the revelation
(mardi 13 novembre 2095 x hôtel beauregard)

combien de temps est-ce que ce petit jeu durait ? trop longtemps, mais la bonne réponse étant trois mois. trois mois de jeux, trois mois à feindre le chat et la souris, trois mois à redoubler d’effort pour piéger l’autre. pour quoi au final ? probablement rien si ce n’est la satisfaction d’avoir gagné.
et même, une tendance se dessinait. eliott avait le dessus, petit à petit. l’autre était fort, sans aucun doute, et le félin ne pensait pas un jour tomber sur un arnaqueur de la même trempe que lui. mais son adversaire étant encore novice, et eliott, du haut de ses vingts-quatre ans insolents, avait probablement plus d’expérience.

et même si cette victoire de plus en plus certaine lui flattait l’égo, il devait tout de même lui reconnaître quelques qualités, à cet adversaire virtuel. déjà, eliott était en tort. il était tombé dans le piège en premier.
tout avait commencé en août, trois mois auparavant. eliott, jamais organisé, s’était rendue compte avec stupeur qu’il avait totalement oublié l’anniversaire de celian qui avait lieu le lendemain. le sept août. c’est alysse qui lui avait rappelé.

eliott, déjà pas bien doué pour les cadeaux, et dans l’urgence de la situation avait opté pour commander une bricole en ligne. inattentif, rare fois où ça lui arrive, il était tombé sur le premier site qu’il avait trouvé pour commander à celian un joli vêtement, n’ayant pas le temps de passer chez harmonie pour cela. de toute façon, injoignable comme elle est, autant chercher une aiguille dans une botte de fouin.
eliott avait reçue le cadeau sans encombre, mais avait découvert qu’il avait été facturé de 30 lenss au lieu de 12.
et ça, eliott, il n’en était pas content.

alors il a remonté la piste, et à découvert que le site était une vaste arnaque qui débitait de temps en temps un montant supérieur au prix initial, quand ceux-ci n’était déjà pas gonflé artificiellement. le genre de dropshipping, finalement.
sauf qu’eliott, ça, il le faisait quand il avait vingt ans.
alors il a retrouvé son arnaqueur, et lui a lui-même tendu un piège.
véritable match d’escroc, mail frauduleux, phishing, partie de poker, boîte mail hacké…  les deux hommes s’étaient bien battus, mais eliott commençait à dominer le match.
et donc à s’ennuyer.
il avait certes gagné plus que perdu dans cette affaire, mais il était lassé. ça ne servait pas à grand-chose, de toute façon. eliott avait ironiquement d’autres chats à fouetter.

alors il avait fini par tout donner pour retrouver son nom et ses coordonnées.
oscar jasper holmes, 22 ans, maison du chant et de l’os.
mais il avait quand même envie de jouer.
alors, un soir pluvieux de novembre, il avait envoyé un mail.

“bonsoir, oscar jasper holmes.

comme tu peux le voir, j’ai fini par retrouver ton nom complet, ainsi que ton adresse et ton lieu de travail.
je pense que ces petites plaisanteries ont assez duré. de toute façon nous savons tous les deux qui a gagné :)
je dois quand même reconnaître que tu t’es bien battu, et que ça m’a bien amusé.
je te propose un rendez-vous au casino au sous-sol de l’hôtel chanteloup, à ithloreas. ce lieu doit t’être familier puisque tu résides dans cette ville, n’est-ce pas ? :)
passe me rendre visite à l’occasion, nous mettrons terme à cette histoire. je serai à la table de blackjack n°5, chaque soir à 21h. je te propose mardi.

tu n’as pas tellement le choix de venir, étant donné que j’ai tes coordonnées et que je pourrai très bien tout révélé au grand jour.
néanmoins, si tu parviens à me battre, je t’offrirai un verre, et je te promet de rien dire.

à bientôt.
joker.”

il avait volontairement gardé l’apparence de ce cher oscar comme un mystère. parce que voir la tête du jeune homme, c’était se gâcher le plaisir de la découverte.
et de même, eliott avait omis de lui dire qu’il n’était pas joueur, mais bel et bien croupier de cette table.

“bonsoir  à tous et toutes.  je serai votre croupier pour la soirée. est-ce que tout le monde connaît les règles du black-jack ou faut-il que je vous réexplique ?”

les coups de 21h vont bientôt être sonnés dans quelques secondes, et eliott bat les cartes patiemment, espérant que la soirée soit plus amusante que la veille.
il observe les personnes à sa table. cinq joueurs. deux femmes: une jeune aux cheveux noir l’air un peu plus jeune que lui, et une riche cinquantenaire à l’écharpe en plumme.  et trois hommes: deux semblants correspondre à l’image mentale qu’il se fait du fameux oscar, bien que l’un ait l’air très assuré et l’autre très craintifs. le dernier homme à l’air d’avoir plus de soixante ans.

eliott ne laisse rien paraître, mais il a hâte.
il sourit.
et distribue les premières cartes.

the revelation
(mardi 13 novembre 2095 x hôtel beauregard)

à cette table, ils sont six. eliott observe plus en détail les cinq joueurs en face de lui. il élimine déjà le soixantenaire à la barbe blanche abondante et les petits yeux mauvais. lui, c’est probablement quelqu’un à la tête d’une entreprise riche. peut-être un vieux médecin, mais c’est peu probable. eliott, il le voit plutôt dans la finance. question d'expérience.
la femme cinquantenaire, si elle n’avait pas l’air aussi déterminée, il aurait bien pu penser que c’était la compagne du premier, mais non. où bien c’est un couple très ingrat, vu l’esprit de compétition qui flotte autour de la table.

il reste les plus jeunes. ils sont trois. deux hommes et une femme. la femme à l’air plus jeune qu’eliott. de long cheveux noir et un regard attentif à la table. elle a l’air concentrée, mais ça se voit que c’est une de ses premières fois ici. peut-être une future grande joueuse… dans quelques années.
il y a un jeune homme d’à peu près son âge. entre vingt et vingt-cinq and lui aussi semble débuter, mais il a l’air d’être un peu plus assuré que la demoiselle. eliott l’observe longuement. cheveux bruns en bataille, l’air un peu timide mais déterminé… peut-être est-ce lui son homme ?

le dernier à l’air d’être un peu plus vieux. peut-être de son âge ? entre vingt-quatre et vingt-huit. de toute manière, c’est de plus en plus dure de connaître les âges des autres une fois adultes. si ça se trouve la jeune femme en a vingt-sept et lui seulement vingt. qui sait. les apparences sont parfois trompeuse.
en tout cas, le jeune homme le plus âgé semble être un joueur aguerri.

la partie commence. eliott distribue, joue son rôle de croupier. celui qui est là, dans l’ombre, sans vraiment l’être. celui qui distribue, anime, pose les questions tout en se faisant oublier. mais surtout, surtout, eliott, c’est l’ennemi.
au blackjack, ce n’est pas comme au poker. le blackjack, on est seul face contre la banque. les joueurs pensent à tort jouer les uns contre les autres, en réalité il n’en est rien.

et surtout, le jeu est terriblement injuste pour les joueurs, et est toujours favorable au croupier.
toujours.
c’est mathématiques, mais peu de gens le savent.
ça n’empêche pas de gagner, évidemment. ça reste un jeu de hasard, et si les joueurs perdaient toujours, le jeu n’aurait pas lieu d’être. mais être croupier, c’est définitivement la meilleure position pour gagner.

eliott distribue les cartes. la jeune femme sort un sept et une bûche. position avantageuse, puisqu’elle est en mesure de gagner sans repiocher de cartes. les autres ne sont pas aussi bien. Le vieil homme sort un 6 et un 2, ce qui lui fait dix. la femme un roi et un 4, donc 14. un des jeune homme sort deux as, ce qui le pousse à compter 12, le dernier sort un 8 et un 9, donc 15.
eliott lui, à tirer un 3 en première carte, la dernière est toujours face cachée.
c’est l’heure de miser.

“c’est à vous de jouer. que décidez-vous de faire ?”

des cartes supplémentaires ? passer ? doubler sa mise ? abandonner ? le vieil homme tire une nouvelle carte. c’est un 3. il est à 14. il continue. 8. ça fait 22, c’est perdu.
la femme tire une carte, elle sort un 5. ça fait 19. elle passe. elle est bien partie. le jeune homme à 15 tire un valet, il est donc éliminé. il reste deux joueurs.
c’est au tour de la jeune femme.

“à vous. voulez-vous de nouvelles cartes, passer ce tour, doubler votre mise ou vous coucher ?”

à dix-sept, il serait plus sage de ne pas retirer de cartes. mais la pression de la femme à dix-neuf a pesé sur tout le monde. que va faire la demoiselle ?

the revelation
(mardi 13 novembre 2095 x hôtel beauregard)

la demoiselle veut jouer. très bien. eliott, impassible, lui sert une carte, puis la retourne.
c’est un six de carreau.
ça fait donc 17 plus 6, 23.
c’est trop.
la pile de jetons se retrouve dans les mains du croupier, pour la banque. c’est perdu pour la demoiselle. c’est dommage pour elle, mais elle aura plus de chance la prochaine fois.

la partie continue, parfois on gagne, parfois on perd. si parmis les joueurs, certains n’ont rien perdu, et si d’autres ont gagné quelques lenss, le bilan est là: c’est la banque qui a amassé plus de jetons au total. mais ça, peu sont capables de le voir, trop concentrés sur leur propre grains pour comprendre à quel point l’ennemi, c’est le croupier.

mais eliott, dans cette victoire, reste frustré. parce qu’il n’arrive pas à savoir qui est le fameux oscar, celui qu’il attend avec impatience ce soir. alors, une fois que la table se vide un peu, que certains restent pour une revanche ou que d’autres partent la queue entre les jambes, il fait une pause. il a besoin d’un verre, d’un moment pour se poser et se concentrer sur ce rendez-vous bien étrange.

“une bière s’il te plaît. met ça sur mon compte.”

geste familier envers son collègue barman. adossé au comptoir à observer les alentours, les doigts qui tapotent le bois du bar d’un air un peu impatient, tic qui vient des années de pianos qu’il a dans les bras.
eliott, il a abordé quelques minutes avant les des deux jeunes hommes pour leur demander leur nom, mais aucune réponse ne fut oscar jasper holmes. et eliott est sûr qu’ils ne lui mentaient pas.
alors où est-il, ce fichu type ? ce petit arnaqueur avec qui il s’est amusé pendant trois mois ?

le barman lui sert sa pinte de bière qu’eliott porte directement à ses lèvres avant de la reposer sur le comptoir. et puis, la petite demoiselle qui était à sa table arrive à son tour pour commander un gin tonic. eliott l’observe un peu. pour une débutante, elle s’était bien débrouillée et avait su limiter ses pertes. ce n’est pas le cas de tous les joueurs qu’il rencontre, même les clients fréquents.et puis, surtout, elle avait le sourire et l’air de s’amuser. et ça, c’est peut-être le plus important.

“met sa commande sur ma note.”

il apostrophe une fois de plus le barman. se décide après une minute de réflexion à payer le verre à la demoiselle. si le fameux oscar jasper holmes  n’est pas là, elliot peut bien occuper sa soirée autrement.
et discuter avec la demoiselle, plutôt mignonne d’ailleurs, ne peut lui faire de mal.

“c’est votre première fois dans un casino ?” il lui sourit doucement, calme et posé. eliott qui sait être doux quand il veut. “vous vous êtes plutôt bien débrouillé.”

c’est sincère. eliott jeune homme de vingt-cinq ans, pas encore totalement détruit par la vie. encore un peu joyeux, encore un peu authentique. déjà un peu joueur, déjà un peu manipulateur, mais bien loin des drames à venir. bien loin des masques du futur.

“mais à dix-sept, moi, je vous conseille de ne pas tenter. l’expérience de croupier qui parle. dix-sept, c’est le luxe de ne pas avoir à tirer une nouvelle carte.”

il lui fait clin d’oeil.

the revelation
(mardi 13 novembre 2095 x hôtel beauregard)

eliott, sans mentir, à toujours eu la chance d’avoir du succès dans le jeu de la séduction. son visage fin, sans doute, ou la barbe légère qui lui donne l’air un peu plus jeune, mais aussi un peu plus sincère. les cheveux châtains ébouriffés, les sourcils assez épais pour un regard un peu plus intense, et le sourire en coin comme un gamin devant un terrain de jeu. eliott, il est charmant. eliott, il est plutôt beau gosse. eliott, il a du succès, et alysse et celian le vannent souvent.  
mais eliott, le jeu de la séduction, les histoires d’amour ou simplement la sexualité, il s’en fiche un peu. eliott, il n’aime pas draguer pour draguer, il n’aime pas les coups d’un soir, il n’aime pas la popularité. il s’en fiche vraiment, de tout ça. ce n’est pas ça qui l’intéresse et qui le fait vibrer.

de l’extérieur, devant la scène, tout le monde pourrait croire que pourtant, le voilà à tenter de draguer la demoiselle en face de lui. mais eliott, il est sincèrement curieux. simplement de bonne humeur pour la soirée qu’il passe, mais aussi terriblement impatient de découvrir qui est mr holmes.
alors c’est pour ça qu’il parle à la demoiselle aux cheveux de jais. il n’y a rien d’autre. aucune volonté peu recommandable. eliott est juste fidèle à lui-même: curieux et joueur, sans que cela ne s’apparente au moindre désir charnel.

pourtant pourtant.
devant le regard en coin de la jeune fille, devant l’air un peu suffisant, eliott ne peut s’empêcher de sourire.
elle à l’air intéressante. elle à l’air d’être de la trempe des gens qu’il apprécie.
et toujours sans arrière pensée, eliott se surprend à apprécier la conversation.

“hahaha ! je suppose que c’est la première des qualités qu’il faut avoir quand on entre dans un casino.”

il affiche le même sourire. parce qu’il voit bien qu’elle est méfiante et qu’elle met de la distance. sans doute qu’elle se fourvoie sur ses intentions. mais ça eliott, il s’en fiche bien.
alors il hausse les épaules.

“j’étais au bar avant vous, me semble-t-il. et je travaille ici, ma présence n’a donc rien d’exceptionnel. navré.” les lippes qui s’étirent, eliott un peu provocateur, tout en restant gentillet. “j’occupe juste ma pause avant de retourner jouer. discuter avec les clients, c’est toujours assez enrichissant. et les nouveaux joueurs sont toujours plus agréables que les anciens, souvent trop riches et suffisants… rien de plus rien de moins. j'espère que ça ne vous déçoit pas trop.”

il retourne encore une fois la dynamique qu'elle a tenté de renvoyer sur lui, parce que ça l'amuse. il hausse les épaules, d’un air un peu mystérieux. ce qu’il ne lui dit pas cette fois, c’est que c’est aussi dans son contrat. croupier est un métier ingrat, dont tout repose sur la capacité à faire gagner le casino face aux joueurs, tout en les incitants à rester dans l’établissement. ce qu’il ne lui dit pas non plus, c’est qu’il est un peu frustré de ne pas voir le fameux mr holmes se manifester, et qu’il a juste besoin de parler à quelqu’un pour noyer tout ça.

“votre nom ? moi c’est eliott. enchanté.”

il boit une nouvelle gorgée. peut-être qu’en se présentant humblement tout en la rassurant sur ses attentions la fera rester le temps de sa pause, même s’il doit admettre que ce côté un peu hargneux l’amuse et lui plaît.