Animation. Lieu de fête, lieu de plaisir. Ce soir encore, la soirée battait son plein, mais pas autant que d’habitude. Nous sommes en milieu de semaine et, ce soir, la fête ne sera qu’en comité restreint. La scène ne sera jamais bondée au point qu’il soit impossible d’y mettre un pied. Pour Errilys, ce sont les meilleures soirées. Même après son spectacle, il peut encore s’épancher sur la piste de danse à loisir, vu qu’il reste de la place. Les fans sont également moins nombreux et moins insistants, l’essentiel de la clientèle est formé d’habitués.


Pour cette raison, entre autres, ce soir il fera une petite avant-première surprise. Son spectacle de l’hiver sera révélé pour la première fois, et face aux seuls habitués qui sauront au premier coup d’œil que cette performance est nouvelle. Pour préparer l’ambiance, la musique est douce, plus douce que d’habitude. Pas d’électro endiablé ce soir, plutôt un petit jazz rythmé, plus propice à la discussion qu’à la danse, pour le moment du moins. Un peu de dubstep, quelques violons, mais jamais rien qui ne fasse exploser les BPM ne passe entre 23h et 00h.


Minuit approche. Les fans les plus motivés surveillent toujours leur montre à Animation, car si le danseur intervient, c’est toujours à cette heure, et par surprise. Les représentations se font au gré des pérégrination du volatile. Ce soir, les heureux élus s’excitent alors qu’à minuit précise, la lumière diminue. Le DJ lance son appel.


- Attention mesdames et messieurs ! Celui que nous n’attendions pas se présente à nous pour une représentation inédite ! J’ai nommé Errilys !


La lumière finit de descendre, jusqu’à ne laisser que trois spots, trois douches de lumière sur la scène. Une forme sombre se dessine au fond de cette dernière, alors que la musique démarre, doucement…




Errilys se présente dans la lumière centrale, marchant, calmement. Il n’est pas vêtu comme d’habitude de son éternel seul caleçon noir et de ses plumes. Sa tenue est blanche et volage et de nombreux fils cristallins s’entrecroisent sur son corps, comme des petits diamants ou des flocons de neige. Sa tenue est décousue et manque de cohérence, laissant de nombreux espaces où l’on voit la peau, notamment sur les bras et les jambes. Ses éternelles lentilles rouges ne le quittent pas, tout comme les stries sur son corps qui sont visibles ci et là, seules tâches cramoisies dans ce blanc albâtre.


Soudain, le danseur se meut. Gauche, droite, haut, bas. La danse est rapide, fluide, liquide. Loin d’être saccadés ou chaotiques, les mouvements sont organisés et harmonieux, comme une histoire, un rêve fantasmé… Jouant de la lumière, Errilys passe de spot en spot. Entre chaque lumière, les fils cristallins qui le revête diffusent la lumière, dessinant ses mouvements dans le noir en myriades de petites étoiles. Tout à coup, une plume apparait, tâche jaune sous une douche de lumière. Puis une autre, rouge, et encore une autre, verte. Le paradisier se joue de son plumage chaque fois qu’il entre dans la lumière, comme une effusion de joie et de couleur au milieu de la blancheur de la prestation. Alors que la musique défile, racontant son histoire fantaisiste, le danseur évolue, occupant tout l’espace, multipliant les couleurs, coulant au gré du son…


Pas un bruit ne secoue le public, pas un applaudissement ou un cri ne vient rompre le charme de l’instant. Cette prestation n’est pas là pour secouer, pour exciter, pour faire rire ou danser. Elle est là pour faire rêver, et tous rêvent, fascinés par les mouvements liquides du danseur, le jeu des couleurs et les scintillements des flocons qui revêtent le paradisier.


Peu à peu, après que le paroxysme de l’histoire a été atteint, les mouvements se ralentissent. Errilys rejoint la lumière centrale alors que la musique baisse en intensité. Tout à coup, car cela surprend toute l’assistance, la musique n’est plus. Tous mettent quelques secondes à émerger, comme s’ils avaient été emportés dans un voyage lointain, et venaient seulement de descendre du bateau. Le public semble s’éveiller lorsque la voix du danseur résonne dans tout Animation.


- Merci à tous de votre attention ! Sachez que vous êtes les premiers à voir ce spectacle. Je n’ai désormais plus qu’à vous souhaiter une bonne soirée. Soyez heureux !


Et le danseur, comme à son habitude, se transforme, laissant sa tenue blanche, diaphane, et ses cristaux sur scène, comme réminiscences de l’instant. Il s’envole, traversant le club alors que les lumières se rallument et que la musique reprend doucement, bien plus rythmée qu’avant la prestation.


L’oiseau décrit quelques cercles sous le haut plafond du club. Il attend que l’essentiel de l’assistance soit retourné à leurs discussion ou se soit mis à danser avant d’atterrir. Seuls les fans absolus ou les personne seules l’observent encore, alors qu’il plane dans le ciel d’Animation. Finalement, il vient se poser sur le bar, endroit habituel où restent une ou deux personnes fanatiques. A cet angle de comptoir l’attend un cocktail orange vif muni d’une longue paille. Le volatile saisi la paille dans son bec, aspire une grande lampée avant d’observer le club. Il se déplace sur le meuble, étalant son plumage bariolé aux yeux de tous ceux qui voudront l’observer…

Les journées de congé, les heures de temps libre se sont fait rares depuis l’ouverture de l’ACE casino, des fêtes qui n’ont jamais arrêtées de s’enchaîner malgré la charge de travail maintenant doublée.
Et malgré tout, même lorsque tu n’es pas en poste, les soirées festives sont celles que tu préfères, corbeau qui ne connaît pas le calme, s’abreuve du chaos qu’il aura lui-même engendré.
Les derniers mois ont été difficiles par moments, la fatigue coulant dans le sang encore plus que l’alcool dans tes veines. Retrouver un rythme de vie convenable s’est avéré difficile, entre le casino, le Palais des Rois. Ta vie sociale en dehors de ton travail en a pris un coup et tu n’as pas eu énormément de temps à consacrer à ton cercle privilégié, à savoir tes deux meilleurs amis et ta petite copine.
Il y a longtemps que tu n’avais pas eu une soirée rien que pour toi, pour ton propre plaisir et celui de personne d’autre, tu comptais en profiter jusqu’à la dernière goutte.
L’Animation était donc l’endroit tout trouvé pour te détendre, ayant toujours été l’un de tes lieux de prédilection.
La musique qui martèle les tympans, les corps qui s’amalgament sur la piste de danse, l’alcool qui coule à flots.
C’est la fête. Et tu es ici chez toi, prince des fêtes, roi de la nuit.

Il est aux alentours de minuit lorsque la lumière se tamise, que tu quittes la piste de danse, ton équilibre ébranlé par un ou deux cocktail de trop.
Ça fait du bien. De rire à en perdre la tête, rire à en perdre toute raison.
Ça fait du bien, d’être de retour, d’aller mieux que jamais, sourire féroce, insolence retrouvée, conquérant du monde de la nuit. Tu es dans ton droit. Et ceux qui menacent ta bonne humeur, tu les écrases. Point.

La voix du DJ s’élève, tandis que tu poses ton fessier sur un tabouret, menton appuyé dans la paume de ta main, bras accoudé sur le comptoir.
La scène est plongée dans le noir, et la lumière vient soudainement rincer une figure en son centre.
Errilys d’Anatèle. Même le grand Celian Dresdell en a entendu parler, l’a peut-être vu quelques fois sans jamais l’approcher, déjà bien trop occupé par ses propres admirateurs. Ce soir peut-être, il en sera différemment. Tu l’espère.

C’est joli, toutes ces couleurs qui dansent devant ton oeil.
C’est joli, tous ces fils d’étoiles brodés recouvrant la chair, plumes colorées prises au piège dans les toiles d’araignées pailletées.
Voir quelqu’un danser, voir la démonstration d’une telle beauté, ça a toujours eu le don de t’émouvoir.
C’est peut-être pour ça que tu avais laissé une chance à la petite Esmée.
(C’est peut-être pour ça que ça te rend peut-être un peu triste.)

L'œil cligne plusieurs fois de surprise lorsqu’on annonce que c’est déjà fini.
Tu en aurais redemandé. Une fois, deux, peut-être même trois. Ou quatre.
Le danseur a disparu sans que tu ne t’en rendes compte, d’un air un peu perdu, tu le cherches du regard. Du mouvement en direction du plafond capte ton attention et alors, le paradisier vient s’écraser au bar.
Cette vision d’un oiseau la paille au bec t’arrache un rire, aussitôt tu te relèves le pas un peu chancelant. Tu prends appui sur le meuble, fixant silencieusement ton camarade à plumes, avant de faire signe à ceux que tu crois être des fans de s’en aller. Et face à ta requête, on s’exécute, car on ne dit jamais non au maître des fêtes.

Erri-lys d’A-na-tèle! Celian Dresdell en personne! J’ai énormément entendu parler de vous et je dois donner raison aux rumeurs. Quelle superbe prestation que vous nous avez livrée! Vous permettez?

Sans attendre son aval, déjà à ton aise, tu tends la main en sa direction non pour lui serrer la pince, mais pour lui piquer son joli cocktail fluo, tout sourire.

Ah! J’adore ce truc. Toi, là! Le barman! C’est quoi ton p’tit nom? Je veux deux autres verres de ça! Non, non, trois! Voir quatre!!

Tu offres un beau sourire un peu éméché à l’homme derrière le comptoir avant de te retourner vers l’oiseau.

Ça faisait longtemps que je n’étais pas venu ici. La.. La dernière fois, ah! Je m’en souviens comme si c’était hier! J’avais tellement bu et Babel, c’est tellement loin, vous comprenez.. Alors je suis rentré en tant que corbeau. Tu lèves la main bien haute. Quelques secondes plus tard, la paume ouverte vient soudainement s’abattre sur le comptoir. ET BAM!!! Dans la fenêtre!

Tu éclates de rire, content d’avoir un public peu importe qu’il soit en mesure de te répondre ou non.

23h. Animation ouvre, les premiers clients sont déjà là. Errilys aussi. Il aime ce moment où peu de gens sont là, il danse un peu s’amuse, discute avec le staff. Ce soir, cependant, il le fait peu, il présente son nouveau spectacle, toute son attention doit être tourné vers sa réussite. Pourtant, alors qu’il est en coulisse, dans l’arrière-boutique, se préparant, il est interrompu par l’un des barmen. Ce dernier appelle le patron avec vigueur : Celian Dresdell est entré dans le club. Voila qui fait soupirer le volatile. Le patron n’était pas censé arrivé vers 00h, mais l’arrivé d’un invité de cette qualité va le pousser à arriver au quart de tour. Errilys n’est guère satisfait de présenter son nouveau spectacle à l’un des plus fiers représentants de la pire des maisons. Néanmoins, il fera sa représentation, et toute sa concentration doit aller à cette dernière. Il ignore donc le barman…




Le spectacle s’est très bien passé. Aucun accro, aucune erreur. Le paradisier est satisfait, en profitant pour pavaner devant ses fans. Comme d’habitude, il boit, puis marche sur le comptoir la tête haute, appréciant les vagues de compliments qui viennent à lui. Les plus habitués tentent toujours de rivaliser de compliments, car le plus fervent admirateur est souvent récompensé de bien des manières par l’oiseau du paradis.


Tout à coup, et alors que la parade venait de commencer, quelqu’un vient troubler la fête. Celian Dresdell. Reconnaissable entre mille, le maitre des fêtes chasse les groupies, et s’impose comme l’unique fan. Errilys plisse les yeux et lui adresse un regard assassin, aucun doute n’est possible sur l’avis qu’il a de l’action du cordeau. Si les yeux de l’oiseau pouvaient lancer des éclair, Celian serait foudroyé.


Il serait d’autant plus foudroyé, qu’il arrache son verre à l’oiseau du paradis. Il allait reprendre une lampé, et la paille s’était éloignée pour se retrouver dans la bouche du corbeau. Les yeux du danseur s’élargissent comme des soucoupes. Cet énergumène arrive, chasse ses fans, et boit son verre. Energumène qui, soit dit en passant, personnifie tout ce qu’il déteste, tout ce qu’il a fui, tout ce qu’il fuit encore. Il aurait voulu ne rien avoir à faire avec cette engeance, et voila qu’elle se présentait sous son nez, chez lui, dans son club, et s’imposait à lui. L’oiseau fulminait, n’écoutant guère la réponse du patron au maitre des fêtes, car c’est bien le patron qui servait cette engeance du démon.


- Je me nomme Julien Standford, monsieur Dresdell. Je suis très heureux de vous voir dans mon établissement.


Bon. Au moins le trouble-fête venait de commander d’autres verres. Il ne lui avait prit son verre que pour lui en commander plus, à priori, on pouvait s’attendre à tout avec cette engeance du démon. L’oiseau prit une grande inspiration. Il n’avait pas pour habitude de juger les autres sans les connaitre. Il ne connaissait pas Celian Dresdell. Le maitre des fêtes était certes l’un des membres les plus connus de la maison de la rose et de l’ombre, mais Errilys ne le connaissait pas. Il y avait encore une chance, mince, qu’il ne réponde pas aux règles qui régissent cette maison. (Beaucoup trop mince)


La petite histoire du corbeau ne fait pas spécialement rire le danseur. Il vient de venir, chasser ses fans et prendre son verre. Certes, le paradisier ne le connait pas. Il ne devrait pas le juger s’il restait droit dans ses bottes. Néanmoins, ça partait très mal, et de surcroit, l’énergumène personnifie tous les stéréotypes qui dégoutent le plus le volatile de tous les stéréotypes possibles sur Haklyone. Le paradisier envisage de rester sous forme aviaire et de laisser son vis-à-vis parler tout seul, alors qu’il croise les yeux implorants du patron. Evidemment. La présence du maitre des fêtes va donner un coup de fouet à Animation, désignant le club comme un haut lieu de fête. Plus il en dira du bien mieux se portera le club. L’oiseau du paradis lève les yeux au ciel de manière très ostentatoire. Il apprécie bien le patron, et il ne faut pas juger sans connaitre…


Finalement, après avoir observé le corbeau d’un œil sombre pendant quelques minutes, lui laissant sans doute le temps de raconter un peu plus sa vie, Errilys saute du comptoir. Il attrape dans son bec quelques vêtements bien pliés de derrière le bar, et s’envole vers l’arrière-boutique. Là, il prend tout son temps pour s’habiller entièrement. Si le maitre des fêtes se lasse et s’en va, il en sera pour le mieux. Mais le danseur en doute, quatre cocktails, ça ne se boit pas en deux minutes…


Le paradisier revient finalement. Il est vêtu d’une chemise blanche, un pantalon marron et un veston de la même couleur. Ses manches courtes laissent visibles les stries rouges sur ses avant-bras, il a évidemment remis ses éternelles lentilles rouges et se déplace calmement vers le bar. Lorsqu’il arrive, Errilys se saisit d’un des cocktail orange, un visiblement pas encore entamé, puis parle enfin au corbeau qui est sans doute encore au comptoir.


- Bonsoir monsieur Dresdell. Enchanté de vous rencontrer.


Il n’a pas l’air si enchanté que cela. Pourtant, les quelques minutes passées à se changer lui ont permis de relativiser. Le corbeau semble juste vouloir passer une bonne soirée en sa compagnie. Errilys n’a pas de raison de lui en vouloir sur des préjugés, il ne le connait pas. Il se doit de tenir la discussion et de voir, par lui-même, si ce Celian est autant une immonde engeance de l’enfer qu’il le suppose.

Fans écartés, tu prends place là où une fan était précédemment assise, lui sert un sourire rayonnant ainsi qu’un petit merci soufflé entre les lèvres, à peine audible sous la musique qui continue de jouer.
Depuis ton entrée en scène, voilà que le paradisier a cessé de se dandiner sur le comptoir, se contente de t’observer les yeux plissés. Tu éclates de rire en voyant ses prunelles s’agrandir en un clin d'œil, prend une gorgée du liquide en machouillant la paille.
Si ton camarade à plumes est mécontent, soit tu ne le remarques pas, soit tu n’en as pas grand chose à faire. Avec toi, on est jamais vraiment sûrs de savoir ce que tu penses, ce que tu vas faire par la suite. Pour être honnête, toi-même tu ne le sais pas, te contente de laisser l’impulsivité te guider.

Tu te tournes vers le propriétaire, tout sourire, lui tend une main pour la lui serrer par-dessus le comptoir.

- Ah, mais le plaisir est pour moi, très cher… Je peux avoir une autre paille, dites?

Il y a maintenant deux pailles dans le verre.
Une fois ta demande exaucée, tu vois le dénommé Julien s’atteler à ta commande surprise et te retourne aussitôt vers l’oiseau. S’il ne semble pas réagir à ton histoire, et toutes celles qui suivent, tu ne montres aucun signe qui indiquerait une quelconque déception de ta part. T’as un peu l’habitude qu’on ne fasse pas attention à ce que tu racontes, de toute manière. Tant pis pour ceux qui n’écoutent pas. Tu sais que tu es ô combien hilarant, c’est leur perte à eux.

Entre temps, sans que tu ne t’en rendes compte, sans doute trop obnubilé par le son de ta propre voix, tu réalises enfin la disparition du danseur.
Quand il revient enfin, tu es maintenant assis directement sur le comptoir.
Il y a un verre complètement vide et un à moitié entamé, avec désormais cinq pailles dedans.

- Ah! Errilys, t’es de retour! J’ai cru que tu m’avais laissé en plan, hahaha!

Pas vexé pour le moins du monde, tu tapes sur le comptoir pour le prier de prendre place à tes côtés plutôt que sur l’un des tabourets disponibles à cet effet. Tu pousses un des cocktails en sa direction, et il te semble clair qu’il en aurait pris un que tu lui ai donné la permission ou non.

- Ça te va si on se tutoie, hein? Vouvoyer, ça fait tellement… tellement vieux! Et je suis pas encore vieux, on s’entend? J’ai pas encore de rides. Hein, Julien?! J’ai pas encore de rides, dis-lui!

Tu prends une nouvelle gorgée de ton verre, cinq pailles dans la bouche. Tes pieds se balancent dans le vide, quand soudainement, tu déposes ton verre d’un geste brusque et fait passer tes jambes de l’autre côté du comptoir.
Nouveau sourire pour le propriétaire avant que tu ne te permets de fouiller un peu derrière.
Tu mets cinq pailles supplémentaires dans ton verre.

Tu aimes les pailles.

Lorsqu’Errilys revient, sa salutation s’étrangle quelque peu dans sa gorge. Il cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Le maitre des fêtes de la maison des roses et de l’ombre, est assis sur le comptoir, à s’enfiler des verres comme le dernier des alcooliques. Cependant, le dernier des alcooliques se serait déjà fait viré. Pas Celian Dredell. De plus… Il y a trop de pailles dans son verre…

Le danseur écoute le corbeau s’adresser à lui, avec une familiarité extrême. Interdit. Son visage exprime la surprise la plus totale alors qu’il essaie de comprendre la situation présente. C’est en croisant le regard perdu du patron, mi figue mi raisin, qu’Errilys éclate finalement de rire. Celian a bu bien trop d’alcool pour tendre le moindre piège ici, et le paradisier n’a pas pour habitude de se prendre la tête. Si son compagnon forcé a décidé de s’amuser ce soir, Errilys en fera de même. Soyons heureux, c’est lui même qui l'avait dit quelques minutes plus tôt.

- Hem oui monsieur.

Julien n’a aucune répartie, chose rare chez lui, il ne sait pas comment réagir face à cet animal. Alors même que le danseur se fait cette réflexion, le maitre des fêtes confirme ses pensées précédentes. Il ajoute lui-même encore cinq pailles dans son verre, faisant fit de tous les usages. Ce personnage, cinq pailles dans le bec et cinq autres dans le verre, porte l'hilarité d’Errilys au niveau du fou rire le plus total. Il rit, autant de la situation que de ses propres préjugés, il rit.

Quelque secondes plus tard, appuyé au comptoir le paradisier essuie les petites gouttent qui s’étaient formées au coin de ses yeux. Puis il s’assoit bruyamment sur le bar.

- Aaaah je n’ai pas assez d’alcool dans le sang pour te suivre Celian. Patron ! Tu me mets une rampe de shooter vodka s’il te plait ? Il y en a un pour toi dedans je pense que tu en as bien besoin. Ah, et ajoute une demi-paille dans chaque verre s’il te plait, je trouve que ça manque un peu par ici…

Affalé sur le bar, Errilys observe Julien lui faire sa commande. Le rire qui couve dans sa poitrine menace d’exploser à nouveau lorsqu’il voit le patron couper soigneusement les pailles en deux pour les glisser dans les petits verres à shooter.

- Alors Celian, qu’es-tu venu faire ici ? A part t’accaparer ma personne et collectionner les pailles bien entendu.

Enjoué et souriant, toute mauvais humeur a quitté l’oiseau du paradis, chassée par la folie du rire (et surtout la folie du corbeau…).

Si le visage du propriétaire semble un peu abasourdi de ton comportement, tu n’as pas l’air de particulièrement le remarquer ou même de t’en soucier. L’homme hoche la tête à tout ce que tu dis, si bien que t’es pas certain s’il t’écoute réellement ou par simple politesse.

Doucement, tu touilles ton verre de ta paille mâchouillée, sourire aux lèvres. Ça faisait un moment que tu ne t’étais pas permis ce genre de sortie. Pour une fois, l’organisation de la soirée ne te revient pas, tu n’as qu’à profiter, décompresser, souffler un peu. Au diable les bonnes manières, les responsabilités, tu es ici pour t’éclater, imposer à autrui la présence de ta magnifique personne.

Ton oeil s’illumine d’un coup en entendant les rires de ton camarade à plumes résonner dans tes oreilles. Tu ne sais pas exactement pourquoi il rit, mais ça ne t’empêche pas de te joindre à lui, sous le regard exaspéré du pauvre patron qui n’avait pourtant rien demandé. En le voyant découper des pailles, tes rires redoublent d’intensité. Lui qui avait l’air si honoré de te rencontrer quelques minutes plus tôt, le regrette-t-il après avoir vu le phénomène en personne? Ce ne serait pas la première fois.

- Ouaiiiiis, vive les pailles!! Oooh, est-ce qu’il y a des petits parapluies aussi??! Julien, je veux des parapluies dans mon verre!!

Tu mimes l’action de ferme et ouvrir une ombrelle. Ça sert à rien, mais t’as toujours aimé les trucs inutiles, mais jolis. Quand t’étais encore barman, tu foutais des parasols à cocktail dans tout et n’importe quoi. Cocktail? Parapluie. Bière? Parapluie. Vin? Parapluie aussi.
Décidément, entre ceci et les pailles, tu as des goûts étranges.

- J’avais besoin d’une pause, tu vois. Ça faisait un moment que je n’ai pas eu l’occasion de venir ici, entre les fêtes au Palais des Rois et le ACE Casino. Tu en as sûrement déjà entendu parler, j’ose espérer.

Tu t’esclaffes bruyamment, confiant. Qui ne connaît pas les fêtes décadentes du Palais sur cette île? Quant au casino, celui-ci est plus récent, mais sa réputation n’est déjà plus à faire, surtout pas quand il appartient au grand maître de la maison des roses et de l’ombre.

- Et puis… J’étais curieux, tu comprends. Tes prestations, elles attirent beaucoup d’attention à travers toute l’île. Je devais le voir de mon propre oeil.

Tu prends une nouvelle gorgée. Tu as vu quelques unes de ses prestations par le passé, mais difficile de s’en souvenir lorsqu’on a plus d’alcool que de sang dans les veines, plus de vide que de raison dans le crâne.
Tu tapes dans tes mains d’un coup, soudainement enthousiaste.

- Alors j’ai une proposition à te faire! Viens danser au Palais des Rois pour ma prochaine fête!

Peut-être te dira-t-il non, t’en sais rien. Mais qui ne tente rien n’a rien.

Tes pieds tapent contre le sol au rythme de ton impatience, tandis qu’un long soupir s’extirpe d’entre tes lèvres en voyant le propriétaire des lieux disparaître dans les cuisines. D’un air ennuyé, joue appuyée contre ton poing, de ton autre main libre, tu remues le contenu de ton verre, las.
Tu n’es pas réputé pour avoir une grande patience, suffit de quelques secondes pour que ton intérêt s’en aille ailleurs, que ton humeur change face à un rien, et c’est que Julien, il en met du temps, à dénicher une foutue ombrelle.

Ton sourire ne tarde pas à réapparaître quand ton attention revient une fois de plus vers le volatile à tes côtés.

- Quelle chance… Pouvoir m’accaparer l’attention d’une star.

Tu lui aurais répondu avec un clin d’oeil toi aussi, si ce n’était du fait que tu n’en as qu’un seul. Comme c’est embêtant par moment. Ton rire devra suffire.

Puis le silence arrive, et tes sourcils se froncent dans un moment d’inquiétude.
As-tu dit quelque chose qui lui a déplu?
Une offre pas si alléchante que tu ne l’aurais cru?
Un regard vers les trois shots enfilés de suite et la pensée qui lui traverse l’esprit est que l’alcool qu’on lui a servi est peut-être bien mauvais si ça se trouve.
La réponse qu’il te sort te surprend un moment, oeil grand ouvert, rond comme une bille, avant que tu ne t’esclaffes de nouveau. L’alcool a un véritable don pour rendre les choses plus drôles qu’elles ne le sont réellement.

Et puis, son opinion, tu peux la comprendre. Ton avis sur les gens de ta propre maison a toujours été mitigée, divisée.

- Y’a aucun soucis avec ça, Errilys, aucun!

Tu te penches un peu plus vers lui, chuchote de manière plus ou moins subtile à son oreille

- Entre toi et moi, des salauds dans la maison des roses et de l’ombre, il y en a à la pelle. C’est pas une surprise exactement.

Tu reprends ta place avec un grand sourire, verre entre les doigts.

- Si tu n’en as pas envie, alors.. tant pis! Je ne te forcerais pas, tu vois… Mais si tu acceptes, dis-toi que tu seras aux premières loges pour les voir se ridiculiser et faire des folies. On en apprend des choses, à ces fêtes. Bon nombre des membres de ma maison paraissent bien… Mais au Palais des Rois, les masques tombent sous l’alcool. Et ils ne sont pas mieux que les autres au final. Et ça. Ça, c’est drôle à regarder, je peux te l’assurer.

Une lueur de lucidité traverse ton regard, amusé. Tu ne te lasseras jamais des fêtes, des rumeurs circulant entre les couloirs de ton Palais, de tes invités en jolis costumes qui se révèlent être de véritables bêtes de foires lorsque l’alcool entre en scène.

les rires
encore et toujours
les rires
qui remontent le long de la gorge
font éclore les sourires complices, les joies toutes sauf factices.

le cri fait vibrer ses tympans avec force et ça
ça, le corbeau il ne s’y attendait
se contente de répliquer d’un énième rire
complètement éméché et
encore plus perché que d’ordinaire.

ah les membres de sa propre maison.
c’est rien de personnel, mais il faudrait être complètement aveugle
voir carrément con
pour ne pas voir le nid de serpents, les langues de vipères qui pullulent en masse chez les roses.
celian il a toujours été du genre cynique, n’irait pas jusqu’à se réjouir du malheur des uns, mais la pitié, elle,
elle ne fait pas partie de son vocabulaire pour autant.
et c’est dans le chaos que lui évolue le mieux
qu’il cherche peut-être à renverser les stéréotypes,
souffler un vent de changement, un air de renouveau sur la société
un désir de faire éclore une renaissance, une nouvelle ère sur cette île où rien ne change jamais.

« à la bonheur, mon cher errilys! très heureux de l’apprendre, oh, ce sera une soirée mémorable, je n’en doute pas une seule seconde! »

le volatile soulève son verre en l’air d’un geste brusque à peine maîtrisé,
le contenu se renversant un peu sur le sol, dégouline sur ses mains sans qu’il ne s’en soucie réellement.

la tête lui tourne depuis plusieurs minutes maintenant
mais ce n’est pas une raison pour cesser la fête pour autant.
il peut bien lui offrir une dernière tournée ou deux
avant de rentrer et de se dire au revoir
à la prochaine fois, à la prochaine danse.