Dans les couloirs majestueux de l’opéra traînent les petites mains qui arborent les tissus de beauté. Joan développe ses créations pour ses jolies poupées qu’elle enveloppe dans les chemins de dentelles et dans les croisades de corsets. Elle développe les tenues grandioses dans lesquelles elles pourront offrir leurs chants gracieux pour la peuplade habituée. Elle laisse les reines et les princesses jouer leurs drames à succès : les fourberies de l’amour et de la mort.
Joan n’épouse seulement que les tissus et les étoffes nappées de joliesses et d’or. L'habilleuse a prévu quelques tenues qu’elle voudrait qu’Helen essaie devant les décors pour servir la mise à en scène. Cependant, sur la robe de la reine de la nuit elle s’est donnée le plus de peine. Alors aujourd’hui, elle voudrait la voir défiler et fignoler quelques dernières retouches pour obstruer les visions d’harmonie et de beauté. Joan aime le goût de la perfection. Elle aime goûter à cette saveur dans les rouages de ses créations.
Helen doit incarner la reine de la nuit. C’est un personnage féminin accompagnée de trois dames en cortège. Elle désigne la nuit et ses péripéties : le mystère, les cauchemars et les sortilèges. Elle est censée représenter la puissance, la peur mais aussi l’attirance. Alors Joan a décidé de couvrir la tenue de milles et unes paillettes pour représenter le ciel étoilé : leur affluence et leur brillance. La robe semble immense, elle laisse derrière elle une longue traîne pour souligner l’intensité, l’immensité de la profondeur de la nuitée. Cependant, elle a du aussi travailler sur la notion de destruction : indispensable à la vie. La mort aussi sacrée soit elle est gravée dans les mailles du corset au travers de filets aux allures d’ossements. La tenue aux couleurs de l’obscurité comporte aussi des gants d’opéra, une tiare brillant de milles éclats. Elle est précieusement rangée dans un film spécifique afin de ne pas l’abîmer.
Derrière la scène, il n’y a que le silence et les travailleurs cachés. Il n’y a dans l’ombre que les faux spectateurs planqués par dizaines pour préparer les chants des associés. Alors la couturière contemple son œuvre et réfléchit à ce qu’elle pourrait apporter. Elle œuvre pour la brillance, veille à l'état des tissus utilisés. Il n’y a plus qu’à attendre la chanteuse pour l’essayer. Alors elle lorgne les autres tenues que l'équipe a élaboré. Elle enfile le rôle d’habilleuse pour que l’on entende les artistes chanter.
Les yeux clos, tu n’entends plus que ta respiration, alors que, la silhouette solitaire au milieu d’une vague de cambrures pieuses, la foi semble toutes et tous vous traverser en un seul souffle. Les mains jointes, tu t’abandonnes à tes prières dans l’espoir que la force des âmes se mêlent à la tienne dans le secret le plus total. Donnez moi la force d’avancer, donnez moi la force de briller. Lâcher prise et te laisser emporter par des divinités qui te surpassent. ((Tu peux respirer))
« Ça se passe bien, à l’Opéra ? »
La voix douce de ton père résonne tranquillement dans le temple alors que la foule se dissipe. Tu poses tes yeux sur lui, visage de glace qui fond en un regard tendre, tu acquiesces en silence avant de l’enlacer. Il ne le dit pas, la langue reptilienne perdue dans sa gorge mais l’inquiétude au bout des lèvres, tu te contentes d’une étreinte rassurante et de quelques mots murmurés.
« Très bien, Papa. Comme dans un rêve. »
Retour à la réalité. Le temple est loin, la navette est déjà partie et les murs de l’opéra t’accueillent comme les barreaux d’une cage dorée. Prison ou maison, tu ne sais plus vraiment comment te sentir dans cet endroit qui, hors du temple, semble être le seul à pouvoir te donner vie. Tu es dépendante, Helen. Dépendante de toutes les sensations qu’il te procure, dépendante de l’ambiance dans laquelle tu te complets, te reconnaît.
Joan t’attends en silence, les yeux rivés sur les costumes. Tu la détailles du regard brièvement, posant tes affaires dans un coin alors que tu commences à retirer ta veste. Le professionnalisme de la couleuvre t’avait toujours plu. Là où les excès de compliments avaient tendance à t’ennuyer à la longue, la justesse des perfectionnistes te semblait bien plus délicieuse.
« Bonjour, Joan. J’espère que je ne t’ai pas fait attendre. On peut commencer. »
Tu aimais que tes journées soient aussi nettes que du papier millimétré pour laisser tes nuits folles et denses, le chaos dans la pénombre, l’ordre dans la lumière. Sans attendre, tu commences à te déshabiller, sans embarras devant une personne qui a tant de fois vu ta chair exposée, tes yeux traînent sur le costume qui n’attend que toi. Le soucis du détails, le choix des tissus, la perfection des finitions, un sourire étire la commissure de tes lèvres.
Merci à Amande, Silvertown, Nébuleuse et Gremlin pour les avatars.
Helen Mason
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Mar 7 Mar - 16:34
la vaste nuit allume toutes les étoiles
La belle Helen arrive déjà et Joan sort de ses pensées, puisque Joan sur une autre robe était en train de lorgner. Si les vêtements des personnages masculins sont délaissés, elle se préoccupe plus des robes : elles sont réalisées majoritairement sur mannequins. Toutes les créations démarrent avec un dessin. Les couturiers font plusieurs essais avec des tissus non définitifs jusqu’au moment de réaliser le costume dans les tailles adaptées. Enfin viennent les moments des derniers essayages pour tout ajuster, pour tout fignoler. Les mois de préparation vont prochainement s’achever pour donner lieu aux premières représentations.
- Bonjour Helen. Non. Parfait.
Joan se redresse et sort la tenue de son emballage protecteur délicatement. Elle le garde et s’approche du corps qu’elle doit vêtir élégamment. Helen est une belle femme, mais elle ne lui dira probablement jamais. Elle ne lui dira jamais, parce qu’Helen le sait. Rapporter les évidences est d’une grande inutilité quand elle a à ses pieds plusieurs fois dans la semaine un public entier pour la dévorer en quelques œillades appuyées. Joan préfère garder pour elle ses pensées, elle préfère conserver ses petits secrets, elle préfère garder les paroles que tout le monde sait pour s’en tenir à ce qui est potentiellement imparfait. Joan ne court pas après les jupons, elle préfère rattraper les gondolages et les fissurations.
- Ce sera un beau travail quand il sera enfin terminé.
Joan n’est jamais rassasiée. A l’affût des miettes imparfaites que ses yeux humains pourraient laisser. Alors, elle ne grignote pas le temps perdu. Elle attend patiemment que le corps soit presque totalement dévêtu pour l’aider à enfiler la parure nocturne. Elle l’aide à se glisser doucement à l’intérieur de la tenue brodée dans les tons de l’océan de la lune. Ses mains viennent guider le tissu avant qu’elle arrive à enfermer sa poitrine dans le corset. La robe dévoile son buste, le haut de son dos et ses épaules, c'est échancré.
- Inspire.
Helen est devenue son mannequin : mais elle garde des failles d’humain, mais de son corset elle resserre un peu les liens. Elle est dans ses pensées, trop préoccupées par son idéal qu'elle tient tant à s'imposer. Il n’y a plus grands choses, seules quelques petites bricoles, mais il faut la voir se déplacer, il faut la voir devant la scène que les metteurs en scène ont confectionné pour se rendre compte de sa globalité, de toute son intensité. Elle espère que la mise en scène saura souligner sa beauté.
- Bien. Tourne toi s’il te plaît.
Joan recule, fait quelques pas en arrière et prend le temps de respirer.
Sans un mot, tu suis les indications muettes de Joan. Entre ses mains, tu es comme une poupée désarticulée, le tissu du costume glisse sur ta peau sans effort et tes membres restent totalement immobiles jusqu’à ses doigts les modèlent selon ses envies. Dans le micro-univers de Joan, tu es le mannequin, le support de ses créations et rien d’autre.
Et quelque part, c’est si délicieux.
Délicieux de ne pas être regardé comme un objet de désir mais comme une composante d’un projet. L’équilibre entre l’admiration modeste de ta beauté et l’appréciation uniquement pratique de ta personne. Car, même si vos scènes ne sont pas les même, vos cosmos s’entremêlent et vos objectifs tendent vers la même direction. Que les yeux ne se braquent pas sur toi mais sur l’histoire que tu racontes, sur le personnage que tu incarnes.
« J’en suis sûre, oui. »
Tu confortes son affirmation dans un sourire subtile. Tu aimais les gens qui n’avaient pas peur d’être fiers de leurs travaux, de leurs accomplissements, de leurs personnes. Joan sait qu’elle fait du bon travail, elle sait que ses costumes sont beaux et tu ne peux qu’appuyer les faits.
Tu retiens ta respiration, obéissant sagement aux ordres de la couturière. Ses mains se baladent sur ta taille, tes yeux fixent son visage concentré sans que tes lèvres ne bougent. A l’affût de chaque irrégularité, tu la laisses dévorer ton corps du regard, consciente qu’elle n’a d’yeux que pour ce qu’il porte.
Dans cette même obéissance, tu lui offres ton dos, ramenant machinalement tes cheveux vers l’avant pour qu’elle ait une vue sur ton dos et le rendu de la tenue. Par dessus ton épaule, tu la regardes, cherchant des réponses dans son visage énigmatique.
« Tu veux que je fasses quelques pas ? Sur scène ? »
C’est si rare de te voir si sage, Helen. Le boa qui se fait tout petit devant la couleuvre, on pourrait presque en rire.
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Helen Mason
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Mer 8 Mar - 22:18
la vaste nuit allume toutes les étoiles
Joan a le visage pétrifié, dans l’inspection elle est plongée. L’analyse comme seule forme d’apnée pour respirer dans son océan de réflexion. Chaque vague est une pensée qui se cogne à l’autre pour venir à la conclusion qu’il y a une petite retouche à faire sur un des côtés. Ce n’est pas urgent, mais elle aime le travail bien fait. Elle garde en mémoire un léger étirement du tissu qu’il est possible d’améliorer. Elle ne se sent pas inondée par la mer de paillettes aux couleurs bleues marines. Elle se contente de ramener à son esprit les bêtises, humaines mais subtiles. Les petits écueils ne tiennent qu’à un fil.
- On va aller devant la « mise en scène », ils sont en train de la terminer également.
A l’opéra, ils sont de nombreux groupes à devoir jongler ensemble pour mener à bien les décors les costumes. Ils sont nombreux à s'acharner dans le travail pour que la magie dans l’œil du spectateur s’allume. Quand les larges lumières éclairent les artistes, ils doivent pouvoir emmener tout le monde sur la piste. Ce seront aux tours de ces derniers de totalement les aveugler pour que du spectacle, le peuple soit rassasié. - Je porte la traîne pour ne pas l’abîmer en chemin.
Les mains de Joan viennent soulever le tissu de son œuvre. Elle suit le drapé derrière la parure du grand boa, secrète et discrète petite couleuvre. Pourtant, c’est elle qui affaire toutes les manœuvres. C’est elle qui doit rester reine de sa création. Alors elle glisse ses pas dans les siens, admire les mouvements du drapé et de sa constitution dans les jolis couloirs de l’opéra. Elle a l’impression de tenir une robe de mariée, d’être un de ses enfants de chœurs que la dame a choisi pour l’amener jusqu’à son ex fiancé. Cependant, il n’y a pas de promesses, ni d’engagement si ce n’est d’être terriblement belle et envoûtante pour aller chanter. Il n'y a que Joan qui joue avec sa charmante poupée.
- Pour ta couronne, tu verras avec les accessoiristes.
Joan ne fait principalement que du flou, elle ne s’occupe principalement que des tenues de ces dames. Les tenues masculines comme les costumes ne sont pas souvent ce sur quoi elle travaille. Il lui arrive de faire quelques retouches, ou même d’aider à l’atelier quand les temps sont serrés, cependant les équipes sont assez larges pour qu’elle soit prioritaires sur les longues robes de ses poupées.
Joan arrive jusqu’à la mise en scène déjà travaillée pour une des scènes importante que jouera Helen. Elle finit par lâcher la traîne à ses pieds pour cueillir le moment et l’observer avancer. Elle ne sera pas spectatrice ce soir là : on lui racontera. Elle se contentera de prendre soin de la tenue à la fin de la soirée, de la protéger. C’est un bien précieux qui finira enfermé dans les réserves scellées. - Tu peux faire un aller retour, déambuler, prendre racine sur la « scène ».
Joan va regarder une dernière fois la robe avant de la peaufiner. Elle pense aimer son art. Elle ne sourit pas, mais ses yeux ronds cachent quelques pensées vantardes.
Dans l’attente de chacune de ses regards, tu laisses ton esprit s’égarer dans le vide de ton existence. Poupée de porcelaine, il te suffit de fermer les yeux pour ne plus exister du tout, tu te contentes de te laisser réparer par les mains de l’artisan. Oh, Helen, tes histoires sulfureuses et autres racontars te précèdent et te forgent une réputation qui n’est que partiellement vraie. Car après tout, si on te pense autoritaire et arrogante, quand il s’agit de ton travail, tu es pourtant si docile. Ils peuvent te demander ce qu’ils veulent, te faire faire ce qu’ils veulent, t’habiller comme ils veulent, tant que tu peux chanter, le reste n’a pas d’importance.
En silence, tu suis les instructions de Joan sans un mot, tes yeux s’égarent un instant sur les décors alors que tu adresses un signe de convenance aux ingénieurs qui quittent la scène. La chaleur des projecteurs taquine ta peau, des regards imaginaires se dessinent dans le public absent et du bout des doigts, tu pourrais presque atteindre cette sensation familière et vitale qui guide ta voix chaque soir. Addiction viscérale, rien que son souvenir te faire tourner la tête, tu pourrais en crever sur scène.
Alors, dans un automatisme naturel, tu t’avances, le tissu lourd qui compresse ta silhouette te parait pourtant si léger à chacun de tes pas. Helen n’est plus, tu es devenue la Reine de la nuit. Dans ces éclats d’étoiles incrustées dans ton corps, tu sens l’énergie de tout un univers circuler en toi, second souffle qui bombe ton buste et clot tes paupières. Elle te possède et t’écrase, te ronge et t’emporte, les tissus de ta tenue se transforment en seconde peau, ils pourraient presque s’incruster sous tes écailles bien cachées.
Les mots de Joan, tu les entends au loin, comme des sifflements cachés dans les courants d’air, leurs mélodies t’atteignent sans te toucher, tu laisses le courant t’emporter. Et à mesure que tu avances, tu sens la présence de Joan s’éloigner, tu sens ton esprit la rejoindre, laisser toute la place au personnage et à son costume, il n’y a plus rien, ni toi, ni elle, ni vous ensemble. Juste une histoire que vous voulez raconter.
Les bras qui planent dans l’air, tu laisses ta silhouette faire le tour, fredonnant la mélodie de la scène, marchant à l’aveuglette sur scène, comme s’il n’y avait plus que toi. C’est comme un retour en enfance, redevenir cette petite fille qui mettait la robe trop grande de sa maman, à jouer les adultes dans les recoins sombres du grenier, à rêver de gloire et de beauté. Tes mèches brunes foncées te paraissent presque flotter, les pirouettes accompagnent leurs mouvements et la robe te parait alors si légère, comme en apesanteur.
La scène arrive à sa fin, tu tournes, tu tournes, et brusquement tu t’arrêtes, les yeux rivés sur la lumière, tu pourrais presque en pleurer alors que ta voix se brise aux bords de tes lèvres. Les paroles te reviennent en tête, tu sens ton coeur battre si fort que tu pourrais le perdre lui, et elle avec. Et alors que tu t’écroules toute en délicatesse, ton corps perd sa forme pour retrouver ton âme. Dramatique boa qui git au sol au milieu du tissu, le temps de reprendre tes esprits et de te dégager de la tenue t’es suffisant pour reprendre ta forme d’avant.
Cela n’a duré qu’un instant et pourtant, tu es née et as péri en un chant. Le souffle court, la peau nue, tu te redresses pour ramasser la tenue comme s’il s’agissait du plus précieux des diamants.
« Je suis désolée, j’étais prise dans le jeu, j’espère que je ne l’ai pas abimée. Tu penses qu’une chute avec la robe, c’est trop ? »
Ton visage sans émotions, tu n’as pas l’air de regretter, Helen. Et pourtant, entre tes doigts fins, la robe parait si délicate qu’elle pourrait te brûler entre les phalanges.
Merci à Amande, Silvertown, Nébuleuse et Gremlin pour les avatars.
Helen Mason
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Sam 11 Mar - 17:14
la vaste nuit allume toutes les étoiles
La jolie tenue s’envole avec Helen devant la mise en scène aux teintes ténèbres : sombres et noires comme la nuit. Les lumières bleuâtres sont toutes bien ajustées. La robe convient à Joan, bien qu'elle comporte les détails qu’elle pouvait trouver difformes. Avec la distance, ils finissent par s’envoler : cependant elle ne veut laisser les petites failles apparentes. Du professionnalisme la couturière de l’atelier flou ne peut se dépêtrer. Elle reste statique sur sa position, observant l’artiste s’éprendre de la scène et plus tard de sa chanson.
Joan l’observe tranquillement faire le show. Elle ne va jamais dans les gradins pour écouter les chanteurs et les chanteuses chanter les ultimes refrains. Elle ne va jamais voir les danseurs fidèles à la scène se déhancher et dévoiler leur ultime grâce. Joan reste toujours à l’arrière sans se soucier de sa place. Elle aime bien confectionner, créer ce qu’elle trouve être une source de beauté. Elle aime bien trouver belles les femmes qu’elle habille de raffinement et légèreté. Elle aime bien les voir s’assumer dans les vêtements de princesses, de reines : les dames de beauté. Dans une douceur infantile, elle les dévore des yeux, cachée derrière les larges et épais rideaux.
Alors quand Helen finit par soudainement prendre son autre forme, elle s’inquiète des ficelles du corset. Elles sont si fragiles que ce changement pourraient les traumatiser et abîmer les accords qui viennent le former. Helen quitte son bustier pour être dans une nature plus simple : être nue. Joan se contente de s’approcher de sa charmante tenue. Elle vérifie que rien n’est endommagé et calcule les conséquences de son méfait.
- Je vais devoir vérifier. Ne fais plus ça s’il te plaît. Tu risquerais d’imposer un traumatisme au corset. Elle est si fragile, tu sais...
La tenue de Joan est une fleur fragile. Elle a mis tant de temps à la faire éclore, qu’elle ne veut pas voir anéantis tant d’effort. Dans la pulpe de ses doigts, l’habilleuse inspecte son état, les pétales fragiles de roses et de lilas. Le soulagement nait progressivement sur son visage alors que ses yeux embrassent celui d’Helen.
- Je n’ai pas envie de perdre des mois de travail. Il n’y a que de petites modifications à réaliser.
Joan ne fait pas attention à la tenue d’Eve de sa collègue, elle préfère s’occuper de la robe qu’elle a précieusement sculpté. Elle préfère s’enticher d’un amour matériel, artistique plutôt que de savourer les ferveurs d’une simple humanité.
- La tenue est presque parfaite. Elle possède de petites imperfections que je facilement corriger. Tu veux une couverture ou que je vienne t'apporter tes vêtements ?
Quand il s'agit de la scène, tu n'es plus. Tu n'existes plus, tu ne réfléchis plus, tu ne penses plus. Tout est sensation, tout est inspiration, tu te laisses porter par les émotions, les descriptions des pensées fictives deviennent les tiennes, les personnages te dévorent de l'intérieur. Tu n'es qu'un vase qui prenait la poussière puis qui a finit par se remplir de fleurs et d'eau fraîche.
Fatalement, quand tu reviens à la réalité, tu redécouvres tes fissures. Des morceaux de porcelaine qui tombent en miette, disparu sous la pression des mains, des fleurs, de l'eau, de tout et de rien. Peut être les avais-tu toujours eut. Peut être ne les avais-tu jamais vu. Peut être qu'aussitôt tu trouveras un nouveau contenu, elles auront disparus.
Joan, tu la regardes sans rien dire, tes billes brunes qui roulent sur son visage en détaillant le contour de ses lèvres mouvantes. Aussi froide puiss-t-elle être, alors que tes yeux s'effondrent sur ses phalanges, tu remarques sa délicatesse, presque maternelle. Et tu la comprends bien. Entre tes mains, cette robe, toi aussi tu aurais peur de la déchirer. ((Peur qu'elle s'accroche à tes cavités))
« Très bien. Je ferais plus attention. »
Il n'y a rien de plus à redire. Après tout, tu t'es excusée une fois —quoi qu'on puisse en penser, tu sais reconnaitre tes tords quand il le faut— et Joan connait suffisamment ton sérieux durant les préparatifs des spectacles pour savoir que tu cherchais uniquement la réussite de l'Opéra.
Devenue muette, tu continues de la regarder droit dans les yeux alors qu'elle t'explique ses motivations, motivations face auxquelles tu montres clairement ton approbation. Car il ne s'agissait pas d'une simple mue dont l'on se débarrasse quand elle se fait trop vieille. Il ne s'agissait pas de vêtements froissés qui s'arrachaient durant des ébats trop fougueux. Ce petit amas de tissus étincelants, coutures sans dépassements, contact enivrant. Ça, c'est de l'art.
L'air tiède fait durcir ta peau, hérisse tes poils alors que la chaleur des projecteurs te semble soudainement lointaine. Être nue, dans une société où les corps humains sont voués laisser place à vos véritables natures animales, ne t'embarrasse pas le moins du monde. Tu n'as jamais eu honte de ton corps, ni dérangée de la vision de ceux des autres. Car ce n'est qu'un peu de peau, un peu de poils, de chairs et d'os entassés. Rien qu'un corps nu.
« Si on en a terminé avec les essayages, je veux bien mes vêtements, s'il te plait. »
Tu ne la regardes plus vraiment. Séparée de ta seconde peau, il te faut un temps pour quitter les frissons des paillettes, la chaleur du tissu et des éclats de rêves qui le recouvrent. Remettre tes vêtements de ville, les vêtements d'Helen, c'est revenir à la réalité. Et elle a un goût un peu fade en bouche, il faut l'avouer.
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Helen Mason
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Lun 13 Mar - 21:31
la vaste nuit allume toutes les étoiles
Ce que Joan apprécie avec Helen, c’est qu’elle a tendance à accepter ses commentaires et ses critiques. Bien qu’elle soit une artiste, elle ne daigne pas être aussi vile qu’une simple tique : plantée dans l’épiderme à sucer les derniers restes de sang en s’entêtant pour ne pas lâcher une fierté mal placée. Joan aime bien avoir raison, elle aime bien choisir le sort de ses jolies poupées puisqu’elle est maîtresse des dernières décisions. Dans cette grande maison, elle maîtresse des créations, des tenues qui seront portées selon les saisons. Les mises en scènes varient, mais
- Bien.
Joan s’entiche de l’ombre et de son retrait. Elle préfère s’effacer, joncher les bords et laisser les belles âmes de mouvoir sous les lumières dorées. Alors elle répond à la demande, sans se stresser. La couturière se contente de fixer les yeux de la chanteuse avant de totalement s’éclipser. - Je vais les chercher. Ne bouge pas.
Alors Joan retourne à l’atelier. Elle traverses les couloirs et vient cueillir dans ses mains et ses bras les vêtements et le sac d’Helen. Elles les soulève en essayant de ne pas froisser ces derniers. Joan aime trop l’ordre pour penser autrement. Joan aimerait que tout soit bien rangé, que les âmes de cette Terre soient aussi respectueuses qu’elle pense l’être. Elle souhaite que jamais la foi en leur âme ne les déserte. Cependant l’erreur est humaine et devant les failles plaines, cette humanité n’est pas une aubaine. Elle est jonchée de failles qu’elle a cessé de vouloir réparer, se contentant de juger les brides de leur médiocrité.
Dans ses bras, elle échange la tenue de tous les jours contre celle de la nuit. Dans ses bras, elle cueille l’art contre une plus grande simplicité : des vêtements sans fantaisie.
- Je te remercie. Tu vas devoir passer à l’atelier cosmétique et devant les accessoiristes. On se revoit à la prochaine représentation… Ou au temple si je tombe sur toi.
Alors Joan repart dans les couloirs jusqu’à son atelier, sa robe bien aimée dans les bras. Elle part la tête droite, les idées claires pour tout corriger : effacer les miettes d’erreur en un éclair. Elle va effacer les traces d’imperfections, les miasmes d’humanité. Elle va tuer les défauts pour que naisse la perfection, elle va se taire pour flairer l’obsession.
Dans ta vie, tu as connu des gens qui t’ont aimé, admiré, parfois jusqu’à l’obsession. Et plus leur amour grandissait, plus tu sentais ton âme s’éloigner. Car il n’y a rien de plus effrayant que lâcher prise et s’abandonner pour former une toute nouvelle entité. La volonté d’Haklyone était peut être tout autre, pour autant, confier ton âme à une autre pour le restant de tes jours, tu n’étais pas sûre d’en être un jour capable.
A l’inverse, tu avais aussi connu des gens qui t’avaient détesté, haï, peut être même qu’ils avaient souhait ta mort ou pire encore. Le fait est, qu’en un sens, tu arrivais à facilement t’immiscer dans l’esprit des gens, sans effort, tu leur restais en tête jusqu’à ce que, d’une manière ou une autre, ils effacent ton existence de leurs vies.
Et fatalement, c’est ce qui finirait par arriver. On finira par t’oublier, tu finiras par être oubliable, et la vie suivra son cours, selon les désirs d’Haklyone et des âmes divines. Seule sur cette scène refroidie, le corps exposé et l’âme solitaire, tu regardes d’un coin de l’œil la silhouette de Joan disparaître dans les coulisses de l’Opéra. Fantôme de chair, tu t’imagines t’exposer de la sorte face à un public pour finalement que l’idée te passe. Le plus terrifiant n’était pas de dévoiler ton corps mais ton âme. Alors ils pouvaient bien te voir nue, tant qu’ils ne voyaient que ça.
Car après tout, en dessous, il n’y a rien. ((Tu es vide))
Finalement, comme un retour à la réalité, Joan réapparaît. Tu récupères entres tes mains tes vêtements sans sourcilier, passant un par un tes membres dans chacune des ouvertures découpées. Tes mèches brunes dégringolent, se mêlent à la couleur chaude de ton teint, tu les sépares en délicatesse entre tes mains.
« Merci. »
Simple mot murmuré alors que tu retrouves enfin une tenue appropriée. Cette fois, Joan, tu la regardes dans les yeux, presque tout du long. Ses instructions se listent méthodiquement dans ton esprit, tu rassembles ta chevelure en une queue de cheval haute, muette. Ses derniers mots t’arrachent cependant un demi-sourire. Si tu ne connaissais pas la costumière, tu pourrais presque penser qu’elle avait envie de te revoir.
« Ce serait avec plaisir. »
Et dans un dernier sourire, une dernière œillade, tu te contentes de disparaître comme tu étais venue. Sans demander ton reste.
![[end] la vaste nuit allume toutes les étoiles < helen > CBLPFJn](https://i.imgur.com/cBLPFJn.png)
