des fleurs grandissent dans tes poumons tu vois leurs tiges agrandir ta trachée. si tu pouvais, tu les retirerais d'un grand coup, violent, déchirant et tu les donnerais à ceux que tu aimes (il n'y en a presque aucun, de toute façon) (tu garderas les fleurs pour les poser sur ta tombe).
c'était une assez belle journée, nuageuse mais quelques rayons de lumière passant aux travers des nuages pour éclairer les allées, les petites rues, passer aux travers des fenêtres tu aurais pu être heureuse, sous ces faisceaux de lumière qui te traversent de part en part tu aurais pu être heureuse, dans ton élément, le laboratoire après tout, c'est bien chez toi. tu aurais voulu avoir une maison, quand tu étais petite. toi, père, peut-être un petit chat vous trois contre le reste du monde. mais, rien qu'à l'instant tu lèves la tête et tu ne vois rien qui te mettrait du baume au coeur.
tu étais suivie. ça ne te ressemblait pas, en tout cas pas tout à fait. il y avait un stagiaire sur tes talons, qui te suivait dans les couloirs jusqu'à l'ange mécanique. tu n'étais pas particulièrement friande des machines exposées, des scientifiques qui couraient pour parfaire leurs inventions une cacophonie dantesque qui aurait pu te faire saigner des oreilles (ça aurait pu réellement arriver) les lumières étaient fortes, éclairant vivement la salle d'une lumière étrangement bleuâtre qui faisait un choc avec la lumière solaire de l'extérieur. tu étais toxicologue. ta place n'était pas avec ces forcenés qui n'ont de cesse de parfaire des machines qui n'ont ni queue ni tête du moins, c'était ton impression. tu faisais une grimace avec dédain. les scientifiques sont remplis d'un besoin maladif de réussir. et tu espères que ton petit acolyte ne serait pas tenter de se verser dans ce genre de travers.
tu le regardas de plus près. petit, faisant la moue (ou du moins une expression du visage peu communicative) il avait vraiment l'air d'être heureux de suivre ce stage en ta compagnie (tu sais très bien que c'est faux) mais tu te demandais vraiment au fond de toi ce qu'il pensait de toi ce qu'il avait traversé pour être aussi morose à chaque fois qu'il croit que tu ne le vois pas. tu avais envie de le soutenir, quoi qu'il en coûte. mais pour l'instant, ce dernier était plutôt muet et ne pipait mot. au moins, il tenait en place. pas comme d'autres. tu avais encore des souvenirs de stagiaires précédents qui te rendaient dingues (pourquoi devais-tu te coller tous les stagiaires à la fin ?) (c'est une vraie question)
tu te retournas vers hector, le sourire n'étant pas au rendez-vous. tu espérais de ne pas avoir l'air trop aigrie, au fond.
— je te présente l'ange mécanique. c'est un peu le bazar des scientifiques qui montrent au monde leurs réussites.
c'est vrai qu'il y avait pas mal d'inventions sous vitre. tu te collais sur l'une d'elle pour voir un projet plutôt grandiose, mais là encore, tu n'y connaissais rien.
— pour moi, c'est un peu le musée des tas de ferrailles, mais peut-être que ton coup d'oeil te donnera un avis différent du mien.
C'est faux, je sais qu'tu sais Des fois j'saurai plus trop quoi dire mais j'pourrai toujours écouter Tout va pas changer enfin sauf si tu l'fais Quand t'as l'désert à traverser Y a rien à faire sauf d'avancer rien à faire sauf d'avancer
Hector a laissé à la maison la parure des jours heureux, les babines à l'envers ça ne ressemble plus à rien des sourires enthousiastes lors de l'annonce du stage. Hector a laissé à la maison le charivari des jours heureux, les babines à l'envers ça ne ressemble plus à rien des frasques amicales lors de l'anniversaire gâché.
Hector a oublié comment être parfaitement heureux dans une vie désaccordée, il a mal dans le fond de la poitrine, prétend que c'est juste l'organe qui lui fait défaut, que les émois navrants n'ont rien à voir là-dedans. Il faut penser à s'en remettre, c'est ce qu'il se murmure à chaque réveil, qu'il faut apprendre à oublier, à laisser le temps guérir les blessures. Mais Hector a horreur du temps, il veut se lamenter jusqu'à que ses blessures tarissent, qu'elles ne saignent plus lorsque genou à terre, il implore la Sainte en laquelle il ne croit pas d'apaiser la douleur lancinante. Les constellations rappellent les moments loin des personnes nantis, plus terre à terre, là où le vacarme n'est pas celui de la population Anima mais celles des lucioles qui ne cessent de chanter à la tombée de la nuit. Il y a les embruns aussi, les odeurs fantasques, les marches pédestres à travers tue-loup, se souvenir d'où on vient.
Derrière Oźwiena, Hector a le pas lent et morose. Tous les jours de la semaine le sourire n'a pas orné son visage, les dents ne se sont pas montrées à la vue de tous et le rire n'a pas ébrouer sa gorge. Derrière Oźwiena, Hector a le temps, toujours le temps, de s'imaginer les choses autrement. Derrière Oźwiena, Hector soulève le minois et observe l'ange-mécanique. Mh, c'est pour se rassurer qu'ils font ça ? Qu'ils affichent ouvertement les choses qu'ils réussissent ? Parce que la vieillesse les rattrape, parce que le temps vole les instants précieux, qu'être dans ce laboratoire n'a rien d'incroyable. Hector s'en est vite rendu compte, à courir derrière les chercheurs et les médecins, les praticiens et ceux qui ne savent rien.
Tant que c'est pas un cimetière. Il ne peut plus les voir en peinture, les tombes qui plombent. Il avance devant Oźwiena, ouvre la porte et laisse cette dernière passer. Toujours charmant même si le cœur est en miettes, même si les arcanes se sont brisées. Dis, c'était qui le docteur Harken, pour toi ? Hector est curieux, Hector veut tout savoir des pères de ceux qu'ils rencontrent. Pour savoir s'il peut se plaindre, que le sien est un con, un bon à rien, quelque chose du genre, qu'il n'a rien du géniteur rêvé, qu'il regrette. Je l'ai rencontré, avant qu'il se fasse arrêté. Les dents s'enfoncent dans la chair pulpeuse des babines et Hector s'installe à une petite table près des fenêtres, loin du brouhaha perfide. Tu n'es pas obligé de répondre. Je suis juste curieux. Le blouson décroche de ses épaules, en petit chemise blanche, il défait le nœud de sa cravate pour libérer sa gorge, déboutonne le col pour respirer un peu mieux.
l'ange-mécanique, c'était un peu ton enfer à toi. des scientifiques courant dans tous les sens fier (trop fier, pédant) de montrer au monde ce que leurs propres mains ont créé, façonné fier (trop fier) de dire au monde qu'il faut être fier de lui après tout ce qu'il a accompli être dans des journaux, à la télévision peut-être même ils veulent cette gloire dont, toi, tu n'en as guère envie ton nom était déjà connu bien trop connu à ton goût. l'ombre de père te suivait pas à pas rencontre sur rencontre toujours des "alors ton père, c'est bien le docteur harken? quel dommage de voir son père en prison" mais toi oh toi tu avais rêvé de ce jour miraculeux où il serait acculé contre le mur de ses laboratoires minables les menottes aux poignets les dents grinçantes mais aucune larme auprès des yeux, non non il sait ce qu'il a fait peut-être qu'au fond, il sait qu'il le mérite de se faire enfermer pour tout le malheur qu'il a engendré rien qu'en t'engendrant toi.
tu étais la fierté du docteur harken, maintenant tu n'es plus qu'un boulet accroché à ses chevilles. un peu rebelle au fond, tu veux te détacher de cette calamité que certains l'appellent comme étant ton père. quelle ironie. tu ne veux plus aucun lien avec une pourriture qui était sensé s'occuper un minimum de toi, pas te laisser dans un coin à pourrir peu à peu glisser dans une dépression infantile pleurant le fait que tu n'avais pas de famille et que tu n'en auras sûrement jamais.
mais tu te concentres sur hector, à présent. il est plus important que tes déprimes venues du passé. il a posé une question, et tu te dépêches d'y répondre, mettant de côté la cacophonie qui résonnait dans ta tête.
— mh, bien vu. ils sont peut-être envieux de la gloire qu'ils pourraient récolter en créant tant de machines.
le petit lycéen avance devant toi, chose que tu n'avais pas réellement prévue, mais qu'importe. il ouvre la porte, et te laisse passer devant, galamment. tu fais un demi-sourire, heureuse de voir qu'il prend un peu les devants. puis il posa la question fatidique. tu mis un certain temps à répondre, étant plongée dans tes pensées les plus profondes.
— certains diraient que c'est mon père. moi, j'ai du mal à me faire à cette idée. pendant longtemps il s'agissait juste de l'homme en blouse blanches qui venait voir si je respirais encore, comme si j'étais son trophée.
les mots sortirent de ta bouche si rapidement, que tu ne pouvais contrôler le flot de mots à la minute. d'un côté, ça te gênait d'avouer tout cela à un simple stagiaire, mais de l'autre ça faisait tellement de bien. vous vous installez près d'une fenêtre, endroit agréable pour les aveux.
— je suis bien heureuse qu'il se soit fait arrêté. il le méritait.
tu te sens un peu plus légère.
— la curiosité est un vilain défaut mais je n'en tiens pas rigueur.
C'est faux, je sais qu'tu sais Des fois j'saurai plus trop quoi dire mais j'pourrai toujours écouter Tout va pas changer enfin sauf si tu l'fais Quand t'as l'désert à traverser Y a rien à faire sauf d'avancer rien à faire sauf d'avancer
Hector a les yeux qui se baladent sans honte, s'entiche des silhouettes sans tendresse, les doigts qui frictionnent avec nonchalance le papier sur la table, là où sont notés les divers types de boissons, des chocolats chauds jusqu'aux cafés sans saveurs. Contre ses propres attentes, lorsque un serveur vient à la table entre deux autres commandes, il demande un café noir sans sucre. Il a besoin de sentir l'amertume pourrir sa chair, brûler ses veines et incommoder son esprit. Derrière lui, malgré s'être éloigné de la mécanique grinçante, Hector a dans les oreilles les voix démesurées de ceux qui pensent tout connaître, qui incombent de leur présence sans se soucier du monde qui tourne. Alors Hector se demande encore s'il est comme eux, finalement. Dans un monde qui peine à tourner, où les rouages grincent et stagnent dans la même position depuis des millénaires.
Hector entend ce que dit Oźwiena mais il ne répond rien, perdu dans ses pensées, à se noyer dans les abysses terrifiantes de ses propres cauchemars. Alors doucement il reprend une énième respiration, plus profonde, plus délétère encore que l'ambiance morose derrière eux. Les types sont délurés et s'amusent du bric à bac que font les machines, des vis qui s'écrasent sous les semelles et du tintamarre des moteurs. Oźwiena est tendre à sa manière, douce, quelque chose de bien différent du docteur qu'il a vu dans la pièce ce jour là, du danger qu'il a senti à travers sa chair pâle, des coups qu'il a infligé pour sauver sa peau. Je crois comprendre. Pas de la même manière, mais d'une certaine façon, ils peuvent s'attraper la main et se le dire, que les pères sont incompétents. Seulement il préfère taire sa rage et à la place arbore un sourire en coin, le menton haut. Mes défauts sont mes plus belles qualités, Oźwiena. Le rire frémit à travers la gorge, légèrement, à peine audible. Lorsque les boissons arrivent, Hector s'empresse de goûter au café immonde, dans la plus jolie des grimaces il laisse la nuque se tordre vers l'arrière, le corps se couvrant de spasmes. C'est abominable. D'ailleurs, maintenant qu'il n'est plus là... Y a rien qui te retient au laboratoire. Tu rêves pas de faire autre chose ? Une question bien sérieuse derrière le visage tordu et les babines à l'envers.