Maxine a les sourcils froncés, les traits crispés alors qu’un infirmier vient examiner ses plaies. Ça la gonfle, pas foutu de gagner un combat, pas foutu de rendre les coups correctement. La gorge nouée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé, le sang collé à la peau comme un baveux souvenir de ses défaites, des poings crispés contre sa peau et du sourire victorieux de l’adversaire. Vaste comédie alors que les lèvres éclatées se pincent en une fine ligne d’hématomes. Maxine, un peu fière de savoir donner un coup correctement, un peu fière des progrès avec Désiré mais la victoire se fait attendre et petite pie oh petite pie ne reste finalement rien de plus qu’un piaf dans la fosse, à y laisser des plumes et piailler plus fort que les autres.
Maxine, elle voudrait rugir, éclater les têtes contre la roche et sourire à son tour de toutes ses dents en sang.
Maxine, elle voudrait bien des choses, mais finir à patienter dans un hôpital n’en fait certainement pas partie. Elle n’a rien dit lorsqu’on lui a demandé d’attendre, rien non plus lorsqu’on est venu la chercher pour examiner les blessures, les bleus, la déchéance.

N’ouvre pas non plus la bouche quand l’infirmier laisse place à un médecin blond ne lui jetant pas un seul regard. Ça lui va. Son poignet lui fait mal, bien plus que les différentes égratignures sur son visage et les bleus sur ses côtes. Probablement une foulure ou une entorse, lui a-t-on dit à la fosse, alors que personne n’avait apparemment le moindre bagage médical. Faut aller à l’hosto, faut faire examiner ça et puis tranquille, on y retournera.
Le blondinet la saoul déjà mais pour Maxine, le monde entier semble la faire chier à toute heure de la journée. Elle grimace sous ses lèvres ensanglantées, préfère perdre son regard vert sur les murs immaculés de la salle.

“J’me suis battue. J’ai gagné.”

Révéler sa défaite au premier inconnu ? Certainement pas. Simple, concis, (faux) Maxine n’a aucune envie de se pencher sur le sujet.
Un regard pour le médecin alors que son poignet l’élance de plus en plus. Un regard sur la blouse aussi blanche que cet établissement pourri. Elle penche un peu la tête, s'efforce de déchiffrer le nom marqué sur l’insigne plaqué contre le torse de l’autre.
Dr J. Van Heeckeren
Ça lui dit un truc, remue les souvenirs. Les sourcils se froncent encore plus, Maxine hausse la voix, quémandant toute l’attention.

“Hé on se connait ? Enfin pas que je me casse un truc tous les 3 jours hein… mais votre nom me dit quelque chose.”

Oui, c’était définitivement la première fois qu’elle le voyait car malgré les apparences, la blonde n’est absolument pas une habituée des hôpitaux.

Le type la gonfle un peu. Maxine retient un petit gémissement alors qu’il manipule son poignet, pourtant avec douceur. Mais non, Maxine Dupuy ne pleurera pas pour une simple entorse, pas même pour un membre en moins ou une tête tranchée. Non, Maxine vaut décidément plus que ça.
Un regard noir. Si d’ordinaire la pie apprécie les personnes peu bavardes, c’est tout simplement car ça lui laisse le champ libre pour déblatérer le plus de connerie possible en un temps record.
Ca irait plus vite si vous vous taisiez.
Maxine retire son bras précipitamment, couinant de douleur au passage.

“Laisse tomber on s’en fiche de mon bras, regarde ça s’est réparé tout seul olala c’est magique !”

Elle agite son bras, se forçant à ne pas grimacer de douleur. Oui magique, les joies du mensonges, le bonheur des os ressoudés par la force de l’esprit. De son bras valide, l’ouvrière attrape la blouse trop blanche, forçant l’autre à se rapprocher un peu plus malgré sa faible force.
Nez froncé, yeux plissés.

“Van Heeckeren… c’est toi le type que Tatiana se tapait pour avoir une promotion ? Faut pas se marier avec ses employés Doc’, ça craint.”

Si c’est bien lui, Maxine a décidément trouvé le gros lot, un beau cadeau d’anniversaire en avance. Tatiana, elle peut bien remballer ses madeleines toute dorées et finir de laver sa centaine de tupperwares. Tatiana, les vengeances sont terribles. Tatiana, ça serait mieux si tu n’existais pas.

Docteur peu patient, les mains qui s’animent et les traits impassibles sous les effronteries de la pie. Le docteur, il n’a pas l’air d’aimer la magie, pas l’air de vouloir laisser entrer la joie dans sa vie et oh comme elle le comprend. Moue dédaigneuse, Maxine a les jambes qui battent en rythme décousu, rester immobile, elle n’aime pas ça, rêve de s’envoler malgré son aile abimée, sautiller, piailler.

L’ouvrière se contente d’un majeur bien levé alors que l’autre à le dos tourné, la moue renfrognée. Ne pas tutoyer ne pas tutoyer. Le doc, ce n’est décidément pas son père et s’il y a bien un avantage à être orpheline, c’est de pouvoir agir à sa guise ; entre les chaos et moues outragées.
Un sourire méchamment amusé vient l’éclairer. Joris et Tatiana, elle ne s’est donc pas trompée.

“Elle pense toujours être le centre du monde, mais bon elle s’est peut-être trouvé un nouveau supérieur.”

Car après tout, qu’est-ce qu’elle en sait.
Elle relâche la blouse, se renverse en arrière, les yeux rivés au plafond trop pâle, au plafond trop gris de maladie.

“C’est ma sœur. Enfin ma demi-soeur. Une nouvelle ennemie on pourrait dire ça comme ça. Toutes les familles ont leur pomme pourrie j’imagine.”

Tatiana, elle est très certainement en phase de décomposition, oh la pauvre. Elle se redresse comme il faut, observe le docteur d’un œil nouveau.  “Est-ce qu’elle a toujours trié les tupperwares comme si elle partait en guerre ? T’as goûté ses tartelettes à la fraises ? Pitié dis moi que tu les trouves aussi dégeulasses !”

Les tartelettes si bonnes que ça l’exaspère, lui écrase les viscères. Autant dire que tout est dégeu chez Tatiana, autant se persuader qu’elle n’est pas jolie dans son tablier dépoussiéré, les cheveux luisant de bonne santé. Autant se dire que sa petite maison ne la rend pas jalouse.
Pas du tout du tout.

Maxine en glousserait presque, les papillons dans le ventre de les savoir si mesquins, de ne plus se savoir seule, bloquée dans l’aversion éprouvée pour Tatiana Cimerêve ; le premier nom de Selma, la première erreur de Selma. L’orque a probablement foule d’ennemis distillés ici et là, prêts à cracher leur haine des grandes dames aux chemises trop repassées, si bien qu’elle le trouerait Tatiana, son linge aux lignes délavées.
Maxine, ça l’embête un peu de se concentrer sur sa demi-sœur, d’avoir à se rappeler l’insulte du café qu’elle n’a pas su refuser, des madeleines à terre qu’elle n’a pas pu manger. Mais la satisfaction enfle au rythme des mots de l’autre et la tête se hoche face aux saintes paroles.

“Elle et moi c’est tout récent, à peine un an. Peut-être qu’elle avait juste pas envie qu’on se croise. Peut-être qu’elle aurait eu honte.” Maxine hausse les épaules.

Ça lui va à elle, d’être la honte de Tatiana, le vilain petit canard laissé à la traîne, la pantoufle à moitié rongée que l’on repousse discrètement sous le meuble. Le sordide secret, le pétard dans sa vie bien rangée. Maxine, ça lui va, elle ne demande plus que ça et quelques lenss soustraits sous un sourire hypocrite. La pie et l’orque, elles ne sont pas sûres de se revoir, la dernière fois ne s’est pas passée comme prévu. Maxine Maxine, elle a la fierté haut levée, délaisse l’envie de s’excuser en premier (s’excuser tout court).
C’est ainsi c’est comme ça, Tatiana Maxine, ça s’arrêtera probablement là, entre l’indifférence et la vieille rancune des mots non-dits, des belles choses qui n’arriveront jamais.

Le poignet tendu alors que l’autre s’en occupe, l’ouvrière tente de ne pas grimacer, laisser dépasser une seconde de faiblesse. Elle a vu pire, elle a connu pire.  

“J’crois qu’elle a essayé de faire un peu pareil avec moi… donner des leçons de vie, ce genre de chose.” Dans une parfaite imitation de la voix de Tatiana, elle enchaîne. ”Oh non Maxine pas comme ça, non Maxine ne fait pas ci, ne fait pas ça et blablabla.” [/color] La main libre s’évade dans de folle arabesque pour illustrer l’idiotie des propos.

Une moue finit par horner le minois de la pie. Tout de même les tartelettes, elle les a trouvées succulentes… Se fige une seconde sans trop savoir quoi dire, se retient de justesse de se tortiller sur sa chaise. “Heuuu… ouai.” Les donner aux chiens, quelle idée ; ça ne se fait pas de gâcher.

Petit cri aigu qui retentit dans la petite pièce, bras retiré avec brusquerie. “ENCEINTE ?! ELLE EST ENCEINTE ?” Grands yeux écarquillés devant l’absurdité de la chose. “Mais mais mais…”  Elle ne sait que dire, le reste du commentaire, elle s’en fou. Le nouveau petit ami, qu’il soit pauvre ou blindé, elle s’en fou. Elle rattrape la blouse de l’oiseau, l’approche brusquement pour se retrouver nez à nez.  “T’es sûr ??? Enfin je veux dire… elle est un peu vieille pour être enceinte non…” Le nez se fronce, elle se recule. Après réflexion, Tatiana n’a même pas 30 ans.
Zut.

Maxine se lève brusquement, s’entête à aller d’un mur à l’autre, faire les 100 pas en réfléchissant, laissant libre court à ses pensées d’une voix un peu paniquée.  “C’est horriiiible je vais être tata beurk ! Et puis moi elle veut pas m’adopter mais alors pour faire des gosses là ya pas de soucis ! Quelle connasse hypocrite ! Elle avait déjà une parfaite petite maison avec jardin, et maintenant faut qu’elle ramène le gosse et le mari pour être ENCORE plus parfaite. Putain je paris que c’est le genre de meuf qui vit super bien sa grossesse, super fraîche et épanoui qui raconte à tout le monde les bienfaits de la vie. J’suis sûre qu’il y aura même pas une ride quand elle devra accoucher… putain qu’elle plaie… “

Ça l'énerve, Maxine n’aime ni les gosses, ni les surprises. Maxine n’aime pas Tatiana mais ça, ça sera compliqué à ignorer. Peut-être devrait-elle filer taguer de vilains mots sur la jolie façade de sa sœur, histoire de prévenir l’humanité qu’un bébé Tatiana, ce n’est clairement pas une bonne idée.