

Tu ne sais pas.
Est-ce que tu vois encore clair.
Dans ce merdier dans lequel il te plonge. Est-ce que tu trouves encore du sens à tout cela. Est-ce que tu ne devrais pas simplement le laisser se barrer. L'éviter et  ne plus revenir. Ne plus lire ses mots. Est-ce que tu ne devrais pas oublier. Tu le ferais. Si tu le pouvais.
Mais les fous sont toujours ceux qui nous marquent avec le plus de violence.
Gravant au fer rouge leur existence.
Sans jamais laisser la plaie se soigner.
Pour s'assurer d'exister.
Encore et toujours.

Exister jusqu'à ronger.
Jusqu'à dévorer la moindre parcelle d'humanité.
Pour ne laisser qu'une loque vide.
Pathétique.
Qui se traînera en ne pensant qu'à cela.
En se demandant quand le dernier coup tombera.

Tu suffoques.
De colère.
D'incompréhension.
Il sort de l'ordinaire. Tu ne connais que ceux qui cognent avant de parler. Ou ceux qui se font déglinguer avant même d'avoir pu inspirer. Tu ne connais que les gars trop vifs. Qui réagissent au quart de tour. Tu ne connais que les gens qui te ressemblent. Qui s'assemblent dans la fosse. Qui s'amassent comme un tas d'ordures trop bruyantes. Qui n'arrivent pas à se faire entendre correctement sans beugler. Tu ne connais que les gens trop susceptibles. Les poudres qui s'enflamment avant même de voir la flamme. Lui.
Lui.
Lui...
Il est dérangeant. Subtilement grinçant. Tu ne sais pas le gérer. Est-ce que tu le pourrais. Tu n'as pas la carrure de te battre verbalement. De prendre le dessus par les mots. Tu ne connais que la violence parce qu'elle est simple. Quelque part, réconfortante. Les mots quant à eux... ils sont bien trop froids. Plus tranchant que tes poings. Avec un sens caché qui n'existe pas dans une droite. Ce n'est pas ton terrain. Et cela se voit.

Alors qu'il s'approche.
T'attrape sans peine.
Que tu ne bronches pas.
Fronçant ta mine déjà renfrognée. En sentant ses doigts sur toi. Cet air suffisant qu'il a. presque triomphant. Pourquoi tu ne fermes jamais ta gueule, Kaien. Pourquoi tu ne le laisses pas partir. Parce que tu venais pour te débarrasser de lui. En définitivement, tu as senti qu'il s'était encore plus accroché à toi. Alors tu te débat. Vainement. Espérant trouver la solution pour l'éloigner. Pour le détourner de ton existence. De ta vie. Peut-être que tu aurais dû l'ignorer. Peut-être que tu aurais dû prétendre qu'il n'existait que dans un mauvais rêve. Mais même en faisant cela, est-ce qu'il se serait lassé. De t'envoyer ses petits mots. Tu ne crois pas. Il te paraît...
Endurant.
Trop pour la patience de ton ignorance.
Est-ce qu'il gagne.
Peu importe ce que tu fais.

Sûrement.

Et ses doigts sur toi, tu enrages. Car c'est la seule réponse que tu connaisses. La subtilité ? C'est pour les autres. « Mon canapé est d'jà réservé par mes potes comme tout l'reste. » que tu laisses échapper.
Comme une vaine tentative de lui faire entendre raison.
Qu'il n'a pas de place dans ton monde.
Quand c'est déjà trop tard.
Tu ne risque pas de l'oublier.
Et son regard. Ses yeux qui dérivent trop bas. Cet air affiché sur ses traits. Qui te laisserait croire. Qui te laisserait inventer des histoires. « M'touche pas... On dirait un p'tain de pervers en plus du reste... T'as vraiment un problème ! »
Et tu sens bien, Kaien, que tes mots sont trop plats.
Ce n'est pas assez.
Ce n'est pas toi, ça.
Alors tu lui balances ton genou dans les côtes.
Sans crier gare.

Sans savoir si cela le touchera.
Mais c'est l'intention qui compte.
Quand on salue quelqu'un.