Maxine, elle n'est plus sûre de rêver, plus certaine de savoir encore cauchemarder. Les songes s'amassent dans un recoin inaccessible de son esprit, Maxine n'est pas sûre d'en apprécier le vide, le néant laissé derrière comme si plus personne n'en avait rien à faire. Dans le lit clic-clac qui grince au moindre mouvement, Maxine tourne et se retourne, l'humeur encore vaseuse des matins ensoleillés, ensommeillés. Emmitouflée dans la couette comme si elle craignait l'hiver, la pie sursaute, finit par ouvrir grand les yeux. Dans les rêves sans fin qu'elle ne fait plus, personne ne prend jamais la peine de frapper à la porte. Alors dans un regain d'énergie elle se dit qu'elle a passé l'heure (l'heure de quoi ?), qu'elle est déjà en retard (pour faire quoi ?).
Un grognement ensommeillé, elle peine à s'extraire du duvet, manque de s'écraser sur le parquet.

Et puis elle se souvient, comme un éclat contre l'esprit, elle se souvient Maxine, que derrière cette porte il n'y a toujours que des emmerdes. Qu'elle ne travaille pas aujourd'hui, que personne ne vient la tirer du lit pour quelques heures de retard. Qu'ils peuvent bien tous aller se faire foutre, elle n'attend personne elle n'attendra jamais personne.
La tête en vrac et tout à son illumination matinale, le corps tangue à nouveau vers le couchage, ignorant délibérément l'intrus à sa porte dans l'espoir de parvenir à se rendormir.
Une voix, elle s'arrête, l'oreiller coincé sous le bras. C'est Kian et soudain, elle s'en veut. Encore quelques secondes, Maxine préfère faire la morte, taire les battements de son coeur, faire comme si ça n'avait pas d'importance.
Elle pourrait lui dire mille chose Maxine, demain peut-être, qu'elle n'était pas chez elle, qu'elle ne l'a pas entendu. Qu'il devrait arrêter de venir, qu'elle préférerait qu'il ne s'en mêle pas. Mais c'est faux, alors la reine des menteuses dans un soupire de condamné, lâche l'oreiller et étire les membres dans une grimace exagérée, le ventre qui gargouille à l'appel.
Elle se le promet Maxine, juste une fois rien qu'une fois. La prochaine fois, elle le laissera sur le palier, poisson condamné à regarder la porte résolument fermée. Mais pour aujourd'hui encore, la pie veut bien faire semblant, ignorer les tourments.

Sans se formaliser de ses cheveux en bataille, du t-shirt XL et du pantalon de jogging sombre et élimé qui lui servent de pyjama, l'âme en peine s'entête à enjamber peu gracieusement le sac en carton du sandwich commandé la veille, qui trainera là jusqu'à, au milieu jusqu'à ce qu'elle daigne y jeter plus d'un regard sans hausser les épaules. C'est le bazarre mais Kian, il a l'habitude il sait tout des travers qui l'accompagne encore, de l'appartement un peu miteux qu'elle fait semblant de ne plus regarder dans les moindres recoins depuis longtemps. Elle économise, peut-être qu'elle pourra bouger bientôt, dans une belle maison vue sur la plage . Des les rêves peut-être un jour.

"J'arriiiive." Elle croasse en se raclant la gorge, passe rapidement une main dans les cheveux aux mèches colorées pour se donner contenance. Attrape la poignée et ouvre trop rapidement, les sourcils froncés tombant sur ce qui se rapproche le plus d'un ami, quand bien même elle n'en aurait pas envie. "Tu m'as reveillée. J't'ai déjà dis de pas venir ici, et tu crois que c'est avec ça Un doigt se pointe dans un dégoût feint sur le sac de viennoiseries dans lequel elle devine déjà la douce odeur sucrée. que tu vas m'amadouer ?"
Quel idiot.
Elle s'écarte, ouvre grand la porte dans un reniflement. "Et ba vas-y entre, maintenant que t'es là tu vas pas repartir." Pas avant qu'elle ait dévoré tous les croissants.

Maxine fait mine de ne pas apprécier le geste, de n'en faire toujours qu'à sa tête. Les mains prennent leur place favorite au fond des poches trop large, le regard se perd sur la minuscule pièce qui lui sert de cuisine et salle à manger, là où trône encore les emballages d'on ne sait quoi, des vêtements en vrac sur les deux uniques chaises qu'elle possède. Mais les prunelles vertes se rivent bien vite sur le petit sachet de croissant, elle tend une main, des étoiles au fond des yeux qu'elle tente de dissimuler au mieux. "... C'est ceux avec les amandes ?" Ses préférés.

Kian fait comme chez lui, enjambe les misères et les galères parsemées dans la pièce comme des galets, Maxine peut-être un peu honteuse d'afficher là le chaos perpétuel de son existence, les emballages éventrés et les vêtements amassés. Le ventre gronde, les bonnes odeurs plein le bec et Maxine oublie vite, la honte et la colère, les sphères qu'elle s'entête à maintenir éloigner. Un peu pour lui qu'elle se dit.

Impatiente, une main voleuse s'empare d'un croissant, une bouchée et encore une autre alors qu'elle vient se poser debout contre le mur, près de la petite table. Elle ne l'invitera pas à s'asseoir, pas plus qu'elle ne prendra des nouvelles quand bien même elle en meurt d'envie, la fausse froideur pourtant réchauffée par les amandes dans l'estomac, les étoiles dans les papilles alors que les miettes tombent à ses pieds. Un haussement d'épaule trop nonchalant alors qu'elle répond la bouche pleine. "Hm, chais pas, peut-être." Au fond, c'est déjà tout pardonner mais elle crêverait plutôt que de le montrer.

La bouchée avalée, elle observe les mèches pâles, la peau bronzée, s'assure discrètement qu'il ait toujours bonne allure, que tout aille bien dans cette vie dont elle ne sait plus rien. "Ça a l'air d'aller pour toi." Plutôt que d'avoir à demander est-ce que ça va ?. "T'es venu voir si j'étais pas morte ?" Entre la fosse et les excentricités, Maxine craint toujours de ne pas se réveiller le lendemain,
avant de se souvenir qu'elle ne craint rien.
Un sourire narquois au bout des lèvres, ça ne serait plus très amusant si le poisson venait encore là tous les matins alors même qu'il n'y a plus rien.

Si les remous du passé les font sourire instinctivement comme si rien ne changerait jamais ; les croissants, les éclats partagés en guise de tracas, les taquineries du présent laissent leur marque sur les fossettes creusées en moue peinée. Maxine ne fait pas rire avec ses éloges mortuaires, ses promesses de finir six pieds sous terre. Le fossé se creuse et la pie porte tout le poids sur un pied, puis sur l'autre, manie d'enfant, manie d'oiseau à peine chanteur, beaucoup menteur.
Peut-être, oui peut-être que ça aurait pu être elle, sous le linceul qu'ils ont sorti le mois dernier, sans plus aucune larme pour lui brouiller les rêves.
Ca aurait pu être elle, mais elle ne le dit pas, ça causerait trop de tracas ; elle le connaît par coeur, il la connait par coeur. Alors dans un haussement d'épaule, elle ricane encore alors même que ça ne fait plus rire personne. "Non, j'suis increvable." Jusqu'à ce qu'elle ne le soit plus.

Les miettes de croissant au coin des lèvres, Maxine déglutit et fait mine de s'intéresser à ses doigts désormais vides. Elle imagine le sang incrusté sous les ongles, quand bien même elle se sait à peine terrible. Et Kian, qu'est-ce qu'il en dirait des cauchemars qui deviennent réalité, de sa triste obsession qu'elle n'arrive plus à museler. Des combats sur le ring, des ecchymoses sous le t-shirt qui l'habille mieux maintenant que n'importe quel vêtement. Des rires quand c'est son tour, la boule au ventre peut-être un peu, elle qui gagne parfois maintenant. Des applaudissements et des paris, pour ou contre la pie, ça ne fait pas d'importance car Maxine vit et Maxine apprend de la pire des façon, mais c'est bien la seule qui lui permette d'arriver où elle le souhaite.
Kian, il en dirait probablement que c'est des conneries,
qu'il y a mieux dans la vie.
Et peut-être que si elle l'écoutait, elle changerait d'avis.
Il ne faut pas qu'elle change d'avis.
Alors elle ne dit rien de tout ça, laisse les épaules se hausser, l'air de rien. "Je t'évite pas, j'suis juste occupée, on grandit c'est tout." Et peut-être bien qu'elle s'enlaidit quand lui s'embellit.

Un souffle, un soupire, elle lève les bras en grand, comme pour une étreinte mais c'est un éclat qu'elle laisse échapper car Maxine, elle n'a plus grand chose à donner. Que de la dureté.  "Qu'est-ce que tu veux que j'te dise Kian ? Oui ça me dérange que tu viennes ici à l'improviste à chaque fois pour voir si j'suis pas déjà crevée, parce que oui ça arrivera un jour ou l'autre c'est comme ça, moi plus tôt que toi, ça c'est certain. Tu devras pleurer ou au moins faire semblant, déposer des fleurs à la crypte, prier et je sais pas encore quelle connerie, ça sera chiant pour tout le monde sauf pour moi parce que, devine quoi, j'en aurai plus rien à foutre !" Elle respire enfin, un peu rouge peut-être, mais elle n'a pas terminé, le regard dur et les dents serrées. "On s'en fout de ce que je veux, j'ai JAMAIS ce que je veux." Ça sonne comme un enfant pleurnichard, elle déteste ça. Une inspiration, elle reprend un peu plus doucement en baissant les bras. "Ose me dire Kian, que t'arriveras à ne pas t'inquiéter, à faire comme si de rien n'était." A discuter en faisant semblant d'oublier, à ne pas tenter de la raisonner. Quitte à choisir, Maxine préfère être la seule à tout bousiller.

Kian ne sourit plus, le visage fermé comme les tombes qu'on a dû sceller ; pincé de remords dans l'estomac, Maxine n'aime pas quand il ne sourit pas, quand il n'ouvre pas grand ses bras pour rougir au monde. Ça ne lui ressemble pas mais Maxine non plus, depuis le temps ne se ressemble plus.
Il a raison dans un sens, mais elle ne le lui dira pas. Ce n'est pas parce qu'ils grandissent qu'ils ne peuvent plus se voir. La colère s'essouffle un peu, la pie pourtant toujours aussi tendue, les muscles crispés comme si elle ne voulait pas avouer qu'elle a peut-être merdé.
Qu'elle a probablement juste fuis, comme d'habitude.

Il est trop proche, Kian sent les embruns marins et les amandes du matin. Un peu de douleur dans le regard. Kian trop compréhensif, trop doux peut-être. Elle aurait préféré qu'il lui crie dessus, fasse trembler les murs, prononce les maudites paroles. Qu'il parte en claquant la porte, les miettes envolées sur son sillage.
Mais s'il ne part pas, alors Maxine n'aura pas la force de le jeter dehors. Doucement, elle avance aussi, vient poser son front sur le torse du poisson mandarin comme elle a déjà dû le faire si souvent avant. Les bras ballants et les yeux rivés au sol avant qu'elle ne les ferme pour reprendre la parole.  

"C'est pas parce qu'on grandit." Elle reprend ses paroles d'une petite voix, prononcées plus tôt. "C'est parce que toi, tu grandis, mais moi je reste bloquée quelque part." Alors c'est dur à suivre. Elle va trop vite Maxine, dans le mauvais sens probablement. Kian sourit trop longtemps, trop vite, trop souvent. Elle n'arrive plus à suivre, ça la fait chier de sourire, parfois. Ca la ferait chier de le faire vraiment pleurer quand bien même elle adore s'en moquer.

"Je sais pas trop ce que je veux en fait." Ça la fait un peu sourire alors que Kian ne peut pas voir son visage. Mais c'est mieux comme ça, quand on ne la regarde pas. "Tes croissants aux amandes me manquent aussi." Tu me manques aussi. mais Maxine ne sait pas dire les choses, ça coince dans la gorge dans les pires moments. Kian mérite probablement mieux mais ça non plus, elle ne le dira pas. Elle préfère contempler le sol et tordre ses propres doigts entre eux.

"Dans tous les cas tu vas t'inquiéter c'est ça ? J'suis une amie pourrie." Voilà c'est dit

Un peu honteuse un peu précieuse, Maxine laisse les doigts fins s'emmêler aux mèches colorées de témérité. Les aveux lui bloquent la gorge aussi bien que l'eau poisseuse de l'usine, aussi bien que les grognements de douleurs quand elle reçoit le premier coup, sur le ring. Maxine, probablement qu'elle était destinée à dorer sur la plage, à parler garçon et à contempler son joli verni du moment. Ca lui donne envie de gerber, d'imaginer le chemin tout tracé dont elle n'aurait jamais dû dévier si seulement sainte Haklyone avait été plus clémente.

Un reniflement la pie se laisse aller sous les caresses sans oser relever le regard, sachant déjà tout ce qu'elle y trouvera. Probablement que Kian ne lui en voudra pas, probablement que c'est déjà le cas. Maxine l'envie un peu, lui qui ne sait que sourire et accepter quand elle même ne fait que cracher ; elle envie un peu la capacité à pardonner, à ne rien laisser couler pas même elle, pas même ceux qui le mériterait.

"Et ça viendra quand ?" Ça sonne piteusement à ses oreilles, la pie se mord la joue et secoue la tête. Peut-être jamais. Finalement, les bras se relèvent, viennent encercler le large torse de son ami (est-ce qu'il a encore grandi ?) pour venir s'y serrer, un peu comme avant quand ils étaient enfin. C'est chaud et réconfortant, ça fait presque s'arrêter le cours du temps.

"T'en a mille des amis. Mais c'est pas grave si j'suis la pire." Quelle marmonne contre le t-shirt de l'autre, à l'odeur salée des embruns marins et du soleil doré. Elle secoue la tête, prend une respiration avant de s'écarter du poisson mandarin. Les calins, elle les aime à petite dose quand bien même une petite voix dans sa tête lui hurlerait que c'est un peu faux.

Elle fait en pas en arrière en reprenant ses bras pour elle, sautille maintenant d'un pied à un autre dans une sale habitude. Une grimace mal à l'aise et elle regarde partout ailleurs, partout sauf sur lui. "Hm... si tu racontes à quelqu'un tout ce que j'ai dis, j'viendrais te tuer dans ton sommeil." Ca se veut redoutable mais ça semble piteux, Maxine ne montre même pas les dents, la rage au ventre essoufflée comme la flammèche d'une bougie. Elle se reprend, redresse le dos et carre les épaules pour planter ses prunelles vertes dans celles de l'autre. "Je ferais un effort pour ne pas -trop- t'éviter. Mais je ne promets rien, tu veux toujours traîner dans mes pattes comme un bébé Kian." Une grimace exaspérée quand au fond, elle adore ça.

Elle se détourne déjà pour venir s'asseoir à une chaise bancale, résolue et les paroles comme un ordre. "Mais si un jour je te dis de ne PAS venir ou de ne PAS m'appeler, tu le fais pas." Elle flippe un peu Maxine, des magouilles dans lesquelles elle traîne déjà sans trop l'avoir voulu. Elle flippe de retrouver un jour des mafieux sur la pas de sa porte sans savoir dans quoi Désiré l'aura encore embarquée. Elle flippe de voir la fosse s'immiscer dans sa vie ici, retrouver son adresse et les noms qui lui sont chers, pour un combat qui tournera mal ou un caillou dans les rouages. Elle flippe Maxine, bien qu'elle ne le montre pas, préfère se pencher sur la table pour attraper un nouveau croissant aux amandes, un sourcil levé pour Kian, comme si elle le trouvait louche à rester planté là.