Il y a peu de monde au salon de thé, ce jour là.

Les murs beiges renvoient la lumière du jour : en fond, est peint un paysage merveilleux et fantastique, d'un château, de hautes montagnes surmontées de dragons, de forêts mystérieuses, d'un océan où s'extirpe un serpent de mer. Des étagères suspendues portant des plantes aux feuilles tombantes. Des fauteuils, des chaises, un divan, des tables de toutes les couleurs, un ensemble hétéroclite et pourtant judicieusement agencé, pour faire de l'endroit un véritable refuge. Pour les sangs-froids, des places sous les fenêtres ou d'une lampe à chaleur, des tables assez grandes pour accueillir des groupes, ou encore, de petites alcôve ; des paravents parcourus de plantes grimpantes, isolent celleux qui le désirent.

Sur la gauche de l'entrée, le comptoir, toutes les spécialités du jour sous des cloches en verre, aujourd'hui c'est cookie chocolat blanc matcha, fondant au chocolat et à la cacahuète, donuts fourrés à la confiture de fraises, sablés relevés d'un peu de fleur d'oranger. La liste des cafés, thés et chocolats chauds disponibles, affichés sur une grande pancarte au-dessus de sa tête. A l'opposé, tout au fond de la pièce, une télévision, des conseols et des jeux, une bibliothèque et une boîte à livres.

La sérénié de ces lieux apaise son tempérament anxieux.

D'une main, il masse songeusement la chute de ses reins, sa récente opération le fait encore souffrir - fichue sciatique. Appuyée contre sa jambe, une canne qu'il n'utilise que pour se déplacer, en essayant d'ignorer la honte d'ainsi, s'afficher. Dévoiler sa vulnérabilité, trahir, son âge, il ne se pensait pas si vieux. Agnès a volé tant d'années.

Et alors qu'il pourrait enfin vivre, il se sent encore prisonnier. D'elle et ses moqueries, de ses remarques et sa violence : l'esprit encore enchaîné par la peur, de souffrir une fois encore. Il a beau se dire, que rien ne sera jamais aussi pire, une part de lui reste craintive, redoute de ne pas survivre. Le moindre risque pris, exige un effort conséquent.

Il pense à ce soir de bal, où il s'est rendu, maquillé, vêtu d'une longue robe d'un rouge, carmin. Une robe à longues manches, qui tombait élégamment, la cape déposée sur son épaule, représentant l'aile d'un phénix. Un maquillage élégant, trait noir, paupières peintes de feu et d'or, il s'était senti renaître. Jusqu'à ce que l'imprévu ne survienne, jusqu'à ce que cette droigue soit glissée dans les gâteaux, jusqu'à croiser Mortimer.

Son dédain assassin, ses menaces incisives, sa puissance écrasante, face à sa colère, Jayson s'est senti, mourir. Et renaître reste difficile. Il n'a plus la fougue de la jeunesse, son corps commence à le lâcher, une lassitude nouvelle a émergé. Cela fait de longs mois qu'il lutte à présent contre la déprime. Il essaye de s'en sortir. Prendre soin de sa sciatique, s'engager dans la rééducation, reprendre le travail, pour se soigner, pour guérir.

Malgré tous ses efforts pour ne rien montrer à Ashe ou Daiam, ses enfants, son fils l'a interrogé plusieurs fois sur ce qui n'allait pas. Ne voulant pas lui mentir, ne voulant pas pour autant, tout dévoiler, Jayson a admis à demi mots qu'il lui était difficile de s'en remettre. Ashe lui a alors proposé de reprendre des séances de maquillage, voire peut-être de proposer un tuto vidéo… Cela fait bien longtemps que Jayson n'a pas fait de stream.

Et pourquoi pas ? Parent et enfant ont longtemps discuté, jusqu'à ce que Ashe ait soudain l'idée, il connait quelqu'un pour les aider. Car Jayson ne se sent pas à l'aise que sa progéniture, s'occupe de ses blessures ; il ne veut pas l'inquiéter, pas l'impressionner, pas le dégoûter.

Sous de courts cheveux noirs mécfhés de gris, un teint basané. Le temps a creusé son front de rides, ses yeux, de cernes, rides du lion, s'étirent de part et d'autre de ses lèvres. Tranchées d'un combat mené contre Elle et tout ce qu’Elle lui a pris, les marques d'un survivant. D'ailleurs, sous sa barbe de quelques jours, se dissimulent nombre cicatrices. Une traverse le coin de sa mâchoire, etune autre, ses lèvres ou encore l'arcade. Son gros et grand nez, maines fois cassé, est maintenant bosselé, avec d'ailleurs une pommette légèrement enfoncée, l'os brisé, n'a jamaius repris son volume initial. Des yeux d'un brun sombre presque noir, souvent perdus dans des pensées, Jayson a une carrure solide en apparence, épaules développées, mais ventre bedonnant, qu'il cache derrière ses bras croisés. Des tatouages sur sa peau, comme pour tenter de racheter sa chair, de se réapproprier son corps.

Apparemment, la personne envoyée par Ashe est experte en maquillage et en conseil mode… Jayson a un peu honte à l'idée même de se montrer. Il n'a pas vraiment le physique d'un mannequin, et puis qu'est-ce qu'il va penser de son jean, son simple t-shirt noir à longues manches, sa veste en cuir ? Il a encore du mal, à accepter qu'on voit ses plaies.

Il a beau tenté d'avancer, le passé lui colle toujours à la peau.

Il soupire, la vapoteuse entre ses lèvres dégage un doux fumet rosé, odeur de barbe à papa, fragrances artificielles pour tromper, l'odorat : le flair trop sensible, souvent submergé par les parfums, Jayson n'a trouvé que cette solution pour s'offrir un peu de répit.

Au fur et à mesure de l'heure de rendez-vous qui se rapproche, Jayson sent uune certaine nervosité piquer le bout de ses doigts épais. Impatience, il se sent comme un adolescent, gagné par l'envie de se lancer, l'envie d'en profiter, et cette réticence viscérale le désir persistant de se protéger.

Un mouvement, l'on entre, est-ce cette personne, l'ami.e de son enfant ?

Il se redresse en battant des paupières, préfère s'appuyer sur le comptoir plutôt que sa canne. Un sourire chaleureux éclaire son visage.

_  Oh, bonjour Min-Jun! Ca fait plaisir de te voir !!

Il lui offre sa main, par-dessus le comptoir, pour la lui serrer avec joie.

_ Qu'est ce que je te sers ? Tu es de passage ?

Il n'a pas idée, que son enfant lui a demandé de l'aide. Bien qu'ils aient vu ensemble, plusieurs de ses spectacles…